Pour atteindre leurs missions, certaines Organisations Non Gouvernementales sont amenées à mettre sur pied des animations, dans le cadre scolaire ou non, et/ou à mener des projets auprès de jeunes de 15 ans et plus.
Ces jeunes, sont-ils désabusés ou au contraire plein d’espoir pour l’avenir ?
Dans le climat anxiogène ambiant, comment ces ONG parviennent-elles à insuffler de l’espoir et de la motivation à ces jeunes ?
Dans cette analyse, nous allons confronter l’avis de jeunes, d’animateurs en éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire et d’experts pour répondre à ces questions.
Nous sommes conscients qu’il est compliqué d’avancer des généralités à propos des jeunes et que, selon leur milieu socio-économique, l’engagement de leurs parents, les problèmes auxquels ils sont confrontés, leur personnalité… les réponses peuvent varier très fortement.
Bernard De Vos, le délégué général aux droits de l’enfant, dit très justement que « la jeunesse n’est qu’un mot, il est très difficile de définir qui sont ces jeunes tellement chacun vit dans un contexte différent ».
C’est la raison pour laquelle nous avons consulté plusieurs sources afin d’essayer d’avoir un panel le plus représentatif possible d’avis et de dégager une tendance générale.
Ce que les jeunes pensent de leur génération…
Nous nous baserons sur différentes enquêtes ainsi que sur des témoignages de jeunes pour étayer ces paragraphes.
L’idée ici est de découvrir comment les jeunes se perçoivent, de savoir ce qui les préoccupe actuellement : sont-ils préoccupés par l’avenir (le leur ou celui du monde dans lequel ils vivent), sont-ils engagés, etc. ?
Ce qui les préoccupe
Des deux enquêtes que nous avons consultées[1. Enquête « Les préoccupations des jeunes de 16 à 24 ans », réalisée par le SCI, Service Civil International – Belgium et Enquête « Génération Quoi », autoportrait des 18-34 ans en Belgique francophone, réalisée par la RTBF, UPIAN et YAMI2, en collaboration avec de nombreux sociologues.], ainsi que des témoignages récoltés[2. Témoignages récoltés en novembre 2016 par deux ONG, DBA et le SCI en vue de faire une présentation lors du séminaire « Les Jeunes et nous », organisé les 5 et 6 décembre 2016], il ressort qu’une grande majorité des jeunes sont préoccupés en premier lieu par la réussite de leur scolarité, ou par la recherche d’un emploi. Cela s’explique par le fait qu’ils sont, pour la plupart, étudiants. Cela parait donc normal qu’ils évoquent ce fait là comme étant important. Cependant, nous remarquons une différence entre les jeunes de 16-17 ans et ceux de 18-25 ans. Alors que la préoccupation première des plus jeunes est l’accès à l’emploi (pour 53% des répondants), elle baisse à 43% des répondants chez les 18-25 ans. Ces derniers sont principalement préoccupés par l’environnement (pour 47% des répondants), ensuite par l’emploi, et enfin par l’accès au logement. Une chose est sûre, ils souhaitent avoir un métier qui a du sens pour eux et ne pas « travailler à la chaine sans comprendre ce que je fais là ».
Une réflexion à pointer tout de même : lors d’interviews spontanées en Belgique, au Maroc et au Sénégal, seul.e.s les jeunes Marocain.e.s se sont montrés préoccupé.e.s par le terrorisme. Les élèves belges pointaient, eux, en premier lieu, comme écrit plus haut, le travail et l’avenir, ensuite, le racisme, la surconsommation et leur impuissance à faire changer les choses.
Sont-ils engagés ?
Dans cette partie, nous souhaitons savoir si les jeunes sont engagés dans une association humanitaire ou une ONG. D’après l’enquête « Génération Quoi », il apparaît22 que très peu de jeunes le sont (10% chez les 16-17 ans et 16 % chez les 18-25 ans). Ils sont cependant environ 50% pour les deux catégories d’âge à se poser la question « pourquoi ne pas m’y investir ». Par contre, 36% des répondants de 16-17 ans et 32% des 18-25 ans ne sont pas engagés et ne montrent aucun intérêt à ce sujet.
La question de savoir s’ils sont engagés dans une association locale ou de quartier leur a également été posée. Ils semblent plus nombreux à s’aventurer dans cette voie : 38% des 16-17 ans et 40% des 18-25 ans répondent par l’affirmative à cette question. Un peu plus de 30% de ces jeunes (tous âges confondus) se disent « pourquoi pas », et moins de 25% affirment que cela ne les intéresse pas.
Ce résultat nous étonne peu : nous pensons qu’il est plus facile pour un jeune de s’engager localement (via les mouvements de jeunesse, les maisons de quartier, un club de sport…) car il en mesure plus rapidement les effets sur lui-même et sur les autres.
S’engager dans une association humanitaire semble peut-être plus compliqué à leurs yeux car moins connu ou reconnu. Peut-être en voient-ils moins les bénéfices pour eux-mêmes et pour l’organisation avec laquelle ils travaillent ? Nous émettons l’hypothèse que s’ils sont engagés localement, ils estiment n’avoir plus le temps pour s’engager dans l’humanitaire.
Leurs sentiments
Les jeunes de 14-16 ans interrogés lors d’interviews spontanées (pour la préparation du séminaire « Les jeunes et nous », mentionné plus haut) nous ont fait part de leurs sentiments par rapport à leur situation, et ceux-ci sont plutôt négatifs. Pour nuancer ce propos, il faut savoir que la question leur avait été posée directement après la question « Qu’est-ce qui vous préoccupe ? ». Il nous parait donc logique qu’ils expriment des préoccupations plutôt que des sentiments positifs.
Parmi les sentiments exprimés par ces jeunes, on trouve le « sentiment d’impuissance », ou des réflexions comme « C’est nos parents qui sont responsables, nous on ne sert à rien », « C’est une goutte d’eau dans la mer », « Qu’est-ce que j’y peux ? », « Personne ne fait rien », « C’est devenu banal d’avoir de l’info comme quoi le monde va mal, on finit par s’en f… », « On nous culpabilise en disant que c’est nous qui allons devoir changer le monde »,…
Dans l’enquête « Génération Quoi », un quart des répondants de 16-17 ans pensent que leur avenir sera pire que celui de leur parent, et cela grimpe à 36% chez les 18-25 ans.
Dès lors, est-il possible de les remotiver, et si oui, comment faire ? C’est là tout l’enjeu qui se présente aux acteurs de l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire (ECMS), lorsqu’ils sensibilisent les jeunes en les amenant sur le terrain (via par exemple des voyages interculturels) ou en leur proposant des animations et projets ici, en Belgique.
Pour répondre à cette question de « motivation », nous avons tenté de mieux cerner les jeunes avec lesquels nous travaillons, afin d’être au plus proche de leurs réalités et ainsi les remotiver.
Comment nous, adultes animateurs et animatrices en ECMS, voyons ces jeunes ?
Lors du séminaire « les jeunes et nous », organisé par le Service Civil International et Défi Belgique Afrique, deux organisations actives dans l’animation et la formation de jeunes, les 5 et 6 décembre 2016, les animateurs et animatrices se sont posés la question de savoir comment ils percevaient ces jeunes qu’ils animent.
Il en est ressorti que nous les voyons :
- en attente de réponses concrètes face à des questions d’actualité
- connectés
- curieux, éveillés
- solidaires entre jeunes
- francs et directs
- en recherche de sens
- avec l’envie d’agir
- avec l’envie que ça change mais sans trop de volonté de s’y investir
- très motivés quand c’est concret
- exprimant le besoin de s’investir avec leurs ami.e.s, (difficulté de s’investir seul.e)
mais également :
- peu contestataires
- défaitistes
- un peu paresseux
- avec peu ou beaucoup d’esprit critique selon les cas
- en colère contre la génération qui les précède
- souvent peu motivés s’ils ne voient pas le sens d’une action
- en attente de contraste avec le quotidien
Il est évident qu’il est difficile de généraliser, mais cela ressort d’un constat fait par 14 animateurs et animatrices (en éducation au développement, dans une maison de jeunes et un enseignant).
Une animatrice nous faisait part d’une animation qu’elle avait trouvée pénible car les jeunes devant lesquels elle se trouvait étaient particulièrement difficiles. Peu intéressés par l’animation, ils chahutaient et ne l’écoutaient pas.
À la pause, elle leur a fait part de son malaise, en leur demandant les raisons de leur désintérêt. Ils lui ont expliqué qu’ils étaient obligés d’assister à cette animation, qu’ils n’en comprenaient pas le sens, et qu’elle était éloignée de leurs réalités.
Nous pointons ces trois points comme importants face à la (dé)motivation des jeunes, dans le cadre de notre travail. Il leur faut des animations concrètes, et dont ils voient la portée très rapidement.
Voyons maintenant si ce constat (et d’autres) sont partagés par des experts.
Regards d’experts sur ces jeunes
Dans le cadre de cette analyse, nous avons interrogé trois personnes que nous qualifions d’experts sur le sujet.
Il s’agit de Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant, Claire-Anne Sevrin, responsable du blog www.100drine.be sur la plateforme Yapaka, et Laurent Chardome, détaché pédagogique chez les Scouts.
A la question de savoir si les jeunes sont conscients de ce qu’il se passe dans le monde, nos trois experts sont unanimes : oui, ils sont au courant. Très certainement grâce aux réseaux sociaux, sur lesquels ils sont quasiment tous (même si les informations qui y sont diffusées sont parfois déformées). Cependant, les degrés d’information divergent, selon l’âge du jeune, et selon son envie d’en savoir plus.
En règle générale, ils se sentent plus concernés (et donc plus conscients) par ce qui se passe au coin de la rue que par ce qui arrive de l’autre côté de la planète. Claire-Anne Sevrin nuance : « Si, dans l’actualité internationale, on parle d’enfants ou de jeunes de leur âge, ils vont se sentir directement reliés à eux », en prenant pour exemple les enfants soldats dans les conflits armés ou les jeunes Syriens qui migrent vers notre pays. Par contre, certains ne voient pas réellement la portée de l’élection de Donald Trump comme nouveau président des Etats-Unis.
Nous leur avons demandé si, selon eux, les jeunes étaient démoralisés face à cette actualité, et à nouveau, nous percevons deux sons de cloche.
Oui, ils sont démoralisés par toute cette violence et ces injustices qui s’étalent sous leurs yeux, mais ils ont du mal à savoir si c’est pire « qu’avant », certains jeunes ont parfois l’impression que c’est pareil mais qu’avec internet, ils sont au courant de tout, tout de suite.
Laurent Chardome complète ce constat « Les jeunes ont cette faculté de zapper rapidement. Cela peut être vu comme un problème, mais pour moi, c’est une grande force de pouvoir rebondir et de ne pas se murer dans la morosité. Oui, il y a des choses qui ne tournent pas rond, mais il leur faut continuer de grandir et d’avancer ».
Bernard De Vos ajoute « ils ne sont pas démotivés, il faut juste trouver ce qui les motive. Parfois, les enseignants et animateurs arrivent avec des animations ou leçons et sont complètement à côté de la plaque ! Il faut partir du besoin réel des jeunes. Ce ne sont plus les mêmes besoins qu’il y a 20 ans ! »
Que veulent les jeunes ?
Mais alors de quoi ont besoin les jeunes pour être motivés, pour plus tard, peut-être, s’engager ?
Ce qui ressort d’une manière importante et ce tant parmi les réponses des jeunes que celles des animateurs et animatrices en ECMS et des experts consultés, c’est qu’il faut proposer aux jeunes des actions concrètes, qui ont du sens à leurs yeux, afin qu’ils puissent en comprendre la portée immédiate.
Bernard De Vos nous dit à ce propos : « Je suis intimement persuadé que si les jeunes étaient mis en projet concret, ils feraient des étincelles ! Que cela soit pour aider des enfants, des sans-abris ou des handicapés, projetez-les dans du « bouillant », et ils s’impliqueront immédiatement ! ». Dans le même ordre d’idée, il poursuit « Ne pas encourager un jeune à être utile dans la société, c’est l’éteindre ». Il termine de manière optimiste : « Quand on offre la possibilité aux jeunes d’être solidaires, j’en connais très peu qui ne le sont pas ».
Conclusion
Même si nous ne pouvons pas tirer des généralités de ces différents avis, nous pouvons affirmer que la tendance est plutôt positive, tant du point de vue des jeunes eux-mêmes que lorsqu’elle est vue par des experts. Oui, les jeunes peuvent être motivés et ne se murent pas dans la morosité, à condition qu’on leur propose un projet concret, dans lequel ils se reconnaissent.
De manière générale, nous estimons qu’il faut un élément déclencheur pour que le jeune soit dans un processus d’engagement. Cela peut être une simple réflexion faite lors d’un cours ou un séjour en immersion dans une autre partie du monde.
Dresser un tel constat est très intéressant, car il permet de nous remettre en question. A nous maintenant de repenser nos animations et interventions auprès des jeunes dans une perspective peut-être plus active et co-construite avec eux afin d’être bien ancrés dans leurs réalités.
Sandrine Debroux
Pour une clarté de lecture, le mot jeunes est uniquement accordé au masculin, bien qu’il soit évident qu’il reprend à la fois des garçons et des filles.
Sources :
Entretien téléphonique avec Monsieur Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant.
Entretien téléphonique avec Madame Claire-Anne Sevrin, responsable du blog www.100drine.be, www.yapaka.be.
Entretien téléphonique avec Laurent Chardome, détaché pédagogique chez les Scouts.
Enquête « Les préoccupations des jeunes de 16 à 24 ans », réalisée par le SCI, Service Civil International – Belgium, qui propose des animations sur les relations Nord-Sud et le développement, des séjours d’immersion et des projets de solidarité internationale : http://www.scibelgium.be/spip.php?rubrique266
Enquête « Génération Quoi », autoportrait des 18-34 ans en Belgique francophone, réalisée par la RTBF, UPIAN et YAMI2, en collaboration avec de nombreux sociologues. Nous nous sommes inspirés de cette enquête car les questions étaient également posées à des jeunes de 16-17 ans.
Interviews de jeunes en Belgique – Maroc – Sénégal, réalisées par l’ONG Défi Belgique-Afrique, dans le cadre du séminaire « Les jeunes et nous » des 5 et 6 décembre 2016, organisé par Le SCI et DBA.