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Oxfam-Magasins du monde

ONG - monde scolaire : je t’utilise, moi non plus…

Analyses
ONG - monde scolaire : je t’utilise, moi non plus…

L’école vue par les ONG, les ONG vues par les écoles

De nombreuses ONG font aujourd’hui du monde scolaire, un de leur champ d’action prioritaire, cela pour plusieurs raisons. La raison principale se trouve dans le déploiement des activités d’éducation au développement[1. Pour définir l’éducation au développement,  nous nous rapportons ici à la définition utilisée dans le référentiel de l’éducation au développement d’Acodev, la fédération des ONG francophones et germanophones.]. Dans ce cadre, il est logique que les ONG se tournent vers le monde scolaire, cadre d’intervention éducatif par excellence. De plus, il réunit un public jeune qui est défini par de nombreuses ONG comme étant un public prioritaire. Les raisons sont relativement évidentes : les jeunes sont les citoyens de demain et ils sont peut-être plus ouverts au changement et à la remise en question que leurs aînés sans doute davantage engoncés dans des certitudes.
D’autres raisons plus utilitaristes amènent parfois les ONG à s’intéresser au monde scolaire. Le fait que les écoles sont un terreau potentiellement fertile pour de la récolte de fonds (certaines écoles voulant contribuer à des causes solidaires à leur échelle) ou  encore le fait que, à travers une présence importante dans les écoles, les ONG peuvent développer leur notoriété au sein de la population.
De leur côté, les écoles de Fédération Wallonie-Bruxelles ont, depuis l’existence du décret missions, entre autres choses, la mission de préparer tous leurs élèves à « être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ». Même si de nombreuses écoles menaient déjà des activités amenant les élèves à exercer une citoyenneté active, ce texte de 1997 engage légalement les écoles à mener ce type d’activité. Que ce soit de manière volontaire ou contrainte, l’éducation à la citoyenneté prend donc sa place dans l’école, et quand elle est déclinée dans sa dimension internationale, on parle alors d’éducation à la citoyenneté mondiale, concept équivalent à ce que les ONG appellent l’éducation au développement. En toute logique, certaines écoles vont ainsi solliciter des ONG pour les aider dans ce travail.
Au printemps 2012, les ONG actives dans le monde scolaire ont réalisé une enquête auprès de 240 enseignants de Belgique francophone. De manière générale, 3 % des participants à l’enquête estiment que leur établissement scolaire ne remplit pas du tout son engagement en matière d’éducation à la citoyenneté mondiale. 55,9 % estiment qu’il le remplit un peu mais pas suffisamment. 30,9 % estiment qu’il le remplit suffisamment mais qu’il serait possible d’améliorer cette action. Enfin, 8 % des sondés pensent que leur établissement remplit tout à fait son rôle en la matière.
Cette même enquête se penchait aussi sur les modalités pratiques de la mise en œuvre de l’éducation au développement dans les écoles. Ainsi, nous observons que l’éducation au développement se pratique majoritairement en classe (c’est plutôt une mission individuelle menée par les enseignants) et que, quand ils mènent effectivement ce genre d’activité, les enseignants privilégient, pour ce faire, l’utilisation d’outils pédagogiques adaptés et l’invitation d’un expert en classe. Il apparaît que les enseignants sont intéressés d’inviter des acteurs extérieurs car ils se sentent souvent démunis au niveau de la maîtrise des enjeux internationaux qu’ils jugent complexes (problème assez ou très important pour 41% des sondés). Et dans le cas d’intervention d’une personne extérieure, ils privilégient le fait qu’elle partage une expérience personnelle ou un vécu (80%), ensuite qu’elle anime un processus pédagogique (72%). Par contre, le partage d’une expertise neutre ou d’un point de vue militant sont moins plébiscités (38% et 29%)
Une minorité d’enseignants acceptent de s’engager pour des projets d’éducation à la citoyenneté mondiale en dehors de leurs cours et ceux-ci se plaignent du manque de temps que l’école leur alloue pour mener ce type de projets (60% des sondés jugent que c’est un problème assez ou très important) mais également du manque de soutien de leurs collègues qui ne comprennent pas toujours la pertinence de mener des projets en dehors des programmes officiels et des cours (problème assez ou très important pour 51% des sondés).
Cette enquête a été complétée par des entretiens téléphoniques menés, en automne 2014, auprès d’enseignants et de directions qui travaillent régulièrement avec Oxfam-Magasins du monde :
Un enseignant y pointe le fait qu’en cas de collaboration entre enseignants et ONG, il y a souvent instrumentalisation dans les deux sens : pour le présenter de manière caricaturale, le prof veut « occuper ses élèves » et l’ONG veut se faire connaître ou proposer de participer à ses campagnes de récolte de fonds. Pour éviter ce genre d’écueils, il convient donc plutôt de nouer des partenariats autour de projets de long terme.  Dans la même enquête, un autre enseignant se plaint des contacts intermittents avec les ONG et du peu de suivi offert en général après les animations de ces dernières. Celui-ci critique davantage les ONG qui cherchent à recruter « à tout prix » des élèves pour les envoyer dans le Sud et qui suscitent parfois des faux espoirs auprès de ceux-ci quand ils ne sont pas sélectionnés pour partir. Mais si certaines méthodes et habitudes sont critiquées, les relations ONG-enseignants sont aussi pointées très positivement : elles permettent de fournir du matériel pédagogique de très bonne qualité pour explorer les enjeux Nord-Sud, elles proposent des projets pédagogiques de long terme, et de manière générale, elles aident à l’éducation citoyenne.
Nous pouvons donc observer que les relations entre les ONG et le monde scolaire sont de natures très diverses mais que le risque de tomber dans des approches utilitaristes existe des deux côtés. Ce qui en soit, n’est pas forcément un problème, mais qui peut le devenir si c’est le processus pédagogique qui s’en trouve déforcé.

Coach, outilleur, expert, les différentes casquettes de l’animateur d’ONG

A l’occasion d’une journée de travail autour des pratiques des ONG dans le monde scolaire organisée le 8 septembre 2014, a été élaborée une typologie des différentes casquettes que peut porter un animateur d’ONG quand il intervient dans une école.
Voici les différents métiers qui avaient été listés :

  • Outilleur
  • Témoin d’une certaine vision du monde
  • Coach (pour mener à bien des projets en ED)
  • Expert (auprès de qui le prof peut se référer pour des questions de fond)
  • Soutien moral
  • Suppléant (qui enseigne les matières que le prof ne maîtrise pas)

20 animateurs issus de 17 ONG s’étaient positionnés par rapport à ce qui devrait « normalement » être le(s) rôle(s) d’un animateur d’ONG lorsqu’il intervient dans le monde scolaire :
ong-monde-scolaire
Quand on analyse ce tableau, nous pouvons faire un parallèle avec le sondage Acodev de 2012 dans lequel les professeurs plébiscitaient surtout les témoignages et les capacités et ressources pédagogiques des ONG. Cela est corroboré par l’avis des ONG qui pointent ces deux rôles comme étant les plus souhaitables. Le rôle d’expert tient la corde honorablement mais, comme pour les enseignants, il n’est pas considéré comme étant la mission la plus centrale pour les ONG. A la fin du tableau, on comprend très bien que les ONG ne souhaitent pas être suppléantes des enseignants car elles risquent ainsi d’être utilisées pour des missions qui ne sont pas les leurs. Si les enseignants n’aiment pas se sentir utilisés, les ONG forcément non plus.
D’autre part, et ce n’est pas vraiment assumé (comme l’indique ce tableau), les ONG sont souvent de facto pour les enseignants une sorte de soutien moral. Et cela davantage pour les professeurs qui acceptent de s’engager en dehors de leurs cours. En effet, comme relevé dans le sondage de 2012, ces professeurs se sentent souvent peu valorisés (peu de temps leur est alloué pour ce genre d’engagement car on compte surtout sur leur bonne volonté) et surtout ils souffrent d’un manque de reconnaissance auprès de leurs collègues. Ce qui amène ces enseignants de bonne volonté à vite se démotiver. C’est donc parfois auprès des ONG ou d’autres acteurs extérieurs que ceux-ci peuvent trouver le soutien et la reconnaissance qu’ils peinent à obtenir en interne.
Enfin, nous voyons que de plus en plus, un nouveau rôle se dégage : celui de coach. Si les interventions « one shot » des ONG sont peut-être celles qui arrangent le plus enseignants, elles ne permettent pas toujours d’ancrer un processus de long terme autour de l’éducation au développement dans l’école. Etant donné que c’est l’enseignant qui est en permanence dans son école, au contact de ses publics et que les ONG ont rarement la capacité d’assurer une présence régulière dans une même école, il est intéressant de renforcer les professeurs eux-mêmes comme acteurs d’éducation au développement. Un peu sur le principe de la devise des îles de paix qui dit qu’il faut lui apprendre à pêcher pour qu’un homme puisse manger toute sa vie, il est intéressant de mettre les enseignants en capacité de mener des processus pédagogiques autour de l’ED par eux-mêmes. Evidemment, dans ce schéma, l’ONG a moins de prise sur le message qu’elle va faire passer et éventuellement sur certains objectifs tacites (comme par exemple favoriser son activité de récolte de fond[2. Attention, cette analyse ne remet pas en question le principe de récolter des fonds pour les ONG dans les écoles pour peu que cela s’ancre dans un processus pédagogique d’apprentissage et pas de manière utilitariste et manipulatoire.]) et l’enseignant peut moins se reposer sur l’ONG pour qu’elle fasse le job à sa place (l’animateur n’est ainsi pas suppléant). Mais ce genre de collaboration peut avoir comme effet de doper la qualité du processus pédagogique : le prof est sur le terrain et en contact avec son public, c’est lui qui mène le processus pédagogique mais il bénéficie d’un soutien d’expertise, pédagogique et moral qu’il peut solliciter tout au long du processus pour nourrir celui-ci, ne pas perdre sa motivation et ne pas perdre ses objectifs pédagogiques de vue. De plus, le professeur est valorisé car il peut ainsi développer des compétences nouvelles qui lui seront utiles dans son métier. Et pour l’ONG, les avantages sont évidents également, ceci lui permet surtout de pouvoir appuyer des processus pédagogiques de long terme avec davantage de partenaires sur davantage de terrains. Dans le langage ONG, on appelle ça soutenir des acteurs multiplicateurs.
Attention, ceci ne veut pas dire que les animations « one shot » et que les interventions plus classiques n’ont pas de valeur. La présence d’un animateur extérieur dans une classe peut rester un moment fort et être le déclencheur de prises de conscience voire de vocation pour certains élèves. Mais nous voyons ici qu’il est intéressant de lier ce type d’interventions avec un appui plus permanent mettant en capacité les enseignants de mener eux-mêmes des missions d’éducation au développement.
Notons enfin qu’étant donné que les ONG ne peuvent pas toutes s’impliquer dans tous ces métiers, il est souhaitable que différentes ONG s’impliquent dans différents métiers à condition que cela se fasse en bonne complémentarité. Une complémentarité qu’il est important de bien communiquer aux enseignants et aux établissements scolaires afin de leur permettre d’être mieux appuyés dans leurs missions d’éducation à la citoyenneté.

Appréhender l’école de manière globale

Au-delà des relations spécifiques entretenues avec certains enseignants et au-delà des animations ou projets spécifiques portés en classes ou avec quelques élèves, les ONG se rendent compte petit à petit qu’elles gagneraient à appréhender les écoles davantage dans leur globalité et à mieux comprendre leurs valeurs et logiques de fonctionnement. En effet, certaines interventions pédagogiques externes peuvent se trouver affaiblies quand elles ne trouvent pas d’écho en dehors des murs de la classe, ou pire, quand elles se heurtent à des logiques ou des valeurs d’établissement contradictoires aux messages qu’elles visent à faire passer. Un élève membre d’un Jeune Magasin-Oxfam illustrait bien ce paradoxe en déclarant : « Avec notre équipe JM, on essaye de faire passer des valeurs de solidarité, or tout, dans notre école, pousse les élèves à se mettre en compétition. Difficile pour nous d’être entendus dans cette réalité. »
Ainsi, pour faciliter un vrai travail d’éducation à la citoyenneté mondiale, il serait intéressant de mettre les projets et interventions des ONG en lien avec les projets d’établissement des écoles et de les intégrer dans des dynamiques citoyennes plus générales où les initiatives en faveur de la citoyenneté pourraient être mises en lien et dialoguer.  Ceci permettrait aux ONG, pour leur part, de maximiser l’efficience de leur travail en école pour atteindre les objectifs de l’éducation au développement (voir référentiel Acodev).
Voilà pourquoi il est temps que les ONG aillent à la rencontre des établissements et de leurs projets pédagogiques, les interpellent et leur proposent de cheminer ensemble. En plus d’être « coachs » d’enseignants, celles-ci pourraient alors devenir également « coachs » (ou plus modestement « ressources ») pour les établissements scolaires prêts à se mettre en démarche autour de cette question : Comment être un établissement où l’on permet aux élèves de devenir des citoyens ouverts sur le monde ? Et cela fait écho à la remarque de ce directeur[3. Enquête interne Oxfam-Magasins du monde automne 2014] qui explique que, pour lui, les ONG devraient davantage se présenter aux écoles comme un acteur qui peut aider l’école à remplir sa mission de citoyenneté, que comme un acteur qui vient solliciter l’école pour quelque chose en plus.
Mais pour cela, il est important que les logiques utilitaristes soient parfois abandonnées de part et d’autre pour que soient construits, ensemble, des processus renforçant l’apprentissage des principes d’une citoyenneté mondiale, tout ça dans l’intérêt de l’élève et de la société.

Ressources documentaires

  • ACODEV, Journée d’échange de pratiques sur l’éducation au développement en monde scolaire, notes, septembre 2014.
  • ACODEV, Perception des enseignants sur la Solidarité Internationale à l’école, mars 2013
  • ACODEV, Référentiel sur l’éducation au développement, décembre 2011
  • OXFAM-MAGASINS DU MONDE, Entretiens téléphoniques sur l’éducation au développement à l’école, novembre 2014.
  • PULSE, Mondiale vorming en ontwikkelingseducatie op school, octobre 2011
  • PULSE, Baromètre Jeunes et coopération au développement, juin 2010