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Entre 2016 et 2017, Oxfam-Magasins du monde menait une campagne sur les alternatives alimentaires portées par nos partenaires d’ici et d’ailleurs : « Cultivons les alternatives ». Quelques années plus tôt, conscient que les enjeux globaux inhérents aux dérives de l’agro-industrie affectaient tant la réalité agricole des paysans du Sud que celle des paysans du Nord, le mouvement citoyen mettait en place une charte « Paysans du Nord ». Les premiers produits équitables européens trouvaient alors leur place dans les magasins Oxfam. Aujourd’hui, près de cinq années plus tard, le paysage de la distribution alternative a beaucoup évolué. Une multitude d’alternatives citoyennes et/ou commerciales ont vu le jour, faisant notamment la part belle à la distribution de produits locaux dans des filières en circuits courts. L’engouement des citoyen·ne·s de tous âges, qui se rencontrent et s’activent au sein de ces nouveaux lieux d’échanges et de distribution, a tendance à donner un coup de vieux au modèle de distribution proposé par le réseau de magasins d’Oxfam-Magasins du monde. Néanmoins, du haut de ses 41 ans d’existence, l’organisation n’a pas à pâlir de son expérience et de son modèle, qui en a inspiré bien d’autres.
L’un des objectifs de la campagne « Cultivons les alternatives » était de créer des synergies avec d’autres initiatives citoyennes locales, de « prendre place » dans le mouvement de la Transition, de définir le rôle joué par Oxfam-Magasins du monde dans ce nouveau contexte fleurissant des alternatives alimentaires en Wallonie et à Bruxelles. Au terme d’une année de campagne et d’échanges avec les porteurs et porteuses de ces alternatives, il est temps de répondre à cette question : quels sont la place et le rôle joués par le commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde auprès des alternatives locales de circuits courts ?
Qu’entend-t-on par circuit court ?
D’un point de vue légal, le concept de circuit court est réglementé par la législation européenne. Au niveau européen[1. Règlement délégué (UE) n°807/2014 de la Commission du 11 mars 2014 complétant le règlement (UE) n°1305/2013 du Parlement européen et du Conseil relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et introduisant des dispositions transitoires, article 11.], on considère que les chaînes d’approvisionnement courtes sont celles qui ne comportent pas plus d’un intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Un avis du Comité scientifique de l’Agence Fédérale pour la Sécurité Alimentaire (AFSCA) datant de 2014[2. Avis 05-2014 du Comité scientifique de l’AFSCA du 11/12/2014], considère que la vente en circuit court est limitée à la vente de produits dans un rayon de 80 km du site de production et dont un maximum de 30% des quantités est vendu à un intermédiaire commercial. Enfin, pour la Direction générale opérationnelle de l’agriculture, des ressources naturelles et de l’environnement (DGO 3) du Service Public de Wallonie (SPW)[3. DGO 3 SPW, « Vade-mecum de la valorisation des produits agricoles et de leur commercialisation en circuit court », SPW Éditions,, Juillet 2017, p.8.], la définition de ce concept comprend la vente directe d’un produit par son producteur au consommateur final. Mais elle peut aussi prendre en compte l’intervention d’un intermédiaire, ainsi que des notions spatiales entre la production et la commercialisation.
Circuits-courts « multi-acteurs »
Dans son « Vade-mecum de la valorisation des produits agricoles et de leur commercialisation en circuit court », la DGO 3 du SPW souligne que la définition du concept de circuit court est en pleine évolution et peut varier en fonction des points de vue législatifs, économiques, sociologiques ou autres[4. Idem³.]. Dans un même ordre d’idée, le chercheur français Jean-Guillaume Messmer, parle de circuits courts multi-acteurs dans une recherche basée sur l’analyse d’une quinzaine de projets de circuits courts, dans diverses régions françaises. Pour J-G Messmer, les circuits courts multi-acteurs sont : « des initiatives de circuits courts pour lesquels un ou plusieurs agriculteurs sont accompagnés – financièrement mais aussi en termes de logistique, d’organisation, de communication… – par une structure publique ou privée, pouvant être interne ou externe au projet, et ce afin de faciliter la vente de leur production »[5. J-G Messmer, “Les circuits courts multi-acteurs: Emergence d’organisations innovantes dans les filières courtes alimentaires”, INRA, Janvier 2013, p.9.]. Si le chercheur français ne l’évoque pas dans son analyse, on retrouve dans cette définition certaines similitudes avec les collaborations qui lient Oxfam-Magasins du monde à ses partenaires producteurs. De plus, en favorisant la transparence tout au long de la filière, en cherchant à diminuer le nombre d’intermédiaires entre la production et la consommation, et en ayant des rapports commerciaux équitables favorisant la souveraineté alimentaire, les pratiques d’Oxfam-Magasins du monde correspondent à un grand nombre de valeurs chères aux acteurs des circuits-courts.
L’aspect environnemental, souvent mis en avant par celles et ceux qui défendent le « tout au local », est à prendre avec des pincettes. En effet, comme le souligne J-G Messmer dans cette même recherche, il y a encore peu d’analyses scientifiques précises sur les aspects environnementaux des circuits courts, tout comme des circuits de commercialisation alimentaire en général. Si beaucoup d’évolutions apparaissent à ce niveau, les faiblesses logistiques de certains modèles de circuits courts impliquent l’absence d’économie d’échelle. Ce qui peut remettre en question l’efficacité énergétique de ces circuits par rapport à une filière telle que celle du commerce équitable. Néanmoins, le soutien apporté, tant par le commerce équitable que par un grand nombre d’initiatives en circuits courts, à une agriculture familiale et paysanne, ainsi qu’à une transition agroécologique de notre système alimentaire, a un impact positif direct et conséquent sur l’efficacité énergétique de ces filières. Les intrants chimiques et l’épuisement des sols par des pratiques agricoles inadaptées représentent en effet la plus grande part des nuisances environnementales provoquées par le système agroindustriel.
Oxfam-Magasins du monde & les alternatives de la distribution
Face à ces similitudes éthiques, sociales et environnementales, et alors que des initiatives de distribution en circuits courts font appel à Oxfam-Magasins du monde pour compléter leur offre avec des produits issus du commerce équitable, une double question se pose : d’une part, dans quelle mesure et sous quelles conditions éthiques est-il pertinent de retrouver des produits Oxfam-Magasins du monde (OFT) dans ces espaces multiples de distribution alternative ; d’autre part, quid alors de l’évolution des produits Paysans du Nord dans la gamme de produits OXFAM-Magasins du monde ?
Si cette deuxième question fera l’objet d’une autre analyse, évoquons ici l’implication d’Oxfam-Magasins du monde dans la mise en place d’un référentiel pour les Systèmes Participatifs de Garantie (SPG[6. Analyse Oxfam-Magasins du monde, “Les systèmes participatifs de garantie, une alternative citoyenne au label bio”, S. Maes, Décembre 2016] en Wallonie et à Bruxelles. À terme, l’intégration des équipes locales d’OXFAM-Magasins du monde qui le souhaitent au sein d’un SPG de leur localité pourrait être une piste, parmi d’autres, pour l‘évolution de la distribution de produits équitables issus du Nord dans le réseau de magasins d’Oxfam-Magasins du monde.
La question de la pertinence et des conditions éthiques de la présence de produits équitables Oxfam au sein de nouveaux lieux de distribution alternative, renvoie à un autre choix précédemment posé par Oxfam Fair Trade (OFT) et notre partenaire Ethiquable : la présence de tels produits dans les supermarchés conventionnels. Ce choix s’explique, d’une part, par la nécessité de vendre de plus gros volumes de produits, permettant ainsi à nos partenaires producteurs de pérenniser leurs activités de production, et d’autre part, par la volonté de toucher et de sensibiliser un plus large échantillon de consommateurs et de consommatrices. D’un point de vue idéologique, les produits distribués par Oxfam-Magasins du monde (OFT) ont davantage leur place dans des espaces de vente alternatifs plutôt que dans les rayons des grandes enseignes, dont les pratiques commerciales vont à l’encontre des valeurs et des critères du commerce équitable. Il y a, a priori, beaucoup à gagner sur le plan éthique et commercial de multiplier la présence des produits Oxfam au sein de ces autres espaces de vente alternatifs.
Ceci étant dit, face à la multitude des modèles alternatifs – GASAP, La Ruche qui dit oui, Paysans Artisans, Färm etc. – un processus de validation par le mouvement pourrait-être imaginé, à l’instar de ce qui se fait au sein de la commission partenaires pour la validation, ou non, de nouveaux partenaires par des membres représentants le mouvement d’Oxfam-Magasins du monde. Par ailleurs la question des marges offertes à ces distributeurs doit être tranchée, afin que la relation commerciale leur permette également de vivre de manière décente de leur travail. Ces processus, qui dépendront également des accords commerciaux établis avec Oxfam Wereldwinkels, devrait notamment permettre de voir dans quelle mesure ces alternatives correspondent aux critères du commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde et à la Charte Paysan du Nord.
Des synergies évidentes et nécessaires
Le mouvement citoyen qu’est Oxfam-Magasins du monde, après ces 41 années d’expérience, bénéficie d’une expertise tant sur les plans commercial et logistique que sur les plans de la communication, de la sensibilisation et de l’éducation au développement. Cette expertise peut être bénéfique pour le développement et l’évolution des filières en circuits courts, dont les réflexions et les modes de gestion novateurs peuvent inspirer un éventuel renouvellement du réseau de magasins Oxfam-Magasins du monde.
Au vu des éléments évoqués dans cette analyse, on peut conclure que les acteurs du commerce équitable – tel qu’OXFAM-Magasins du monde – et des circuits courts ont tout avantage à collaborer pour proposer aux consommateurs et consommatrices une offre la plus large et cohérente possible de produits de consommation responsable sur les plans sociaux et environnementaux. La rencontre d’une multitude de modèles permet des synergies nécessaires qui contribuent à une transition agroécologique de nos modèles de consommation et qui permettra, à terme, de court-circuiter la grande distribution.