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Du prix de mon T-Shirt aux bas salaires : « The race to the Bottom »

Analyses
Du prix de mon T-Shirt aux bas salaires : « The race to the Bottom »

Exiger le respect des droits des travailleuses

Offrir des habits toujours moins chers. Voilà ce qui pousse l’industrie textile à se fournir en Asie. Si la Chine rafle une bonne part du marché, elle commence pourtant à devenir trop chère ! Une travailleuse y gagne actuellement deux fois plus qu’aux Philippines … une des étapes suivantes dans cette spirale de régression sociale !

Les politiques de libéralisation, le coût élevé de l’énergie aux Philippines ou encore des pratiques commerciales peu scrupuleuses de certaines compagnies ont provoqué le déclin constant de l’industrie textile aux Philippines. Courant des années ’90 et début des années 2000, les fermetures d’usines se succèdent. De 1,52 millions emplois en 1990, l’industrie textile n’y occupe plus qu’à peine 285.000 travailleurs en 2005. En 2005 toujours, face à l’abolition de l’accord multifibre [highslide](1;1;;;)L’accord multifibre de l’Organisation Mondiale du Commerce consistait en un régime de quota de production textile dans le but de réguler et de protéger l’industrie textile des pays développés.[/highslide], le gouvernement des Philippines a déclaré que la loi sur le salaire minimum ne s’appliquerait plus au secteur de la confection textile. Tel est le prix à payer pour faire face à la concurrence.

Pourtant certains n’hésitent pas à prédire le rebond de l’industrie de la confection aux Philippines. Une bonne chose ? Certes, cela permettrait de recréer une partie des emplois perdus. Mais Pourquoi se regain d’intérêt soudain ? Que se cache-t-il derrière les « avantages comparatifs » qu’offrent les Philippines qui lui permettent de produire moins chers et donc d’attirer clients, investisseurs et entrepreneurs ?

Made in Philippines ou que se passe-t-il dans les zones franches d’exportation.

Mauvaises conditions de travail, heures supplémentaires obligatoires, salaire minimum non respecté, harcèlement moral et sexuel … Voici quelques exemples de ce qui attend les travailleuses qui découpent, cousent ou emballent nos T-shirts « Made in Philippines ».

L’industrie textile, la pire pour les travailleuses, y est concentrée dans des zones franches d’exportation. Des zones de non-droits. Rien qu’en 2003, 977 travailleuses et travailleurs actif dans 43 entreprises y ont été licenciés parce qu’ils avaient des liens avec un syndicat.

Les zones franches d’exportation de Cebu fournissent la majeure partie des emplois dans la région. En 2004, pas moins de 73.987 personnes travaillaient dans ces zones, ce qui représente 3,3% de la population active de la région. C’est aussi la principale source de revenu pour la région. Les principales entreprises multinationales viennent en effet s’y implanter ou s’y fournir. La majorité (89%) des compagnies présentes dans ces zones franches sont détenues par des investisseurs étrangers. Toujours en 2004, le montant investit par ces compagnies atteint 4,29 milliards de pesos, soit près de 71 millions d’euros.

Avantages fiscaux

Ce qui attire ces compagnies ? Les privilèges très particuliers – et très avantageux pour elles – qui régissent ces zones. Ainsi, un locataire d’une zone franche d’exportation aux Philippines bénéficie notamment :

  • d’une liberté d’investissement
  • d’une exemption de taxe sur les bénéfices valable 8 ans. Raison pour laquelle certaines changent de nom régulièrement.
  • d’une absence de taxe sur les importations d’équipements, de fournitures ou de matières premières
  • une déductibilité de 50 % des dépenses relatives à la formation des travailleurs et du management
  • des procédures douanières simplifiées

Bas salaires et précarité d’emploi

En outre, certaines entreprises reçoivent une aide financière de l’Etat. Mais comme si tous ces privilèges ne suffisaient pas, ces entreprises viennent également chercher une main d’œuvre extrêmement « bon marché ». Les travailleurs n’y gagnent généralement pas plus de 223 pesos (3,5 €) pour une journée de 8 heures de travail. Les plus grosses entreprise paient en général plus que le salaire minimum et leurs travailleurs peuvent alors gagner entre 5,2 € et 6,4 € par jour. Selon une étude publiée par le Congrès Philippin des Syndicats (TUCP) en septembre 2005, 40 % des entreprises d’habillement basées dans une zone franche d’exportation rémunèrent leurs travailleurs en-dessous du salaire minimum légal.

De plus, le pouvoir d’achat qu’offrent ces salaires, même basés sur le minimum légal, ne cesse de diminuer à cause de l’inflation qui n’est pas prise en compte. Avec un tel salaire, ces travailleurs et travailleuses ne peuvent louer qu’un lit dans des chambres communes de 3 m sur 4m dans des maisons d’hébergement. Les plus chanceux sont en capacité de louer une chambre individuelle.

Mais les problèmes dépassent le niveau de vie qu’ « offrent » les faibles salaires dans les entreprises des zones franches d’exportation. Les conditions de travail y sont particulièrement pénibles. Les travailleurs sont par exemple obligés de prester des heures supplémentaires pendant les périodes de pic de production. En cas de refus, ils sont tout simplement renvoyés et perdent donc leur faible source de revenu. Les travailleurs sont évidemment remerciés pour ces heures supplémentaires. Remerciés, oui, mais pas payés !

Une autre source d’insécurité pour les travailleurs vient de la précarité de leur contrat. Ils sont soit engagés via une « agence » soit engagés pour une période déterminée, variant généralement de 10 mois à un an. À la fin de leur contrat, ils peuvent être engagés dans une société sœur. Puis, en cas de diminution de la production, les travailleurs sont tout simplement mis en congé forcé ou renvoyés.

Problème de santé

L’énorme pression exercée sur les travailleurs ainsi que les conditions de travail pénibles ont évidemment un impact sur leur santé. Fièvres, problèmes pulmonaires ou vertiges sont assez répandus. Dans le secteur électronique, les travailleurs peuvent en outre souffrir d’allergies et de cancer de la peau. Pourtant, certaines compagnies ne fournissent aucune aide médicale (médicament gratuit, prise en charge des frais de clinique) à leurs travailleurs.

Pas de liberté d’association

Enfin, pas question pour les travailleurs de former des syndicats et encore moins d’organiser une grève pour revendiquer une amélioration de leur condition. « Zone franche d’exportation » rime avec « paix sociale » aux Philippines, même si cette « paix » se fait au détriment du droit de tous les travailleurs de s’organiser et de négocier collectivement. Ces droits, édictés par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), ont pourtant été octroyés à tous les travailleurs Philippins par la ratification des conventions de l’OIT par le gouvernement Philippin ainsi que par la Constitution des Philippines.

Au contraire, intimidation, harcèlement, dessous de table ou encore licenciements abusifs sont quelques-unes des pratiques dénoncées dans un dossier écrit par la « Confédération Internationale des syndicats libres » et 2005. Les auteurs y dénoncent le recours systématique à l’ordonnance restrictive temporaire comme moyen pour retarder le processus de certification des syndicats. Ces ordonnances temporaires auraient tendance à devenir permanente selon le congrès philippin des syndicats (TUCP). Autre tactique, la mise en place de comités de gestion des travailleurs. Dans ce cas, les représentants de tra
vailleurs sont désignés par … la direction !

Des SMS pour contrer l’exploitation!

Pour contrer ces stratagèmes antisyndicaux, le Congrès Philippin des syndicats utilise des SMS. Lors du premier contact d’un travailleur avec une organisation syndicale, le travailleur est invité à communiquer son numéro de portable. L’utilisation de cette technologie permet en effet de faciliter les échanges d’informations entre permanents syndicaux, membres, volontaires et organisations partenaires.

À l’heure où le recrutement et la mobilisation (spécialement dans les zones franches d’exportation et spécialement des jeunes travailleurs) deviennent extrêmement difficiles, les syndicats doivent en effet jouer sur l’innovation et la créativité. L’utilisation des nouvelles technologies en est une ; le travail en réseau avec le département du travail, les autorités des zones franches et d’autres organisations non-gouvernementales en est une autre. Le TUCP a, par exemple, mis sur pied avec d’autres l’« association des inspecteurs sanitaires » qui entreprend des vérifications annuelles d’entreprises, y compris dans les zones franches, afin d’évaluer le respect des règlementations sanitaires. Étant donné que 75% de la main d’œuvre des zones franches d’exportation sont des femmes, les syndicats philippins du textile et de l’habillement se centrent sur des enjeux spécifiquement liés aux femmes, comme les droits de la femme enceinte, les maladies professionnelles ou encore les congés de maternité. Cette porte d’entrée spécifique permet de toucher un nouveau public. Enfin, un syndicat a développé un service emploi. Pour lui, il ne faut plus se contenter de lutter pour préserver des droits pour aider les travailleurs. Il faut aller plus loin. Aller jusqu’à créer des emplois.

La Campagne Vêtements Propres

La campagne Vêtements Propres veut contribuer à améliorer les conditions de travail et à renforcer les organisations de travailleurs dans l’industrie de la confection textile. Elle mène des actions alliant la mobilisation des travailleurs à la pression des consommateurs et des citoyens sur les entreprises et les autorités publiques.

La Campagne Vêtements Propres vise en outre à responsabiliser les multinationales vis-à-vis de leurs propres chaines de production, de leurs fournisseurs et de leurs chaines de sous-traitance. Elle exige l’adoption d’un code de conduite et d’un système de vérification multipartite, c’est-à-dire un système de vérification qui s’appuie sur une concertation entre des représentants des employeurs, des travailleurs et d’ONG. Il s’agit de renforcer les organisations de défense des travailleurs par l’instauration d’un dialogue social là où il n’y en a pas.

Les entreprises gèrent de manière plus ou moins sérieuse  ce « risque d’image ». Ce n’est évidemment pas suffisant. La question du respect des droits des travailleurs et des moyens qui y sont accordés doit devenir centrale au sein de l’entreprise. La Campagne Vêtements Propres vise alors à faire modifier les pratiques d’achats identifiées comme les causes principales des violations des droits des travailleurs. Les engagements pris dans les codes de conduite doivent être suivis de faits et d’impacts concrets.

À l’occasion de Jeux Olympiques 2008, l’occasion est belle de promouvoir de meilleures conditions de travail dans l’industrie des équipements de sport. C’est la raison pour laquelle la campagne Vêtements Propres a lancé la campagne « JO Propres 2008 » dans laquelle elle a développé des demandes précises envers l’industrie du sport, le Comité International Olympique et le Comité Olympique Interfédéral Belge ainsi que les gouvernements. Ces demandes sont disponibles sur www.jopropres.be.

Sources :

  • SPFTC, Desperate condition of workers in ecozones in Cebu. Philippines ; 2008.
  • CISL, Zones franches Philippines : des SMS pour contrer l’exploitation. Le Monde syndical, n°14. Novembre 2005.
  • BASA, OFRENO, SERRANO, Philippines texiles : A collapsing industry Ander globalization. University of the Philippines School of Labor and Industrial Relations. Philippines; 2006.
  • www.vetementspropres.be