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Du chocolat sans exploitation, c’est possible !
Le chocolat est tout un plaisir, une sensation en bouche, une explosion de goût… Nos chocolatiers en font de vrais bijoux qui ne cessent de nous surprendre et qui font la réputation de la Belgique aux niveaux national et international.
Mais le chocolat est aussi un business à grande échelle. Les rachats et les fusions d’entreprises n’ont laissé qu’une poignée d’entreprises dans ce secteur dont la chaîne d’approvisionnement est déséquilibrée et fortement concentrée. Alors que les grands négociants, les chocolatiers et les supermarchés font les plus gros profits, ce sont les agriculteurs et les agricultrices du Sud qui doivent assumer le plus de risques. Les droits humains dans la production de cacao sont systématiquement violés et le secteur du chocolat est une catastrophe environnementale :
- En Côte d’Ivoire et au Ghana, 2,1 millions d’enfants travaillent dans la culture du cacao. Dans certaines régions de Côte d’Ivoire, on parle même de l’esclavage des enfants.
- Une grande partie de la forêt tropicale est détruite pour la culture du cacao. En Côte d’Ivoire et au Ghana 30% des forêts ont été détruites pour y planter des cacaoyers.
- Les cacaoculteurs·trices vivent dans une pauvreté extrême. En moyenne, en Côte d’Ivoire, la culture de cacao ne rapporte qu’un tiers de ce qui est nécessaire pour vivre dignement. Cela entraine toute une série de problèmes environnementaux et sociaux dans le secteur.
Ces constats ne sont pas neufs, mais malgré une prise de conscience des enjeux, ce modèle commercial demeure. Le commerce avec les agriculteurs des pays fragiles ne crée pas seulement des opportunités, c’est aussi une source de responsabilité pour nous en tant que pays occidentaux. Les entreprises qui dominent le secteur du chocolat n’ont jamais pris cette responsabilité. Aujourd’hui, c’est aux consommateurs et aux consommatrices de faire le choix entre du chocolat équitable ou déloyal. Mais cette approche volontaire ne suffit pas, le respect des droits humains dans les chaines de productions doit se généraliser à l’ensemble de la filière.
En tant que « pays du chocolat », la Belgique doit jouer un rôle de pionnier en la matière. Oxfam-Magasins du monde préconise une législation qui oblige les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement tout au long de leur chaîne d’approvisionnement.
Dans cette analyse, vous découvrirez la chaîne de production complexe du chocolat. Vous découvrirez qui tire quelles ficelles et vous comprendrez qui détient la clé de la protection des producteurs et des productrices de cacao dans le Sud. Car ce n’est que lorsque l’ensemble de la chaîne sera durable que nous pourrons à nouveau être réellement fiers de notre chocolat « belge ».
De la fève à la barre : Processus de transformation et de production du chocolat
De nombreuses étapes sont nécessaires pour transformer la fève en barre chocolatée.
D’où viennent les fèves de chocolats ?
Les fèves de cacao sont contenues dans les cabosses de cacao qui poussent sur les branches de petits arbres, les cacaoyers. Ces arbres, qui commencent à donner des fruits cinq ans après avoir été plantés, poussent uniquement dans les zones chaudes et ombragées qui caractérisent la ceinture tropicale autour de l’équateur. Les pays producteurs les plus importants sont de loin la Côte d’Ivoire (40%) et le Ghana (20%), suivis du Cameroun (5%) et du Nigeria (5%), ce qui fait que 70% du cacao cultivé dans le monde provient d’Afrique de l’Ouest. Les autres grands producteurs sont l’Indonésie (6 %) et l’Équateur (5 %).
On trouve dans le monde trois types de cacao :
- Le Forastero est le type de cacao le plus courant, car il est le plus résistant aux maladies. Pour obtenir un bon goût de chocolat, il est préférable de compléter ce cacao par d’autres variétés.
- Le Criollo est le moins commun, car l’espèce est plus difficile à cultiver et l’arbre produit moins de fruits. Vous les dégustez principalement dans des chocolats à saveur fine.
- Le Trinitario est le résultat d’une pollinisation croisée entre les deux autres espèces. La qualité est juste en dessous du Criollo, mais l’arbre est beaucoup moins sensible aux maladies.
Tant que l’industrie chimique ne parviendra pas à trouver un substitut et que les biotechnologies n’auront pas encore développé un « cacao polder », les planteurs et les planteuses de cacao continueront à posséder une matière première précieuse entre leurs mains. Mais paradoxalement cette production ne leur rapporte pas de quoi vivre décemment.
Theobroma et Xocolatl
Nous devons le cacao aux cultures précolombiennes d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale. Les Aztèques en ont fait une boisson qu’ils appellent « Xocolatl ». Ils considéraient le cacao comme » la nourriture des dieux « . Traduit en grec, c’est « Theobroma » qui est aujourd’hui le nom scientifique du cacaoyer.
Quelles sont les étapes de la chaine de production du chocolat ?
1. La récolte
Les cabosses de cacao poussent directement sur le tronc de l’arbre. Les agriculteurs et les agricultrices les récoltent à la main à l’aide d’une machette.
2. Fermentation
Les fèves de cacao et la pulpe sont retirées des cabosses et recouvertes de feuilles de bananier. Ceci permet aux fèves de fermenter pendant 7 jours et d’obtenir leur arôme et leur goût.
3. Séchage
Ensuite, les fèves sont séchées au soleil pendant une semaine avant d’être menées à la coopérative ou d’être achetées en direct chez les producteurs et les productrices.
4. Stockage
La coopérative ramasse les fèves auprès de ses membres et les apporte à l’entrepôt pour peser la production et vérifier la qualité des fèves.
5. Vente
Le cacao est ensuite vendu dans le port avant de partir en bateau pour l’Europe. Pour la plupart des coopératives, c’est au port que le travail s’arrête.
6. Transformation des fèves
L’entreprise européenne de transformation du chocolat fait d’abord torréfier le cacao, ce qui permet d’obtenir des » fèves de cacao « . Celles-ci sont ensuite broyées pour en faire une pâte de cacao, une » pâte » épaisse et sombre. Une partie de la pâte de cacao est pressée pour obtenir du beurre de cacao et de la poudre de cacao. Le beurre de cacao est une matière première importante pour le chocolat. On utilise la poudre uniquement dans des produits apparentés, comme le choco ou le lait au chocolat.
7. Fabrication du chocolat
Il existe 3 recettes de base pour faire du chocolat. Le chocolat fondant contient de la pâte de cacao, du beurre et du sucre. Le chocolat au lait est composé de pâte de cacao, de beurre, de poudre de lait et de sucre. Pour, le chocolat blanc, on utilise du beurre de cacao, du lait en poudre et du sucre. Les ingrédients sont mélangés dans des proportions variables et malaxés jusqu’à trois jours pour un goût et un arôme supérieurs.
8. Parachèvement
Les chocolatiers et les entreprises chocolatières coulent le chocolat sous toutes les formes possibles : tablettes, barres, figurines, pralines, etc. avant de les refroidir pour pouvoir les emballer.
La consommation de cacao dans le monde : vers une pénurie mondiale ?
Sur les 4 millions de tonnes de cacao produites dans le monde, l’Europe en transforme environ 60% et en consomme près de la moitié. A la deuxième place des plus grands consommateurs de chocolat, on trouve les Etats-Unis.
Il y a quelques années, sous l’impulsion de l’industrie du chocolat, des rapports catastrophiques sur une pénurie annoncée de cacao dans le monde ont fait la une des médias.
Les cultivateurs et cultivatrices de cacao en ont conclu qu’il était nécessaire d’investir et de planter davantage de cacaoyers, afin de continuer à répondre à la demande des consommateurs et des consommatrices. Nous l’avons vu, les cacaoyers mettent cinq années à produire leur première récolte, les cultivateurs et cultivatrices de cacao doivent donc estimer ce que sera le marché dans quelques années : quels seront les volumes qu’ils pourront vendre et à quel prix. Celles et ceux qui ne font pas partie d’une coopérative qui fonctionne bien ne disposent d’aucune information sur laquelle fonder leurs décisions d’investissement. En outre, les entreprises de transformation de cacao ne garantissent pas qu’elles achèteront davantage de cacao dans cinq ans. Elles ne donnent pas non plus de garantie sur le prix auquel sera achetée la « matière première ».
Force a été de constater qu’en 2017, ces investissements sont revenus comme un boomerang. L’offre en cacao était alors devenue telle que le prix de cette « matière première » a chuté de 40% en un an et les entreprises en ont profité pour acheter à bas prix. Dans ce jeu d’offre et demande, le prix payé par les consommateurs et les consommatrices, lui, est resté le même, de sorte que les bénéfices des entreprises ont culminé, alors que les revenus des personnes actives dans la production du cacao ont chuté de manière considérable.
On le voit ici, les producteurs et productrices de cacao doivent prendre des risques conséquents pour continuer à fournir les entreprises chocolatières qui s’approprient les bénéfices de la filière auprès des consommateurs et consommatrices en Europe, aux États-Unis et ailleurs. Pour Oxfam-Magasins du monde cette situation doit cesser et la Belgique a une responsabilité importante dans la rectification de ce système inégal.
En termes de production, on ne peut pas encore parler de risque de pénurie de cacao, mais les producteurs et les productrices s’épuisent, et si ce secteur ne change pas complètement de cap, plus personne ne voudra produire de cacao.
Les trois enjeux du secteurs du cacao
Le secteur du cacao fait face à trois grands enjeux qui ne sont pas neufs et auxquels il est urgent de faire face.
- Garantir un salaire décent pour les cultivateurs et les cultivatrices de cacao.
- Interdire le travail des enfants.
- Mettre fin à la déforestation dans la forêt tropicale ouest-africaine.
Un salaire décent garanti
Les agriculteurs et agricultrices qui cultivent nos aliments doivent gagner suffisamment pour nourrir leur famille, se payer un logement décent et d’autres biens et services nécessaires à une vie décente comme l’éducation et les soins de santé. En outre, il faut une épargne pour pouvoir faire face aux coûts imprévus. Les cultivateurs et cultivatrices de cacao de Côte d’Ivoire ne gagnent pas assez pour cela. Une étude récente[1. 2018, TruePrice, Cocoa Farmer Income, The household income of cocoa farmers in Côte d’Ivoire and strategies for improvement.] évoque qu’en moyenne, la production de cacao en Côte d’Ivoire ne rapporte que 2 700 dollars par personne par an, alors qu’un » salaire décent » est estimé à plus de 7 000 dollars par an. Il n’est donc pas possible, dans cette situation, de pouvoir vivre dignement.
Quatre éléments sont essentiels pour garantir un salaire décent aux producteurs et aux productrices de cacao :
- Garantir la stabilité des prix : Tant que l’industrie ne garantit pas un prix solide et stable et ne l’ancre pas dans un contrat, les agriculteurs et les agricultrices restent piégés dans l’incertitude de la fluctuation constante du prix sur le marché.
- Augmenter la productivité : Augmenter la production de cacao par hectare grâce à des techniques agricoles durables afin gagner un revenu plus élevé sur la même superficie.
- Diversifier les sources de revenus : Outre le cacao, il faut favoriser la production d’autres cultures, telles que le manioc et les bananes. Cela rend moins dépendant du produit du cacao.
- Garantir l’accès à la terre : Une réforme agraire durable est nécessaire pour donner aux agriculteurs et aux agricultrices des terres cultivables. En Afrique de l’Ouest, les exploitations moyennes se font sur un verger de cacao de 4 ha.
Mais dans les faits, la plupart des programmes de soutien menés par les entreprises chocolatières auprès des producteurs et des productrices se concentrent uniquement sur l’augmentation de la productivité et des autres revenus (certains agriculteurs et agricultrices ont d’autres sources de revenus, comme le travail salarié, l’enseignement ou un magasin). Il n’est jamais question d’augmenter et de stabiliser le prix du cacao, et les effets sur les revenus des agriculteurs et des agricultrices restent dès lors très limités.
Interdire le travail des enfants
Le travail des enfants quand il s’agit d’une aide apportée aux parents en dehors des heures d’écoles de l’enfant et lors de travaux adaptés à leurs compétences n’est pas nécessairement un problème. Dans ces conditions, le travail peut contribuer au développement d’un enfant qui découvre de manière ludique la nature et la ferme de ses parents. Par contre, le travail des enfants en tant qu’ouvriers, défini l’Organisation International du Travail (Convention 182 de l’OIT) comme les » pires formes de travail des enfants « , est inadmissible. On entend par là, les travaux dangereux et physiquement épuisants des mineurs et/ou des mineurs victimes d’exploitation sexuelle ou de traite. Dans la cacaoculture en Afrique de l’Ouest, des enfants traînent des sacs de plus de 50 kg de cacao, se blessent avec des machettes et sont victimes des méfaits des pesticides (projections sur la peau et inhalations). Enfin, l’esclavage des enfants perpétré par des réseaux criminels qui kidnappent et vendent des enfants pour travailler gratuitement dans les champs de cacao est également inadmissible et doit également être éradiqué le plus rapidement possible.
En Côte d’Ivoire et au Ghana, 2,1 millions d’enfants travaillent dur dans les champs de cacao[2. Source : Université Tulane 2015]. Dans certaines régions de Côte d’Ivoire, on a même constaté des cas d’esclavage infantile perpétré sur des enfants maliens et burkinabés vendus à certaines exploitations. Conscientes de ce problème, les grandes industries chocolatières ont promis, en 2001, qu’elles le résoudraient dans un délai de 5 ans. Mais 17 ans plus tard, force est de constater qu’à l’inverse le travail des enfants a encore augmenté.
Si le travail des enfants est lié à plusieurs facteurs tels que le manque d’écoles et de professeurs disponibles ou le manque de sensibilisation sur les risques liés à ce phénomène, la cause profonde est bien la pauvreté structurelle dans laquelle vivent les producteurs et les productrices de cacao. En effet, sans un prix stable et rémunérateur du cacao, ils et elles ne peuvent pas se permettre de payer des ouvriers et font donc appel à leurs enfants pour les seconder dans leur travail. Les enfants coopèrent donc par pure nécessité. Chaque fois que le prix du cacao baisse, le travail des enfants augmente de manière considérable. Ceci illustre bien dans quelle mesure un prix du cacao stable et décent pourrait avoir un impact direct sur le respect des droits humains et de l’enfant.
Une approche plus intégrée passant par la sensibilisation des agriculteurs et des agricultrices, l’accès à l’éducation via des écoles et l’élimination de la pauvreté structurelle, sont nécessaires pour lutter contre le travail des enfants.
Mettre fin à la déforestation dans la forêt tropicale ouest-africaine.
La forêt tropicale humide d’Afrique de l’Ouest est en train de disparaître rapidement, surtout dans les pays où l’on cultive beaucoup de cacao. À partir des années 1990, la déforestation due à la culture du cacao s’est accélérée. Sans action radicale, les dernières forêts équatoriales subiront le même sort pour permettre aux producteurs et aux productrices de cultiver le chocolat que nous consommons.
Effondrement d’un écosystème – Entre 1990 et 2015, 85% des forêts ivoiriennes ont disparu et 30% de ces forêts ont été détruites pour cultiver du cacao. La situation est encore pire dans les réserves naturelles protégées, qui ont parfois été complètement transformées en plantations de cacao. Aujourd’hui, environ 40% du cacao de Côte d’Ivoire est illégal, car il provient d’aires protégées. On constate une situation similaire au Ghana.
La culture du cacao provoque la déforestation parce que les agriculteurs et les agricultrices coupent et brûlent la partie suivante de la forêt chaque fois que le verger de cacao produit moins.
La culture du cacao provoque donc une catastrophe écologique et a également un impact sur la vie animale : les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest qui arrivent à survivre sont obligés de chercher les derniers morceaux de la forêt tropicale encore « intacts ». Et alors que la Côte d’Ivoire comptait autrefois des centaines de milliers d’éléphants, on estime aujourd’hui leur nombre entre 200 et 400 individus.
Les arbres sont d’excellents régulateurs des précipitations et du climat local. De plus, ils protègent contre le vent chaud du désert venant du nord. Du coup, la déforestation provoque également un désastre pour les activités humaines : le désert avance, le sol s’assèche et quand il pleut, les pluies provoquent des coulées de boue.
Enfin, la perte de la forêt tropicale est aussi un drame international en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique et la protection de la biodiversité.
Cette déforestation n’est pourtant pas nécessaire pour la culture du cacao. En effet, dans les vergers agroécologiques, jeunes et vieux cacaoyers se côtoient.
Souvent, les entreprises chocolatières ne savent pas d’où vient leur chocolat. Il est donc important qu’elles cartographient d’abord l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Elles doivent mettre activement un terme à la déforestation en interdisant le cacao illégal (dans les zones protégées) et en mettant en œuvre une politique de déboisement zéro. Il leur est également nécessaire de financer la transition vers l’agroécologie par des formations et du matériel de culture. L’industrie du chocolat se doit d’assumer la prise en charge de la restauration des forêts.
Concentration des pouvoirs au sein de la chaîne de production
Chaque année, les agriculteurs et agricultrices produisent plus de 4 millions de tonnes de fèves de cacao. Un petit groupe de multinationales « productrices » de cacao achètent presque toutes ces fèves et les transforment en chocolat. Rares sont les barres chocolatées qui ne contiennent pas du chocolat passé « entre leurs mains ».
Multinationales transformatrices du chocolat :
Voici dans quelles proportions, en 2017, 8 entreprises transformatrices de chocolat se divisaient la quasi-totalité du marché (Cacao transformé x 1000 tonnes) :
Multinationales agroalimentaires « chocolatières »
À l’échelon suivant on retrouve environ la moitié du cacao transformé aux mains d’un groupe de sept puissantes entreprises chocolatières qui, ensemble, représentent 70 % du chiffre d’affaires mondial du secteur du chocolat :
Multinationales chocolatières | Chiffre d’affaires annuel 2018 en milliards de $ |
Mars / USA (Snickers, Twix, M&M’s etc.) |
18 |
Ferrero / Luxemburg-Italie (Kinder, Nutella etc.) |
12 |
Mondelez / USA (Côte d’Or, Oreo, Milka, Prince etc. ) |
11.5 |
Meiji / Japon | 9.6 |
Nestlé / Suisse (KiKat, Crunch, Lion etc.) |
8.8 |
Hershey’s / USA | 7.5 |
Lindt / Suisse | 4 |
Les supermarchés
Si l’on répartit le chiffre d’affaires total du secteur du chocolat dans une tablette de chocolat, les supermarchés obtiennent la part la plus importante (44,2%). Bien que les supermarchés fassent pression sur les autres acteurs pour qu’ils produisent le moins cher possible, ils prennent eux-mêmes une bonne marge des bénéfices. Dernier maillon de la chaîne, ils ont une grande responsabilité car ils peuvent exiger le respect des droits humains et de l’environnement de tous les maillons précédents. Les cacaoculteurs et les cacaocultrices doivent se contenter de 6,6% du bénéfice de la barre chocolatée. Cette part était encore d’environ 16 % dans les années 1980. Si le chocolat est devenu plus cher, le prix du cacao est, lui, resté au plus bas.
Les coopératives comme partenaires commerciaux à part entière ?
Pour gravir les échelons, les agriculteurs doivent travailler ensemble. S’ils forment des coopératives, ils peuvent collecter eux-mêmes le cacao récolté et organiser le transport jusqu’au port. Certaines coopératives prospères exportent également leur cacao à l’étranger et les plus fortes ont même leur propre usine de transformation.
Malheureusement, la plupart des producteurs et des productrices de cacao ne sont pas organisés. Et les coopératives éprouvent souvent des difficultés à fédérer leurs membres et à devenir plus fortes. Cela est dû à un cercle vicieux assez répandu dans le secteur :
- La plupart des coopératives ne peuvent payer des revenus qu’après avoir revendu le cacao. Les agriculteurs et les agricultrices doivent attendre des semaines, voire des mois, pour obtenir leur argent. Les acheteurs intelligents profitent de cette faiblesse des coopératives et s’adressent directement aux agriculteurs et aux agricultrices en les payant immédiatement en espèces. Les coopératives n’ont dès lors pas l’occasion de devenir plus fortes.
- Lorsque les entreprises achètent auprès de coopératives, elles le font généralement sans contrat ni perspective de relation commerciale à long terme. Les agriculteurs supportent tous les risques d’une récolte décevante ou d’un prix inférieur.
- L’absence de contrats à durée indéterminée et l’incertitude de leurs revenus empêchent les coopératives d’obtenir des prêts. Cependant, elles en ont désespérément besoin pour pouvoir payer leurs membres rapidement pendant la saison des récoltes et pour faire des investissements.
Pour pallier ce cercle vicieux, le chocolat durable provient de contrats stables avec des coopératives indépendantes. Ce n’est qu’alors que les agriculteurs ont la possibilité de s’organiser professionnellement et de réclamer leur part de la barre chocolatée.
Le chocolat labellisé est-il la solution ?
Face à tous ces constats de désastres environnementaux et sociaux à la base de la chaine d’approvisionnement, c’est une bonne chose que des entreprises optent pour un label de durabilité ou un label de qualité. Il peut s’agir d’un premier pas vers une chaîne d’approvisionnement durable. Les labels les plus couramment utilisés dans la chaîne cacaoyère sont UTZ, Rainforest Alliance et Fairtrade. Si l’une de ces étiquettes apparaît sur un emballage, les consommateurs et les consommatrices savent que le cacao contenu dans le produit a été cultivé et acheté selon un procédé certifié.
Les producteurs et les productrices de cacao (et leurs coopératives) doivent remplir certaines conditions concernant les méthodes de production et les conditions de travail. Ils reçoivent une prime fixe ou variable en plus du prix de vente et, au mieux, un prix minimum et un soutien. Le fait qu’une tierce partie effectue des contrôles contribue à accroître la confiance et l’objectivité des labels.
Mais les labels n’apportent pas une solution globale. – Les labels de durabilité peuvent avoir un certain impact, mais ils ne font souvent qu’atténuer les symptômes d’une pauvreté profondément enracinée chez les cacaoculteurs et les cacaocultices. De plus, les fabricants de chocolat ne sont pas contraints d’utiliser un label. Ils en profitent donc pour choisir « à la carte » celui qui leur convient le mieux. Par conséquent, les labels doivent souvent se plier aux exigences de l’industrie et ne peuvent placer la barre assez haut. Aujourd’hui, aucun label ne peut garantir que l’agricultrice ou l’agriculteur moyen puisse compter sur un revenu décent.
Certaines entreprises lancent également leurs propres labels. Bien que de tels programmes présentent des points forts, nous constatons un manque d’autonomie des coopératives de producteurs et de productrices concernées. Elles ont peu de marge de manœuvre pour négocier les conditions des programmes et encore moins la possibilité d’élaborer leur propre stratégie pour gravir les échelons de la chaîne de production.
En bref, les labels ou les marques de qualité peuvent être un moyen de mieux comprendre et contrôler la production équitable et durable du cacao, mais ils ne doivent jamais être l’objectif ultime. Nous ne parviendrons pas à mettre en place un secteur cacaoyer durable en nous basant uniquement sur les labels.
UTZ et Rainforest Alliance (qui ont fusionné en 2018) accordent une prime dont les agriculteurs et les agricultrices doivent négocier le montant qui, en conséquence, est plus faible que dans le système Fairtrade.
De plus, le Commerce Equitable s’engage à une rémunération équitable pour laquelle intervient une discussion sur le revenu de subsistance. En outre, ce label accorde une plus grande importance aux coopératives, car il met l’accent sur l’autonomisation et l’auto-organisation des agriculteurs.
La filière cacao d’Oxfam : équitable et durable
Exigences en matière de changement structurel
Notre asbl sœur, Oxfam-Wereldwinkels, effectue des recherches sur les chaînes d’approvisionnement en accordant une attention particulière aux erreurs du système qui impactent négativement les agriculteurs et les agricultrices du Sud. Avec ces analyses, nous alimentons le débat et encourageons les hommes et les femmes politiques ainsi que les entreprises à rechercher ensemble des solutions.
Dans les secteurs dominés par les multinationales, comme celui du cacao, notre voix seule n’est pas assez forte. C’est pourquoi Oxfam-Wereldwinkels a été l’un des fondateurs de VOICE, un réseau d’ONG européennes, américaines et australiennes travaillant sur le cacao durable. Grâce à VOICE, les entreprises et les décideurs politiques sont constamment mis au défi par le travail d’étude et de lobbying. Tous les deux ans, VOICE publie le rapport du Baromètre du cacao, qui présente l’état des lieux de l’ensemble du secteur.
Collaboration directe
Une grande partie des connaissances d’Oxfam provient de la relation directe et des relations commerciales de long terme avec les coopératives du Sud.
Pour notre chocolat, nous travaillons avec deux partenaires ivoiriens : Ecookim, une organisation faîtière de coopératives qui unissent leurs forces pour revendiquer une plus grande part de la barre chocolatée, et Coopasa, une coopérative plus petite qui s’engage fortement pour les droits des femmes dans la culture du cacao.
Donner le meilleur exemple
Nous nous efforçons également de placer la barre très haut pour nos propres produits, et nous repoussons toujours les limites. Oxfam Fair Trade ne possède pas sa propre chocolaterie, mais elle dirige en détail l’ensemble de la chaîne de commerce et de production de nos barres. Nous voulons savoir d’où proviennent les fèves et les autres ingrédients de notre chocolat. Nous sélectionnons soigneusement chaque partenaire commercial, transformateur et chocolatier. C’est un véritable exploit dans un secteur où une poignée d’industriels ont tout sous contrôle.
Nous voulons accroître notre impact dans les années à venir. Bien que le prix minimum du commerce équitable et la prime que nous payons offrent aux agriculteurs et aux agricultrices une possibilité de se prendre en main, il est urgent de les relever. Pour que le prix qu’ils et elles perçoivent leur assure effectivement un revenu suffisant pour vivre. Mais une telle évolution ne se fera pas sans une prise de position claire des hommes et des femmes politiques à même de changer les règles du jeu.
Les gouvernements et l’UE ont le pouvoir de changer les choses
La faiblesse des gouvernements dans les pays producteurs de fèves de cacao
Nous l’avons vu, 75% du cacao mondial provient de quatre pays : la Côte d’Ivoire, le Ghana, l’Indonésie et l’Equateur. Comment est-il possible que ces pays ne puissent pas eux-mêmes fixer des prix et qu’ils doivent vendre aux prix fixés sur les bourses de New York et de Londres ? Pourquoi ne forment-ils pas une organisation de pays exportateurs de cacao, comme l’OPEP, la coopération entre pays producteurs de pétrole ?
Les gouvernements de ces pays doivent jouer un rôle plus important. Ils peuvent coordonner leur production de cacao, constituer des stocks tampons et mettre en place des fonds d’urgence pour les planteurs de cacao. En outre, ils doivent fournir la protection sociale, l’infrastructure et les services publics dont leurs résidents ont besoin, comme par exemple des routes praticables, un accès à l’éducation et des soins de santé fiables.
Mais la plupart des pays producteurs de cacao n’ont pas de gouvernement stable et transparent. La Côte d’Ivoire, par exemple, a connu deux guerres civiles au cours des 15 dernières années, la tension y est toujours élevée et la corruption est omniprésente.
En plus de la transparence des entreprises de chocolat, les producteurs et les productrices de cacao ont donc également besoin de gouvernements nationaux stables et transparents. Il s’agit souvent d’une bataille à long terme et en même temps d’une composante essentielle du casse-tête pour un secteur cacaoyer durable.
La politique commerciale européenne donne peu de chances à l’Afrique
Sur la scène internationale, l’Union européenne est l’un des chefs de file de la lutte contre le changement climatique, pour le développement durable et pour le respect des droits humains. Mais la politique commerciale européenne n’en apporte guère la preuve. L’UE y défend principalement les intérêts des grands lobbies industriels.
Les droits à l’importation de l’UE sur les matières premières en sont un exemple : plus les matières premières sont transformées, plus les taxes sont élevées. De cette manière, l’Europe empêche les pays africains de développer leurs propres industries et de bénéficier ainsi d’une plus grande part de la valeur ajoutée créée. Pire encore, afin d’échapper aux droits de douane à l’importation de l’UE, les pays qui ont désespérément besoin de développement économique sont contraints de conclure des accords de partenariat économique (APE) avec l’UE. Mais ces APE impliquent également que les pays signataires ouvrent leurs marchés aux produits européens.
En 2016, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont conclu un tel APE avec l’Union européenne, le Nigeria a, pour sa part, décidé de ne pas le faire afin de protéger sa propre industrie.
De l’autorégulation au cadre législatif
Le secteur du cacao ne pourra pas devenir durable si on ne se base que sur la bonne volonté des entreprises pour résoudre de manière proactive les problèmes au sein de leur chaine d’approvisionnement, ou en mettant uniquement la responsabilité au niveau des choix des consommateurs et des consommatrices. Car malgré les succès limités des initiatives existantes, telles que les programmes de durabilité et les labels, les défis restent immenses. Il est grand temps de mettre en place un cadre législatif qui oblige les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement dans le monde entier.
60% du cacao est transformé en chocolat en Europe, c’est pourquoi la réglementation du cacao est nécessaire avant tout au sein de l’UE. La législation européenne sur le cacao peut obliger les entreprises européennes à respecter les droits de l’homme et l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement pour le cacao qu’elles achètent. Si ces conditions ne sont pas remplies, les importations de cacao non durable pourraient être purement et simplement arrêtées. Grâce au travail de lobbying des ONG de défense de l’environnement, une réglementation similaire pour le bois récolté illégalement a été mise en place par l’UE.
Respecter les droits humains dans tous les secteurs
Dans le secteur du cacao, la consommation de cacao et la création de valeur ajoutée financière ont lieu dans les pays prospères, alors que les violations des droits humains et la déforestation ont lieu dans des pays fragiles.
Le même problème se pose également dans des secteurs tels que le textile, l’électronique, l’extraction du pétrole, l’exploitation minière, … Il ne faut donc pas se limiter à une dimension sectorielle spécifique mais avoir une approche inclusive afin d’imposer le respect des droits humains et de l’environnement dans tous les secteurs à protéger.
Vers un cadre législatif national et international : quid du rôle joué par la Belgique ?
En 2013, avec l’appui de presque tous les pays en développement, l’Équateur a réussi à inscrire à l’ordre du jour des Nations Unies une convention internationale contraignante sur les entreprises et les droits humains. Malgré la résistance des pays industrialisés, la demande pour ce traité est de plus en plus forte. Sachant que la Belgique dit attacher une grande importance aux droits humains, il serait logique qu’elle soutienne avec conviction l’établissement d’une telle convention des Nations Unies. Malheureusement, notre gouvernement n’est pas très ambitieux à cet égard.
En prévision d’un traité international, nous pourrions déjà agir au niveau belge. Mais alors que notre pays reste malheureusement inactif à ce sujet, nombre de nos pays voisins travaillent déjà à l’élaboration d’une législation qui oblige les entreprises à respecter les droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement et à accorder plus d’attention à la durabilité. Depuis 2015, la Grande-Bretagne dispose d’une loi obligeant les entreprises à prendre des mesures pour lutter contre l’esclavage moderne. En France, le Parlement a adopté en 2017 une loi sur le devoir de diligence, qui oblige les entreprises à prendre des mesures pour limiter les risques dans les domaines des droits humains, de l’environnement et de la santé et de la sécurité des personnes. Aux Pays-Bas également, une proposition législative est prête.
Conclusion : Devons-nous être fiers du chocolat belge ?
Le chocolat est notre fierté nationale et il est un réel atout d’un point de vue commercial. La Belgique est d’ailleurs le deuxième exportateur mondial de chocolat. Mais à part les chocolatiers engagés – qui travaillent à partir de la fève pour en faire du chocolat – et les acteurs du commerce équitable, peu savent d’où vient le cacao et dans quelles conditions il a été produit. Notre fierté est-elle alors justifiée ?
Nous devons notre réputation de pays du chocolat aux générations précédentes qui se sont engagées sur la production d’un chocolat de qualité supérieure Si nous voulons rester les meilleurs, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. À l’heure actuelle, le défi de la Belgique est de réussir à avoir une production respectueuse de l’environnement et des droits humains.
Oxfam-Magasins du monde appelle les hommes et les femmes politiques à mieux faire respecter les droits humains et l’environnement dans les différentes chaînes d’approvisionnement. Ils doivent travailler à l’élaboration d’une loi belge sur le devoir de diligence des entreprises et contribuer à l’élaboration d’une convention internationale contraignante de l’ONU. C’est une mesure indispensable pour obliger les entreprises à respecter les droits humains et à prévenir des violations dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Oxfam-Magasins du monde demande au secteur belge du chocolat d’agir maintenant. Si les entreprises attendent que le gouvernement leur impose des règles contraignantes, elles risquent de perdre entre-temps leur position de leader sur le marché mondial du chocolat. C’est pourquoi nous leur demandons de travailler dès maintenant sur des chaînes d’approvisionnement totalement transparentes, avec des contrats stables pour les coopératives, des prix viables pour les producteurs et les productrices de cacao et avec du cacao issu des plantations agroécologiques, sans déforestation.
Notre secteur du chocolat est un ensemble diversifié de multinationales et de petites entreprises, mais ce qui est en jeu est identique pour tous : l’image du chocolat belge. Le « Code belge du chocolat », dans lequel le secteur fixe les conditions dans lesquelles le chocolat peut être appelé chocolat belge, ne contient étrangement pas de règles en matière de durabilité et de droits humains. Nous devons faire mieux. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous, les Belges, pourrons vraiment être fiers de notre chocolat.
Sébastien Maes