Oxfam-Magasins du monde, un mouvement en campagne
En tant que mouvement d’éducation permanente (depuis 2007), Oxfam-Magasins du monde mène deux campagnes par an afin d’informer et sensibiliser un large public aux enjeux de société portés par le mouvement. Nous avons mené ces dernières années plusieurs campagnes sur des thématiques diverses, avec un fil rouge : proposer des modes de production et de consommation plus justes. Avec un important volet « Sud » (commerce équitable, injustices du système commercial international, matières premières agricoles, pratiques des entreprises dans leurs filières de production), mais également, sur la façon dont les citoyens-consommateurs, au Nord, peuvent influencer le modèle de développement par leurs choix de consommation. Au cœur de ce volet « consommation », on retrouve l’enjeu du seconde main, autour duquel Oxfam-Magasins du monde articule un modèle commercial alternatif concret (son réseau de magasins proposant la vente de vêtements de seconde main) et une démarche de sensibilisation et de mise en action des publics.
Une campagne sur le vêtement de seconde main: pourquoi ?
Les principes et le fonctionnement de la filière du seconde main ont peu évolué depuis plusieurs décennies. Cela donne sans doute l’impression que l’ensemble du public connait la filière du seconde main, ses enjeux, et l’impact qu’elle apporte. Pourtant le manque d’information et de communication autour de ce secteur fait de lui un éternel oublié dans le grand public (« ah bon, Oxfam fait du seconde main mais pourquoi ? »). On constate que circulent pas mal de fausses idées autour de ce qu’est la filière du seconde main. De plus, les nombreux bénévoles actifs dans le VSM (environ 700 bénévoles actifs dans 33 groupes VSM) veulent aussi se mettre en action et montrer au grand public ce qu’elles réalisent comme action positive au quotidien. Et rappeler, à l’heure où les défis environnementaux et sociaux sont criants, que cette alternative amène des impacts réels.
Le point central de la campagne 2011 : donner ses vêtements
Par une accroche très « second degré » et légèrement provocatrice, cette nouvelle campagne veut interpeller et rappeler au grand public l’importance du don de vêtements. D’abord, parce que le don est le point de départ de la filière et donc de la plus-value que donne Oxfam aux vêtements. Ensuite, parce que si pour certains le don de vêtement va de soi, c’est aujourd’hui un geste en pleine mutation.
Donner ses vêtements: un phénomène en pleine évolution
Actuellement, on estime qu’environ 200 tonnes de vêtements sont collectés via des filières de revalorisation. Cela pourtant ne représente qu’une part de tout le potentiel. Divers biais font que les vêtements non utilisés n’arrivent pas toujours dans les bonnes filières. Le don peut être lucratif, et certains particuliers veulent en profiter. D’autres, trop occupés, cherchent simplement la facilité. De plus, la technologie (en particulier le web) a provoqué un changement tant dans l’offre que dans la demande. C’est ainsi que depuis quelques années, le paysage du seconde main a beaucoup changé.
Chamboulement dans les réseaux de revente pour les particuliers
Depuis toujours, il existe divers moyens pour un particulier, non pas de donner, mais de revendre directement les objets dont il n’a plus besoin. Pour les vêtements, on pense bien sûr aux bourses aux vêtements, aux brocantes et aux magasins spécialisés (dépôt-ventes). Tous ces moyens, bien qu’ils permettent la revente, demandent un investissement en temps et une participation financière, pour un retour économique souvent limité.
Pris dans une vie active où on tente de gérer au mieux son temps et ses moyens, pas étonnant que l’arrivée de nouveaux moyens plus « économes » ait pris le dessus pour le belge moyen. Pour beaucoup, exit donc les bourses, place à internet disponible 24h sur 24, pour les vendeurs comme pour les acheteurs. Ainsi, en 2010, 69% des vendeurs passent désormais par le net, où Ebay occupe un quasi monopole. Ce leader du marché a révolutionné la vente de seconde main, au détriment des dépôts/ventes, des bourses et autres. Il a simplifié pour le particulier la revente tant de sa brocante que de ses vêtements. Mais il a également modifié l’approche du don. Si avant, il était plus facile de donner à des associations ou à des nécessiteux ce dont on n’avait plus l’usage, aujourd’hui, il est presque plus aisé de le mettre en ligne, à moindre frais, avec la perspective d’un retour financier. Le principe est effectivement simple et flexible, tout est piloté depuis chez soi. Ebay met donc à la portée de tous la possibilité de faire du business avec ses vêtements, et rend donc en partie obsolète le travail de récupération et de tri réaliser dans l’économie sociale.
Pas étonnant dés lors qu’Ebay se lance dans études sur les greniers. On apprend ainsi sur leur site que chaque ménage français [[highslide](1;1;;;)
Ebay statistics, communiqué de presse du 6 avril 2010
[/highslide]] a des vêtements et accessoires qu’il pourrait revendre pour la valeur de 114 euros. 58% des ménages ont déjà réalisé une vente via Ebay dans les 12 derniers mois.
L’entreprise n’est pas avare en contradictions. Elle joue sur l’aspect éco-consommation de son business sans pour autant se départir d’une incitation à la (sur)consommation. Une de leur campagnes menée en France invite ainsi les jeunes entrant aux études supérieurs [[highslide](2;2;;;)
Sur le site presse d’ebay France, communiqué de presse du 17 juillet 2010
[/highslide]] :
Cherchez les 12 objets inutiles qui dorment chez vos parents, revendez les pour vous acheter le mobilier de votre studio !
En n’oubliant pas qu’un objet inutile que change de main… reste un objet inutile ! Egalement, si les fonds de greniers ont fait la réputation d’Ebay, il ne s’agit plus de sa seule source de revenu. Presque la moitié des vendeurs sont des entreprises traditionnelles qui vendent sans enchères, ce qui en fait une boutique en ligne, loin des motivations d’éco-consommation.
Surfant sur cet attrait pour les achats en ligne, un collectif d’association lancé par le CNCD-11.11.11. a mis sur pied le projet Kidonaki, site internet ou les donateurs mette à disposition des internautes/acheteurs les objets (vêtements, meuble et autres) qu’ils donnent. Les bénéfices des ventes sont versés à l’association choisie par le donateur. Ce système de filière courte ne concurrencera probablement jamais Ebay et ses ventes. Lancé en mars 2009, le succès de ce site est mitigé : 18.919 euros récoltés par les ventes depuis le lancement et un peu plus de 15.000 articles [[highslide](3;3;;;)
15243 articles en vente affichés sur le site le 19 avril 2010.
[/highslide]] mis en vente sur le site. On est loin du chiffre d’affaire affiché par Ebay (2,5 milliards de dollars rien que sur les 3 derniers mois de 2010) et des 520.000 références… uniquement pour les vêtements et accessoires de mode.
Donner ses vêtements, ça rapporte de l’argent (enfin presque)
Se basant sur l’addiction des belges aux bons de réduction (en 2009, le belge était champion du monde de nombre de coupon de réduction par personne (14) avant de se faire rattraper par les Etats-Unis en 2010 [[highslide](4;4;;;)
Résultat d’une étude marché publié par la DH et la Libre Belgique
[/highslide]]), un nouveau type de collecte a vu le jour. Oxfam-Solidarité a été un des premiers en 2008 à organiser une collecte avec une chaine de magasin de textile, laquelle offre un bon de réduction sur leur collection en échange d’un don de vêtement.
Ce type de récolte a le vent en pou
pe puisque depuis 4 ans leur nombre ne cesse d’augmenter, et les canaux de se diversifier (magasins de chaussures et aussi de jouet). Cependant, elles sortent de plus en plus souvent du cercle de l’économie sociale. Ainsi, par exemple, la chaine de magasins de textile et matériel de puériculture Prémaman a lancé en 2010 une action de récolte contre bon de réduction sans préciser la destination de la récolte. La récolte de vêtement est donc bien devenue un prétexte pour une action commerciale à part entière. Il semble pour le consommateur, ce que deviendront les dons et l’éthique de la filière importe moins que le bon de réduction à obtenir.
Au delà, on peut s’interroger sur le bien fondé de ce type d’opération qui déforce le secteur de l’économie sociale active dans la récupération (EES pour la récup) en donnant l’impression que les dons doivent rapporter de l’argent. Cette monétarisation d’un système (qui en réalité coute de l’argent, afin d’assurer le tri et l’évacuation des loques) fait diminuer le don solidaire gratuit de bonne volonté. On peut également y voir une incitation à la consommation de vêtements de première main.
Donner plutôt que jeter
Face à ces possibilités de plus en plus diversifiées de donner une seconde vie aux vêtements, la question du don solidaire et gratuit n’est plus aujourd’hui un réflexe pour le consommateur. Pourtant, malgré l’explosion des filières de revente ou d’échange, il reste de nombreuses déperditions dans la récupération selon les statistiques autour de la collecte de déchets.
Régulièrement, la région Wallonne mandate des études sur les poubelles ménagères et leur composition. L’objectif est entre autre de constater l’efficacité des collectes sélectives. Ainsi, un certain nombre d’informations sont ainsi sur les textiles. Selon les derniers chiffres disponibles, chaque ménage wallon jette en moyenne 10 kg de textile par an dans les poubelles ménagères (le tout venant). Cela n’a rien de surprenant si l’on sait qu’aujourd’hui en Wallonie le taux de collecte [[highslide](5;5;;;)
Le taux de collecte sélective d’un déchet (TCS) est calculé en rapportant les quantités de ce déchet qui sont collectées sélectivement en porte à porte, en bulles et en parcs à conteneurs aux quantités totales collectées de ce déchet.
[/highslide]] de vêtement par rapport à la masse de vêtement jetés est très faible. Seuls 35% de vêtements intègrent une filière spécifique contre 65% pour l’ensemble des « déchets » collectés. Ce taux s’explique par le manque d’infrastructure (pas de filière séparés pour les vêtements abimés) principalement.
Il faut par contre relever une donnée pertinente pour le secteur de la réutilisation : environ 15% de ces vêtements [[highslide](6;6;;;)
Rapport de la région wallonne sur les ordures ménagères de 2009-2010.
[/highslide]] et autres textiles pourraient être revalorisés s’ils étaient amenés dans une filière de récupération. Par rapport à la population wallonne, cela représente presque 480.000 tonnes par an.
A Bruxelles, la dernière étude réalisée (en 2005) montre des chiffres impressionnants: un taux de 66% de textile revalorisable se trouvait dans les poubelles de la capitale.
De la récup, pas du recyclage
Depuis une dizaine d’années, le recyclage et le tri sont les deux points forts mis en avant dans les nombreuses campagnes de sensibilisation des intercommunales de gestion de déchets (en particulier, la question du tri sélectif).
Nous sommes poussés par la pub et la mode à acheter des quantités importantes de vêtements dont la qualité (et donc la durée de vie) diminue. Ainsi, l’étude [[highslide](7;7;;;)
Rapport de la Région wallonne de 2008. Bilan massique pour 2005.
[/highslide]] des flux entrants et sortants de textile montre qu’en moyenne par une année, chaque wallon achète 32 kg de textile, en garde 25kg et en jette 7kg! Sachant qu’un vêtement pèse en moyenne 300 grammes, cela fait 11 vêtements achetés et 2 jeté par an. Le consommateur se trouve face à une difficulté : comment se débarrasser de ces vêtements ? Malheureusement, il y a peu d’information sur le sujet et pour cause, il n’y a pas de sacs ou de conteneurs spécifiques. A l’inverse, les EES de récupération communiquent abondamment sur le don de vêtement et mettent à disposition des cabines/containers dans des espaces publics. L’amalgame est vite fait pour le citoyen qui, souvent en bonne conscience, dépose dans ceux-ci tant des vêtements abimés que de bonne qualité. Les EES ont d’ailleurs diminué drastiquement les cabines présentes dans les parcs à conteneur, le taux de textile déchet étant dans ceux-ci nettement (environ le double) plus important que dans le reste des lieux de dépôts.
Un manque d’information du citoyen sur ce qu’il peut ou doit faire avec son textile est donc évident. Tous les vêtements ne peuvent être revalorisés. Il faut séparer le textile en bon état (réutilisable) du textile abimé (tachés, déchirés, troués, …). Seul le réutilisable doit entrer dans les filières de récupération. Le textile abimé devra être incinéré. Les entreprises actives dans la récupération n’étant pas habilitées à réaliser cette incinération (qui est sous-traitée), il est préférable de jeter directement les vêtements abimés dans les ordures ménagères afin d’éviter qu’ils fassent des kilomètres inutiles (du particulier, au lieu de don, puis au centre de tri pour finalement atterrir dans l’incinérateur). En effet, contrairement aux idées reçues, le textile ne se recycle pas. A l’heure actuelle, seuls les fibres non traitées (chutes de fabrication principalement) peuvent être effilochées (action mécanique qui permet de recréé un fil à partir de fil tissé) et réutilisées. Une part très faible de ces textiles de récupération sert à la création de panneaux d’isolation acoustique.
Choisir à qui on donne ces vêtements n’est pas un choix anodin
Si la revente par les particuliers ainsi que les collectes par des chaines de magasins participent à l’impact environnemental de la filière de seconde main, elle met de côté les deux aspects importants, qui distinguent la démarche d’Oxfam Magasins du monde comme celle des autres EES [[highslide](8;8;;;)
EES = entreprises d’économie sociale
[/highslide]] : la solidarité au Nord et avec les pays du Sud. La revente des produits triés dans les magasins Oxfam permet d’offrir des vêtements de qualité à petits prix et les bénéfices des ventes permettent d’appuyer des projets de solidarité.
Choisir à qui on donne ses vêtements est donc important si l’on souhaite que son don soit le plus solidaire possible. Les acteurs de l’économie sociale affichent tous leurs engagements, une majorité est d’ailleurs reconnue par le label « Solid’R » géré par Ressources [[highslide](9;9;;;)
Ressources, fédération des entreprises actives dans la récupération et la revalorisation à Bruxelles et en Wallonie. Plus d’infos sur le label « Solid’R ».
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Le geste à poser ? Libérez-les !
Nous l’avons vu, année après année, les quantités de vêtements et de textiles accumulés sont impressionnantes. Au fond de vos armoires dorment certainement quelques kilos de vêtements oubliés parce qu’ils sont démodés, trop petits ou que vous ne les aimez plus. Or, le don de vêtement a de nombreux impacts positifs. Alors, passez à l’action, apportez vos vêtements, accessoires et linge de main en bon état dans le magasin Oxfam le plus proche de chez vous. C’est un geste éco-citoyen facile et sans coût.
Oxfam-Magasins du monde milite pour la récupération et la valorisation de vêtements de seconde main, avec 32 équipes de bénévole
s actives dans des magasins à Bruxelles et en Wallonie. Oxfam Solidarité a un réseau de 42 magasins étendu sur toute la Belgique, divers dans son organisation (vente en ligne, bénévoles, réinsertion à l’emploi) et dans les produits qu’ils proposent (livres, brocante, ordinateurs …).
Séparées en termes de fonctionnement, les deux organisations sont unies dans leurs objectifs : promouvoir la récupération et offrir des produits de qualité à petits prix, tout en générant un profit afin de financer des projets sociaux ou de coopération en Belgique comme dans les pays en voie de développement.