Tout le monde en voiture ! C’est à bord d’un petit train citoyen que les habitants et politiciens de vingt-six communes de Wallonie et de Bruxelles sont partis à la découverte des initiatives de développement durable, social et solidaire dans leur commune. Cette expérience était organisée dans le cadre de la campagne « Ça passe par ma commune », au sein de laquelle Oxfam-Magasins du monde souhaitait encourager les pouvoirs locaux à s’engager pour le commerce équitable. Des équipes bénévoles se sont ainsi mobilisées pour participer aux interpellations réalisées lors du passage du petit train. Cette analyse a pour objectif de revenir sur la mobilisation des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde dans le cadre de « Ça passe par ma commune », en passant en revue la place de l’interpellation politique chez les bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde.
La campagne
Initiée lors des élections communales de 2006, « Ça passe par ma commune » est une campagne qui soutient l’effort de plateformes associatives locales à dialoguer et agir avec le pouvoir politique communal sur le développement durable, social et solidaire. Au cours des six années de la mandature, les partenaires rassemblés pour la campagne apportent des outils méthodologiques, un appui technique et des informations aux groupes locaux. Les stratégies et réalisations des communes sont par ailleurs mesurées et compilées sur un site web dans un esprit collaboratif et afin que s’échangent les bonnes pratiques. La campagne s’articule autour de onze thématiques qui vont du logement aux droits humains, en passant par la mobilité douce et le commerce équitable.
Oxfam-Magasins du monde fait partie de la plateforme et y défend la campagne « Communes du commerce équitable », qui demande aux communes de remplir une série de six critères structuraux en faveur du commerce équitable, à l’aide d’une collaboration locale entre élus et citoyens. Les élections communales de 2012 furent un moment clé de la campagne car elles donnèrent l’opportunité aux groupes locaux d’interpeller directement les candidats dans le cadre de la dynamique « Ça passe par ma commune ». L’outil d’interpellation principal était un petit train citoyen, ce convoi qui emmena citoyens et candidats à différentes haltes thématiques pour discuter de problématiques concrètes de durabilité et de solidarité dans la commune. Le petit train citoyen est passé par vingt-six communes de Wallonie et Bruxelles. Dans dix-huit d’entre elles, les équipes des magasins du monde-Oxfam portèrent la campagne « Communes du commerce équitable » lors de l’arrêt dédié à la solidarité internationale.
La mobilisation requise lors d’un tel événement est multiforme. Dans les dix-huit communes concernées, des membres de l’équipe bénévole ont participé à l’organisation de l’arrêt « Solidarité internationale ». Le groupe avait la mission de préparer un quizz sur les questions de solidarité internationale au niveau communal (distribué aux passagers du petit train citoyen en début de parcours), d’organiser la logistique propre à l’arrêt et de préparer le moment d’interpellation en tant que tel. Souvent, les équipes Oxfam prenaient également en main l’organisation d’un moment convivial au départ ou à l’arrivée du petit train. Celui-ci se tenait souvent dans un lieu de passage et c’était donc également l’occasion pour les bénévoles de rencontrer de manière informelle les candidats aux élections, ainsi que des habitants peu ou pas sensibilisés aux enjeux du commerce équitable.
Oxfam-Magasins du monde proposait également une carte d’interpellation à faire signer par les citoyens afin de faire pression sur les candidats pour qu’ils s’engagent dans la campagne « Communes du commerce équitable ». Cet outil était utilisé par les équipes bénévoles lors du passage du petit train citoyen, ainsi que lors d’autres événements qu’elles organisaient (débats, stands extérieurs, etc.). Au lendemain des élections, la dernière étape de la campagne consistait en l’envoi d’un courrier aux nouveaux conseils communaux afin de leur rappeler l’état d’avancement de leur commune dans la campagne « Communes du commerce équitable » et leur remettre les cartes signées dans leur commune. Cette lettre est un moyen d’interpellation en tant que tel car elle peut soutenir une interpellation future des nouvelles majorités.
La commune
En tant qu’organe de pouvoir le plus proche des citoyens, la commune[highslide](1;1;;;)
Plus de détails sur le rôle que la commune peut jouer en faveur de la solidarité internationale dans Zollman C. (2012), Citoyenneté et solidarité internationale. Créer des espaces communs, 11 février 2013
.[/highslide] a un rôle indéniable dans l’adoption de mesures promouvant le développement durable, social et solidaire. Son rôle d’influence est important, auprès tant des citoyens que des entreprises et associations. Via ses nombreux partenaires (écoles, CPAS, etc.), elle a la possibilité d’impulser des dynamiques qui auront un impact direct sur la vie quotidienne des habitants.
Le titre de « Commune du commerce équitable » est avant tout un titre honorifique qui célèbre le travail conjoint des citoyens et de la commune pour encourager et soutenir l’alternative économique du commerce équitable. Du point de vue de la commune, l’obtention du titre requiert un travail certain mais elle bénéficie du soutien de structures associatives solides (Oxfam-Magasins du monde, Max Havelaar et Miel Maya) qui facilitent la mise en place de dynamiques citoyennes locales pour la solidarité internationale. Pour les bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde, l’inscription dans la campagne est l’occasion d’asseoir la présence de l’équipe en tant qu’acteur de la solidarité internationale au sein du maillage communal. Le processus leur permet ainsi de toucher, directement ou indirectement, des citoyens peu ou pas sensibilisés au commerce équitable.
Interpeller les politiques
L’action d’Oxfam-Magasins du monde s’ancre depuis toujours dans des combats politiques. La naissance même de l’organisation, en 1964, s’est faite en soutien aux luttes politiques des populations algériennes et nicaraguayennes. Martin Rose, responsable de la mobilisation adulte explique qu’ « aujourd’hui, le bénévolat au sein d’Oxfam-Magasins du monde comporte trois facettes complémentaires. L’interpellation politique en est une, aux côtés de la sensibilisation à l’égard du grand public et de la vente de produits de nos partenaires de commerce équitable, mais il ne s’agit pas de l’activité principale de la grande majorité de notre mouvement. Néanmoins, notre démarche ne serait pas complète si l’on ne s’adressait qu’au citoyen en tant qu’individu ». Guy Simonis, de l’équipe de Herve, confirme que « l’engagement individuel est une chose. Néanmoins, si l’on veut que de réels changements adviennent, il faut passer par les pouvoirs publics qui sont les seuls à pouvoir prendre des décisions collectives ». Martin Rose poursuit : « Le rôle de l’acteur politique est fondamental car d’une part, il contribue à la définition du modèle de société dans lequel nous vivons et, d’autre part, il fait figure d’exemple à l’égard de ses concitoyens. Ses moyens d’action, directe et indirecte, sont importants. Très logiquement, nous ne manquons donc pas une occasion d’interpeller les politiques afin de faire progresser notre combat au niveau institutionnel. Des campagnes, telles que « Ça passe par ma commune », permettent de conjuguer interpellation politique et sensibilisation du grand public ».
Activer les réseaux
Mais au-delà du moment d’interaction avec les politiques, l’interpellation demande un travail de préparation conséquent qui renforce bien souvent le tissu associatif à l’échelon local. Murielle Gilbert, de l’équipe de Liège-ville, raconte ainsi que « les réunions préparatoires ont été l’occasion de rencontrer des gens motivés qui venaient d’autres associations, ce qui est toujours très stimulant ». Micheline Desonnay, de l’équipe de Verviers constate, quant à elle, qu’ « au-delà de la rencontre avec les candidats aux élections, cette belle expérience m’a permis de me rendre compte du nombre d’initiatives qui existent à Verviers et qui contribuent à une prise de conscience autour du développement durable, social et solidaire. Cela a été un projet riche en rencontres, surtout au sein du milieu associatif local ». Le moment formel de l’interpellation agit donc davantage comme un catalyseur d’énergies et lance, ou relance, une dynamique qui s’inscrit sur le long terme. Lors du passage du petit train citoyen à Tournai, Régis raconte que « les politiques ont joué le jeu de l’interpellation dans une ambiance chaleureuse, même s’il est vrai que ce n’était pas le moment propice pour provoquer et surtout approfondir le débat. (…) Mais le suivi va être effectué rapidement puisque plusieurs autres rendez-vous avec les candidats sont programmés d’ici le jour des élections afin d’entreprendre un travail plus en profondeur avec eux ».
Retaper sur le clou
« La question du suivi est clé pour la réussite d’une interpellation politique », rappelle Martin Rose, car ce sont « des combats de longue haleine dont les résultats ne sont souvent pas directement palpables, ce qui peut être démotivant. C’est pour ça que le projet doit idéalement être porté collectivement ». Geneviève Debelle, de l’équipe de La Louvière, pense que « c’est important de conjuguer l’interpellation politique avec une sensibilisation forte auprès des citoyens, une démarche parfois plus stimulante pour les équipes car il arrive que le politique bloque tout processus d’interpellation. Dans ces cas-là, il faut compter sur la population pour faire pression. À cet égard, la présence physique du magasin au sein de la commune est un élément de cohésion important ». Guy Simonis soutient en outre que « le rôle du magasin est renforcé par l’existence d’une équipe de bénévoles qui, tout en n’étant pas toujours active politiquement, est le signe de l’ancrage des valeurs du commerce équitable au niveau de la population ».
La réussite d’une interpellation politique dépend de bon nombre de facteurs. Parmi ceux-ci figure le lien clair qui est établi entre la réalité locale et la revendication, d’ordre plus global dans le cas du commerce équitable, et qui permet souvent de toucher le monde politique. « Herve est une région agricole, rappelle Guy Simonis, il est donc plus aisé d’ancrer notre discours dans des réalités proches des politiques pour ensuite effectuer le lien avec la situation dans le Sud, plutôt que d’aborder frontalement la problématique du commerce équitable ». Au niveau méthodologique, « l’aspect relationnel joue un rôle important dans l’interpellation politique, poursuit-il. Cependant, il est important de le compléter par des documents et outils qui permettent, tant aux ‘interpellateurs’ qu’aux politiques, de cadrer l’interpellation et de garder une cohérence tout au long de l’action ».
Le jeu citoyen
Martin Rose rappelle que ni les bénévoles, ni les coordinateurs de bénévoles, ne souhaitent adopter une position d’experts face aux politiciens. « Nous sommes avant tout un mouvement de citoyens qui questionnons le système économique mondial, notamment en interrogeant les décisions qui sont prises au niveau communal. Notre but est d’entamer un dialogue équilibré avec les politiciens pour que certaines valeurs soient défendues par la commune. Mais s’ils ne descendent pas de leur tour d’ivoire, on en tire des conclusions aussi ! ». Bien entendu, une commune n’est pas l’autre. Certaines administrations communales s’empressent d’engager un dialogue avec les équipes. À Couvin par exemple, la commune a très rapidement pris contact avec l’équipe Oxfam-Magasins du monde après les élections d’octobre 2012. Le passage du petit train citoyen avait clairement renforcé les liens et la cohésion entre les organisations de solidarité internationale et d’autres associations locales : une bonne base pour mener une action conjointe au niveau local. D’autres communes cependant ne daignent même pas répondre à l’interpellation. Mais pour Oxfam-Magasins du monde, en tant qu’organisation d’éducation permanente, c’est d’abord la démarche des bénévoles en tant que telle qui est valorisée. « Les bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde rejoignent le mouvement pour une quantité de raisons, mais pas toujours en premier lieu pour porter des revendications politiques. De notre côté, nous essayons d’outiller les équipes afin d’aiguiser leur regard et transformer leur indignation en action concrète. C’est une réussite quand ce processus aboutit ». Et même si c’est un chemin souvent tortueux, ceux qui l’ont emprunté l’ont rarement regretté. Guy Simonis, de l’équipe de Herve, considère que « l’interpellation politique fait partie intégrante d’une action pour la solidarité internationale. L’interpellation des politiques et la sensibilisation du public sont des processus différents. Les canaux et les outils à utiliser sont donc également différents. À l’égard du monde politique, les moments clés, tels que les élections, sont à privilégier pour l’interpellation, avec une relance indispensable pour aboutir à des décisions. Tandis que pour le grand public, l’interaction doit être plus régulière et passer aussi par des moyens plus ludiques et festifs ». En valorisant ces dynamiques, Oxfam-Magasins du monde cherche aussi à valoriser la sphère politique comme un espace où les citoyens ont un rôle à jouer, au-delà de l’acte ponctuel du vote. « Des décisions importantes s’y prennent et il est donc intéressant d’essayer de combler le fossé qui existe trop souvent entre politiques et citoyens pour faire avancer des projets et des causes qui nous sont chers, en dépassant les dichotomies simplistes ». Et Martin Rose de conclure : « Pour qu’en fin de compte, quand on pense ‘politique’, on pense ‘projet de société’ ».
Chloé Zollman,
Animatrice de campagne