La loi le stipule: en Belgique, la publicité ne peut franchir les portes des établissements scolaires. Et pourtant, les messages à caractères commerciaux parviennent à s’y infiltrer, sans beaucoup de difficultés. Une réalité face à laquelle les écoles résistent, avec plus ou moins de fermeté.
La publicité est parmi nous. Il est donc naïf de croire qu’elle épargne l’école. « Par courrier, par téléphone ou encore, désormais, par fax ou par mails, les sollicitations sont quotidiennes« , nous glisse le directeur d’une école primaire du Brabant wallon. Des réclames qui vantent tout ce dont une école, et la vie qui va avec, pourraient avoir besoin: du matériel nécessaire à l’enseignement aux voyages scolaires en passant par les boissons, les friandises et autres photos de classe. Mais aussi qui tentent, via les cartables des gamins, d’appâter les parents, voire les têtes blondes elles-mêmes.
Des pubs qui volent à la poubelle
Avec toujours, cette même réaction de la part de ce chef d’établissement que nous avons rencontré: « Ces démarches commerciales valsent directement à la poubelle ou essuient un refus catégorique de ma part. » Une ligne de conduite, fixée depuis le début de sa carrière, qui le pousse aussi a écarter – gentiment – les marchants du temple qui s’aventureraient trop près de ses protégés ou de leurs parents: pas question ainsi, de donner le feu vert à une distribution, à la sortie de l’école, de boissons ou de bons de réduction pour un cirque de passage ou encore, d’autoriser l’affichage pour des activités extrascolaires, qui ne dépendraient pas des pouvoirs publics. Et ce, même si celles-ci sont effectivement, de qualité. »
La raison d’une telle fermeté, de la part de ce directeur? Toute forme de publicité à l’école est contraire à la loi! Une législation qui date de… 1959, année du fameux Pacte scolaire qui interdit, dans son article 41, les activités commerciales dans les écoles. Malgré tout, on l’a vu, les marques détournent allégrement cette réglementation. Ces dernières années, divers projets de décrets ont vu le jour, en Communauté française, pour clarifier et mettre fin à cette situation ambiguë. C’est le cas de cette Commission, mise sur les rails en octobre 2006, par Marie Arena, et chargée de vérifier les infractions à l’article 41 du Pacte scolaire, d’un point de vue de la publicité à l’école. Son but: « Dégager, chaque année, des règles qui seront diffusées aux établissements scolaires par la voie de circulaires, permettant ainsi une lecture et une application commune. Elles donneront ainsi tous les outils nécessaires aux acteurs de terrain afin d’apprécier la pertinence des sollicitations dont ils font l’objet. »
Pas si naïfs, nos gamins
Justement, à l’aube de ce 21ème siècle, à l’heure où la publicité est présente partout dans notre quotidien – de la télévision aux magazines en passant par notre boîte aux lettres, les panneaux dans les rues, Internet et même les jeux vidéo – est-il encore et toujours judicieux de mettre, sur les bancs de l’école, les élèves à l’abris de ces messages publicitaires? Plus que jamais, la réponse est oui! Certes, comme l’atteste notamment les travaux de Claude Pecheux, responsables du département marketing des Facultés Universitaires Catholiques de Mons (FUCAM ), nos gamins ne sont pas tombés de la dernière pluie: plus que par le passé encore, un enfant de 8 ans est capable de percevoir l’intension persuasive d’un message. Mais encore faut-il que celui-ci soit clairement identifié, comme c’est effectivement le cas, à la télévision, lors des écrans publicitaires. Par contre, les choses se corsent, logiquement, pour eux lorsque les réclames sont mal identifiées, comme c’est le cas dans certains jeux vidéo ou sites Internet ou encore… à l’école.
Car depuis quelques années, certaines marques, et même des multinationales, ne se contentent plus d’inonder l’école avec de simples prospectus et autres petits gadgets à distribuer. Leurs méthodes sont désormais plus pernicieuses: ils infiltrent désormais les écoles à coups d’outils pédagogiques, dont sont friands les enseignants pour élaborer leurs cours. La plupart du temps, leur démarche est noble, voire même louable: sensibiliser les enfants et les jeunes à la santé (importance du brossage des dents, d’une alimentation saine et équilibrée, de pratiquer une activité physique…) ; à la sécurité routière ; au tri et au recyclage des déchets… Mais voilà, derrière ces activités et autres outils pédagogiques, d’ailleurs souvent de qualité, se cache la volonté évidente de vendre des produits commerciaux.
Messages commerciaux derrière des outils pédagogiques
Exemple, parmi d’autres, avec ce courrier, qui a atterri sur le bureau des directeurs d’école voici quelques années. Il proposait aux établissements scolaires un distributeur de boissons qui avait, à priori, tout pour leur plaire: produit sain (notamment des jus de fruit) ; adapté aux enfants (petite bouteille et distributeur à leur taille), écologique (car bouteilles en verre). Si le distributeur était, effectivement, vierge de toute marque, celle-ci – soit la boisson gazeuse la plus célèbre de la planète – apparaissait, elle, clairement comme expéditeur du courrier.
Et notre directeur d’école du Brabant wallon de nous livrer cette autre anecdote, toute aussi éloquente: « Un jour, j’ai répondu positivement à cette offre qui propose aux écoles des animations autour des dents et de l’importance de leur brossage. Avec, pour seule condition: que les échantillons proposés aux enfants à cette occasion – soit du dentifrice – n’appartiennent à une seule et même marque, mais à plusieurs. Vous le devinez, la réponse fut, évidemment, négative de leur part. » Autre initiative très discutable, qui a fait du bruit dans le monde de l’enseignement, voici quelques mois: « Le compte est bon », un outil pédagogique dont le but était de faire découvrir le monde des banques et d’apprendre, aux enfants de fin de primaire, à gérer leur argent. Un projet derrière lequel se cachait une institution bancaire et qui pouvait d’ailleurs déboucher sur la visite d’une de ses agences.
Le privé ne doit pas se substituer au public
Et si l’école et les enseignants prenaient le contre-pied de ces initiatives et en profitaient pour sensibiliser leurs élèves à la publicité, à ses mécanismes et au pouvoir que les marques détiennent ainsi? Une démarche qui permettrait d’ailleurs à nos gamins d’être mieux armés pour évoluer dans cette société de consommation où la publicité, qu’on le veuille ou non, est belle et bien parmi nous. Bonne idée, crie-t-on en cœur, notamment du côté d’associations – telles Rap, Respire ou encore l’Aped[highslide](1;1;;;)Plus d’infos sur ces associations, leurs réflexions et leurs combats: Rap [Résistance à l’agression publicitaire]:www.antipub.org ; Respire [Groupe de réflexion et d’action pour libérer l’espace public de la publicité commerciale]:www.respire-asbl.be ; Aped [Appel pour une école démocratique]: www.ecoledemocratique.org[/highslide] – qui militent ardemment pour que la publicité ne franchissent pas les portes de l’école! Mais à une condition: que cette sensibilisation se fasse en toute indépendance de la part de l’enseignant, donc avec des outils qui ne proviendraient pas du monde de la publicité.
Enfin, impossible de terminer cette étude sans pointer une autre ambiguïté inhérente à ce sujet complexe. Comme le souligne Bernard Legros dans son ouvrage « L’école et la peste publicitaire » [highslide](2;2;;;)A lire, pour aller plus loin: « L’école et la peste publicitaire », par Bernard Legros et Nico Hirtt, Ed. Aden Belgique.[/highslide]: « » Avouons-le: difficile, pour certains chefs d’établissement, notamment ceux disposant de peu de moyens financiers, de rester de marbre face à certaines sollicitations commerciales. En effet, au-delà des dossiers pédagogiques dont nous avons parlé plus haut, les écoles se voient régulièrement proposer diverses réductions et cadeaux, qui ne sont pas nécessairement dénués d’intérêt. Un exemple? Un appareil photos digital gratuit pour l’école, pour autant que la commande des photos de classe dépasse un certain montant. On touche ici du doigt une autre réalité auxquelles sont confrontées nos écoles: le manque criant de moyens dont certaines souffrent. Un problème de fond, dont la solution ne devrait pas passer par les sociétés commerciales, mais bien par les pouvoirs publics.
Anouck Thibaut