Chaque année depuis 1975, le 17 avril est la Journée internationale pour les prisonniers palestiniens. L’occasion, pour de nombreuses associations de défense des droits de la population palestinienne, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur une situation qui pose problème depuis près de 50 ans.
Le 17 avril 1996, à plusieurs milliers de kilomètres de la Palestine, 19 paysans brésiliens du « Mouvement des sans-terres » ont été assassinés par la police militaire, lors d’une importante marche pacifique organisée pour réclamer un accès à la terre et de meilleures conditions de vie. Depuis lors, le 17 avril est également la Journée Internationale de soutien des Luttes Paysannes.
De la répression du Mouvement des sans-terres à celle du peuple palestinien, qui assiste quotidiennement à la colonisation de son territoire, il n’y a qu’un pas. De part et d’autre, des populations, des paysannes et des paysans ne bénéficient pas d’un accès équitable aux ressources foncières indispensables pour accéder à la Souveraineté Alimentaire.
La concordance de ces deux dates est l’occasion de poser le regard sur deux aspects méconnus de l’occupation qui gangrène la vie de la population palestinienne en Cisjordanie : l’incarcération de masse et la colonisation agricole.
Pourquoi les prisonniers Palestiniens font-ils l’objet d’une journée internationale de soutien à leur égard ?
D’après l’Association Belgo-Palestinienne, depuis 1967 on comptabilise 800.000 incarcérations de Palestiniennes et de Palestiniens de tous âges. En 2016, il y aurait près de 7000 Palestinien-ne-s dans les prisons israéliennes dont 170 enfants. Depuis l’an 2000, 700 enfants palestiniens ont fait un passage en prison[1. Note Politique : Les prisonniers politiques palestiniens, ABP, Novembre 2015 : http://www.association-belgo-palestinienne.be/web/wp-content/uploads/2015/11/Note-politique-prisonniers2.pdf.].
Cette situation a été décriée à diverses reprises par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (CDHNU) qui a ré-exprimé, le 22 mars dernier, sa profonde préoccupation due au «maintien en détention de milliers de Palestiniens, y compris un grand nombre de femmes et d’enfants et de membres élus du Conseil législatif palestinien, dans des prisons ou des centres de détention Israéliens, soumis à des conditions très dures qui nuisent à leur bien-être et se caractérisent notamment par le manque d’hygiène, la mise à l’isolement, l’absence de soins médicaux appropriés, l’interdiction des visites des membres de la famille et le non-respect des garanties d’une procédure régulière ». Le CDHNU se dit également « profondément préoccupé par les brimades et les mauvais traitements dont peut faire l’objet tout prisonnier palestinien et par les informations faisant état d’actes de torture(…) » . De nombreuses arrestations étant perpétrées pour des motifs politiques, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies demande notamment à Israël de « cesser tout harcèlement, toute menace, toute intimidation et toutes représailles contre les défenseurs des droits de l’homme et les acteurs de la société civile qui militent pacifiquement pour les droits des Palestiniens dans le Territoire Palestinien Occupé ».
Si les médias accordent beaucoup d’importance aux périodes de violence exacerbée dans la région, l’incarcération de masse est une pratique plus discrète et insidieuse qui permet à l’occupant de réprimer encore davantage la population occupée. Il est donc primordial de profiter de la Journée Internationale des prisonniers Palestiniens pour évoquer ce phénomène.
L’accaparement du secteur agricole Palestinien
Au niveau mondial, la dégradation des sols, l’urbanisation et l’augmentation de la demande en terres agricoles débouchent sur un phénomène d’accaparement des terres perpétré par des acteurs puissants tels que des Etats, des entreprises, des acteurs financiers ou des élites nationales, aux dépens de paysannes et de paysans désœuvrés. Pourtant, l’accès à la terre est une condition essentielle pour la réalisation du droit à l’alimentation de nombreuses populations au Sud et au Nord. Olivier De Schutter, l’ancien rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, souligne que l’accès à la terre et la sécurité d’exploitation sont indispensables pour la réalisation du droit à l’alimentation de millions de personnes à travers le monde[2. De Schutter, « Accès à la terre et droit à l’alimentation », Rapport présenté à la 65ième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, New York, 2010 (A/65/281).].
En Palestine, la cause majeure de pression foncière est la politique de colonisation menée par Israël. Cette politique se matérialise très concrètement par l’appropriation effrénée de territoires palestiniens, notamment dans les zones les plus fertiles et celles qui renferment des nappes phréatiques. Le phénomène d’incarcération de masse dont nous avons parlé, les conflits armés, le déplacement des populations, l’expansion croissante des colonies, la mise en place de « zones de sécurité » et la construction du mur de séparation avec Israël privent, chaque jour un peu plus, les Palestinien-ne-s de leurs terres. À cela s’ajoute les quelques 532 check-points qui freinent voire bloquent la population palestinienne dans ses déplacements.
Selon l’EWASH[3. L’EWASH est une coordination de 28 ONG et d’agences des Nations Unies qui coordonne des travaux sur l’eau, l’assainissement et le secteur de l’hygiène dans le Territoire Palestinien Occupé.], près de 63% des terres agricoles palestiniennes sont localisées en zone C, une zone sous contrôle exclusivement israélien qui recouvre 60% de la Cisjordanie et dont l’accès est quasiment interdit à la population palestinienne. Cela a notamment pour conséquence que la production agricole est passée de 50% du PIB palestinien, en 1968, à 4,9% en 2013. Par ailleurs, l’EWASH estime à 500 millions de dollars la valeur des produits des colonies, pour la plupart agricoles, qui inondent annuellement le marché palestinien. En matière d’exportation, les colonies israéliennes exportent 285 millions de dollars de produits agricoles vers l’Europe, contre 19 millions pour les exportations palestiniennes. Ces chiffres témoignent, à eux seuls, de l’impact négatif qu’a la colonisation sur le secteur agricole palestinien.
Des mécanismes qui limitent l’accès aux terres agricoles sous prétexte sécuritaire
Pour les quelques paysannes et paysans qui ont toujours « accès » à leurs terres, le travail quotidien n’est pas aussi facile qu’il devrait l’être. D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies[4. Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, “The Impact of Israeli Settler Violence on the Palestinian Olive Harvest: The Case of Al Mughayyir Village”, October 2013] (OCHA), près de 90 communautés palestiniennes de Cisjordanie ont des terres à l’intérieur ou à proximité de 55 colonies et avant-postes Israéliens. Face au grand nombre d’agressions menées par des colons israéliens auprès des paysannes et des paysans Palestiniens, lorsqu’ils accédaient à ces terres, les autorités Israéliennes ont institué un régime de coordination préalable (« prior coordination »). Concrètement, ce mécanisme permet aux paysan-ne-enregistrés, d’accéder à leurs terres sous la protection de forces de sécurité israéliennes, pour un nombre limité de jours par année. Cette protection ne s’applique que pour la récolte des olives et non pour d’autres récoltes (amandes, céréales…).
Il existe également un autre régime de permis, mis en place par les autorités Israéliennes, qui restreint l’accès aux terres des paysannes et paysans palestiniens dont l’exploitation se situe entre le Mur et la Ligne verte.
Toujours selon l’OCHA[5. Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, “10 Years since the International Court of Justice Advisory Opinion”, 9 July 2014.], entre 2010 et 2014, 50% des demandes de permis de paysannes et de paysans palestiniens souhaitant accéder à leurs terres, ont été rejetées et pour celles et ceux qui l’ont obtenu, l’accès à leurs terres reste néanmoins restreint.
En 2013, les autorités Israéliennes ont désigné 81 « portes » permettant le passage vers les terres Palestiniennes situées entre le Mur et la Ligne verte. Sur ces 81 « portes », seules 9 restent ouvertes tous les jours et 9 autres sont ouvertes un ou deux jours par semaine. Les 63 « portes » restantes ne sont ouvertes que durant la période de récolte des olives, soit environs 45 jours par an[6. Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, Humanitarian Bulletin Monthly Report, February 2014, p.11.].
Ces mécanismes ne permettent pas aux paysannes et aux paysans de protéger leurs oliviers et leurs cultures des attaques récurrentes (par arrachage, abattage, incendie…) perpétrées par les habitants des colonies. En 2014, 9.333 arbres productifs ont été détruits ou vandalisés par des colons et sur le seul mois de janvier 2015, on en dénombrait déjà 5.600 dans toute la Cisjordanie (OCHA, 2015).
On est donc loin de l’accès à la terre et de la sécurité d’exploitation prônés par Olivier De Schutter pour la réalisation du droit à l’alimentation des citoyennes et des citoyens.
La Souveraineté alimentaire en territoire occupé
Le principe de Souveraineté Alimentaire, développé par le mouvement paysan international Via Campesina, veut que les peuples et les Etats, dans leur droit à déterminer eux-mêmes leurs politiques alimentaires et agricoles, le fassent sans porter atteinte à autrui. Dès lors, quand un Etat s’accapare des zones agricoles fertiles d’une population qu’il occupe, il se met en porte-à-faux par rapport à ce principe.
Par ailleurs, comment un peuple qui n’est pas souverain sur son propre territoire peut-il espérer atteindre la Souveraineté Alimentaire ? Dans le contexte actuel en Territoire Palestinien Occupé, la population palestinienne n’a pas toutes les cartes en mains pour pouvoir espérer atteindre pleinement cette souveraineté. La solution passe par la reconnaissance et la mise en place d’un Etat Palestinien libre, indépendant et souverain.
En attendant le jour où Palestiniens et Israéliens atteindront la Souveraineté Alimentaire, la société civile palestinienne s’organise via de multiples initiatives pour continuer à produire des denrées alimentaires qui seront soit vendues localement soit exportées vers l’Europe et d’autres pays du monde. À son échelle, en tant qu’acteur de la société civile internationale et à l’instar de nombreuses autres organisations, Oxfam-en-Belgique soutien certaines de ces initiatives via des partenariats commerciaux équitables ou en appuyant le travail de partenaires locaux.
Sébastien Maes