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Magique, tragique et autres «hics» du plastique

2020 Analyses
Magique, tragique et autres «hics» du plastique

Le plastique fait l’objet de toutes les critiques. Pourtant, en faire son procès n’est pas chose aisée : qui doit être porté sur le banc des accusés ? Cette analyse fait le point sur ce dont le plastique est inculpé, pour mieux définir les responsabilités dans cette histoire principalement humaine.

Estelle Vanwembeke

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Introduction 

Le plastique est l’objet, ou plutôt la matière, de toutes les critiques. Et pourtant, il a un jour été la promesse d’un monde meilleur. Produit parmi les plus emblématiques de la « modernité », il est aujourd’hui jugé pour ses dérives. L’histoire du plastique est surtout une histoire humaine à écrire au pluriel, celle du fantasme d’une matière magique et démocratique, au destin tragique tant elle met en péril la vie sur Terre. Faire le procès de cette histoire du plastique n’est pas chose aisée : qui doit être porté sur le banc des accusés ? Les chimistes, les extracteurs de pétroles, les fabricants, les distributeurs, les gouvernements, les consommateurs ? Cette analyse est une tentative de rétablir les faits, pour mieux définir les responsabilités.

Magique 

« Plastique » est dit d’une personne, d’un esprit ou d’une pensée capable de souplesse, de transformation et d’adaptation à des formes nouvelles. Hegel utilisait déjà le terme de plasticité au début du 19e siècle, pour parler de la subjectivité, nous rappelle la philosophe Catherine Malabou[1]Catherine Malabou, Le plastique, c’est fantastique !, Entretien dans Philosophie Magazine, mis en ligne le … Continue reading. On peut donc comprendre qu’au polystyrène, au polyvinyle, au polyéthylène, et autres « noms de berger grec » comme dirait Roland Barthes[2]Roland Barthes (1957), Mythologies, pp 159-161, Ed. du Seuil, Paris., ait été assigné le terme général de « plastique ». En effet ces matériaux, issus d’un procédé chimique élaboré à partir de macromolécules (résines, élastomères, fibres artificielles), ont la particularité d’épouser toute sorte de formes, sans jamais revenir à leur forme initiale.

C’est au chimiste belge Leo Hendrik Baekeland que revient le premier emploi du terme plastique pour une matière. C’est en effet Baekeland qui, dans la foulée des inventions de ses prédécesseurs[3]Le pharmacien et chimiste français Braconnot découvre en 1832 le nitrate de cellulose, produite à partir du bois. Cette découverte sera reprise aux USA par les frères Hyatt qui vont développer, … Continue reading, met au point et industrialise le premier plastique synthétique : la bakélite, en 1909.  Isolante, thermodurcissable[4]Désigne ce qui ne se déforme pas sous l’effet de la chaleur., la bakélite fait son entrée en grandes pompes dans le XXe  siècle, en pleine révolution industrielle, pour accompagner les projets d’urbanisation, notamment par l’électrification des villes. Des téléphones aux interrupteurs, en passant par les microphones et cendriers, la bakélite façonne les habitats du XXe siècle.

S’ensuit une course des chimistes vers la recherche de matières « magiques » qui puissent servir à tout, en transformant des molécules de carbones[5]Le carbone est l’élément constitutif qu’ont les matières plastiques en commun avec le corps humain. Il est le 4e élément le plus abondant dans l’univers, et le 15e le plus abondant dans … Continue reading : en 1913 est mise au point la cellophane, en 1927 le polychlorure de vinyle, en 1938 le nylon et le polystyrène, et en 1942 le polyéthylène. En 1963, Karl Ziegler et Giulio Natta partagent le prix Nobel de chimie pour leurs découvertes dans le domaine de la chimie des plastiques, et en particulier de catalyseurs permettant la polymérisation des polyéthylène et polypropylène (aujourd’hui couramment utilisés dans les emballages, par exemple)[6]Voir : https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/1963/summary/.

Résistantes, étanches, légères, modulables, lisses, translucides ou opaques, les matières plastiques donnent forme, non seulement à nos modes de vies, mais aussi aux fantasmes humains de liberté, d’égalité et de toute puissance sur la « Nature ». Cette puissance se manifeste à mesure que l’humain crée et reproduit une matière qui, par alchimie, presque par magie, est capable d’imiter, de cumuler et de dépasser les propriétés de matières naturelles comme le bois, l’argile, ou la pierre.

Démocratique

Les matières plastiques donnent l’illusion de pouvoir tout remplacer. Ce fantasme serait pourtant vain si les inventions chimiques n’avaient été assorties d’un développement industriel et technologique sans précédent. L’essor et la démocratisation des matières plastiques sont dus au productivisme effréné du XXe siècle, et particulièrement de l’après seconde guerre mondiale. Par jeu d’échelles, les coûts de la fabrication de ces « matières à tout faire » deviennent bien plus rentables que les matières naturelles, et plus accessibles aux foyers en pleine reconstruction.

Et Roland Barthes de souligner à ce titre que le plastique est « la première matière magique qui consente au prosaïsme ; mais c’est précisément parce que ce prosaïsme lui est une raison triomphante d’exister : pour la première fois, l’artifice vise au commun, non au rare ». Le plastique popularise l’art de simuler la nature qui auparavant était d’usage exclusivement bourgeois. Les matières synthétiques imitent le parquet en chêne, le cuir des blousons, remplacent le marbre des cuisines … Le plastique est fantastique. Il est modernité, progrès, prospérité. Il offre à toutes les familles le privilège de la consommation sans grand investissement financier.

L’Europe de l’après seconde guerre mondiale se reconstruit en plastique elle aussi. Volontairement soumise à l’influence de l’« American Way of Life» sous l’effet du plan Marshall, elle adopte des formes originales aux couleurs bariolées. Les matières plastiques accompagnent la montée des classes moyennes, les premiers congés payés, allègent la lourdeur des tâches domestiques (d’un point de vue matériel du moins, car elles n’en répartissent pas mieux les tâches pour autant au sein des foyers), apportent des solutions au manque croissant d’espace en ville par des mobiliers modulables à souhait, et protègent les aliments des contaminations extérieures … le tout dans une ambiance générale de « bonheur consumériste ».

Les années 1950 marquent ainsi une période d’accélération sans précédent de la production et de la consommation de plastique[7]Les années 1950 correspondent à une période de grande accélération et à une forme de mondialisation des impacts des actions humaines sur l’environnement. Pour de nombreux scientifiques et … Continue reading. De nouvelles matières plastiques sont en permanence lancées et testées sur le marché sans que l’on étudie en amont la manière dont les déchets de ces matières pourraient être traités.

Le plastique est tellement bon marché que la plupart des objets plastiques sont conçus pour être jetés ! 50% du plastique produit dans le monde est à usage unique[8]Les plastiques à usage unique, aussi appelés plastiques jetables, sont des matières plastiques généralement utilisées pour le packaging, et incluent des objets conçus pour n’être utilisés … Continue reading [9]Chiffre renseigné par Zero Waste Europe dans une note de juin 2018 (https://www.zerowastefrance.org/wp-content/uploads/2018/08/201806_note-zwf-enjeux-et-actualite-autour-du-plastique.pdf), et … Continue reading) : on achète, on consomme et on jette, puis on remplace, sans se préoccuper du chemin que prendra le produit converti en déchet … Jusqu’à ce qu’on le retrouve dans nos aliments, sur nos côtes, dans nos rues, ou lors d’une traversée en croisière sur les rives du 7e continent[10]Nom donné à une masse équivalente à trois fois la taille de la France, accumulant plus de 1 800 milliards de déchets plastiques, qui ne cesse de s’étendre en plein Pacifique.. Produire des objets à jeter rapidement, mais qui ont pourtant une durée de vie qui s’évalue en siècles, ne relève-t-il pas de l’absurde ?

Le fantasme plastique de toute liberté (notamment en créant des objets qui n’existaient pas avant) a engendré de nouveaux asservissements. Converti en mythe, le plastique est devenu, pour reprendre Barthes, une formule que nous avons intégrée, naturalisée en la dégageant de toute explication, de toute critique, et donc dépolitisée. Pourtant, l’histoire du plastique a pris des tournures tragiques : le modèle de croissance de la plupart de nos sociétés anthropisées[11]L’anthropisation désigne le processus par lequel les populations humaines, par la construction de leur habitat, modifient ou transforment la biogéochimie planétaire. n’a jamais pris en compte le coût environnemental de l’industrialisation et de la globalisation de son invention.

Tragique

A l’entrée de l’exposition permanente « Plasticarium » du Art & Design Atomium Museum (ADAM) de Bruxelles sont affichés les 10 principes du bon design proposés par l’architecte et designer Dieter Rams[12]Dieter Rams, né le 20 mai 1932 est connu pour avoir participé au développement de la marque d’électronique Braun., parmi lesquels la « durabilité », décrite comme suit :

« Un bon design est durable. Il évite d’être à la mode et n’apparaît donc jamais archaïque. Contrairement à la conception à la mode, il dure de nombreuses années — même dans la société jetable d’aujourd’hui. »

Le bon design doit également être « environmentally-friendly ». « Il doit contribuer de façon importante à la protection de l’environnement. Il doit conserver les ressources naturelles, et minimiser la pollution physique et visuelle tout au long du cycle de vie d’un produit. »

Au regard des chiffres, on semble pourtant bien loin du bon design décrit par Rams. Selon Nathalie Gontard, directrice de recherche et professeure en sciences de l’aliment et de l’emballage à l’Institut National français de Recherche Agronomique (INRA), 300 millions de tonnes de plastiques sont produites chaque année dans le monde, dont plus de 60 millions en Europe (3e producteur après la Chine et les Etats Unis). Nous utilisons et jetons 40 kg de plastique par personne et par an au niveau mondial en 2015 (63kg/an en Europe), soit l’équivalent d’un poids corporel moyen, et nous en ingèrerions près de 5g par semaine, soit l’équivalent d’une carte de crédit, selon une récente étude de WWF[13]Analyse WWF de 2019 sur l’évaluation de l’ingestion de plastique, à consulter en ligne : http://awsassets.panda.org/downloads/plastic_ingestion_press_singles.pdf. 90 % des déchets de ce que nous consommons persisteront longtemps après notre propre disparition souligne Gontard, puisque les matières plastiques mettent 100 à 200 ans à se dégrader en micro et nano particules. Pour mieux comprendre le cycle de vie de ces produits, la chercheuse rappelle que 35 à 50 % des plastiques usagés sont dispersés de façon incontrôlée dans notre environnement. 20 à 40 % sont regroupés dans des stations d’enfouissement aux quatre coins du monde.

Au total, plus des trois quarts (en masse) des plastiques usagés finissent leur vie dans les eaux douces et les océans – mettant en péril la biomasse marine -, ainsi que dans les terres, interagissant avec d’autres contaminants agricoles et domestiques, pour finir dans nos assiettes. Le quart restant est réparti entre recyclage et incinération, prenant en considération que sur 700 matières plastiques existantes, seules les 3 variétés les plus répandues (polyester, polypropylène et polyéthylène), sont à peu près correctement recyclées.[14]Nathalie Gontard, Déchets plastiques : la dangereuse illusion du tout-recyclage, L’Obs, publié en ligne le 04 février 2018 … Continue reading [15]Jusqu’en 2018, la Chine était le plus gros importateur des déchets plastiques occidentaux. Le pays rachetait les déchets étrangers déjà triés pour les nettoyer, les broyer et les transformer … Continue reading Le recyclage relève d’ailleurs plus du mirage, avertit Gontard, puisqu’en réalité « moins de 2 % des plastiques usagés sont recyclés idéalement en circuit fermé, c’est-à-dire récupérés pour produire un matériau utilisable comme un plastique neuf et indiscernable de ce dernier »[16]L’auteure précise dans son analyse que 14 % en moyenne des plastiques usagés sont collectés pour être recyclés. “Sur ces 14 %, 4 % sont perdus au cours du processus de recyclage et … Continue reading.

Là où certains scientifiques parlent d’anthropocène ou de capitalocène[17]Lire à ce sujet l’analyse : « Comprendre et composer (avec) l’anthropocène », de septembre … Continue reading, d’autres choisissent le terme de « Plasticène »[18]Voir par exemple la thèse de Marie Lecuyer, 2018 : https://ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/38068/1/Lecuyer_Marie_2018_th%C3%A8se.pdf  (l’âge du plastique), pour souligner l’ampleur du phénomène, et l’impact massif et irréversible de la production et consommation humaine de plastique sur la biochimie planétaire et le reste du vivant. En effet, le plastique est peut-être, comme le soutient l’écrivaine et chercheuse féministe Heather Davis, le substrat matériel le plus exemplaire de ce que signifie vivre et mourir dans le capitalisme contemporain. Il est constitutif des archives du 21e siècle[19]Pour aller plus loin sur ce sujet, voir sa conférence en ligne: https://www.youtube.com/watch?v=LN9N0pf9i00. Il y a tellement de plastique dans nos dépotoirs, nos décharges, nos sols, nos rivières et nos océans que les microparticules de polymère – couramment utilisé dans les dentifrices et les cosmétiques par exemple – sont devenues omniprésentes, au point qu’on en retrouve dans les zones les plus éloignées des océans, même celles non exploitées par les humains. On peut s’attendre à ce que les traces de ce matériau durent dans les archives fossiles durant des millénaires à venir, témoignant pour les futures générations du fantasme humain de toute puissance sur la nature et d’immortalité, de croissance économique sans fin.

Contre toute attente, bien que tous les signaux environnementaux soient au rouge, cette tendance n’est pas prête de s’infléchir. Au contraire, il est attendu que la production de plastiques augmente de 40% d’ici 2030[20]Source: article Reporterre du 04 janvier 2020, https://reporterre.net/La-production-de-plastique-va-augmenter-de-40-d-ici-2030?fbclid=IwAR3YNeXnndOojT5yu_tYFCd8RrQgLkFzVMIR1IOBea82P-pAMtF2Z0PKwi8.

Les emballages et objets plastiques à usage unique sont actuellement dans la visée des politiques publiques européenne et dans le monde, car ils représentent 70% des déchets marins. En décembre 2018, la Commission européenne, le Parlement et les représentants des Etats membres sont arrivés à un accord sur le contenu de la Directive européenne relative au plastique à usage unique. Celle-ci prévoit l’interdiction, d’ici 2021, de 8 produits plastiques à usage unique (les couverts, les assiettes, les pailles, les contenants alimentaires et gobelets en polystyrène expansé, les touillettes, les coton-tige et les tiges pour ballons). Si le texte représente une avancée inédite dans la lutte contre la pollution plastique, la bataille contre le plastique semble de longue haleine, au regard des constats dressés plus hauts. Les objectifs de baisse de la consommation de gobelets et contenants alimentaires en plastique ont finalement été retirés du texte, regrettent Zero Waste France et la coalition d’ONG “Rethink Plastic”, et sont devenus facultatifs pour les Etats membres. Un principe de responsabilité élargi est également prévu dans cette directive pour les producteurs de plastique, les obligeant entre autres à contribuer aux coûts liés à la gestion des déchets et de sensibilisation au public[21] Pour en savoir plus sur le contenu de la Directive, lire la note de Zero Waste France du 19 décembre … Continue reading.

Plastique

Plastique est, par excellence, notre imaginaire, tant que nous refuserons de le laisser coloniser par les alternatives infernales du capitalisme, et autres scenarii fatalistes blâmant l’impossibilité d’habiter notre planète de manière solidaire entre humains, et avec le reste des vivants. S’il y a une matière plastique à développer parmi toutes, c’est donc certainement l’imaginaire.

Femmes et hommes professionnels et amateurs dans les domaines de la chimie, du design, de l’industrie, du commerce, de la communication, de la littérature, etc., toutes générations confondues, avons encore devant nous pléthore d’espace à occuper pour imaginer les suites du « plasticène ». L’urgence écologique ouvre en effet un vaste champ de création et d’invention, où le plastique peut même s’avérer être un allié, à l’instar du dispositif de nettoyage de l’Océan Pacifique (Ocean Cleanup) imaginé par le jeune Néerlandais Boyan Slat à l’âge de 17 ans[22]Pour en savoir plus, lire: https://usbeketrica.com/article/ocean-cleanup-la-beaute-de-cette-invention-c-est-sa-simplicite. Ce dispositif (une barrière flottante qui dérive dans la même direction que les déchets pour les capturer) est constitué d’un tube en polyéthylène résistant mais suffisamment flexible pour épouser le mouvement des vagues et résister aux intempéries, et d’un écran de nylon de trois mètres de profondeur conçu pour retenir le plastique sans emprisonner les poissons. On retrouve ici les prouesses des matières plastiques moulées et assemblées au service d’un dispositif visant à nettoyer les écosystèmes marins des déchets industriels.

Un des défis auquel s’attèlent aujourd’hui des scientifiques et designers concerne le développement de nouvelles alternatives de production (nouvelle industrie, nouveaux emplois) dans une démarche de circularité. L’économie circulaire s’appuie sur une logique de recherche de création de valeurs positives sur les plans économique, social et environnemental, à chaque étape de la boucle, en plaçant la gestion et l’optimisation des ressources naturelles au cœur de son modèle. Ce sont le chimiste allemand Michael Braungart et l’architecte nord-américain William McDonough qui en ont lancé les bases en 2002, dans leur ouvrage Cradle to Cradle. Créer et recycler à l’infini[23]Michael Braungart, William McDonough, Cradle to Cradle. Créer et recycler à l’infini, Ed. Alternatives, 2011 .. Le cradle to cradle (littéralement, d’un berceau à un autre) est un manifeste pour une « éco-efficacité » qui va à contre-courant des visions écologistes traditionnelles qui prônent la baisse de la consommation. Les auteurs tentent de diffuser auprès des industriels du monde entier, notamment via leur laboratoire hollandais Environmental Protection and Encouragement Agency (EPEA), un modèle industriel basé sur le principe « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », inspiré de l’équilibre des écosystèmes naturels. Dans leur vision, les produits créés retournent soit au sol, sous la forme de « nutriments biologiques » non toxiques, soit à l’industrie, en tant que « nutriments techniques » afin d’être recyclés à l’infini.

Cette vision de la production industrielle rend obsolète, de fait, la notion même de déchet, puisque tout déchet prend à un moment de son cycle de vie la valeur d’une matière première. Elle s’articule autour de sept principes clés dont l’éco-conception, à la base même de l’existence du produit, pour minimiser ses impacts environnementaux ; l’écologie industrielle, qui optimise dans son organisation l’usage des ressources (matière et énergie) ; l’économie de la fonctionnalité, qui privilégie l’usage à la possession ; et le réemploi, permettant de remettre dans le circuit économique les produits ne répondant plus aux besoins du premier consommateur.

Si de nombreux aspects méritent d’être questionnés, et notamment le fait que ce modèle, centré sur l’équilibre des écosystèmes naturels, n’intègre pas les questions de l’exploitation sociale et intersectionnelle entre les groupes de travailleurs et travailleuses du monde, il est à ce jour l’une des pistes de développement les plus complètes et intéressantes pour la transition de nos sociétés industrielles.

C’est pourquoi des chercheuses et chercheurs travaillent partout dans le monde, dans la vision la plus stricte de cette démarche, au développement de matériaux écologiques alternatifs au plastique qui ne risquent pas de terminer en particules fines dans l’alimentation des humains et des non-humains. Ces matières alternatives ressemblent à du plastique, c’est-à-dire qu’elles en ont les caractéristiques (modulable, étanche, flexible, … selon les cas), mais sont issues de la biomasse végétale, et capables de réintégrer le cycle naturel du carbone. Cela veut dire qu’elles sont biodégradables en conditions naturelles et peuvent être régénérées par photosynthèses, et n’empiètent pas sur les ressources alimentaires de la planète. Les matières premières investiguées sont des fibres naturelles comme le chanvre, le lin, la noix de coco, etc., ou encore des résidus que l’agriculture ou l’agroalimentaire ne valorisent pas par ailleurs (comme des pailles, des eaux et huiles usées par exemple). En Bretagne par exemple, trois jeunes designers ont développé la première entreprise française de recyclage de fils de pêche usés, Fil&Fab. Après triage et transformation, les déchets trouvent une nouvelle vie sous forme de granulés qui serviront de matière première à la production de nouveaux objets. Par leur entreprise Yann Louboutin, Thibaut Uguen et Théo Desprez s’attaquent à une partie de la pollution des fonds marins et du littoral. En effet les filets de pêche, d’une durée de vie d’un an, représentent 800 tonnes de déchets annuels retrouvés sur le littoral français[24]Pour consulter la page web du projet: https://fil-et-fab.fr/.

En Colombie, pays d’accueil de la journée mondiale de l’environnement en 2020[25]La journée phare des Nations Unies pour la promotion de la sensibilisation et de l’action en faveur de l’environnement à l’échelle mondiale. … Continue reading, où l’après-conflit passe aussi par la construction de la paix avec la biodiversité, le Département de Boyacá s’est fait le fer de lance de la bataille contre le plastique en déclarant en 2019 son territoire libre de plastique. Concrètement, il retire de ses marchés publics tous les produits plastiques à usage unique. Ce faisant, le gouvernement départemental relance par la même occasion l’économie et la recherche autour des fibres végétales dont il est l’un des plus gros producteurs du pays, comme l’illustre sa campagne « Plus de fibre, moins de plastique (échange un déchet pour un panier) », reprise dans d’autres villes en Colombie et en Equateur[26]Pour en savoir plus à ce sujet, lire : https://www.boyaca.gov.co/ecuador-apropio-la-campana-mas-fibra-menos-plastico/. Un projet de loi visant l’interdiction du plastique à usage unique a été envoyé au Congrès en 2019 pour rendre cette mesure nationale[27]Pour en savoir plus, lire : https://sostenibilidad.semana.com/medio-ambiente/articulo/colombia-da-un-paso-hacia-la-prohibicion-de-los-plasticos-de-un-solo-uso/43504.

Dans un tout autre domaine, la designer italienne Chiara Scarpitti, spécialisée en joaillerie contemporaine, considère l’anthropocène comme un nouveau scénario de possibles pour la création de bijoux contemporains. En effet, les évolutions du paysage planétaire et l’intégration de matières plastiques dans les strates de la croûte terrestre amènent l’artiste à envisager l’anthropocène comme un nouveau point de départ pour repenser la joaillerie, notamment dans l’évolution de ses formes, ses matériaux et sa capacité à provoquer le débat sur les questions sociétales dans lesquelles elle n’est pas neutre, comme à la question écologique. Tout un champ d’expérimentations dans ce domaine concerne les « Néo matériaux », c’est-à-dire les matériaux hybrides, composés d’éléments hétérogènes, organiques ou artificiels, mélangeant savoir-faire artisanal et machines digitales. En observant le météoroïde plastique de l’artiste Perdita Philipps[28]Voir : http://www.perditaphillips.com/portfolio/plastic-meteoroid/, on ne voit plus dans le plastique la matière auparavant appréciée pour son faible coût de fabrication et dépréciée pour sa faible valeur d’usage, mais une matière « noble », témoignant d’une histoire, au même titre qu’une émeraude ou une topaze. Dans cet esprit, on retrouve par exemple la broche du designer Mario Albrecht (2015), réalisée à base de Polyéthylène (provenant de déchets de sacs en plastiques et d’aluminium), d’argent et d’acier[29]Scarpitti Chiara, Contemporary jewelry in the Antropocene era. A dialogue across the Present to reinvent the Future. 4th Triple Parade – Biennale for contemporary jewelry, catalogue. Tongji … Continue reading. La joaillerie contemporaine ne peut plus, selon Scarpitti, évincer les questions de son temps, et doit jouer son rôle dans la mise en perspective critique des enjeux écologiques qui traversent nécessairement la discipline. C’est dans une démarche similaire que la designer néerlandaise Johanna Schmeer  investigue les bioplastiques pour le design de nouveaux produits et matières, dans le cadre de son projet original « Bioplastic Fantastic ».[30]Page web du projet : https://johannaschmeer.com/Bioplastic-Fantastic

Conclusion

Pointé du doigt à l’heure de crises en cascade (environnementale, sanitaire, sociale, économique), le plastique présente une situation paradoxale : il dégrade nos conditions de vie et celle du reste des vivants à l’échelle planétaire, et dans le même temps il nous maintient en vie (il n’y a qu’à voir combien les soins de santé prodigués à l’hôpital en dépendent). Il peut même s’avérer être notre meilleur allié pour répondre des désastres écologiques actuels et à venir. Toujours faut-il, pour cela, élargir l’imaginaire des possibles pour fabriquer des mondes habitables et désirables durablement. Dès lors, si le plastique est exposé dans les musées, c’est peut-être moins pour témoigner de son passage sur Terre, que pour rendre compte de ses capacités d’agir sur le monde et de notre inventivité humaine, celle-là même capable d’apporter des solutions habitables dans le « plasticène ».

Notes[+]