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Tu Simbolo : le label équitable par et pour les petits producteurs

Analyses
Tu Simbolo : le label équitable par et pour les petits producteurs

tusimboloDifficile de ne pas évoquer le label Tu Simbolo dans un cahier thématique consacré aux systèmes de garantie équitable. Créé et développé par les organisations paysannes du Sud elles-mêmes, il constitue probablement l’une des innovations les plus intéressantes de ces dernières années dans le domaine. Rapide aperçu dans cette analyse des principales caractéristiques de ce petit nouveau, ainsi que des différents questionnements qu’il apporte au sein du mouvement du commerce équitable.

Un retour aux sources

C’est en novembre 2010, lors de sa 4ème Assemblée Générale (AG), que la Coordination Latino-américaine et des Caraïbes des petits producteurs de commerce équitable (CLAC[[highslide](1;1;;;)
Fondée en 2004 à Mexico, la CLAC (Coordination Latino-Américaine et des Caraïbes de petits producteurs du commerce équitable) est l’organisation indépendante qui représente les producteurs certifiés équitables en Amérique latine. A ce titre, elle a notamment pour fonction de rapprocher les producteurs des instances dirigeantes et des organisations de certification de Fairtrade International (dont elle est membre). Présent dans 21 pays, la CLAC fédère près de 300 organisations regroupant environ 200 000 petits producteurs qui font vivre environ un million de personnes. Source : http://www.befair.be.
[/highslide]]) a formellement lancé le label « Symbole des Petits Producteurs » (SPP ou « Tu Simbolo »). Géré par la fondation Fundeppo[[highslide](2;2;;;)
Littéralement ‘Fondation des petits producteurs organisés’.
[/highslide]], le principe de ce label est simple : un label par et pour les petits producteurs, pour paraphraser le fameux mot de Lincoln. Il a été créé en réaction à la décision de Fairtrade International, dans les années 90, d’ouvrir son système de certification aux grandes plantations (bananes, fruits et légumes frais, jus de fruits, thé, vin et fleurs), et de manière plus générale, aux grands opérateurs commerciaux (multinationales et grande distribution). Cette évolution a été considérée par les membres du CLAC comme une déviance inacceptable de la mission originelle du commerce équitable. Selon eux, la filière équitable doit être destinée avant tout à offrir un accès au marché aux petits agriculteurs, ainsi qu’à changer la façon dont est pratiqué le commerce international. Ce nouveau label constitue donc une sorte de retour aux sources du commerce équitable, pour répondre aux problématiques spécifiques des petits producteurs latino-américains et favoriser le commerce équitable Sud-Sud. Pour Jéronimo Pruijn, directeur exécutif de Fundeppo, la création du SPP répond à un fort besoin de « se différencier en tant que petits producteurs, pour défendre les valeurs originelles du commerce équitable : coopération, gouvernance démocratique, appui à l’agriculture paysanne… »[[highslide](3;3;;;)
Poos S. 27/04/2012. Un nouveau label de commerce équitable, celui des « petits producteurs ». Blog CTB.
[/highslide]].

Caractéristiques du label

Concrètement, ce label utilise les mêmes grands principes que les autres du secteur, c’est-à-dire une combinaison de standards et de certification via des audits. Ces derniers sont effectués par des organismes certificateurs externalisés et accrédités par CLAC (Certimex, BioLatina, Ecocert, etc.). Les critères, élaborés au sein d’un comité de la Fundeppo, couvrent de manière assez complète la production, l’aspect organisationnel, le management, le respect de l’environnement, la gestion des relations entre organisations de producteurs et acheteurs, et le prix payé aux producteurs.
C’est en matière de gouvernance que le label est le plus novateur : originaire des organisations de producteurs elles-mêmes – et limité aux petits producteurs[[highslide](4;4;;;)
La notion de taille des exploitations y est d’ailleurs plus stricte et plus exigeante que tous les autres labels de commerce équitable : 15 hectares pour une activité agricole ou 500 ruches maximum s’il s’agit d’apiculture.
[/highslide]] – il répond spécifiquement à leurs besoins et est en ce sens plus légitime. Ainsi, et même si les recommandations du guide de certification ISO 65 sont globalement suivies, le processus reste largement guidé par les membres producteurs, au travers notamment du comité en charge des standards de la Fundeppo. Celle-ci rapporte par ailleurs directement à l’AG de CLAC, et gouverne via un conseil d’administration démocratiquement élu.

4ème Assemblée Générale du CLAC – Novembre 2010
4ème Assemblée Générale du CLAC – Novembre 2010

Le résultat est que, comparé aux autres labels, Tu Simbolo est globalement plus favorable aux petits producteurs, en particulier au niveau économique. S’il utilise comme Fairtrade un système de prix minimum et de primes de développement fixes par catégorie de produit, il lui est supérieur sur certains points. Ainsi, les frais de certification et d’enregistrement pour les petits producteurs sont moins élevés. A titre d’exemple, une coopérative mexicaine de 140 producteurs paie à Fundeppo €150 par an environ, contre près de €1800 en ce qui concerne Fairtrade International[[highslide](5;5;;;)
Chadi I. August 2012. Fair trade institutionalization. Disembedding a social movement. Master thesis in political science, Université Catholique de Louvain.
[/highslide]]. Les producteurs disposent par ailleurs de davantage de libertés quant au montant à allouer à la prime et à son utilisation.
Enfin, toute une série d’exigences bien spécifiques sont formulées vis-à-vis des acheteurs, au bénéfice des producteurs : obligation d’acheter des produits à un stade de transformation le plus avancé possible, d’utiliser en priorité les services des organisations de producteurs, d’être transparent en matière d’achats équitables via d’autres labels, etc. Le critère le plus contraignant (et sans doute aussi le plus étonnant) est l’obligation faite aux acheteurs d’acheter un pourcentage minimum des ventes totales sous le système SPP : 5% la première année, puis une augmentation de 5% par an, pour atteindre un total de 25% minimum. D’aucuns estimeront sans doute ce critère comme particulièrement dirigiste et contraire au principe même d’économie de marché. Il a néanmoins le mérite de bloquer l’entrée dans le système des plus gros acteurs, pour qui l’équitable ne représente qu’un outil marketing susceptible de leur fournir de nouvelles parts de marché. En cela, il modifie in fine le rapport de force au sein des chaines d’approvisionnement, en faveur des organisations de producteurs, ce qui constitue sans doute l’un des objectifs originels du commerce équitable les plus importants.

Freins au développement

Le label Tu Simbolo représente-t-il l’avenir des labels de commerce équitable ? Il souffre pour l’instant d’un certain nombre d’handicaps qui limitent son potentiel de développement.
Premièrement, le label est un peu moins complet que d’autres sur certaines composantes, en particulier au niveau environnemental : il exige principalement le respect des lois nationales, qui sont souvent plus faibles que la moyenne des labels équitables (dont beaucoup demandent le respect des critères de l’agriculture biologique). Or, c’est justement dans ce domaine que beaucoup d’importateurs de produits équitables cherchent à se distinguer, en surfant sur les préoccupations croissantes des consommateurs Nord en matière d’écologie. Le profil actuel du système de certification pourrait donc n’intéresser que les organisations de commerce équitable les plus développementalistes, ce qui pourrait potentiellement limiter fortement sa conquête de nouveaux marchés. Ainsi, en Belgique, seuls deux produits semblent pour l’instant être garantis via ce système, tous les deux de la marque Ethiquable : de la confiture et du sucre de canne du Pérou.
Un autre frein à la faible pénétration du système sur les marchés européens est, de manière logique, son manque de notoriété actuel parmi les consommateurs. Combinée à la fatigue générale vis-à-vis de la jungle des labels, à la fois chez les importateurs et les consommateurs, cette faible reconnaissance constitue un handicap certain à une adoption plus généralisée. Une solution pour résoudre ce problème spécifique pourrait être de le faire coexister, de manière transitoire, avec le label Fairtrade[[highslide](6;6;;;)
C’est ce qui est fait actuellement pour le (relativement) nouveau label biologique européen, placé à côté des labels nationaux (du type AB en France) sur les emballages des produits biologiques.
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Le label Tu Simbolo a par ailleurs été critiqué comme étant juste un label de plus, ne remettant pas fondamentalement en cause le mouvement d’institutionnalisation du commerce équitable. Le principe de fonctionnement reste en effet dans les grandes lignes le même que pour les autres labels (cahier des charges, audits, etc.), ce qui génère chez les producteurs aussi une importante fatigue, notamment face à l’abondance de normes. On peut cependant relativiser ces critiques puisque, comme on l’a vu, les coûts du SPP sont moins élevés. Les producteurs disposent également d’un pouvoir réellement accru, ce qui en fait un système de garantie beaucoup plus participatif que la plupart des labels du secteur. Autre argument : ses origines Sud, qui lui donnent plus de légitimité et relativisent cette critique de l’institutionnalisation comme instrument de domination N/S (standards, normes du type ISO, etc., imposées par les consommateurs Nord). Enfin, il constitue une forme de support au développement des marchés locaux et plus généralement du commerce équitable Sud/Sud (même si les consommateurs latino-américains connaissent encore très peu ces produits).

Conserver la philosophie originelle

Dans tous les cas, il est important que le système garde dans l’avenir sa philosophie originelle : un outil au service des petits producteurs et des communautés du Sud. A l’image du système de garantie de la WFTO, la certification SPP doit trouver le bon équilibre entre participation et délégation, entre efficacité et rigueur[[highslide](7;7;;;)
Maldidier C. Décembre 2005. Vers un système de garantie participatif. Equité #11. Fédération Artisans du Monde.
[/highslide]], afin de ne pas devenir trop lourde, par exemple au niveau des coûts, de la rigueur des inspections, des exigences de normalisation, etc. L’idée n’est pas d’en faire uniquement un outil au service du développement économique : une sorte de terrain d’entrainement qui viserait à transformer les coopératives de petits producteurs en sociétés privées compétitives, prêtes à plonger dans le grand bain du marché mondial. La démarche doit rester une manière de développer le bien-être économique, social et environnement des communautés[[highslide](8;8;;;)
Chadi I. August 2012. Fair trade institutionalization. Disembedding a social movement. Master thesis in political science, Université Catholique de Louvain.
[/highslide]]. Surtout, elle doit demeurer une alternative face aux dérives ‘industrielles’ de l’équitable, symbolisées par certaines évolutions du label Fairtrade, telles ‘les Fairtrade Sourcing Partnerships’[[highslide](9;9;;;)
Le CLAC s’est d’ailleurs vivement opposé à cette évolution, en tant que représentant des producteurs d’Amérique Latine au sein de la gouvernance de Fairtrade International. De manière plus générale, la question des relations entre les deux entités devient de plus en plus problématique, CLAC étant toujours membre de Fairtrade mais ayant par ailleurs créé un label, Tu Simbolo, qui le concurrence maintenant sur les marchés Nord (il était à l’origine uniquement destiné à l’Amérique Latine). A ce problème de conflits d’intérêts, se rajoute celui de la représentation des travailleurs des plantations: chacun des réseaux continentaux de Fairtrade est censé les défendre, en plus des petits producteurs, mais cela s’oppose à la philosophie même du CLAC, pour qui le commerce équitable reste destiné avant tout aux producteurs.
[/highslide]]. En bref, conserver le principe de remettre l’économique au service des sociétés humaines et non l’inverse.
Patrick Veillard
Expert commerce équitable
Décembre 2013