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Oxfam-Magasins du monde

Atelier textile équitable: bonnes pratiques et demandes en matière de politiques publiques

Analyses
Atelier textile équitable: bonnes pratiques et demandes en matière de politiques publiques
Oxfam-Magasins du monde (OMDM) organisait le 10 novembre dernier à New Delhi (Inde) un atelier sur le textile équitable dans le cadre de la conférence biennale de WFTO (l’organisation mondiale du commerce équitable). L’objectif global de cet atelier était de formuler, de manière participative, les idées et les visions de différents acteurs sur l’état actuel et le futur du secteur textile (équitable), avec pour objectif de préparer un futur travail de plaidoyer auprès de différents décideurs politiques européens ou indiens. L’analyse rend compte de la démarche et de ses conclusions.

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Introduction

Dans le cadre de sa campagne 2017/18 ‘Une autre mode est possible’ et du projet financé par l’Union Européenne (UE) «Trade Fair, Live Fair», Oxfam-Magasins du monde (OMDM) organisait le 10 novembre dernier à New Delhi (Inde) un atelier sur le textile équitable. Cet atelier était l’une des nombreuses activités de la conférence biennale de WFTO (l’organisation mondiale du commerce équitable), qui avait lieu du 9 au 13 novembre 2017.
L’atelier était animé par Sophie Tack (OMDM) et Sergi Corbalan (FTAO). Son objectif global était de formuler, de manière participative, les idées et les visions de différents acteurs sur l’état actuel et le futur du secteur textile (équitable). L’objectif final était de préparer un futur travail de plaidoyer auprès de différents décideurs politiques (européens ou indiens).

Situation et défis des chaînes textiles équitables

L’objectif de la première partie de l’atelier était de partager avec le public diverses infos sur la thématique. Plusieurs acteurs impliqués dans le textile équitable ont ainsi pu témoigner des impacts mais aussi des défis qu’ils rencontrent pour répondre à l’ensemble des critères du commerce équitable dans un secteur aussi complexe que le textile.
Pierre Santacatterina, directeur d’OMDM, a d’abord présenté la campagne d’OMDM « Une autre mode est possible ». Cette campagne traite des questions de travail décent et plus généralement de durabilité des chaînes d’approvisionnement textile.
Patrick Veillard (OMDM) a ensuite présenté quelques résultats d’une recherche en cours. Cette étude examine les impacts et les défis rencontrées par différentes organisations de commerce équitable (OCE) indiennes spécialisées dans le textile. Sur la base d’un travail bibliographique et d’entretiens de terrain, l’étude montre que par rapport au secteur conventionnel, ces OCE ont un impact positif et significatif sur les conditions générales de travail. Exemples: élimination des discriminations ou du travail forcé / des enfants, meilleures conditions de santé et de sécurité, relations contractuelles employeur / employé améliorées, transparence, etc. Chacune de ces OCE rencontre néanmoins des difficultés dans au moins l’un des domaines suivants :

  • Traçabilité (problèmes à faire respecter les critères du commerce équitable sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement).
  • Salaires (tous au moins égaux aux salaires minimum régionaux mais certains n’atteignant pas le salaire vital).
  • « Empowerment »[1. Le terme d’empowerment (ou empoderamiento en espagnol) n’a pas d’équivalent en français car il regroupe différentes notions, telles que renforcement, émancipation ou autonomisation. Mais que ce soit en anglais ou en espagnol, on retrouve dans les termes les mots « power / poder », c’est-à-dire pouvoir. La notion fait ainsi référence au pouvoir que l’individu peut avoir sur sa propre vie, au développement de son identité, ainsi qu’à la capacité du collectif à changer les rapports de pouvoir dans les sphères économique, politique, juridique et socioculturelle. Source : Charlier S. 2006. L’analyse de l’empowerment des femmes qui participent à une organisation de commerce équitable. Une proposition méthodologique. In Auroi C., Yepez I. 2006. Economie Solidaire et commerce équitable. Acteur et actrices d’Europe et d’Amérique latine. Presse Universitaires UCL/IUED.] des travailleurs et travailleuses (difficultés chez certains pour mettre en place des structures fonctionnelles facilitant la négociation collective ou la prise de décision démocratique).

Johnny Joseph, directeur de Creative Handicrafts (CH), a ensuite présenté son organisation. CH est une entreprise indienne d’économie sociale créée en 1984, à destination principalement des femmes défavorisées des bidonvilles de Mumbai. Malgré des débuts modestes, l’organisation a connu une forte croissance ces dernières années et propose aujourd’hui une large gamme de produits artisanaux (vêtements, textiles de maison, jouets, sacs, etc.). Elle fournit ainsi à des centaines de travailleuses (organisées en groupes d’entraide) un soutien technique, divers services sociaux et un accès aux marchés locaux et internationaux.

Mila Fair Clothing était une autre organisation présentée durant l’atelier par son co-fondateur Girish G. Krishnan. Basée à Tirupur (Tamil Nadu), Mila est une jeune entreprise spécialisée dans la production de vêtements équitables et biologiques en petits volumes. Ses principales caractéristiques sont :

  • Une bonne transparence / connaissance de sa chaîne d’approvisionnement.
  • Des salaires élevés (égaux aux niveaux de salaire vital définis par Fairtrade International dans son nouveau standard textile, dont Mila est une organisation pilote).
  • Des produits de haute qualité (ses principaux clients sont pour la plupart des petits OCE, entrepreneurs, designers, stylistes, spécialisés dans le vêtement éthique, équitable et bio).

A la suite de ces deux études de cas, des représentants de Fairtrade International (Rossitza Krueger, manager textile) et WFTO (Allison Barrett, présidente du comité des normes et garanties) ont présenté leurs standards respectifs (Fairtrade coton / textile et garantie WFTO).

Une vision d’avenir pour le secteur textile en 2030

Le deuxième objectif de cet atelier était de discuter avec les participants (principalement des organisations membres de WFTO) de l’avenir du secteur textile, notamment équitable. Il leur a ainsi été demandé de partager leur vision d’une situation idéale ou rêvée d’ici 2030. Pourquoi 2030? Premièrement parce que c’est la date visée par les objectifs de développement durable de l’ONU. Et aussi parce que c’est une date ‘intermédiaire’, ni trop proche et ni trop lointaine de notre situation actuelle (il n’est pas trop difficile d’imaginer où nous pourrions être à cette date, tout en laissant du temps pour des changements). Exemples de questions posées par les participants : Quels sont les moyens d’action et les impacts des plus gros acteurs du secteur? Comment les travailleurs et travailleuses sont-ils / elles traité.e.s? Quelles sont les lois en place pour mieux les protéger et responsabiliser chaque acteur?
Cet exercice a conduit à de nombreuses propositions, de la part à la fois du panel de conférenciers (P. Santacatterina, J. Joseph, G. Krishnan, R. Krueger) et du public:

  • En 2030, les consommateurs pourront facilement savoir dans quelles conditions leurs vêtements ont été fabriqués et le secteur sera globalement beaucoup plus transparent (le fait qu’il ait fallu rechercher les étiquettes dans les décombres du Rana Plaza pour identifier les entreprises contractantes ne sera tout simplement plus possible).
  • Le rythme de création des collections se sera considérablement ralenti : la société sera orientée vers plus de sobriété et les modes de consommation seront plus « slow », avec pour conséquence une réduction des impacts sociaux et environnementaux.
  • La majorité des vêtements seront fabriqués à partir de fibres naturelles et le commerce équitable sera la nouvelle norme dans le secteur textile.
  • Les consommateurs auront facilement accès à une gamme complète de produits textiles issus du commerce équitable, i.e. n’importe qui pourra facilement acheter des jeans, des chaussettes, des t-shirts, etc., équitables.
  • Les producteur.rice.s de coton et les travailleur.euse.s de l’habillement bénéficieront de la valeur réelle de leur travail, tandis que moins d’argent sera dépensé en publicité et en marketing. En bref, la valeur des produits sera mieux partagée entre tous les acteurs.
  • Les achats éthiques deviendront la norme et les produits équitables seront tendances.
  • Les marques seront responsables des conditions de travail des travailleurs et travailleuses dans leur chaîne d’approvisionnement. Exemple : les victimes d’accidents au sein d’usines textiles (et/ou leurs familles) pourront réclamer des indemnisations aux marques donneuses d’ordre.
  • Les consommateurs seront davantage ‘connectés’ aux producteurs et à leurs produits, i.e. ils sauront mieux comment ces derniers ont été fabriqués, avec quels impacts (également sur l’environnement, cf. problèmes de perte de biodiversité, de pénurie d’eau, de pollution, etc.).
  • Les consommateurs seront davantage au courant des principes, objectifs, valeurs, etc., du commerce équitable, plus particulièrement textile. De manière générale, ils seront plus sensibilisés au « moins c’est mieux », au fait que les inégalités de richesse doivent être réduites, que tout le monde devrait avoir assez d’argent pour vivre décemment, etc.
  • Les produits textiles issus du commerce équitable bénéficieront de canaux de distribution beaucoup plus importants que dans le modèle actuel (disponibles seulement dans quelques magasins spécialisés).
  • Les matières premières telles que le coton biologique ou équitable seront disponibles beaucoup plus facilement dans certains des pays producteurs de vêtements (par exemple au Bangladesh), à la suite de politiques volontaristes visant à encourager la production locale.
  • Des partenariats seront développés entre les acteurs des chaînes d’approvisionnement textile, afin de promouvoir la coopération et un meilleur partage des marges.
  • L’emploi sera préservé dans le secteur textile, par exemple via une protection accrue du travail artisanal et une mécanisation moins systématique.
  • Un salaire décent sera garanti pour tous les travailleurs et travailleuses du secteur textile et les gouvernements auront un système pour vérifier le respect des paiements (par exemple dans les procédures d’importation des produits).

Quels moyens pour atteindre cet idéal ?

Tous les participants de l’atelier ont convenu qu’il existait un écart important entre leur vision de l’avenir à l’horizon 2030 et la situation actuelle. L’objectif de la session suivante était par conséquent d’identifier les changements à opérer en priorité, ainsi que les principaux acteurs responsables de ces changements. Différentes propositions sont ressorties suite à la discussion :

Qui
 
Quoi
 
Organisations de commerce équitable / société civile Sensibiliser les consommateurs, les citoyens, les producteurs, etc., à la manière dont la consommation est perçue et à la valeur donnée aux objets (en tant qu’outil de différenciation sociale et de construction d’identité)
 
Organisations de commerce équitable
 
Mieux communiquer sur le travail des acteurs équitables et éthiques pour améliorer les droits des travailleurs, petits producteurs et artisans (au-delà de la certification, un outil intéressant mais ne suffisant pas à garantir ces droits)
 
Organisations de commerce équitable (en particulier membres WFTO,  gouvernements
 
Maintenir en vie le patrimoine éducatif et culturel lié à la production textile artisanale à travers des programmes socio-économiques spécifiques pour soutenir les populations marginalisées qui les produisent
 
Organisations de commerce équitable
 
Rassembler davantage de témoignages (travailleurs et artisans textiles, petits producteurs de coton, etc.), afin de fournir aux consommateurs le meilleur aperçu possible de la réalité de la production textile (conventionnelle et équitable)
 
Organisations de commerce équitable / société civile, gouvernements
 
Développer davantage de campagnes de sensibilisation ciblant les marques de ‘fast fashion’, afin de les obliger à changer leurs politiques et pratiques d’approvisionnement
 
Gouvernements (poussés par les consommateurs)
 
Améliorer les normes publiques afin de mieux réguler les chaînes d’approvisionnement textiles au niveau socio-environnemental
 
Gouvernements (poussés par les consommateurs), systèmes de certification Améliorer et mieux réguler les standards, codes de conduite, systèmes de certification, etc., privés s’appliquant aux chaînes d’approvisionnement textile
 
Gouvernements
 
Soutenir les pays en développement dans leurs démarches de création de marchés (textiles) équitables (commerce équitable Sud / Sud), par exemple en soutenant leurs plateformes et campagnes de commerce équitable
 
Gouvernements
 
Établir un cadre législatif contraignant obligeant les entreprises qui importent des produits textiles à surveiller étroitement leur chaîne d’approvisionnement en cas de violation des droits des travailleurs, et à les rendre responsables de ces violations (système de diligence raisonnable).
 
Gouvernements et universités
 
Soutenir le développement et la recherche d’instruments capables de mesurer les externalités sociales et environnementales (c’est-à-dire le coût réel) des produits textiles
 
Acheteurs publics à tous les niveaux (national, régional, local)
 
Augmenter les marchés publics pour le textile équitable, par exemple pour les vêtements de travail : donner l’exemple / un signal de marché aux acteurs du secteur privé, en soutenant des engagements quantitatifs progressifs, en fournissant un soutien technique et un espace pour l’apprentissage mutuel et la coopération entre les acheteurs publics
 
Acteurs du secteur privé et gouvernements (pour la réglementation du secteur privé) Fournir de meilleurs renseignements aux consommateurs sur la structure des prix des produits, c’est-à-dire comment les coûts et les marges s’accumulent le long de la chaîne d’approvisionnement jusqu’au prix final (et explorer les possibilités de limiter le prix de détail).
 

Conclusion

L’exercice expérimenté dans cet atelier aura permis de nombreux échanges et la formulation de propositions ‘co-créées’ très intéressantes pour réformer le secteur textile. Objet d’innombrables violations des droits humains et de pollutions, cette filière a certainement besoin de toutes les initiatives possibles pour diminuer ses externalités socio-environnementales, qu’elles soient de nature publique ou privée.
Même si certaines de ces propositions peuvent paraitre utopiques, elles ont le mérite de donner aux acteurs équitables un objectif clair ainsi que des pistes pour les atteindre. Il est très certainement également intéressant de se donner, en tant qu’acteurs du mouvement équitable, une vision pour 2030, dans le cadre des objectifs de développement durable. En ce sens, cet exercice pourrait également servir aux futures discussions pour le renouvellement du plan stratégique de WFTO.
Concernant OMDM, ces propositions seront utilisées dans la suite de la campagne, par exemple pour son travail de plaidoyer auprès des décideurs politiques et des acteurs privés. Plusieurs moments ont été identifiés, notamment les évènements du type ‘Slow Fashion Day’ ou dans le cadre des prochaines élections locales (octobre 2018), fédérales et européennes (juin 2019). Les activités relevant du projet « Trade Fair, Live Fair » (financé par l’UE), seront également partagées et promues vers les autres organisations membres du projet.
Patrick Veillard