Analyse préalable au séminaire partenariat-éducation de juin 2012
Introduction
Oxfam-Magasins du monde entretient, avec 37 organisations partenaires dans le Sud, des relations commerciales directes par le biais de la vente de produits d’artisanat issus du commerce équitable. Mais nos partenaires sont plus que de simples fournisseurs de produits. Nous avons ce point commun avec eux, de vouloir créer un « autre monde », plus juste, plus équitable. Pour sa part, Oxfam-Magasins du monde définit sa mission de la manière suivante « (…) construire la justice socio-économique en combattant les inégalités et les injustices de manière structurelle et globale ».
Nous menons, nos partenaires dans le Sud et nous-mêmes dans le Nord, des actions qui visent le changement social auquel nous aspirons.
Convaincu que nous pouvons nous renforcer mutuellement à ce niveau, Oxfam-Magasins du monde a entrepris de revoir sa stratégie de partenariat en ce début d’année 2012.
Nous partirons, dans cette note, des constats de départ qui ont enclenché la réflexion sur les relations de partenariat chez Oxfam-Magasins du monde ainsi que des recherches et analyses qui nous ont menés à organiser un premier séminaire de travail en juin 2012.
Nous poursuivrons en exposant les enjeux de ce premier séminaire, les questionnements, les résultats que nous souhaitons entrevoir.
Nous nous pencherons ensuite sur la vision du changement social pour Oxfam-Magasins du monde afin de la partager avec nos partenaires.
Nous terminerons en établissant un programme à moyen terme pour mener à bien cette réflexion sur notre stratégie de partenariat.
Constats de départ
Historiquement, les organisations de commerce équitable, comme Oxfam-Magasins du monde, ont développé des partenariats commerciaux avec des organisations du Sud [[highslide](1;1;;;)
Paragraphe inspiré de Les deux âmes du commerce équitable, Angelo Caserta, in Antipodes n°161-162, ITECO, sept. 2003.
[/highslide]]. D’une vision fortement paternaliste dans les années 60, le partenariat est devenu un concept fort, nouveau, dans lequel des organisations du Nord et du Sud entendent travailler ensemble sur une base équitable avec une implication réelle des organisations de producteurs dans les processus de décision. La croissance du partenariat dans les aspects liés au commerce contraste avec son absence dans la sensibilisation, les campagnes, le plaidoyer. Ces propos sont à nuancer quelque peu pour Oxfam-Magasins du monde. Néanmoins, la plupart du temps, les partenaires de commerce équitable sont vus comme des ressources sur le fond ou comme des témoins venant confirmer le bien-fondé du commerce équitable. Rares sont les cas où les producteurs peuvent jouer un rôle plus actif, par exemple, décider ensemble des thèmes, des stratégies, des méthodologies, des publics-cibles. Il arrive même qu’on ne leur demande pas de vérifier si les messages qui parlent d’eux correspondent à ce qu’ils voudraient dire.
Ce constat de départ nous a amenés à nous pencher sur les questions de partenariat éducatif et politique dans d’autres associations et ONG, sur les collaborations passées que nous avons déjà menées, ainsi que sur la littérature sur le sujet.
Recherches et analyses
Face aux enjeux actuels de la mondialisation, de l’inégale répartition des richesses, des injustices économiques, et de leurs impacts globaux et locaux, nos partenaires dans le Sud, tout comme nous, ont développé divers moyens d’action pour répondre à ces inégalités, pour rendre l’économie plus juste, pour combattre la pauvreté, l’exclusion.
De manière assez évidente, en tant qu’acteurs de commerce équitable, nous proposons une alternative économique, en produisant/commercialisant des produits. Cette activité est au cœur de nos projets respectifs, mais ne constitue pas notre seul point commun.
Effectivement, Oxfam-Magasins du monde mène des activités de sensibilisation, des campagnes de mobilisation, de plaidoyer, etc…La plupart de nos partenaires du Sud aussi. Un questionnaire envoyé à l’ensemble de nos partenaires, dans le courant du mois d’avril 2012, nous a révélé l’ampleur des actions mises en place, à côté de la production de leurs produits, pour sensibiliser, informer, interpeller aux enjeux socio-économiques et environnementaux de notre modèle de production et consommation actuel.
Nous pouvons entrevoir intuitivement des parallèles entre nos actions au Nord et celles au Sud.
Prenons le cas de l’éducation au développement (ED). Même si l’ED n’est pas pratiquée telle qu’elle l’est ici en Occident dans les pays du Sud, ces derniers ont une longue expérience basée sur l’éducation populaire. Or, ces deux types d’éducation ont beaucoup en commun : des objectifs qui visent à la transformation de la société actuelle ; des processus éducatifs qui considèrent les personnes comme des sujets actifs et non des objets passifs de cette transformation ; des méthodologies participatives et créatives ; une approche complexe du réel ; la valorisation du partage d’apprentissages de personnes ainsi que le renforcement de leurs compétences et pouvoir d’action pour une plus grande participation dans leur contexte social.
L’éducation au développement (ED)
Face à l’inégale répartition des richesses dans le monde, en particulier entre le Nord et le Sud, l’Education au Développement est un processus qui vise à provoquer des changements de valeurs et d’attitudes sur les plans individuel et collectif en vue d’un monde plus juste, dans lequel ressources et pouvoir sont équitablement répartis dans le respect de la dignité humaine.
Les objectifs de l’ED sont de faciliter la compréhension des enjeux globaux et de renforcer la capacité des citoyens à se mobiliser dans des actions collectives de solidarité de type social, politique ou de sensibilisation, en vue de jeter les bases d’un monde plus juste et plus équitable.
L’ED se veut une éducation dynamique, ouverte à la participation active, créative, pluraliste, orientée vers l’action et le changement social.
Concernant l’analyse de nos expériences passées, il est vite apparu que le développement de nos relations de partenariat aux niveaux éducatif, de la sensibilisation, des campagnes, du plaidoyer n’a pas été aussi loin que le développement de notre partenariat au niveau commercial.
Relevons quelques exemples de collaborations : la réalisation d’une étude préalable à la campagne Ikea par Areds (Swate) en Inde, ou celle réalisée dans le cadre de la campagne Prix tout compris par SPFTC aux Philippines; la réalisation d’un documentaire par 3 Tamis au Kivu (Les creuseurs n’ont pas bonne mine); la présence de nos partenaires lors de soirées vins-fromages, des journées partenaires, mais aussi, le séminaire de 2009 « le CE pour quels changements » qui a abouti à l’organisation commune d’un séminaire au Forum Social Mondial de Dakar en 2011.
Une brève analyse de ces expériences montre que :
- elles restent ponctuelles, irrégulières
- la plupart du temps, les partenaires de commerce équitable sont vus comme des ressources sur le fond ou comme des témoins. Il ne s’agit donc pas de construction commune de nos actions éducatives et politiques (ex : décider ensemble des thèmes, des stratégies, des méthodologies, des publics-cibles, etc.)
- ces expériences ont rarement été intégrées au niveau stratégique de notre organisation.
Enjeux et questionnements
Tous ces éléments, ainsi que le partage de cette réflexion avec d’autres organisations de commerce équitable en Europe et de diverses lectures, nous ont amenés à penser que finalement, ce qui importe n’est pas tant la question de savoir comment impliquer les partenaires dans nos actions, mais plutôt de voir comment les actions que nous menons ici au Nord et les actions menées au Sud par nos partenaires contribuent, ensemble, à créer du changement social.
Il est évident que les priorités et les urgences ne sont pas vécues au même degré entre le Nord et le Sud de la planète. Cependant, nous avons un agenda commun : nous avons comme ambition de construire une société dans laquelle chacun puisse vivre dignement, une société plus juste, plus équitable pour tous. Nous voulons créer un rapport de force pour lutter contre les dérives de la mondialisation néolibérale. Pour cela, il est nécessaire de voir comment nos actions, au Nord et au Sud de la planète, peuvent se renforcer pour amener le changement social auquel nous aspirons. Des actions, des supports, des activités, des outils probablement différents la plupart du temps, mais issus d’une stratégie intégrée avec les partenaires du Sud, dans les domaines des activités politiques et éducatives.
Ces enjeux seront au cœur du séminaire du mois de juin 2012.
Nous voyons diverses plus-values à construire une démarche plus intégrée avec nos partenaires du Sud. Premièrement, elle permet de valoriser des pratiques que l’on connait peu chez nos partenaires. Ensuite, elle invite à un apprentissage mutuel sur nos pratiques, ce qui nous permet de les améliorer, de ne pas réinventer des choses qui fonctionnent bien ou entreprendre des choses qui ne fonctionnent pas. Enfin, cela créera plus de cohérence dans nos actions orientées vers le changement social; et, espérons-le, avoir un plus grand impact global.
Le changement social
Nous évoquons souvent la notion de « changement social ». Il parait intéressant de s’attarder quelque peu sur cette notion.
Une définition souvent retenue est celle de G. Rocher : le changement social est « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire ».
Les deux questions à se poser, pour toute organisation prétendant vouloir le changement, sont : quel type de changement social (de transformation) voulons-nous ? Et comment estimons-nous pouvoir l’atteindre (les leviers) ?
Pour répondre à la première question, Oxfam-Magasins du monde a clarifié, dans un processus de réflexion stratégique dans le courant de l’année 2011, sa mission et ses ambitions.
La mission d’Oxfam-Magasins du monde est de construire la justice socio-économique en combattant les inégalités et les injustices de manière structurelle et globale. Cette mission peut être déclinée en 3 ambitions :
• Garantir pour chacun la réalisation des droits économiques et sociaux fondamentaux
• Rendre plus juste le système de production, distribution, consommation
• Construire une société durable respectueuse des droits fondamentaux de tous
Nous y retrouvons divers éléments qui définissent, pour Oxfam-Magasins du monde, sa vision du changement social.
- Il repose sur un changement structurel,
- sur un changement durable dans le temps, permanent ;
- sur une transformation du système actuel,
- qui va dans la direction d’un système socio-économique mondial plus juste ;
- il s’agit de changements systémiques (qui englobent le social, l’économique, l’environnemental, le culturel, le politique)
- il s’agit de changements de connaissances, d’attitudes, de comportements, mais aussi des règles (nationales et internationales) ;
- il repose sur une visée collective,
- et il doit s’inscrire à différents niveaux : local, régional, international.
La seconde question se centre sur les leviers d’action : comment atteindre le changement que nous souhaitons ?
Nous déclinons nos leviers d’action pour atteindre le changement social de la manière suivante :
- Levier « citoyen »
Actions vers les citoyens et les consommateurs (mobilisation, éducation, conscientisation)
Ex: manifestations, événements, petits déjeuners Oxfam, sensibilisation à l’école, formations, campagnes de sensibilisation,… - Levier « expertise »
Actions vers les responsables politiques (campagne, plaidoyer)
Ex: interpellation de candidats, mémorandum pour les élections, conférences,…
Rem : le plaidoyer se fait en réseau. - Levier « alternatives »
Mise en place d’alternatives concrètes
Ex : le commerce équitable ; le seconde main.
Ces leviers constituent le cœur de notre projet politique.
Nous pensons que le changement social se produit d’abord à un niveau « moléculaire » ou « micro ». Des personnes se rencontrent d’abord autour d’une indignation, de valeurs communes, d’une passion qui les conduit à inventer quelque chose de nouveau, à ouvrir des possibles. Ensuite, une articulation de ces actions multiples, au Nord comme dans le Sud, semble nécessaire pour rendre possible le changement social.
Et c’est bien là que réside tout l’enjeu du séminaire de juin 2012 et du processus de réflexion qui l’accompagne.
Conclusions et perspectives
Le séminaire de juin 2012 constituera une étape dans un processus plus large, qui vise à nous interroger sur nos relations de partenariat.
Il constitue une phase de réflexion et concertation qui, nous l’espérons, permettra d’identifier ce que nous mettons en place, nos partenaires et nous-mêmes, pour créer du changement social, en dehors de la production et la vente de produits de commerce équitable.
Les étapes suivantes seront des missions de terrain, entre fin 2012 et début 2013, qui permettront d’approfondir des analyses faites lors du séminaire et d’expérimenter des premiers projets.
Enfin, la dernière étape, de proposition cette fois, sera dédiée à l’analyse collective des résultats de la phase expérimentale ainsi qu’à l’établissement des principes généraux de collaboration et des modalités de travail en commun, à travers un second séminaire en 2013.
Tout ceci, nourrira, étape après étape, l’évolution de la stratégie de partenariat d’Oxfam-Magasins du monde, à travers laquelle nous souhaitons aller plus loin que la simple relation « fournisseurs » et développer avec un nombre restreint de partenaires une relation plus approfondie, au-delà de la vente de produits, dans un processus de renforcement des capacités des partenaires dans leurs finalités sociales, éducatives et politiques.
Géraldine Dohet
Responsable du service éducation
Oxfam-Magasins du monde