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Des marchés publics durables : qui décide ?

Analyses
Des marchés publics durables : qui décide ?

Identifier les cibles des revendications citoyennes

Quand Oxfam-Magasins du monde choisit de mener des activités de plaidoyer pour des marchés publics durables, il ne s’agit pas seulement d’une stratégie visant à conquérir de nouveaux marchés pour des produits Oxfam. Il s’agit en fait d’une action de plaidoyer basée sur une conception forte de la place des pouvoirs publics et du rôle important que ceux-ci peuvent jouer à travers leurs pratiques d’achats [highslide](1;1;;;)Sur le rôle de l’Etat comme consommateur, voir l’analyse « Des marchés publics durables : quand l’Etat est consommateur ».[/highslide] . Notre action de plaidoyer pour les marchés publics durables s’inscrit donc essentiellement dans une démarche politique.

Une action de plaidoyer de ce type se justifie moins facilement dans le cas de la consommation des entreprises privées, dans la mesure où celles-ci sont moins tenues que les acteurs publics par le respect de valeurs liées à la notion de bien commun. Plus simplement : une entreprise fait (malheureusement) plus ou moins ce qu’elle veut avec son argent, tandis que les pouvoirs publics doivent gérer des fonds de manière à en faire profiter l’ensemble de la société. Cela ne doit évidemment pas nous empêcher d’encourager les entreprises à adopter des pratiques de consommation durables ni de les interpeler sur leurs pratiques lorsque celles-ci sont problématiques. Mais on n’interpellera pas une entreprise de la même manière ni avec les mêmes arguments qu’avec des pouvoirs publics.

Par ailleurs, au-delà de l’impératif éthique de bon usage des ressources de la collectivité, les pouvoirs publics sont soumis à des règles juridiques spécifiques dans le domaine des marchés publics. Pour qu’un travail de plaidoyer ait une chance de produire des résultats, il est évidemment indispensable de savoir vers qui adresser ses revendications. C’est pourquoi, dans cette analyse, notre objectif sera d’identifier les niveaux de pouvoir où se décident les règles sur les marchés publics, sans rentrer dans les détails du fonctionnement des règles juridiques.

Un domaine juridique complexe

La réglementation des marchés publics est complexe. Au point que les pouvoirs publics eux-mêmes ne semblent pas toujours être au fait des règles à respecter. Ici, nous pensons surtout aux petits pouvoirs adjudicateurs de marchés, dont l’expertise en la matière est évidemment plus limitée que dans le cas d’un grand service public habitué à lancer des appels d’offres importants. Illustration de cette méconnaissance : beaucoup d’organisations actives dans le domaine de la consommation responsable ont l’habitude de recevoir les questions d’employés de services publics sur la légalité des pratiques durables d’achat public. On constate donc que la bonne volonté est souvent confrontée à la crainte d’enfreindre les règles de droit.

Plusieurs conflits juridiques en cours

Le manque d’expertise peut entraîner des erreurs menant à des conséquences sérieuses. La province de Hollande du Nord en fait actuellement l’expérience. Dans des appels d’offre concernant le café consommé par son personnel, cette province néerlandaise a exigé explicitement du café équitable labellisé par Max Havelaar. La Commission européenne a réagi publiquement pour souligner la non-conformité de cette pratique avec la réglementation européenne. L’affaire a atteint une certaine ampleur et la Commission européenne, considérant que l’Etat néerlandais n’avait pas respecté ses obligations, a formellement demandé à ce dernier de revoir le contrat. Si l’Etat néerlandais ne s’exécute pas, l’affaire pourrait arriver devant la Cour de justice de l’Union européenne.

En Belgique, la province du Brabant Flamand voit aussi ses pratiques remises en question. Dans ce cas, qui concerne aussi l’achat du café consommé par les services de la province, c’est un label « Max Havelaar ou équivalent » qui a été demandé dans l’appel d’offre. Cette exigence n’a pas plus à Douwe Egberts, numéro un du café en Belgique et filiale de la multinationale Sara Lee, qui ne propose aux consommateurs aucun produit issu du commerce équitable. Pour défendre ses intérêts commerciaux, Douwe Egberts a introduit un recours devant le tribunal de première instance de Louvain. En attendant une décision, l’appel d’offre de la province a été gelé.

Au-delà de la dimension purement juridique, que penser de la mention explicite du label « Max Havelaar » dans les appels d’offres publics ? Dans les deux cas litigieux cités, la mention expresse du label n’est finalement guère dérangeante. Aux Pays-Bas comme en Belgique, le label Max Havelaar est de facto « la » garantie du commerce équitable pour un produit agricole comme le café. Une telle formulation ne fausse donc pratiquement pas la concurrence entre les différentes marques de café équitable. En fait, la vraie concurrence se joue principalement à un autre niveau : entre les acteurs proposant des produits issus du commerce équitable et les autres acteurs commerciaux, qui aimeraient que leurs produits soient reconnus comme étant aussi durables que les produits du commerce équitable mais… sans l’être !

Les lignes directrices de la Commission européenne

Les lignes directrices de la Commission européenne pour la prise en compte d’aspects sociaux dans le cadre des marchés publics sont une autre illustration de la méconnaissance que beaucoup d’acteurs publics ont sur les règles en matière de marchés publics. Ces lignes directrices, qui sont encore en cours de rédaction et sont annoncées pour la mi-2010, ne sont juridiquement rien de plus qu’une série de conseils censés faciliter l’application du droit européen. Pourtant, malgré leur poids juridique limité, les lignes directrices devraient avoir un pouvoir d’influence considérable. Effectivement, il est fort probable que, face à la crainte d’enfreindre le droit européen et de se retrouver dans le collimateur de la Commission européenne, les acteurs publics se contentent d’appliquer à la lettre les consignes de la Commission.

A partir d’informations qui ont filtré de la Commission européenne sur les lignes directrices, il est tout à fait permis d’imaginer que leur contenu ne sera pas des plus ambitieux pour le commerce équitable. Plus grave encore : il est possible que les lignes directrices représentent en fait un obstacle à la consommation de produits issus du commerce équitable par les pouvoirs publics, en rendant beaucoup trop complexe l’introduction d’une exigence de commerce équitable dans les appels d’offres publics.

Or, même si les lignes directrices sont proposées par la Commission européenne, elles ne seront finalement qu’une interprétation parmi d’autres possibles du doit européen. Cependant, du fait qu’elles proviennent de la Commission, ces lignes directrices auront une influence de facto considérable sur les choix en matière d’achat public dans l’Union européenne. On risque donc de se trouver dans une situation qui verrait des pouvoirs publics suivre des lignes directrices en les considérant comme des règles obligatoires, alors qu’il ne s’agit que de recommandations. Cet exemple souligne bien la nécessité de l’expertise juridique dans une matière aussi complexe et importante que les marchés publics.

Une compétence fédérale

En Belgique, c’est le niveau de pouvoir fédéral qui est compétent pour les marchés publics. Tous les pouvoirs adjudicateurs du pays (Etat fédéral, communautés, régions, communes, CPAS, etc.) doivent donc respecter un ensemble de règles définies par l’Etat fédéral, la principale référence juridique étant la loi du 24 décembre 1993.

Le fait que la compétence soit fédérale est évidemment important. Cela implique que l
es autres niveaux de pouvoir ont une marge de manœuvre extrêmement réduite, voire nulle, pour définir le cadre juridique des marchés publics. On peut dès lors se demander quelle est la valeur des intentions parfois affichées par certains responsables politiques régionaux. Pensons notamment aux déclarations de Benoît Lutgen, ministre wallon de l’agriculture, annonçant en octobre dernier un projet visant à rendre obligatoire la consommation de produits de proximité et issus du commerce équitable « dans les écoles, les administrations et les entreprises publiques » [highslide](2;2;;;)La Libre Belgique, 3 octobre 2009.[/highslide] . Si la finalité exprimée est évidemment pertinente, il semble peu probable qu’un ministre régional puisse activer les leviers nécessaires à la mise en œuvre de l’objectif affiché.

Mais, si la compétence est fédérale, elle est aussi largement déterminée par un autre niveau de pouvoir : celui de l’Union européenne. La durée de validité de la loi belge de 1993 pourrait d’ailleurs ne plus être très longue : elle est en effet censée être remplacée rapidement par les lois de 2006 et 2007 transposant les directives européennes sur les marchés publics.

La transposition des directives européennes en droit belge

En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, la Belgique doit transposer dans son ordre juridique interne les directives européennes, qui fixent des objectifs à atteindre par les Etats. Or, des directives européennes existent dans le domaine des marchés publics. Signe que ces règles sont bel et bien obligatoires : la Belgique a été condamnée en 2009 par la Cour de Justice des Communautés européennes en raison de son retard dans la transposition de ces directives.

Depuis 2004, les règles européennes en matière de marchés publics figurent dans deux textes produits par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne : les directives 2004/17/EC et 2004/18/EC. La première concerne spécifiquement les secteurs de l’eau, de l’énergie, du transport et des services postaux, tandis que la seconde a trait aux travaux, aux fournitures et aux services [highslide](3;3;;;)Ces trois catégories sont brièvement explicitées dans l’analyse « Des marchés publics durables : quand l’Etat est consommateur », disponible sur le site Internet www.omdm.be[/highslide] . Selon ces directives, les procédures de marchés publics dans les Etats membres de l’Union européenne doivent intégrer les principes de transparence, de non-discrimination et de recherche du meilleur rapport qualité-prix [highslide](4;4;;;)Source : European Observatory on Fair Trade Public Procurement, http://www.european-fair-trade-association.org/observatory/index.php/publicprocurement[/highslide].

La loi belge et les deux directives européennes se concentrent sur les aspects procéduraux, soit notamment sur la manière dont les appels d’offre sont lancés et dont les marchés sont attribués. Autrement dit, ces textes se limitent à établir des cadres juridiques et leur but n’est pas de définir des objectifs de durabilité pour les marchés publics. Cependant, le cadre juridique qu’ils instaurent n’interdit pas l’introduction de critères de durabilité. Mais, comme on l’a vu dans cette analyse, l’application de critères de durabilité n’est pas toujours aisée en pratique, d’autant plus que tout le monde n’a visiblement pas la même compréhension des normes en vigueur.

Le rôle des responsables politiques

Dans les semaines qui ont précédé les élections régionales et européennes de juin 2009, Oxfam-Magasins du monde s’est associé au CNCD-11.11.11 pour inviter les citoyens à interpeler les candidats aux élections sur différentes thématiques. Parmi ces thématiques, la durabilité des marchés publics. Bonne nouvelle : dans l’ensemble, les candidats des quatre principaux partis politiques francophones se sont montrés favorables à l’établissement de politiques renforçant la durabilité des marchés publics. Les principaux partis, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, soutiennent donc le principe de marchés publics durables. Espérons que les intentions affichées se concrétiseront en une plus grande prise en compte de la durabilité des marchés publics.

François Graas
Service politique