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Les élections communales sont dans moins d’un an. Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Si, si, je vois une opportunité pour mener une campagne d’actions pour rendre les politiques publiques plus justes, solidaires et durables et pour construire des alliances locales et renforcer des mobilisations citoyennes autour d’initiatives de transition économique, écologique et sociale ! Après « Ma commune c’est pas le bout du monde » en 2000, « ça passe par ma commune » en 2006 et 2012, Oxfam-Magasins du monde a décidé de profiter des élections communales du 14 octobre 2018 pour relancer une dynamique associative et citoyenne dans le cadre de ces élections.
Mais au fond, se mobiliser comme association ou comme mouvement citoyen dans le cadre d’élections, ça sert à quelque chose ?[1. Cette analyse est tirée de l’évaluation de la campagne « Ça passe par ma Commune » réalisée en 2016 pour Oxfam-Magasins du monde par Olivier Chaput, Sustainability consultant – EcoRes sprl et Julien Lesceux, Consultant en Communication et Commerce Equitable.]
A chaque élection, ça ne rate pas, les candidats et candidates sont attendu.e.s au tournant par les associations, les ONG, les syndicats, etc. Oui, campagne électorale rime avec promesses de campagne d’un côté et revendications, mémorandums, interpellations, pétitions de l’autre. Mais tout ça, cela sert à quoi ? Avant de décider de se lancer à nouveau dans une campagne autour des élections, Oxfam-Magasins du monde a réalisé une évaluation de la campagne « ça passe par ma commune » de 2012 pour la thématique qu’elle portait, à savoir la solidarité internationale. Cette analyse présente les points forts, les points faibles, les erreurs à ne pas commettre et des pistes de réflexions pour que des associations et des citoyen.ne.s souhaitant se lancer dans pareille expérience puissent réussir leur campagne.
Ce que les candidat.e.s en ont retenu
Lorsqu’on interroge des candidats et candidates ayant participé à la campagne « Ça passe par ma commune » de 2012 sur son efficacité, les réponses reçues sont plutôt mitigées.
Premièrement, certain.e.s candidat.e.s confessent participer à ce type de campagne par devoir et souci de visibilité plus que par intérêt pour les thématiques liées à la solidarité internationale et au commerce équitable. Ces thématiques ne sont pas jugées prioritaires en pleine campagne électorale. Ils/elles souhaitent se concentrer sur des thématiques qui leur semblent plus en lien avec le quotidien et les attentes des électeurs et électrices.
Deuxièmement, durant cette période proche des élections, ces candidat.e.s sont en recherche d’un maximum de visibilité. Ils/elles courent d’un marché fermier à une fête de village ou encore à l’inauguration d’une statue pour rencontrer un grand nombre d’électeurs et électrices potentiel.le.s. Se retrouver face à une cinquantaine de membres de l’associatif en déçoit certain.e.s qui souhaitent rencontrer plus de citoyen.ne.s n’étant pas déjà impliqué.e.s dans l’une ou l’autre organisation participante.
Ces constats ne sont cependant pas généralisables à toutes les actions menées par des associations et des citoyen.ne.s autour des élections. Aux yeux des candidat.e.s, cette campagne avait au moins deux points positifs. L’originalité du petit train citoyen parcourant la commune pour s’arrêter dans certains lieux stratégiques et symboliques ainsi que l’état des lieux présenté autour des thématiques débattues leur ont permis de découvrir leur commune sous un autre angle. La campagne était une occasion d’apprendre des choses sur les réalités de leur entité. Ensuite, le format de la campagne a permis à toutes et tous d’échanger en toute convivialité. En effet, lors du parcours du petit train, candidat.e.s et citoyen.ne.s pouvaient discuter, côte à côte, en toute simplicité.
Ce que les bénévoles et citoyen.ne.s en ont retenu
Lorsque l’on interroge les bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde et les citoyen.ne.s ayant participé à « Ca passe par ma commune », c’est l’ampleur de l’interpellation qui est d’abord relevée. Un petit train touristique, ça prend de la place, c’est visible et surtout, c’est original ! L’aspect logistique du trajet et de l’organisation des arrêts était une vraie nouveauté.
Ensuite, comme pour les candidat.e.s, la convivialité ressentie lors de l’évènement est soulignée. Pour la plupart des citoyen.e.s, s’assoir à côté du bourgmestre, de l’échevin.e ou d’un. candidat.e est inhabituel, c’est nouveau ! En effet, l’espace d’un trajet de train le rapport entre les gens est modifié ; les échanges sont spontanés, directs et sincères.
Enfin, la visite de la commune et la préparation de l’évènement leur ont permis beaucoup de surprises et d’apprentissages. Ils/elles ont pu découvrir leur commune sous un autre angle et en sortir avec une belle satisfaction.
Mais au final, la question se pose quand même … quels sont les impacts de ce type de campagne ?
Et les impacts alors ?
L’efficacité de la campagne au niveau communal
Les engagements des candidat.e.s et des partis politiques locaux sont-ils mis en œuvre ? Difficile de répondre à cette question car un suivi coordonné n’a pas été mis en place alors même qu’il est attendu et souhaité par tout le monde. Dès la fin des actions de campagne, les différentes associations se sont reconcentrées sur leurs propres priorités sans pouvoir assurer le suivi pourtant souhaité. De leur côté les citoyen.ne.s comptaient sur ces même associations et ne l’ont pas fait non plus.
Dans les faits, seul Amnesty International a réalisé un suivi personnalisé. L’association met en avant l’engagement de 15 à 20 communes à signer une charte « Agenda Droits humains » suite à des rendez-vous post-élections et des débats publics centrés sur leur thématique.
Par ailleurs, des groupes de citoyen.ne.s se sont également constitués dans plusieurs communes pour assurer un suivi (Anderlecht, Arlon, Mons, Tournai). Cette piste est d’ailleurs assez intéressante pour atteindre des résultats concrets[2. On y reviendra en fin d’analyse dans la partie « Mais alors, quel est l’intérêt de se relancer dans une campagne de ce type ?».].
Pour les bénévoles des associations participantes : le cas d’Oxfam-Magasins du monde
Lors du passage du petit train citoyen de cette campagne de 2012, des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde ont participé à l’organisation de l’arrêt « Solidarité internationale » dans 18 communes. Leur énergie et leurs connaissances ont été bien nécessaires pour préparer un quizz sur les questions de solidarité internationale au niveau communal (distribué aux passagers du petit train citoyen en début de parcours), organiser la logistique lors de l’arrêt proprement dit et préparer le moment d’interpellation en tant que tel.
Souvent, les bénévoles Oxfam ont également participé à l’organisation d’un moment convivial au départ ou à l’arrivée du petit train. Une occasion de plus de rencontrer de manière informelle les candidat.e.s aux élections et de sensibiliser les citoyen.ne.s aux enjeux du commerce équitable.
Enfin, le passage du petit train citoyen était l’occasion de remettre une pétition en faveur d’une commune favorable au commerce équitable aux candidat.e.s.
Les bénévoles membres des différentes associations actives dans cette campagne ont eu une place importante dans l’organisation des évènements. C’est un point qui a été souligné comme positif. L’accueil et le climat de convivialité mis en place par les bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde ont été fortement appréciés. Par contre, même si quelques bénévoles considèrent que « l’interpellation politique fait partie intégrante d’une action pour la solidarité internationale »[3. Analyse : Le bénévole et le politicien ; 2012 ; Chloé Zollman], ils/elles n’étaient majoritairement pas à l’aise dans une activité d’interpellation directe de candidat.e.s sur des thématiques de campagne. Cela n’est pas dans leurs habitudes de discuter mémorandums et revendications de façon franche et directe.
Chez Oxfam-Magasins du monde, les bénévoles ne souhaitent pas adopter une position d’experts face aux politiciens. « Nous sommes avant tout un mouvement de citoyen.e.s qui questionnons le système économique mondial, notamment en interrogeant les décisions qui sont prises au niveau communal. Notre but est d’entamer un dialogue équilibré avec les politiciens pour que certaines valeurs soient défendues par la commune. Mais s’ils ne descendent pas de leur tour d’ivoire, on en tire des conclusions aussi ! »[4. Analyse : Le bénévole et le politicien ; 2012 ; Chloé Zollman] Il apparait cependant qu’un travail d’accompagnement et d’une meilleure formation des bénévoles est nécessaire[5. On y reviendra en fin d’analyse dans la partie « recommandation ».].
Pour les candidat.e.s et les partis politiques
Les actions et interpellations menées durant cette campagne sont arrivées trop tard pour inscrire les thématiques de campagne dans les programmes des partis. Par exemple, le parti ECOLO commence à rédiger ses propositions pour le programme communal environ 2 ans avant les élections (septembre 2016 pour les élections d’octobre 2018 pour une appropriation et une adaptation aux enjeux locaux par les collectifs locaux).
Les élu.e.s s’investissant, après les élections, pour faire adopter les politiques revendiquées pendant la campagne ont parfois rencontré des difficultés avec leur administration communale résistante au changement.
Enfin, certains partis politiques, comme le MR, se félicitent des actions qu’ils ont menées durant la législature concernant les thématiques portées durant la campagne « ça passe par ma commune ». Les associations et citoyen.ne.s sont même encouragé.e.s à poursuivre ce genre de démarches « sympathiques ».
Des tensions peuvent se créer dans certaines communes où des citoyen.ne.s portent une double casquette de militant.e.s dans l’associatif et de candidat.e.s politiques (souvent issu.e.s de l’opposition). Ces citoyen.ne.s peuvent se retrouver dans une position délicate au moment d’interpeller les candidat.e.s avec l’associatif. Certains choisissent de faire un pas de côté quant à leur engagement associatif. Celui-ci s’en trouve déforcé car ceux et celles qui sont amené.e.s à être candidat.e.s sont souvent parmi les plus investi.e.s mais aussi les plus à l’aise pour interpeler.
Mais alors, quel est l’intérêt de se relancer dans une campagne de ce type ?
Pour un mouvement d’éducation permanente, la tentation est quand même grande de profiter des élections (communales) pour travailler avec son public. « En valorisant ces dynamiques, Oxfam-Magasins du monde cherche aussi à valoriser la sphère politique comme un espace où les citoyen.ne.s ont un rôle à jouer, au-delà de l’acte ponctuel du vote »[6. Analyse : Le bénévole et le politicien ; 2012 ; Chloé Zollman].
Cette analyse nous permet d’émettre quelques recommandations pour sortir des pièges habituels :
Il est primordial de redonner aux citoyen.ne.s de la « puissance d’agir » et le sentiment de pouvoir changer les choses. L’objectif de ce type de campagne n’est pas seulement d’obtenir des changements après les élections, mais tout autant de renforcer les capacités des participant.e.s à se mobiliser et à prendre en main la sensibilisation de leurs pairs et l’interpellation des candidat.e.s et des élu.e.s. Favoriser l’appropriation des enjeux communaux par les (groupes de) citoyen.ne.s est primordial.
En faisant de l’appropriation citoyenne l’enjeu majeur de ce type de campagne, on laisse les citoyen.ne.s choisir les actions et revendications qu’ils/elles souhaitent porter et mettre en place. L’associatif joue alors le rôle de coach, de liant pour aider les dynamiques à se construire sans les instrumentaliser. Les citoyen.ne.s sont souvent motivé.e.s par des thématiques portées par l’associatif, il ne faut pas qu’ils/elles se sentent seul.e.s lors de moments clés pour questionner nos projets de sociétés.
Enfin, il est intéressant de s’interroger sur les différents niveaux de pouvoir et de comprendre les connexions entre les élections communales de 2018 et les régionales, fédérales et européennes de mai 2019. Les liens étant parfois très forts ou très complexes, il faut pouvoir les décoder et les appréhender pour atteindre les objectifs.
Martin Rose