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Oxfam-Magasins du monde

L’Agriculture intelligente face au climat : un concept qui pose question

Analyses
L’Agriculture intelligente face au climat : un concept qui pose question

Alors que la fin d’année 2015 a été marquée par la 21ème Conférence de Paris (COP21) où les dirigeants mondiaux se sont réunis à l’initiative des Nations Unies (ONU), pour signer un accord qui succède au Protocole de Kyoto, il semble opportun pour Oxfam-Magasins du monde de se pencher sur un concept qui fait de plus en plus parler de lui et qui prétend pouvoir solutionner les défis environnementaux et alimentaires auxquels nous sommes de plus en plus confrontés :  « l’agriculture intelligente face au climat » ou « Climate Smart Agriculture » (CSA). Ce concept vise, en effet, à aborder de front les défis de la sécurité alimentaire et du réchauffement climatique, et s’impose donc, pour certains, comme une nécessité. De fait, le rôle néfaste joué par l’agriculture industrielle et, plus largement par notre système alimentaire, sur le climat n’est plus à démontrer – en fonction des sources, on leur attribue la responsabilité de 15 à plus de 25 pourcent des émissions de gaz à effet de serre (GES) – et ce, alors même que les premières victimes du réchauffement climatique sont issues du monde agricole. Le Sommet sur le changement climatique des Nations Unies, qui s’est tenu en Septembre 2014 à New-York, fut marqué par le lancement de l’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat (Global Alliance for Climate Smart Agriculture – GACSA), qui se veut être la principale plateforme de la communauté internationale pour l’action sur le changement climatique et l’agriculture.
Après avoir analysé les éléments qui constituent le concept de la Climate Smart Agriculture (« CSA » dans le texte), nous nous pencherons dans une deuxième analyse sur l’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat afin de comprendre le contexte de son émergence et d’élucider les jeux d’influence dont elle fait l’objet. Une troisième analyse développera le choix stratégique adopté par Oxfam International de s’investir dans l’Alliance africaine d’agriculture intelligente face au climat (Africa CSA Alliance). Enfin, une quatrième analyse exposera le concept d’Agroécologie qui constitue pour Oxfam-Magasins du monde, et bien d’autres acteurs, une agriculture réellement intelligente face aux enjeux environnementaux et sociaux qui se présentent à nous.

Contexte et émergence du concept de CSA

C’est en 2010, lors de la Conférence de La Haye sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et le changement climatique, que l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies – la FAO – utilise pour la première fois le concept de « Climate Smart Agriculture » (CSA). La crise alimentaire de 2007-2008 et les nombreuses catastrophes climatiques et environnementales qui ont marqué le début des années 2000, suscitent alors un grand nombre de questions dans les débats sur l’agriculture : Comment nourrir une population mondiale qui devrait atteindre un pic démographique de 9 à 11 milliards d’habitants d’ici 2050 ? Comment garantir la sécurité alimentaire dans les pays du Sud sans accroître démesurément la pression sur des ressources limitées et des écosystèmes fragiles ? Quels modèles politiques agricoles privilégier pour accroître la production en limitant les effets prédateurs des activités agricoles sur l’environnement ?[1. « Agroécologie – Enjeux et perspectives », Alternatives Sud Volume 21-2014/3, p.8.]. Pour la FAO et les autres organismes internationaux en charge de l’agriculture, la solution passe par :

  • la relance des investissements dans les secteurs agricoles, afin de dynamiser la production là où elle fait défaut et d’augmenter localement les disponibilités alimentaires ;
  • la construction de cadres favorables aux investissements privés, perçus comme étant les plus à même de dynamiser les secteurs ruraux ;
  • la mise en place de partenariats publics-privés afin de faciliter le transfert de (bio-)technologies ecofrendly ;
  • la mise en œuvre de politiques ciblées en faveur des populations rurales et/ou destinées à améliorer le sort des agriculteurs
  • et enfin, la poursuite de la libéralisation des marchés dans un cadre multilatéral[2. « Agroécologie – Enjeux et perspectives », Alternatives Sud Volume 21-2014/3, p.8.].

C’est dans cette optique et plus précisément afin d’attirer des financements pour les programmes agricoles de lutte contre le changement climatique qu’elle mène en Afrique, que la FAO a initialement évoqué le concept de CSA à la Conférence de de La Haye.

Les trois piliers de la Climate Smart Agriculture

Selon la FAO, la CSA se compose des trois piliers suivants :

  • accroître durablement la productivité et les revenus agricoles des producteurs ;
  • adapter et renforcer la résilience au changement climatique ;
  • réduire voire éliminer les émissions de gaz à effet de serre (GES), là où c’est réalisable.

Pour ce faire, la CSA aborde de manière intégrée les enjeux relatifs à la sécurité alimentaire, au développement, à l’adaptation et à la lutte contre le changement climatique, afin de permettre aux pays d’orienter leurs politiques agricoles dans les voies qui présentent le plus d’atouts. La FAO précise que « dans le concept de « Climate-Smart Agriculture » (CSA), il est bien entendu que la mise en œuvre des mesures retenues est déterminée par le contexte et les capacités spécifiques propres à chaque pays et qu’elle est facilitée par un accès à des informations plus précises, des politiques harmonisées, des dispositions institutionnelles coordonnées et des mécanismes incitatifs et financiers souples »[3. FAO : Définition de l’Agriculture intelligente face au climat : http://www.fao.org/climatechange/epic/notre-action/definition-de-lagriculture-intelligente-face-au-climat/fr/]. La notion d’agriculture intelligente face au climat s’adapte donc au contexte et il n’existe donc pas de modèle universel quant à son application.
Dans son Guide[4. FAO, Guide de référence de l’agriculture intelligente face au climat, 2013 : http://www.fao.org/docrep/018/i3325e/i3325e.pdf] de référence sur l’agriculture intelligente face au climat, la FAO développe deux façons par lesquelles la production agricole peut contribuer à atténuer les changements climatiques tout en garantissant la «sécurité alimentaire» pour toutes et tous. La première façon est d’améliorer l’efficacité en supprimant le lien qui existe entre croissance de la production agricole et augmentation des émissions de GES. Cela implique la réduction des émissions par kilogramme de production alimentaire grâce, notamment, à la réduction de la déforestation à des fins agricoles. La deuxième façon est d’améliorer la fixation du carbone dans le sol par un travail réduit de celui-ci, l’amélioration de la gestion des pâturages, la restauration des sols organiques et la restauration des terres dégradées. Enfin, la FAO évoque mais ne développe pas la nécessité d’un changement dans les habitudes de consommation.

Limites du concept

Le concept d’Agriculture intelligente face au climat a le mérite d’attirer l’attention sur des préoccupations primordiales telles que la nécessité d’un soutien aux agriculteurs face au changement climatique, la réduction de l’empreinte agricole mondiale ou l’augmentation de la production alimentaire durable et des revenus des agriculteurs. Cependant, l’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat et de le concept de CSA génèrent bon nombre de critiques, au Sud et au Nord, de la part de groupes de la société civile et les défenseurs de l’environnement. Et pour cause, outre le fait que la FAO n’a pas revu en profondeur nos systèmes actuels de production alimentaire, la principale faiblesse de la CSA est l’absence de critères, de normes, de mesures de protection ou de critères d’exclusion qui mettraient des limites à ce qui constitue, ou non, une pratique agricole intelligente face au climat. Dès lors un large panel de pratiques agricoles peut se targuer d’être de la CSA. Dans un communiqué[5. Communiqué: « Ne vous laissez pas leurrer ! La société civile dit NON à l’agriculture intelligente face au climat » et exhorte les décideurs à soutenir l’agroécologie », Septembre 2015 : http://www.climatesmartagconcerns.info/francais.html] « anti-SMART », publié par une cinquantaine d’organisations de la société civile, dans le cadre de la COP21, celles-ci déploraient le fait que « certaines multinationales dont les impacts sociaux et environnementaux de leurs opérations sont questionnables, telles que Monsanto, Walmart et McDonald’s, ont lancé leurs propres programmes « d’agriculture intelligents face au climat » ».
Plus encore que les faiblesses du concept d’Agriculture intelligente face au climat, c’est le caractère controversé des membres de l’Alliance mondiale pour une Agriculture intelligente face au climat qui pose question. Dans une seconde analyse nous verrons qui sont les acteurs qui constituent cette alliance et quelles sont les enjeux qui gravitent autour du concept d’agriculture intelligente face au climat.
Sébastien Maes