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7 juin 2009: enjeux globaux d’un scrutin régional

Analyses
7 juin 2009: enjeux globaux d’un scrutin régional

Tout d’abord, si nous avons des élections régionales, c’est parce que notre constitution stipule dans ses articles fondamentaux que « La Belgique est un État fédéral qui se compose des communautés et des régions ». Cette situation est le fruit d’âpres discussions – toujours d’actualité ! – entre nos deux principales communautés linguistiques, flamande et francophone. Est donc consacrée l’idée que, dans notre pays, le pouvoir de décision n’appartient plus exclusivement au Gouvernement fédéral et au Parlement fédéral. L’administration est assurée à trois niveaux avec chacun leurs instances qui exercent de manière totalement autonome leurs compétences dans les matières qui leur sont propres, l’état fédéral gardant toutes les prérogatives qui n’ont pas été expressément attribuées. Chaque entité fédérée a donc reçu le pouvoir d’adopter des normes – les décrets ou, dans le cas de Bruxelles, les ordonnances –  qui sont, en vertu de l’équipollence des normes, situées au même rang hiérarchique que la loi fédérale.[highslide](1;1;;;)Aux régions ont été attribuées les compétences dans les domaines qui touchent à l’occupation du « territoire« au sens large du terme. Elles sont donc souveraines en ce qui concerne l’économie, l’emploi, l’agriculture, la politique de l’eau, le logement, des travaux publics, l’énergie, le transport, l’environnement, l’aménagement du territoire et l’urbanisme, la conservation de la nature, le crédit, le commerce extérieur, la tutelle sur les provinces, les communes et les intercommunales. Elles sont également compétentes en matière de recherche scientifique et en relations internationales dans les domaines précités.[/highslide]

Au niveau européen, l’égalité de pouvoir législatif entre ces différentes entités implique que chacune d’elles puissent être représentées adéquatement pour toute décision qui concerne leur champ de compétences : citons par exemple les enjeux de la PAC (politique agricole commune) ou la négociation des quotas de CO2. Des lieux de concertations entre les régions et les communautés sont donc prévus pour harmoniser au préalable les positions qui sont ensuite défendues au nom du pays tout entier. En sens inverse, il revient à chaque entité de transposer les normes et directives européennes dans sa législation propre. C’est ainsi le cas de la directive sur les « marché publics durables » qui encourage les Etats membres de l’Union européenne à adopter des plans d’actions nationaux à ce sujet. De cette manière, il n’y a donc pas de possibilité d’interférences du niveau fédéral sur les processus de décisions propres des entités fédérées.

Les élections régionales ont lieu tous les 5 ans. C’est moins fréquent que pour le niveau fédéral, tous les 4 ans, et plus fréquent que le niveau communal et provincial, tous les 6 ans. Ces différences nous amènent souvent à confondre les enjeux des élections. D’où l’importance de pouvoir percevoir l’évolution de ce qui concerne spécifiquement le niveau régional. Le moins que nous puissions dire, c’est que depuis le 13 juin 2004, le contexte a radicalement changé !

Des élections avec les crises en toiles de fond

Les élections régionales du 07 juin s’inscrivent dans un contexte profondément marqué par trois types de crises qui ébranlent pratiquement tous les pays de la planète, au Sud comme au Nord.

Une crise environnementale caractérisée par le phénomène du réchauffement climatique causé, en grande partie, par l’activité humaine et qui menace principalement les pays du Sud, mais également nos propres pays. Nul ne peut, en effet, ignorer l’explosion de nombre de catastrophes naturelles – les ouragans, les tsunamis, les étés torrides, les incendies de forêts – survenues ces dernières années et celles qui nous menacent tous à l’avenir – la montée du niveau des mers, le phénomène de l’érosion des sols, la raréfaction des sources d’eau potable… Crise également par le manque de réponses cohérentes et de volonté politique forte au niveau mondial. Ce manque de réactions est à la source de problèmes graves : problèmes d’approvisionnement énergétique, fluctuation alarmante du prix des matières premières, épuisement des sols provoqués par la monoculture et développement des agrocarburants…

Une crise d’un modèle économique du « tout au marché » qui favorise par le biais de la dérégulation les initiatives privées et la libre concurrence. Ce modèle génère des inégalités économiques croissantes et un pouvoir qui se concentre dans les mains de quelques actionnaires au détriment de la majorité des travailleurs qui voient leurs conditions de travail et leurs salaires se détériorer toujours davantage. Les évènements récents liés à l’écroulement du marché immobilier américain nous ont, par ailleurs, clairement démontré que l’autorégulation par le marché a atteint ses limites. Face aux faillites en chaînes et aux pertes massives d’emploi, les chantres du néolibéralisme ont, en effet, perdu de la voix.

Une crise politique et institutionnelle parce que, face aux défis de ces premières crises et à la montée en puissance de pays émergeants comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, le monde se retrouve en crise de leadership, sans projet politique audacieux qui puisse rétablir la confiance dans le fonctionnement des institutions et organismes internationaux. Les tentatives de replis sur soi et de préservation de nos acquis sont donc nombreuses.

Le monde, dans son ensemble, a donc besoin de changement profond dans sa manière de fonctionner. A l’homme politique de demain, quel que soit son niveau de pouvoir, d’en prendre acte et de nous proposer des mesures innovantes et courageuses pour le reconstruire. Un message que doivent comprendre nos futurs élus qui, dans le champ de leurs compétences, disposent d’outils non négligeables pour rendre nos lendemains plus roses.

Face aux enjeux globaux, des réponses (aussi) régionales

C’est Kyoto aujourd’hui, ce seront les accords de Copenhague demain : le défi de la réduction de nos émissions de CO² nous engage dans une transformation radicale de notre modèle économique, moins énergivore et moins polluant. Cela passe par des mesures fortes

  • en matière d’économie d’énergie : pousser les citoyens à réduire leurs consommations par des incitants fiscaux sur la rénovation de bâtiments et les options vertes; développer les systèmes d’éco-conseil qui peuvent donner autant de petits conseils aux citoyens pour changer leurs pratiques quotidiennes…
  • en urbanisme et pour les travaux publics: rénover et construire des bâtiments publics peu énergivores, construire des infrastructures qui favorisent la mobilité verte, accorder une préférence aux matériaux et aux modes de construction qui minimisent l’impact environnemental…
  • en politique de transport : promouvoir l’utilisation des transports publics en agissant sur leurs couts et leur efficacité, encourager le covoiturage et de la pluri-mobilité – vélo pliables, connexion train bus… – en taxant le transport individuel et en jouant sur des incitants économiques, décourager l’utilisation de moyens de transports inappropriés et extrêmement polluants tels quel les 4×4 en villes, etc…
  • en politique de l’emploi : promouvoir les entreprises qui sont peu polluantes ou qui s’engagent à réduire fortement leur consommation d’énergie, encourager l’innovation en matière de recherche d’alternatives vertes, soutenir les initiatives citoyennes qui travaillent sur la réduction de la consommation d’énergie…

Oser donc assumer des couts importants à court terme – en d’autres termes, des investissements – pour promouvoir cette transition verte. Transition qui, bien gérée, peut être également le
moteur d’une relance économique que nous attendons tous !

La promotion d’un autre modèle économique, passe également par un recentrement sur les droits humains et les intérêts réels d’une population marginalisée grandissante. Elle doit donc prendre le contre-pied de la tendance actuelle de la dérégulation et la compétition omniprésente entre acteurs économiques qui ne finit par ne profiter qu’aux géants économiques que sont les multinationales dont les pratiques nuisent au plus grand nombre. Au niveau régional, des leviers réels existent :

1.       Les marchés publics représentant pas moins de 12,7% du PIB belge dont l’accès pourrait être soumis au respect des droits humains et environnementaux. C’est par là donner un signal fort aux citoyens en matière de changement de pratique de consommation.

  • Etablir des critères sociaux et environnementaux sur les matériaux de construction pour les chantiers publics
  • Imposer des normes en matière d’approvisionnement alimentaire pour favoriser une consommation dans le domaine public qui soit de qualité et respectueuse de l’environnement et des travailleurs. Pensons, par exemple, à ce que consomment nos enfants dans les cantines scolaires, aux produits de consommation courante de nos fonctionnaires…
  • S’assurer que les personnes qui sont engagées dans le cadre de ces marchés publics jouissent de conditions de travail et de salaire que nous pouvons qualifier de décentes.
  • Encourager l’emploi de personnes en difficultés économiques dans nos pays.
  • Travailler à cela en partenariat avec des acteurs de la société civile qui peuvent jouer un rôle important dans la vérification et les mécanismes de contrôle sur le respect des normes qui pourraient être édictées par la région.

2.       Peser sur les politiques commerciales et d’investissements de nos régions pour qu’elles bénéficient à nos populations, mais aussi à celles de nos partenaires. C’est tenir compte de leurs impacts économiques, mais aussi sociaux et environnementaux et veiller à ce que la compétitivité économique ne se base pas artificiellement sur un détricotage des normes socio-environnementales.

  • Encourager nos instances en charge de la promotion du commerce, tels que l’Agence Wallonne à l’Exportation (AWEX), à intégrer systématiquement le respect des conventions internationales en matière de droits humains, de démocratie et de préservation de l’environnement.
  • Ne pas céder au chantage des multinationales qui réclament, pour s’implanter dans nos régions, toujours plus de dérégulation dans les matières fiscales (diminution des taxes, avantages fiscaux…), sociales (flexibilisation de la main d’œuvre, concessions sur la législation sociale…) et environnementales (quotas de pollution, obligation d’assainissement…)
  • Rejeter des accords commerciaux en flagrant délit du droit international, notamment dans le domaine des droits de l’homme. Refuser de soutenir des entreprises belges qui, de manière directe ou indirecte, finance des guerres ou des dictatures, pillent les ressources naturelles dans d’autres pays, ne paient pas leurs travailleurs, en Belgique ou ailleurs, de manière décente, et qui ne respectent pas leur droit d’association.
  • Respecter les codes de conduites de l’Union européenne et prendre en compte les avertissements donnés par la société civile internationale à l’égard de certains marchés jugés «douteux».

3.       Promouvoir des modes de production durables et aider les reconversions des méthodes néfastes à l’environnement. L’exposition d’acteurs économiques soucieux de leurs impacts au niveau social et environnemental à la libre concurrence peut les menacer d’extinction alors qu’ils représentent précisément l’alternative de demain. Il y a donc lieu de favoriser leur maintien par des mesures légales ou économiques spécifiques. Aller donc précisément à contre-courant des pratiques libérales actuelles.

  • Soutenir les initiatives d’économie sociale et solidaire
  • Soutenir les projets agricoles alternatifs: fermes biologiques, fermes-écoles,…
  • Défendre des secteurs menacés comme les petites exploitations agricoles contre la compétition des géants de l’agrobusiness qui poussent à la surproduction, de mauvaise qualité et qui sont extrêmement polluant.

Enfin, nos régions peuvent également rayonner en dehors du cadre strict de leur territoire en portant un projet d’alternative fort au niveau international. Cela est d’abord possible par l’attribution de mandats forts aux divers négociateurs et représentants de la Belgique au niveau européen et international qui favorise l’adoption de mesures audacieuses – accords de Copenhague, directives européennes,… – et les réformes nécessaires dans le fonctionnement des institutions internationales – OMC,…

C’est également possible par un renforcement de la solidarité internationale qui est une compétence spécifique des régions dans les domaines pour lesquels elles agissent sur le territoire belge. Le Conseil Wallonie-Bruxelles de la Coopération Internationale (CWBCI) peut en effet soutenir financièrement ou par l’échange de savoir des projets dans d’autres pays qui vont dans le même sens que la Région wallonne et que la Communauté française : réduction de la consommation d’énergie, promotion d’alternatives économiques durables et non basées sur la compétition internationale, projet de défense de l’environnement et de milieux naturels,… Nos régions peuvent ainsi encourager des transitions vers des alternatives durables dans des pays qui vivent des situations socio-environnementales difficiles. D’où, l’importance notamment d’augmenter la part du budget de nos régions pour soutenir ces initiatives.

Exerçons notre vigilance citoyenne !

Le travail d’interpellation des futurs élus potentiels a pour objectif de pouvoir attirer leur attention sur ces leviers et de les amener à les considérer dans leur programme d’action. Dialogue qui nous permet de discerner les perspectives qu’ils souhaitent développer sur les 5 années à venir et à partir desquelles il y aura sans doute lieu de les questionner en cours de mandat.

Corentin Dayez
Service politique