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Oxfam-Magasins du monde

Chez Ikea, on crée le « besoin » en même temps que le produit

Analyses
Chez Ikea, on crée le « besoin » en même temps que le produit

Nous sommes accros aux petits prix !

C’est Ikea qui le dit. De fait, rares sont ceux qui sortent de ce temple du meuble en kit sans un caddie rempli de produits sympas et pas chers dont nous n’avions pas conscience d’avoir besoin. Pourquoi s’en passer quand on paie si peu à la caisse ?

Car vous ne le saviez sans doute pas en entrant, mais vous aviez besoin de ces moules à glaçon à 1.99 euro, importé directement de Thaïlande. Et bien sûr vous aviez besoin de ces quatre bougies à un euro venues de Chine. Et votre enfant ne l’avait pas encore rêvé mais maintenant il l’a enfin ! Ce jouet câlin  à un euro, du Vietnam. Et puis il y a le « soft drink + hot dog = 1 euro » ! Vous n’avez pas faim ? Allons allons, un euro ! Vous sentez votre ventre qui gargouille non ? Ce serait trop bête de ne pas manger. Un euro. Faut même pas se forcer.

Comme le mentionnait The Guardian dans un papier « The miracle of Älmhult », « En d’autres mots, vous n’êtes pas venu dans le magasin avec un besoin à satisfaire : vous êtes entrés et vous avez reçu à la fois le besoin et simultanément la possibilité de le satisfaire. Vous veniez chercher un sofa mais vous repartez avec un sofa et un caddy rempli d’achats impulsifs. Theodor Adorno, l’éminent théoricien social allemand, appelle cela le « besoin rétroactif », un moyen clé par lequel le capitalisme se perpétue lui-même, créant l’illusion que ce qui a été offert était un choix individuel. »

Extrait de « Ikea, un modèle à démonter »

En effet, Ikea est passé maître dans l’art de l’impulsion d’achat. Un parcours quasi obligatoire dans un immense show room, un restaurant pour nous mettre à l’aise, des produits d’appel vraiment pas chers … Tout y est calculé pour nous tenter. A notre époque, où le débat de société tourne autour du pouvoir d’achat, les petits prix remportent un tel succès qu’ils nous font acheter n’importe quoi… D’où le succès légendaire des bons de réduction, des marques de distributeurs, du hard discount [highslide](1;1;;;)Comme les magasins Aldi ou Lidl par exemple[/highslide] ou … d’Ikea.

L’attrait des petits prix est évidemment renforcé par la paupérisation croissante d’une franche de plus en plus grande de la population. Mais les petits prix se nourrissent également de la crainte des autres de rejoindre cette population marginalisée. Les petits prix deviennent alors la solution pour augmenter notre pouvoir d’achat. Mais est-ce un bon calcul ?

Ce serait tout d’abord, nier les inégalités sociales. Tout le monde ne doit pas affronter des problèmes de pouvoir d’achat. Ce serait, ensuite, occulter que les « prix bas » on des conséquences directes et indirectes sur nos vies, que ce soit par la pression qu’ils exercent sur le monde du travail, par les dégâts qu’ils engendrent à l’environnement ou par l’affaiblissement du lien social qu’ils provoquent.

Consommer plus, un vrai bonheur ?

C’est que l’objectif avoué d’Ikea est d’ « améliorer la vie du plus grand nombre ». Pour y parvenir, les magasins doivent sans cesse vendre plus à davantage de clients. Fidèle à l’équation «plus les gens achètent, mieux ils se portent», Ikea revendique sa politique d’achats impulsifs. Comme si acheter deux fois plus nous rendait deux fois plus heureux. Dans ce cas, la croissance d’Ikea (20 % par an) nous permet d’envisager la vie en rose !

« L’argent ne fait pas le bonheur » nous dit l’adage populaire. Les statistiques aussi. En effet, les enquêtes de satisfaction montre que la « Satisfaction de Vie (SV) » des occidentaux n’augmente plus [highslide](2;2;;;)Cassiers I., & Delain C., La croissance ne fait pas le bonheur : les économistes le savent-ils ? IRES ; Regards économiques, n° 38. Mars 2006[/highslide] malgré une hausse constante du PIB, c’est-à-dire de notre richesse, de nos possibilités de consommer toujours plus. Ainsi, comme nous l’expose le graphique ci-avant, si la richesse a augmenté de plus de 80% en Belgique entre 1973 et 2003, notre satisfaction de la vie a diminué de 8,8% en moyenne. Ne sommes-nous donc jamais satisfaits ? Ou la production de richesse comporte-elle des effets secondaires qui annulent ses bienfaits ? Sans doute les deux.

Notre richesse est relative. Premièrement, si à court terme chaque opportunité de consommation apparait comme un moyen d’améliorer notre vie, l’effet d’habitude fait qu’à long terme, la différence entre nos aspirations et notre niveau de vie est maintenue. Cette adaptation empêche d’augmenter à long terme notre satisfaction. Deuxièmement, notre environnement social nous influence. Si autour de nous tout le monde acquière tel ou tel produit, gadget ou renouvelle sa déco intérieure, nous ne trouverons satisfaction que si nous faisons de même. La pression sociale nous force à une fuite en avant matérielle.

La publicité et autres outils marketing qui nous poussent à consommer se nourrissent de ces deux mécanismes pour renforcer à l’extrême l’augmentation de nos « besoins ». Il s’agit là du moteur de la « machine » économique, de notre modèle de développement basé sur la croissance. Car l’objectif de ce système est bien la croissance économique et non notre bien-être. « La clé de la prospérité économique, c’est la création d’une instabilité organisée » disait Charles Kettering (General Motors).

« Améliorer la vie du plus grand nombre » en vendant plus de meubles. Voici donc une vision qui a bien assimilé les mécanismes décrits ci-dessus. Mais si la formidable machine Ikea vend en effet de plus en plus de meubles à de plus en plus de clients, force est de constater que qu’elle sert avant tout à améliorer la vie de quelques personnes (propriétaires) à partir du plus grand nombre (travailleurs et consommateurs) et de l’environnement.

Les couts cachés de notre (sur)consommation

Au contraire, cette politique de surconsommation occasionne des dégâts à notre environnement. Ikea, par exemple, doit utiliser de plus en plus de bois. Mais celui-ci est de moins en moins d’origine durable. De plus, les produits viennent de plus en plus loin. Pas de quoi voir la vie en vert ! Mais la politique du prix le plus bas ne nuit pas qu’à l’environnement. Elle écrase également les travailleurs. Le premier fournisseur de produits suédois est … la Chine (22 %).

Si consommer toujours plus ne nous rend pas plus heureux, les conséquences de cette boulimie sont par contre contre-productives. Les effets néfastes sont bien réels, eux.

L’atteinte à l’environnement

Se laisser faire dans un magasin Ikea signifie alors porter atteinte à l’environnement. Il y a la surconsommation de bois et son origine plus douteuse que ce que nous fait croire Ikea. Dans le rapport RSE pour l’année 2006, la partie du bois utilisé par Ikea certifié comme FSC (le niveau 4 de l’IWAY) passe de 12% en 2005 à 7% en 2006 [highslide](3;3;;;)Bailly O.,  Les audits Ikea, mieux vaut prévenir …. Oxfam-Magasins du monde ; Autre Quotidien, n°. 25 septembre 2007.[/highslide] . Il y a ensuite l’origine toujours plus lointaine des produits. La recherche des coûts les plus bas pousse en effet Ikea à se fournir dans les pays les moins chers. En conséquence, les chaînes de production sont de plus en plus décentralisées, le bois venant de Russie pour être traité en Malaisie avant d’être transformé en meubles en Pologne pour être finalement mis en vente dans un Ikea Chinois. Si le transport est rationalisé au maximum, il n’en reste pas moins qu’il pèse lourd en équivalent CO². Et si Ikea s’impose dans sa responsabilité un contrôle de ses émissions de CO², il se garde bien d’en communiquer les chiffres… Il y a aussi la surabondance des déchets à traiter. En nous pouss
ant à renouveler encore et toujours notre intérieur nous produisons une quantité supplémentaire de déchets. Si nous ne le remarquons pas dans le prix des produits, c’est bien nous qui prenons en charge leur traitement via nos impôts. Et au final, c’est la nature qui paie la note.

Dans un autre registre, il y a également l’impact des implantations des usines et entrepôts de la société. Par exemple en France, à Fos-sur-mer près de Marseille, Ikea tente de s’implanter sur une zone dont le biotope recèle une trentaine d’espèces protégées (plantes, reptiles, oiseaux, batraciens, …) [highslide](4;4;;;)Rumello J., Entre Ikea et les écologistes y’a comme un lézard. LaProvence.com. 27 octobre 2007.[/highslide] . Au Portugal, c’est sa filiale Swedwood (production) qui essaie d’implanter une usine dans une forêt à haute valeur écologique qui était jusqu’il y a peu classée réserve naturelle, avant que le gouvernement ne suspende le plan d’aménagement communal (Plano Director Municipal) [highslide](5;5;;;)Sinola H. & Fonseca S., A black mark for Ikea. New Ikea factory in Portugal abuses basic rules of land planning. Quercus. 20 avril 2007.[/highslide] . Ces deux cas sont évidemment dénoncés par les associations environnementales. Les impacts négatifs sur la nature ont été démontrés et des lieux alternatifs d’implantation ont été proposés. Mais malgré la volonté affichée par Ikea d’assumer sa responsabilité environnementale, l’entreprise suédoise persiste à coup de chantage à l’emploi et dédommagement pécuniaire.

La pression exercée sur les travailleurs

Une autre conséquence de notre (sur)consommation et donc de notre recherche des prix les plus bas consiste en la pression exercée sur les travailleurs à l’autre bout de la chaîne, qu’ils soient de la production ou de la distribution.  Nous voyons alors naître le concept étrange de travailleur pauvre. En effet, dans le modèle Ikea, Serge, vendeur de la région parisienne ou Bruno, travailleur du dépôt de La Maxe, doivent vivre avec un salaire équivalent au Smig (entre 1000 € et 1400 €). Pourtant, c’est encore beaucoup comparé au 2 $ par jour que reçoit Sonia, couturière chez un fournisseur en Inde. 2 $ par jour, c’est le seuil de l’extrême pauvreté. Pourtant, Sonia travaille plus qu’à temps plein, en moyenne de 80 à 90 heures par semaine mais dispose d’un contrat de travail [highslide](6;6;;;)SAMY L.A. and VIJAYABASKAR M., Codes of conduct and supplier response in the IKEA value chain : the case of handloom home furnishing suppliers in Karur, South India, AREDS and MIDS, 2006.[/highslide] . La situation de la moitié de ses collègues est pire. Et la situation ne tend pas vers un mieux. Entre 2006 et 2007, Ikea observe [dans son rapport social] une chute du respect du code de conduite de ses fournisseurs en Asie. D’environ 69 à 80 % ! Les chiffres les plus inquiétants : 50% de ces entreprises ne remplissent pas les règles pour le salaire ou les heures supplémentaires, plus de 60% mettent à mal la liberté syndicale. [highslide](7;7;;;)Bailly O.,  Les audits Ikea, mieux vaut prévenir …. Oxfam-Magasins du monde ; Autre Quotidien, n°. 25 septembre 2007.[/highslide]

On ne peut pas dire qu’Ikea améliore la vie de Serge, Bruno, Sonia et leurs collègues. Ils doivent plutôt se débrouiller comme ils peuvent pour boucler leur fin de mois. Dans leur cas, un peu plus d’argent ferait sans doute leur bonheur. Mais malheureusement pour eux, ils ne représentent aux yeux d’Ikea qu’un coût qu’il faut réduire à tout prix. Tout le contraire de la fortune du fondateur et propriétaire d’Ikea puisqu’il est un des hommes les plus riches du monde selon le classement du magazine Forbes.

La santé

L’impact sur la santé est peut-être le moins connu. Il prend pourtant des formes très concrètes. Pour les consommateurs, il s’agit par exemple du formaldéhyde, un produit utilisé dans la colle et présent partout selon un porte-parole d’Ikea. Le formaldéhyde est pourtant un produit dangereux, irritant et cancérigène. S’il est connu pour ses dégâts sur la santé depuis les années ’70 et qu’Ikea a déjà du faire face à un scandale dans les années ’80, on le trouve encore aujourd’hui dans la gamme de meubles suédois. Sa présence dans une armoire « Rakke » a par exemple intoxiqué une petite fille de 7 ans l’année passée en Suisse [highslide](8;8;;;)Vallelian P., Rakke, l’armoire Ikea qui rend les enfants malades. La Liberté. Suisse. 22 septembre 2007.[/highslide] . Un cas isolé ? Non. Des situations semblables ont été confirmées en France et en Allemagne.

La santé des travailleurs est également en jeu. Si les panneaux de particules ou stratifiés sont très maniables, souples et stables, ils n’en sont pas moins dévastateurs pour celui qui inhale les poussières de bois et des colles synthétiques abondantes dans ce type de matériaux.

Le délitement du lien social

Enfin, en récupérant pour son business des valeurs telles que la « famille », le modèle Ikea participe au délitement du lien social, un problème majeur de notre société. On ne va pas faire ses courses chez Ikea, on va y passer du temps comme un loisir ! Ikea pervertit le temps que nous passons en famille ou entre amis, à profiter de nos relations sociales, en le faisant basculer dans une activité commerciale génératrice de stress.

Au vue de ce rapide tour d’horizon des conséquences de l’activité d’Ikea on ne peut plus voir qu’une raison à sa noble intention « d’améliorer la vie du plus grand nombre ». Cet objectif est tout simplement plus noble et plus séduisant que l’accumulation de la richesse à tout prix. Cette accumulation est pourtant bien la finalité de la firme jaune et bleu. C’est pourtant bien la face cachée des produits que nous achetons sur un coup de tête en faisant le tour du show room ou en commandant les célèbres boulettes suédoises au restaurant qui le sépare des caisses.

Consommer moins, un vrai bonheur !

La Wallon moyen génère en moyenne 500 kg de déchets par an ! Or, la gestion, le traitement ou le recyclage de ces déchets n’est pas sans incidence sur l’environnement. De plus, personne n’a envie de vivre à côté d’un incinérateur ou d’une décharge. Il nous faut dès lors diminuer nos déchets. Pour y arriver, le plus simple reste encore de consommer moins. Le meilleur déchet reste tout simplement  celui qui n’existe pas. Et si la nature en sortira gagnante, nous redécouvrirons aussi qu’il y a une vie au-delà des supermarchés ou d’Ikea.

En effet, la « dé-marche de la décroissance », la « simplicité volontaire » ou tout simplement « passer plus de temps en famille, entre amis au lieu d’aller faire des courses », les modes de vie alternatifs et certaines valeurs non-marchandes intéressent de plus en plus de monde. Ce qui les (nous) rassemble : tout simplement donner une place centrale à l’humain, aux relations sociales, à l’environnement, bref à l’être, et mettre un peu de côté le paraître et l’avoir.