Dans le cadre de sa campagne « Climate justice – Let’s do it fair », Oxfam-Magasins du monde était présent lors de la dernière édition du festival Alimenterre de SOS Faim, en septembre 2022. Au sein d’une programmation très variée, avait lieu une webradio qui nous a donné l’occasion d’intervenir sur un sujet qui nous tient à cœur, le café ! Nous avons interviewé à cette occasion Stefaan Calmeyn, coordinateur de projets chez Oxfam Fair Trade, en charge de l’appui aux coopératives partenaires de café et de cacao (hors relations commerciales). Focus avec lui sur Muungano, de la République Démocratique du Congo (RDC), un partenaire de café avec lequel Oxfam développe depuis quelques années un partenariat avancé, notamment via un projet centré sur l’agroécologie.
Quel est l’historique du partenaire Muungano et de sa relation avec Oxfam ?
Muungano est une coopérative de petits caféiculteurs située dans la province du Sud Kivu en RDC. La coopérative, qui regroupe aujourd’hui 4200 membres, exporte du café depuis 2011. Le café est un produit d’exportation important pour eux, mais ils cultivent également des plantes vivrières. En termes de relation d’achats, OFT achète de 1 à 3 containers de café par an.
Quels sont les impacts du changement climatique sur les activités de Muungano ?
Les chocs climatiques deviennent de plus en plus importants pour les petits producteurs. A chaque fois que je retourne là-bas, on me dit que les saisons changent. On ne peut plus rien prévoir, quand la pluie va commencer ou s’arrêter. Il y a de grandes périodes de sécheresse, et beaucoup d’excès de chaleur également. C’est une zone montagneuse (ndlr : 1500 à 2000 mètres d’altitude), qui avait un climat tempéré auparavant. Ces chocs deviennent de plus en plus sérieux pour la culture du café.
Le café est une culture fragile face au changement climatique ?
C’est presqu’un arbre fruitier, les cerises sont des fruits comme chez nous les pommes et les poires. Ils ont besoin d’eau mais pas trop tôt ni trop tard, pour la fructification, etc. Le caféier est très sensible à ces fluctuations. En plus, la variété cultivée chez Muungano est de l’arabica, plus sensible que le robusta. Cela fait que l’on doit cultiver le café à des hauteurs de plus en plus élevées pour éviter les maladies et autres insectes ravageurs.
Cela a un impact sur le niveau de production, les rendements et revenus des petits producteurs ?
Absolument, cela a un impact sur la productivité mais aussi sur la qualité des cerises. Nous avons lancé un projet en agroécologie pour essayer de faire face à ces problèmes, et tenter de rendre les champs des petits producteurs plus résistants. L’approche générale est de créer des microclimats plus résistants, avec plusieurs « couches » au sein des champs de café, comme cela est promu en agroécologie. La plus importante est la couche la plus élevée, constituée d’arbres d’ombrage, c’est-à-dire des grands arbres couvrant tout le champ. Après, on peut aussi combiner avec des arbres de taille moyenne, du type bananier : ils donnent moins d’ombre mais fournissent du matériel végétal et des revenus supplémentaires. On va aussi mettre des haies anti-érosives, tous les 8 m par exemple, sur la pente. On peut aussi cultiver des plants à fruits de la passion (ndlr : fruits d’une liane tropicale, la passonaria), qui ne prennent pas trop de place tout en couvrant le sol. Si l’on intègre tout cela et combine bien toutes ces techniques, sans labourer mais en fauchant la matière végétale, on peut avoir un sol bien couvert, humide et fertile.
Cela permet donc d’être plus résilient et de s’adapter face aux aléas climatiques ?
Absolument. Le sol est mieux protégé, notamment contre l’érosion. L’eau de pluie va être mieux filtrée et rester plus longtemps dans le sol. On voit les effets rapidement, avec une productivité qui remonte de 25-30% après seulement une année d’application de ces techniques. C’est un projet encore jeune, on ne connait pas encore les effets à plus long terme, mais c’est très prometteur. Au-delà des rendements, le café semble « en meilleure forme », avec des cerises plus lourdes et de meilleure qualité.
En plus d’être une source additionnelle de revenus pour les petits producteurs, c’est aussi une manière de les diversifier, non ?
En effet. Le café, c’est une récolte principale par an. Ce sont des revenus significatifs mais seulement une fois par an. Alors que les bananiers ou les avocatiers n’ont pas vraiment ce cycle annuel. Cela permet donc de diversifier et d’augmenter les revenus, en vendant les fruits sur les marchés locaux. Ce sont aussi des cultures vivrières, qui permettent d’assurer une base alimentaire, pour les enfants comme les adultes.
Comment fait Oxfam Belgique pour financer ce projet ?
Nous bénéficions déjà d’un petit fonds, provenant de dons privés et de subsides communaux. Ce ne sont pas nécessairement de très grands moyens mais cela permet néanmoins de débloquer autour de 30.000€ par an pour Muungano. Cela sert à fournir des kits agricoles aux producteurs qui entrent dans le programme. Il y a pour l’instant 920 adhérents, on essaie d’avoir 300 nouveaux chaque année, avec comme objectif d’arriver au moins à la moitié des membres de Muungano à mi-terme du projet. Il y a donc ces kits, mais le plus grand coût est représenté par l’accompagnement technique des producteurs par des agronomes locaux. Il y a 16 sections de personnel à couvrir. Muungano prend en charge une grande partie des coûts, grâce aux primes fairtrade et bio. Nous contribuons aussi à ces salaires, ainsi qu’à celui d’un coordinateur du programme. Il y a donc au total les kits, des frais de personnel, de déplacement, et un peu de semences. Mais le coût total n’est pas très élevé au regard de l’impact total, qui dépend surtout de la qualité de l’accompagnement. Il faut aussi bien motiver les producteurs/trices à faire leur travail, de leur propre chef. Les intrants sont localement disponibles, de même que les semences de café, qu’ils ont sur place.
En résumé, le projet est financé via le commerce équitable et sa prime, plus des fonds additionnels ?
Le commerce équitable finance en effet pas mal de choses, dont cet accompagnement technique. L’appui financier supplémentaire a permis d’ajouter un accent agroécologique. Mais les deux sont liés. On utilise les entrées du commerce équitable pour réaliser ce projet, notamment en termes de suivi.
Peut-on dire que le commerce équitable offre un cadre propice au développement de l’agroécologie ?
Certainement au développement de la coopérative. Puis c’est à elle de faire des choix. Mais dans ce cas du Kivu, avec de forts problèmes d’érosion et de changement climatique, le fait d’investir dans l’agroécologie est très bien vu. Cela correspond en fait à un investissement dans le produit, le café et sa durabilité. Tout cela est très lié. Une partie importante du commerce équitable est le partenariat. Ce projet concrétise encore plus le partenariat entre Muungano et Oxfam.
N’y a-t-il pas aussi un aspect de structuration collective ? Autrement dit, le commerce équitable ne permet-il pas de partager des techniques et de les disséminer parmi les petits producteurs?
Il est vrai qu’il y a des aspects de structuration. Cela fait d’ailleurs partie des critères du système de certification Fairtrade. Mais comme Muungano est une coopérative déjà bien établie, nous ne travaillons pas de manière supplémentaire là-dessus. Nous demandons bien sûr les PV des AG, etc. Mais l’on ne ressent pas la nécessité d’y travailler de manière spécifique. Sur cette question d’échanges autour de l’agroécologie, nous avons un nouveau partenaire dans la région, nommé « Rebuild Women’s Hope » (RWH). C’est une petite coopérative qui démarre mais ils ont fait un voyage d’étude auprès de Muungano pour s’inspirer des techniques agroécologiques qui ont pu y être développées. On voit donc au niveau régional, entre différentes coopératives, que ces projets et idées prennent de l’ampleur.
Quels sont les principaux défis et perspectives futures ?
Il y a de grands défis dans le contexte général du Congo. Le défi pour Muungano est de vendre son café à un bon prix. Oxfam et d’autres offrent un tel prix, mais ce n’est pas le cas pour tous les acheteurs. Au niveau du projet, le plus grand défi est de pouvoir garantir cet aspect d’accompagnement, qui est quand même assez couteux. Soit on a des fonds externes, mais cela ne peut durer éternellement. Soit on produit davantage de café, de meilleure qualité, ce qui donne les rentrées nécessaires pour appuyer cet appareil d’accompagnement par la coopérative.
Comment faire changer ce projet d’échelle, dans le sens augmenter la taille et le nombre de producteurs impliqués en agroécologie ?
C’est surtout au début qu’il faut un appui et des moyens supplémentaires. On a ainsi prévu un petit budget de 15.000€ pour RWH pour démarrer leur projet. Mais en termes de pérennité, on voit que les producteurs, une fois dans le programme, ne reçoivent plus rien l’année suivante à part l’accompagnement. Ils se débrouillent donc bien sur le long terme. Mais en effet, il y a toujours besoin de « start-up money » pour faire démarrer encore plus de gens.
Dernière question, comment aimez-vous votre café ?
J’aime le café du Kivu ! Il est très bon car il est assez acide, avec des notes fruitées. Il faut pouvoir apprécier, tout le monde n’aime pas, mais moi j’aime beaucoup.