« Vous reprendrez bien un morceau de viande ? »
Ou comment contribuer à la déforestation illégale de l’Amazonie en mangeant un steak brésilien.
Juillet 2019, Amazonie brésilienne. En compagnie de 3 autres camions, Alessandro A. transporte du bétail dans un semi-remorque de la ferme ‘Estrela do Aripuanã’ vers une seconde exploitation située à plus de 300 kilomètres. Quelles sont les raisons d’une telle expédition ? Pourquoi les 250 bovins ne sont-ils pas directement envoyés à l’abattoir ?
En recoupant diverses informations, dont des photos publiées sur Facebook par le chauffeur, les journalistes d’un consortium d’investigation ne vont pas tarder à le découvrir : ce déplacement est destiné à dissimuler l’origine illégale de la viande. La première ferme fait l’objet d’un embargo car elle a été condamnée par le passé pour avoir détruit une parcelle de forêt.
Le logo de l’entreprise brésilienne JBS est visible sur le camion, mais aussi sur le polo du chauffeur. Ce géant mondial de la viande (35.000 bœufs abattus par jour rien qu’au Brésil) a mis en place un système de « blanchiment de bovins » afin de doper ses ventes. Ses exportations vers l’Europe ont ainsi augmenté de 20% en l’espace de quelques années. Selon un article de la revue Science, 62% de la déforestation potentiellement illégale de l’Amazonie serait causée par seulement 2% des exploitations de la région.
L’enquête fait tache, d’autant que la déforestation s’est fortement accrue depuis l’arrivée au pouvoir du président populiste Jair Bolsonaro (+88% entre juin 2018 et juin 2019). Surtout, l’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur, le marché commun sud-américain, est en cours de finalisation. Sa ratification offrirait au Brésil un accès inégalé au marché européen, via une baisse importante des droits de douanes, notamment sur le bœuf. Selon l’ONG Grain, l’accord pourrait provoquer une hausse de 34% des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux échanges commerciaux actuels entre les deux blocs…
Morale de l’histoire : publier des photos sur Facebook peut être dangereux ! 😀 Plus sérieusement, il faut davantage réguler les importations de viande liées à la déforestation et surtout, s’opposer aux accords de libre-échange tels que le UE-Mercosur, comme s’attache à le faire Oxfam-Magasins du monde avec sa campagne « commerce et justice climatique », ainsi que la coalition belge « Stop UE-Mercosur ».
Pour aller plus loin. Les articles et vidéos de l’enquête du consortium d’investigation sont à voir sur les sites de Disclose et The Guardian notamment. La revue TCHAK ! a également sorti un article sur JBS en novembre 2021. La coalition belge « Stop UE-Mercosur » a publié en novembre 2020 un rapport très complet sur l’accord et ses impacts. Plus globalement, une étude d’Oxfam-Magasins du monde explore les différents impacts du commerce sur le climat ainsi que les diverses alternatives, notamment celle du commerce équitable.