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Behind the brands / La face cachée des marques : retour sur 3 années de campagne

Analyses
Behind the brands / La face cachée des marques : retour sur 3 années de campagne
En 2013, Oxfam International lance une campagne sur « La face cachée des marques » pour influencer positivement les politiques d’approvisionnement des dix plus grandes entreprises mondiales de produits alimentaires et de boissons. Trois ans plus tard, les résultats sont probants, notamment sur des problématiques telles que les droits des femmes, l’accaparement des terres et le climat. L’analyse fait le bilan de cette action et donne des pistes pour les suivantes.

En février 2013, dans le cadre de la campagne « GROW» (Cultivons) Oxfam International a lancé la campagne « Behind the Brands – La face cachée des marques » (BTB) dans le but d’influencer positivement les politiques d’approvisionnement des dix plus grandes entreprises mondiales de produits alimentaires et de boissons. Retour sur trois années d’une campagne fulgurante.

Cibler les multinationales pour lutter contre la faim

Lancée le 1er juin 2011 la campagne « GROW – CULTIVONS. La terre. La vie. Le monde » d’Oxfam a pour objectif d’attirer l’attention des autorités et de l’opinion publique sur les défis énormes auxquels l’approvisionnement alimentaire mondial doit faire face, et de démontrer les carences de la politique actuelle. Elle vise à mettre en avant l’impact de cette politique sur la situation économique, sociale et écologique des paysan.ne.s et des communautés locales du Sud. En outre, elle souhaite présenter des alternatives et des propositions politiques concrètes en vue d’un approvisionnement alimentaire équitable.
En février 2013, dans le cadre de cette même campagneOxfam lance la campagne « Behind the Brands – La face cachée des marques » (BTB). La volonté de l’organisation est alors de montrer aux consommateurs et aux consommatrices qu’ils et elles font partie de la solution, en faisant le choix d’acheter, ou non, certains produits et en faisant entendre leur voix de citoyen.ne.s auprès des multinationales de l’alimentaire.

Si vous leur montrez que vous tenez à soutenir les agriculteurs et à préserver la planète, les marques vous écouteront.

Oxfam International s’est basé sur le postulat que les plus grandes multinationales du secteur alimentaire ont une influence énorme sur le système alimentaire conventionnel et qu’elles ne peuvent pas faire abstraction de l’avis de leurs consommateurs et de leurs consommatrices. La campagne BTB a adopté une théorie du changement qui se base sur le fait que les acteurs moins visibles qui se trouvent à la base de la chaîne d’approvisionnement sont ultra dépendants et oppressés par les grandes marques. En invitant ces grandes marques à adopter des politiques différentes et à les mettre progressivement en œuvre à travers leurs chaînes d’approvisionnement, Oxfam International a supposé que la pression des consommateurs pouvait entraîner un changement systémique dans les chaînes d’approvisionnement. L’autre hypothèse adoptée par la campagne était que des politiques améliorées de la chaîne d’approvisionnement seraient appliquées aux fournisseurs en amont et conduiraient à des pratiques améliorées dans l’ensemble des chaînes d’approvisionnement au profit des producteurs d’aliments partout dans le monde.

Mise en place d’une fiche d’évaluation

En marge de cette campagne, Oxfam International s’est intéressé aux politiques des dix géants de l’agroalimentaire sur diverses problématiques (de la gestion de l’eau aux droits des femmes), le comportement qu’elles attendent de leurs fournisseurs et ce qu’elles prétendent faire pour mesurer leur impact sur les ouvriers, les agriculteurs et les agricultrices qui fabriquent leurs ingrédients. L’organisation a alors établi une fiche d’évaluation qui classe les dix entreprises en les cotant sur les sept thèmes suivants :

  • La transparence au niveau de l’entreprise
  • Les conditions des femmes agricultrices et petites productrices dans leur chaîne d’approvisionnement
  • Les conditions des ouvriers agricoles de leur chaîne d’approvisionnement
  • Les (petits) agriculteurs cultivant les produits, les paysans
  • Les terres, à la fois en termes de droits et d’accès à la terre et d’utilisation durable de celle-ci
  • L’eau, à la fois en termes de droits et d’accès aux ressources en eau et d’utilisation durable de celles-ci
  • Le climat, à la fois en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’aide aux agriculteurs pour s’adapter au changement climatique.

Chacun de ces thèmes, mis à part la transparence, sont alors cotés selon quatre aspects qui constituent ensemble un résultat total sur dix, attribué à chacune des entreprises :

  • Conscience : L’entreprise montre-t-elle qu’elle a conscience des principaux problèmes liés à ce thème et mène-t-elle des projets afin de comprendre et d’apporter des solutions à ces principaux problèmes ?
  • Connaissances : L’entreprise montre-t-elle qu’elle mesure, évalue et établit des rapports sur les principaux problèmes et faits, particulièrement dans ses chaînes d’approvisionnement liées à ce thème ?
  • Engagements : L’entreprise s’engage-t-elle à apporter une solution aux principaux problèmes liés à ce thème dans ses chaînes d’approvisionnement ?
  • Gestion de la chaîne d’approvisionnement : L’entreprise exige-t-elle de ses fournisseurs qu’ils respectent les normes en vigueur liées à ce thème?

Ces catégories d’indicateurs s’appuient sur des documents disponibles publiquement pour répondre aux questions suivantes. Le thème de la transparence récompense, pour sa part, les entreprises lorsqu’elles communiquent des informations à propos de problèmes au niveau général ou au niveau de l’entreprise.
Voici, ci-dessous, à quoi ressemblait la fiche d’évaluation lors du lancement de la campagne :
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Retour sur trois années de campagne

Droit des femmes dans le secteur du cacao

À peine un mois après le lancement de la campagne, les sympathisants d’Oxfam se mobilisent le 08 mars 2013, dans le cadre de la Journée internationale du droit des femmes, pour appeler les géants producteurs de chocolat à stopper les inégalités vis-à-vis des agricultrices. En avril 2013, ce sont plus de 100.000 sympathisant.e.s qui s’expriment à travers le monde en adressant des messages aux entreprises via Facebook et Twitter et en signant des pétitions pour qu’elles participent à la lutte contre la faim, la pauvreté et les inégalités de salaire auxquelles sont confrontées de nombreuses femmes et ouvrières dans le secteur du cacao. Face à ce mouvement de consommateurs et de consommatrices, Mars, Mondelez & Nestlé s’engagent à améliorer leurs politiques.

Accaparement des terres

En octobre 2013, Oxfam publie un spot vidéo invitant les sympathisant.e.s à signer une pétition pour demander à Coca-Cola, Pepsico & ABF d’aider à stopper les accaparements de terres. La campagne BTB fédère alors 150.000 consommateurs et consommatrices. Un mois plus tard, en novembre 2013, plus de 300.000 sympathisant.e.s s’expriment à ce sujet et Coca-cola améliore ses politiques. Peu de temps après, Pepsico s’est engagé à une politique de tolérance zéro des accaparements de terres et a convenu que ses embouteilleurs en fassent de même. En août 2014, Nestlé s’engage à son tour à une tolérance zéro des accaparements de terre. Confirmant l’hypothèse émise par Oxfam selon laquelle les politiques améliorées de la chaîne d’approvisionnement seraient appliquées aux fournisseurs en amont et conduiraient à des pratiques améliorées dans les chaînes d’approvisionnement au profit des producteurs d’aliments, Illovo, le plus grand producteur et fournisseur de sucre de Coca-Cola en Afrique, accepte d’aider à stopper les accaparements de terres.

Climat

En mai 2014, les sympathisant.e.s tirent littéralement la sonnette d’alarme de la lutte contre le changement climatique en assaillant les pages Facebook et les comptes Twitter de Général Mills et Kellogg’s afin qu’ils s’assurent que leurs actions ne contribuent pas au changement climatique qui aggrave la faim dans le monde. Il n’aura fallu que deux mois de pression pour que General Mills s’engage à fixer des objectifs de réduction de ses émissions et à se placer en véritable chef de file en matière de la lutte contre le changement climatique. Les 238.000 consommateurs et consommatrices ont également influencé Kellogg’s qui a annoncé son intention de redoubler d’efforts dans la lutte contre le changement climatique. En effet, l’entreprise s’est engagée à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans sa chaîne d’approvisionnement et ses activités ; à aider les petits producteurs et productrices agricoles à s’adapter au changement climatique ; et à encourager un réel plaidoyer au sein du secteur privé et des gouvernements.
En trois ans, la campagne BTB a réussi à modifier les politiques de nombreuses entreprises ciblées et à mobiliser les partisans d’Oxfam. Pour beaucoup d’entre eux, la campagne est perçue à la fois comme novatrice et réussie. La mise à jour de la fiche d’évaluation montre une réelle évolution à tous les niveaux :
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Conclusion

Cette campagne menée par Oxfam International montre le professionnalisme de l’organisation dans ses rapports avec les multinationales et ses capacités de mise en action des foules. BTB est une campagne à la croisée des chemins entre la sensibilisation des consommateurs et des consommatrices et le travail de plaidoyer, à long terme, avec les grandes entreprises. La réussite d’une telle campagne tient notamment à la crédibilité de l’organisation au niveau international, à son expertise dans la connaissance des acteurs et des problématiques qu’elle aborde et à la relation de transparence qu’elle cherche à maintenir tant vis-à-vis des mouvements citoyens qui la portent qu’avec les décideurs politiques, financiers et commerciaux auxquels elle s’adresse.
Néanmoins l’évolution globalement positive qui peut être constatée en un simple coup d’œil sur les fiches d’évaluation de 2013 et de 2016, ne doit pas fausser une réalité bien loin d’être idéale pour les femmes et les hommes qui se trouvent à la base des systèmes d’approvisionnement des multinationales de l’agroalimentaire. Le changement des pratiques de ces dernières est un travail de longue haleine pour les organisations de la société civile. De plus, dans un contexte international en perpétuelle évolution, il importe de continuellement se reposer la question des cibles ayant le plus d’impact dans le système alimentaire dominant, afin de maximiser les chances d’évolution positive des dérives de ce système. La question reste ici ouverte, mais d’aucuns[1. Philippe Baret] s’accordent à dire que de plus en plus aujourd’hui, la grande distribution tire les ficelles des chaines d’approvisionnement alimentaire internationale en dictant, d’une part, aux grandes marques – telles que celles ciblées par la campagne BTB – ce qu’elles doivent produire et  en influençant, d’autre part, les consommateurs et les consommatrices dans leurs « besoins » de consommation. Dans un an, fin 2017, Oxfam international lancera une nouvelle campagne dans le cadre de GROW. Cette campagne qui s’appuiera notamment sur l’expérience BTB, fera justement un focus sur les inégalités au sein des chaines de valeurs des supermarchés. À suivre…
Sébastien Maes