fbpx
Oxfam-Magasins du monde

Commerce équitable et changement social. Vers un partenariat renforcé

Analyses
Commerce équitable et changement social. Vers un partenariat renforcé

Analyse suite au séminaire partenariat-éducation de juin 2012
Oxfam-Magasins du monde a entrepris cette année un processus de réflexion concernant son partenariat avec des organisations du Sud. La confrontation des conceptions de changement social est au cœur des échanges. Pour l’organisation de commerce équitable et ses partenaires il s’agit de parvenir à déterminer quelles mesures de renforcement mutuel et quelles actions communes mettre en place au-delà de la production et de la vente de produits de commerce équitable. Ce qui implique d’interroger les diverses sensibilités par rapport au concept de changement social et les leviers d’action mis en place par chacun pour atteindre les changements visés…

Comment renforcer le partenariat sur les plans éducatif et politique ?

La réflexion entamée en ce début d’année nous a d’abord amenés à nous interroger sur nos expériences passées en termes de partenariat « non-commercial ». Une brève analyse de ces expériences a mis en lumière qu’elles étaient ponctuelles, irrégulières, rarement intégrées dans la stratégie de l’organisation et que les partenaires y étaient considérés comme des ressources ou témoins (réalisation d’une étude de base dans le cadre d’une campagne par un partenaire indien ; réalisation d’un film par un partenaire congolais ; intervention de nos partenaires dans des conférences, événements, etc.).
Notre souhait de départ a alors été de vouloir renforcer ces relations avec nos partenaires du Sud sur ces plans éducatif et politique, plus explicitement dans nos activités d’éducation au développement et de plaidoyer : décider de thèmes de campagnes communs, de stratégies éducatives, de pratiques d’éducation au développement, etc.
Mais il est vite apparu que les réels enjeux étaient ailleurs. Les concepts et pratiques de plaidoyer et d’éducation ne sont-ils pas très relatifs et liés aux contextes dans lesquels ils se développent ? L’enjeu de la réflexion s’est dès lors centré un pas plus haut : sur cette notion de changement social, sur la vision du monde que cette notion induit et sur les modalités d’action – diverses et multiples – qu’elle engendre. La question n’étant pas tellement de savoir comment impliquer les partenaires dans nos actions, mais plutôt de voir comment les actions que nous menons ici au Nord et les actions menées au Sud par nos partenaires contribuent, ensemble, à créer du changement social.
Pour en savoir plus sur ces réflexions, voir l’analyse « Acteurs de changement : nos leviers d’action au Nord et au Sud ».

Séminaire

Ces enjeux ont été au cœur d’un séminaire de travail qui a pris place en juin 2012, au cours duquel Oxfam-Magasins du monde et quatre de ses partenaires ont échangé autour de cette notion de changement social et des leviers d’action que nous activons pour l’atteindre. Les quatre organisations présentes étaient : AjQuen (Guatemala), Bombolulu (Kenya), Corr-The Jute Works (Bangladesh), Tara (Inde).
   
Nous avons souhaité créer un espace d’échanges et de valorisation des expériences de nos partenaires afin de mettre l’accent sur l’apport des participants qui représentent une diversité certaine d’organisations du Sud. Nous souhaitions également positionner Oxfam-Magasins du monde comme un acteur autour de la table, au même titre que les autres. Le tout dans une démarche participative dans laquelle puissent être intégrés un maximum de points de vue et d’attentes de nos partenaires.

Les difficultés avec lesquelles composer

L’exercice en lui-même de confrontation de nos visions du changement social ne fut pas aisé. Parmi les difficultés à intégrer, on le sait, mais il faut le répéter, les aspects culturels et les aspects liés à la langue sont importants. Même si des efforts significatifs ont été mis en place ces dernières années afin de favoriser les échanges entre partenaires du Sud et du Nord au sein du mouvement du commerce équitable (missions dans le Sud, rencontre dans le Nord, échanges réguliers à distance, etc), il faut bien constater qu’il reste des malentendus ou des problèmes de communication. Souvent, on croit bien se connaître. Mais les mots que l’on utilise n’ont pas nécessairement la même signification. Citons simplement les termes « éducation » et « politique » qui recouvre des réalités diverses en fonction que l’on se trouve en Belgique, au Guatemala, en Inde, au Kenya ou au Bengladesh. Une « action éducative » dans nos bouches d’animateurs-formateurs en éducation au développement ne recouvre effectivement pas les mêmes réalités qu’une  « action éducative »  en faveur des enfants des rues en Inde. Dans le premier cas, nous souhaitons évoquer un acte de sensibilisation ou mobilisation de citoyens autour des enjeux Nord-Sud ; dans le second, nos partenaires évoquent les projets d’alphabétisation qu’ils mènent. Ajuster nos lexiques semble un préalable à tout échange sur le changement social.

Il convient ensuite de parvenir à dépasser les biais inhérents à la relation de partenariat elle-même. A la différence de nombreuses ONG du Nord, notre relation de partenariat est basée, au départ, sur un échange commercial. Les partenaires du Sud continuent à considérer une organisation telle qu’Oxfam-Magasins du Monde comme une organisation avec laquelle ils entretiennent une relation client-fournisseur. Et quoi de plus vrai ; nos partenaires sont fortement liés aux commandes que nous leur passons. Mais ceci a tendance à instaurer une relation de dépendance du Sud envers le Nord. Malgré les éléments mis en place pour en sortir (notamment en termes méthodologiques), ce biais dans la relation reste inéluctable. Il est nécessaire d’en tenir compte. Et nécessaire également de poursuivre ce travail pour instaurer plus d’égalité dans nos échanges, en acceptant aussi que le Sud nous remette parfois en question…

Au-delà du consensus apparent sur le commerce équitable comme moteur de changement social

Un autre point mis en lumière, qui peut paraitre somme toute assez naturel : le commerce équitable apparait comme étant au cœur du changement social, pour l’ensemble des partenaires autour de la table, comme moyen et comme finalité. Comme finalité parce qu’il constitue un réel outil de développement économique pour des producteurs marginalisés. Mais aussi comme moyen, car il constitue une alternative crédible qui montre qu’il est possible de faire du commerce autrement. Un moyen d’action, de promotion d’un autre modèle de société que nous voulons tous mettre en avant.
Cette vision partagée du commerce équitable comme acte politique est essentielle pour Oxfam-Magasins du monde car elle constitue l’une de nos plus-values par rapport à d’autres acteurs du commerce équitable, exclusivement orientés vers les aspects économiques et commerciaux.
Ceci étant dit, il ne faudrait pas négliger l’importance des enjeux économiques pour nos partenaires du Sud, surtout en cette période chahutée par la crise. Car il n’en reste pas moins que plus une organisation aura de débouchés économiques, et pourra donc associer un plus grand nombre de producteurs à son projet, plus cette organisation pourra changer le terrain social sur lequel elle travaille. Il apparaît aussi que plus longue sera la relation avec un partenaire du Sud, plus les projets sociaux développés dans le cadre de cette relation auront une chance d’aboutir. Or le caractère durable de la relation est avancé par nos partenaires comme un avantage indéniable du commerce équitable face au commerce traditionnel.
Il apparait toutefois que, même si le commerce équitable reste le cœur du projet de changement social des différentes organisations autour de la table, des enjeux connexes sont mis en lumière, comme autant d’autres combats menés par les organisations. Et ceux-ci seront dépendants des contextes spécifiques. Il s’agira de la question de la participation des femmes en milieu rural pour AjQuen, l’éducation des enfants pour Tara, la place des handicapés dans la société pour Bombolulu, ou encore les enjeux climatiques pour Corr-The Juste Works.
Au sujet du modèle de société que nous souhaitons promouvoir, les échanges ont permis de mettre à jour que, malgré les contextes, les actions et les publics différents d’un partenaire à l’autre, d’un coin du monde à l’autre, les mêmes mots reviennent dans les visions exprimées sur le changement social. Il n’y a pas de divergences qui apparaissent. Les cinq visions partagées par les organisations autour de la table lors du séminaire s’expriment toutes en termes de « justice », qu’elle soit sociale, économique, environnementale, culturelle. Elles partagent également une visée collective de ce changement. Ce changement implique des changements d’attitude, de comportements mais aussi des règles (nationales, internationales).
Par contre, effectivement, les leviers d’action activés par l’une ou l’autre organisation pour y parvenir seront différents et conditionnés par les contextes, les publics spécifiques. Cette question des publics-cibles mériterait d’ailleurs d’être approfondie. Car une différence fondamentale apparait entre les cibles de nos actions d’éducation au Nord ou au Sud : nos cibles d’éducation au Nord sont (plus) rarement les victimes directes d’injustices tandis que celles aux Sud vivent directement l’oppression, la privation. Autrement dit, les cibles des actions d’éducation des organisations du Sud en sont également leurs bénéficiaires directs, qu’il s’agisse de personnes handicapées au Kenya, ou de femmes en milieu rural au Guatemala. Ce n’est pas le cas pour les actions d’éducation d’Oxfam-Magasins du monde. Nous ne pouvons, ici, que nous faire relais de situations vécues par d’autres, dans le Sud.
Se pose alors la question de la complémentarité entre nos actions en Belgique et celles menées par nos partenaires. Comment les concilier ? Quel lien établir entre les changements de mentalités et de comportement que nous visons ici et ce qu’en attendent concrètement les producteurs et artisans dans le Sud ? Dans le contexte de crises mondiales que nous traversons (économique, climatique, etc), les préoccupations et les enjeux sont-ils les mêmes ?
Citons encore un dernier point de convergence entre les acteurs réunis lors du séminaire. Tous les participants sont d’accord pour dire qu’il est nécessaire d’informer nos publics, de les sensibiliser aux enjeux du commerce équitable. Mais tous sont également d’accord pour dire qu’il faut aller plus loin. Comment passer de la sensibilisation à l’engagement ? Comment faire siennes les valeurs du commerce équitable, et passer à une étape de mobilisation ? Cette question de l’engagement est un point de convergence à ajouter à la conception que nous avons du changement social. Et il s’agit d’une thématique de travail commune à envisager pour notre travail futur.
Les divers points révélés ci-dessus lors de ces trois jours de travail sont autant d’apprentissages que de portes ouvertes vers de nouveaux questionnements.
Ajoutons peut-être un apprentissage supplémentaire : la prise de conscience par les organisations partenaires présentes autour de la table de leur complémentarité et de l’enrichissement mutuel qu’elles peuvent s’apporter. La suite du processus de réflexion tiendra largement compte de ce constat, puisque des missions d’échanges entre partenaires du Sud sont prévues.

Perspectives nouvelles

La porte est ouverte pour développer, avec un nombre restreint de partenaires, une relation plus approfondie, au-delà de la vente de produits, dans un processus de renforcement des capacités des partenaires dans leurs finalités sociales, éducatives et politiques.
Deux premières thématiques de travail pour le futur sont apparues lors des échanges avec nos partenaires :

  • Le renforcement de capacités à développer le marché local du commerce équitable, dans sa dimension de sensibilisation, via l’échange de pratiques. En effet, la vente de la production au niveau local est cruciale dans l’avenir du commerce équitable. Mais les partenaires soulignent l’importance de développer une démarche de sensibilisation et d’interpellation des consommateurs du Sud, qui va au-delà de l’achat de produits équitables.
  • Le renforcement de capacités à développer des stratégies, des dispositifs et des outils pour mobiliser des citoyens, afin d’en faire des ambassadeurs du commerce équitable, dans sa  dimension de vecteur de changement social. Il est apparu que ce point traversait l’ensemble de nos organisations. Oxfam-Magasins du monde a également beaucoup à apprendre de ses partenaires en la matière et le renforcement de capacités sera réel pour nous aussi.

Nous ressortons convaincus de vouloir renforcer nos relations de partenariat au-delà de l’activité commerciale et de poursuivre les échanges autour du changement social. Cela se traduira notamment par le biais de deux missions de terrain et d’un second séminaire en 2013. Les missions serviront à approfondir, sur le terrain, cette notion de changement social et la manière dont elle se traduit concrètement dans des actions. La première sera consacrée au premier enjeu identifié plus haut ; la seconde autour du second enjeu. Il s’agira d’échanges croisés entre partenaires, puisque pour chaque mission il y aura un partenaire « accueillant » et un autre « visiteur », chargés tous deux d’alimenter la thématique de travail en présentant leurs expériences, en y apportant leur regard critique, en confrontant leurs visions. Le séminaire qui prendra place après ces missions permettra de faire le point sur ces  expérimentations, de les évaluer, et au final de construire ensemble les modalités de travail en commun pour la suite.

Géraldine Dohet
Responsable du service éducation
Oxfam-Magasins du monde