fbpx
Oxfam-Magasins du monde

Education au commerce équitable : l’évolution du concept de partenariat Nord/Sud

Analyses
Education au commerce équitable :  l’évolution du concept de partenariat Nord/Sud

Education au commerce équitable :  l’évolution du concept de partenariat Nord/Sud dans l’éducation au développement menée au Nord 
Aujourd’hui, les ONG belges comme le pouvoir politique insistent sur l’importance de donner aux partenaires Sud un rôle plus actif dans le champ de l’éducation, et non pas uniquement un rôle de témoin ou de bénéficiaire. Cette analyse a comme objectif de mieux situer le contexte et les enjeux de cette volonté de partenariat Nord-Sud en éducation au développement (ED). Nous verrons les raisons qui poussent les ONG en Belgique –mais aussi ailleurs en Europe- à repenser la place de leurs partenaires Sud dans leur stratégie d’ED. Nous essaierons aussi de voir quelles sont les spécificités qui concernent particulièrement les organisations de commerce équitable. Nous proposerons enfin quelques recommandations pour Oxfam-Magasins du monde dans sa stratégie éducative avec ses partenaires Sud. Précisons que nous n’étudierons que le partenariat pour des activités menées au Nord et non le soutien par des ONG du Nord à des projets éducatifs menés dans le Sud.

Une nouvelle place pour le Sud dans un monde globalisé

Pendant longtemps et jusqu’à la fin des années 1990, les partenaires Sud des ONG ont été peu présents dans la conception de projets ou d’outils d’éducation au développement menés par les ONG du Nord. Ils étaient bien sûr cités comme bénéficiaires des projets, mais rarement associés dès le départ à la conception d’un outil ou d’une campagne d’éducation. Leur intervention se limitait souvent à des témoignages lors de leur venue en Europe, à l’occasion d’événements organisés par les ONG. [[highslide](1;1;;;)
Iteco a étudié, entre 1996 et 1999, 135 projets de partenariat N/S en ED, au sein de l’UE. Cette étude a abouti à l’élaboration d’une typologie des projets de partenariat Nord-Sud en éducation au développement, qui se limitait aux 5 catégories suivantes : échanges scolaires, voyage découverte, promotion d’actions socio-politiques, promotion du commerce équitable, et promotion ou valorisations culturelles. L’étude constatait qu’il y avait peu de projets d’échange méthodologique entre ONG. Pour plus d’informations, voir www.iteco.be
[/highslide]]
Mais ces dix dernières années, l’éducation au développement évolue vers une plus grande implication des acteurs du Sud. Cette évolution trouve notamment son origine dans la mondialisation, qu’elle soit économique ou culturelle, mais aussi dans la manière dont les ONG envisagent les relations avec leurs partenaires.

« Le monde est un village »

Avant de devenir le titre d’une émission de radio, cette expression avait été utilisée par le sociologue Marshall McLuan en 1967. Selon lui,

les moyens de communication audiovisuelle modernes (télévision, radio, etc.) et la communication instantanée de l’information mettent en cause la suprématie de l’écrit.

Dans ce monde unifié, où l’information véhiculée par les médias de masse fond l’ensemble des micro-sociétés en une seule, il n’y aurait désormais plus qu’une culture, comme si le monde n’était qu’un seul et même village, une seule et même communauté

où l’on vivrait dans un même temps, au même rythme et donc dans un même espace.

Cette prophétie s’est en partie réalisée, et même accentuée grâce à l’émergence d’internet. Ce phénomène peut évidemment avoir un impact sur la manière dont on organise une campagne. Les publics visés ne sont plus nécessairement cantonnés exclusivement à une zone géographique, mais peuvent s’étendre à des communautés d’individus partageant les mêmes intérêts, même s’ils ne se connaissent pas et s’ils habitent à des milliers de km de distance.

L’influence du mouvement altermondialiste

Le mouvement altermondialiste a influencé la vision que le Nord portait sur les acteurs de la société civile au Sud. Le premier Forum Social Mondial a vu le jour au Brésil, et s’est ensuite reproduit un peu partout dans des pays du Sud, avec des succès variables. De ce mouvement sont nées quelques initiatives visant à plus de synergies Nord/Sud pour rendre le monde plus juste.
Ainsi, Via Campesina a joué un rôle important dans la participation des mouvements paysans du Sud dans des actions de pression politique et de sensibilisation sociale. Les forums alternatifs, organisés en parallèle aux conférences internationales des Nations Unies ou des institutions financières, ont également renforcé l’idée que les ONG du Nord et du Sud doivent agir de manière concertée à travers des réseaux nationaux, régionaux et internationaux. Il est évident que le rôle des pays émergeants a aussi joué un rôle considérable dans ces synergies entre acteurs du Nord et du Sud. Les mouvements sociaux en Inde ou au Brésil sont très actifs et bien organisés. Ils parviennent à agir et à se faire entendre malgré un contexte socio-politique marqué par l’injustice et les inégalités. Leurs membres ont en général un bon niveau d’éducation, et utilisent les nouvelles technologies pour mobiliser et faire connaître leurs combats.

Dans une invitation à un séminaire sur les pratiques de partenariat Nord/Sud en ED organisé par Acodev [[highslide](2;2;;;)
ACODEV est la fédération des ONG belges francophones et germanophones actives dans le domaine de la coopération au développement.
[/highslide]] en 2010, on peut lire ceci : [[highslide](3;3;;;)
Note d’intention pour le séminaire sur les pratiques de partenariat Nord/Sud dans le volet Nord – 11 mai 2010
[/highslide]]

Les frontières s’estompent, les cadres évoluent. Le Nord et le Sud ne sont plus deux entités distinctes. Le partenariat Nord/Sud a un impact dans le Nord mais aussi dans le Sud, et inversement. Avec des interventions « décloisonnées », les ONG visent la conscientisation et la mobilisation d’une société civile mondiale pour un changement social vers plus de solidarité internationale. (…) Mais cet agenda commun n’empêche pas une certaine répartition de fonctions : les ONG du Sud s’orientent vers la mobilisation et « l’autonomisation » des groupes les plus exclus, les ONG du Nord se centrent sur des campagnes de pression politique pour changer le cadre du mal-développement du Nord et les politiques des pays industrialisés qui perpétuent des relations Nord-Sud injustes.

Cette vision idéale d’un village globalisé a toutefois ses limites. On sait bien-sûr que la technique ne suffit pas à gommer les différences, et qu’un même message envoyé par internet ne sera pas compris de manière identique en Afrique, aux Etats-Unis en Europe ou en Chine. On sait aussi que le fossé numérique est encore immense entre pays riches et pays pauvres, et que l’accès à internet ne suffit pas : encore faut-il être capable de lire, de comprendre et de devenir acteur de ce monde globalisé.
L’idée de décloisonnement Nord/Sud et de coresponsabilité n’est pas encore acquise dans les mentalités, dans nos structures et se reflètent encore moins dans les mécanismes de financement belges ou européens où les actions doivent se classer selon des objectifs pour le Nord ou des objectifs pour le Sud.

Les spécificités de l’ED dans le mouvement du commerce équitable

Cet intérêt pour des échanges plus importants entre Nord et Sud concerne aussi les organisations de commerce équitable. Oxfam-Magasins du monde s’inscrit dans cette tendance et veut associer certains de ses partenaires à un travail de réflexion sur une nouvelle stratégie de partenariat éducatif. Mais voyons d’abord les constats qui ont mené de plus en plus d’organisations de commerce équitable à s’interroger sur la place de leurs partenaires dans leurs pratiques éducatives :

L’éducation au développement, une composante essentielle du commerce équitable

Le commerce équitable ne peut se passer de l’éducation au développement, sans laquelle il risque de perdre son âme politique. Comme le dit Angelo Caserta, consultant pour plusieurs ONG et spécialiste de l’éducation au développement, si les organisations de commerce équitable mettent trop l’accent sur la politique des ventes, leur discours deviendra de plus en plus simplificateur et ne dira rien sur les causes des inégalités Nord-Sud, ce qui déforcerait l’objectif final de rendre les relations Nord-Sud plus égalitaires. Mais le commerce équitable a forcément besoin des ventes et des outils de marketing qui l’accompagnent, sans quoi il perd de sa crédibilité en tant qu’alternative économique [[highslide](4;4;;;)
Voir l’article « Les deux âmes du commerce équitable » d’Angelo Caserta, Antipodes n°161-162, juin-septembre 2003.
[/highslide]].
Cet équilibre entre les dimensions commerciale, éducative et politique du commerce équitable doit bien entendu impliquer aussi les partenaires-producteurs. On peut espérer qu’une plus grande synergie entre les projets d’éducation au développement au Nord et au Sud donne plus de sens à l’ensemble de la démarche du commerce équitable menée tant au Nord qu’au Sud. Mais cela doit s’inscrire aussi dans un processus, tant les contextes socio-économiques du Nord et du Sud sont différents, ce qui implique aussi des outils et des méthodes différentes, même si l’objectif final de l’ED est le même, à savoir de mettre en place [[highslide](5;5;;;)
Extrait du référentiel de l’éducation au développement adopté par les ONG du GTED, le groupe rassemblant les ONG belges francophones actives dans le domaine de l’ED. Pour plus d’infos, voir http://www.cncd.be/Referentiel
[/highslide]]

un processus qui vise à provoquer des changements de valeurs et d’attitudes sur les plans individuel et collectif en vue d’un monde plus juste, dans lequel ressources et pouvoir sont équitablement répartis dans le respect de la dignité humaine.

Du côté des partenaires du Sud, l’ED est en général loin d’être une priorité. Selon Angelo Caserta, leur première préoccupation est de mieux survivre dans ce système que par le changement de ce dernier. C’est compréhensible, puisqu’ils ont des besoins immédiats à satisfaire. Mais, en même temps, le fait que les causes des injustices mondiales ne soient pas prises en compte ni questionnées réduit la possibilité d’obtenir des effets à long terme. Cela dit, beaucoup de partenaires d’Oxfam-Magasins du monde sont impliqués dans des plates-formes nationales ou régionales visant à promouvoir les valeurs du commerce équitable. Certains vont plus loin, en encourageant l’implication politique de leurs membres [[highslide](6;6;;;)
Citons par exemple la politique éducative d’Aj Quen au Guatemala qui encourage ses membres producteurs à s’engager en politique, avec la volonté que les personnes formées agissent politiquement au niveau local ou national.
[/highslide]].
La tension entre les exigences commerciales, politiques et éducatives du commerce équitable reste un défi qui concerne tant le Nord que le Sud.

La mauvaise connaissance entre partenaires du Nord et du Sud – les malentendus

En 2003 déjà, Angelo Caserta dénonçait le fait que [[highslide](7;7;;;)
« Les deux âmes du commerce équitable », article d’Angelo Caserta paru dans Antipodes (Iteco), juin 2003
[/highslide]]

les activités de sensibilisation sur le commerce équitable en Europe sont conçues, organisées et réalisées sans participation significative des groupes de producteurs. (…) Les producteurs ont un rôle marginal dans la phase de conception. Dans les meilleurs cas, ils sont vus ou bien comme ressources sur le fond, comme ceux qui apportent des informations sur la situation locale, ou alors comme des témoins venant confirmer le bien fondé du commerce équitable en racontant des histoires qui soutiennent les objectifs des activités et donnant un visage aux campagnes, qui resteraient autrement anonymes. Rares sont les cas où les producteurs peuvent jouer un rôle plus actif, par exemple, décider ensemble, avec leurs contreparties dans les pays économiquement développés, sur les thèmes, les stratégies, les méthodologies, les publics-cible. Il arrive aussi qu’on ne leur demande pas de vérifier si les messages qui parlent d’eux, de leurs vies, de leurs attentes, véhiculés par les organisations du commerce alternatif, correspondent à ce qu’ils voudraient ou voulaient dire.

Même si des efforts significatifs ont été mis en place ces dernières années afin de favoriser les échanges entre partenaires du Sud et du Nord au sein du mouvement du commerce équitable, il faut bien constater qu’il reste des malentendus ou des problèmes de communication. Souvent, on croit bien se connaître. Mais les mots qu’on utilise n’ont pas nécessairement la même signification. Ainsi, lors d’une campagne dénonçant les pires formes de travail des enfants dans les plantations de cacao menée en 2010, Oxfam utilisait l’expression « esclavage », sans se rendre compte de la portée historique et symbolique de ce mot pour son partenaire ivoirien Kavokiva. Cette discussion autour d’un mot n’est pas anodine et reflète à quel point la perception d’un même phénomène peut varier selon qu’on le regarde du Nord ou du Sud.
Mais ces difficultés de compréhension dépassent de loin le champ de l’éducation au développement. Parfois, c’est la notion même de partenariat qui n’est pas comprise de la même manière. Cette anecdote [[highslide](8;8;;;)
Extrait des actes de la rencontre internationale sur l’éducation au commerce équitable, Artisans du monde.
[/highslide]] racontée par Jean-Baptiste Cavalier, ancien responsable projet chez Artisans du Monde [[highslide](9;9;;;)
Artisans du Monde est un réseau de distribution du commerce équitable en France, qui veut défendre une vision engagée du commerce équitable.
[/highslide]], en dit long :

Lors d’une de ses visites en France, Artisans du Monde a demandé au représentant d’une organisation de producteurs péruvienne avec laquelle nous travaillons depuis 20 ans, de nous parler du partenariat avec Artisans du Monde. Cette organisation est l’un de nos principaux fournisseurs. Nous le considérons également comme notre partenaire et le présentons comme tel dans nos documents de communication. Nous lui avons demandé « considérez-vous Artisans du Monde comme un partenaire ? ».
Question a laquelle il a répondu : « le partenariat est une notion très importante. Cela implique qu’il existe des perspectives de travail en commun. Aujourd’hui, nous n’avons pas de relation directe avec Artisans du Monde. Nous ne savons rien de votre organisation. » (Gedion Fernandez, CIAP).
Cette remarque qui peut paraitre étonnante venant d’une organisation avec laquelle nous travaillons depuis vingt ans est en même temps assez représentative de la vision déformée que nous avons du partenariat. Ainsi, si d’un coté Artisans du Monde présente les organisations de producteurs comme « ses partenaires du Sud », de l’autre, les organisations de producteurs connaissent souvent mal Artisans du Monde. Soit elles ne connaissent que la centrale d’achat (Solidar’Monde) qui achète leurs produits, soit lorsqu’elles nous connaissent, elles voient le réseau des boutiques Artisans du Monde uniquement comme le principal lieu de débouchés pour la vente de leurs produits et non comme un « partenaire » privilégié ».

Ce malentendu sur la notion de partenariat peut s’expliquer par le type de relation qu’entretiennent les organisations importatrices du Nord avec leurs « partenaires » du Sud. Dans une étude sur le partenariat d’Artisans du monde et de sa centrale d’achat Solidar’Monde publiée en 2010 [[highslide](10;10;;;)
Voir Christophe Maldidier, « Les relations entre « Artisans du Monde » et les producteurs des pays du Sud : une éthique relationnelle est-elle envisageable ? », Cah Agric, vol. 19 • N° spécial 1 • mars 2010.
[/highslide]], Christophe Maldidier constate que le recours croissant à l’achat de produits équitables via des centrales d’achats au sein d’EFTA, une association regroupant dix organisations européennes importatrices de commerce équitable, a comme conséquence de rendre la relation plus distante avec les partenaires-producteurs.
Ainsi, l’auteur observe un décalage entre les critères du commerce équitable établis par des coupoles comme EFTA et la réalité du terrain vécue par les producteurs :

les organisations du commerce équitable imposent des valeurs et des critères qui n’ont pas de légitimité au niveau des groupes locaux. Le problème est que les organisations de producteurs peuvent chercher à se conformer à l’image projetée sur elles par le Nord, par peur de perdre des opportunités commerciales. D’où un décalage entre les projets que le Nord cherche à susciter ou soutenir chez les producteurs du Sud et les véritables dynamiques collectives dans lesquelles ces derniers s’inscrivent.
Une seconde difficulté provient du fait que les organisations, au Nord comme au Sud, sont soumises à une tension permanente entre l’aspect économique et les questions de défense et de promotion d’un projet collectif global. Ainsi, Artisans du Monde doit arbitrer entre deux logiques contradictoires dans le choix de ses relations : privilégier les liens avec les organisations s’investissant fortement dans la défense d’intérêts collectifs et d’un projet de société, correspondant à des grosses organisations faîtières ; ou favoriser des liens plus directs avec des groupes sociaux plus désavantagés et plus locaux, autour de réalisations plus liées à la production et à l’échange. »

En 2004, Coprogram, la fédération des ONG belges néerlandophones actives dans la coopération au développement, a mis sur pied un groupe de travail regroupant des représentants d’ONG du Nord et du Sud, avec comme ambition de poser les jalons d’une société civile internationale pouvant lutter de manière cohérente contre les dérives de la mondialisation néolibérale. Dans ses conclusions, le groupe propose aux ONG du Nord d’adopter des stratégies intégrées avec leurs partenaires Sud dans les domaines des activités politiques ou de sensibilisation, des relations interpersonnelles, des finances, des contrats, des structures… Pour atteindre cet objectif, il prône d’abord un changement d’attitude : que les ONG du Nord cessent de penser à la place du Sud et de présenter leurs partenaires de manière idéalisée ; que les ONG du Sud cessent de voir leurs partenaires du Nord comme des bailleurs de fonds. Leurs relations doivent se fonder sur les notions de respect mutuel, de réciprocité, d’ouverture, de participation et de confiance.

Des relations entre partenaires parfois déséquilibrées

La relation entre les partenaires Nord et Sud peut être biaisée si elle installe une forme de dépendance. C’est ce qui ressort d’une étude commandée par le GSED, le Groupe Sectoriel d’Education au Développement, qui rassemble les ONG membres d’ACODEV actives dans l’ED [[highslide](11;11;;;)
Concepts, méthodologies et critères de l’éducation au développement en Communauté française, étude du GSED, Acodev, 2006.
[/highslide]] :

L’un doit rendre des comptes a celui qui, même s’il ne détient pas forcément le savoir, garde le pouvoir de dire « oui » ou « non ». Sans parler de la situation de celui qui ne se retrouve que rarement en position de donner et si souvent en position de recevoir ou de demander. La réciprocité du don (donner – recevoir – rendre) est biaisée et contribue à cette relation supérieur / inferieur.

Ce constat devrait toutefois moins concerner les organisations de commerce équitable, qui visent justement à établir une relation commerciale basée sur l’égalité, dans la ligne du slogan « Trade, not aid », et qui ne financent pas des projets de développement. Mais la complexité du commerce équitable, c’est justement qu’il veut imbriquer les dimensions commerciales avec les dimensions politiques et éducatives.
En mai 2011, lors d’une rencontre avec des partenaires du Sud organisée à l’occasion des 40 ans d’Oxfam Wereldwinkels, organisation sœur d’Oxfam-Magasins du monde en Flandre, Chino Henriquez, un responsable de la coopérative Apicoop (Chili), insistait sur la notion de « coresponsabilité » dans le partenariat entre organisations de producteurs et d’importateurs du commerce équitable. Il regrettait le fait de ne pas pouvoir s’investir dans un mouvement comme Oxfam, et peser sur certaines décisions de l’organisation. Ce type de partenariat pourrait, selon lui, aboutir à une réelle relation de confiance basée sur un principe d’égalité. Selon Chino Henriquez, les relations qu’il a nouées avec certains bénévoles d’Oxfam sont plus enrichissantes que celles avec l’organisation en elle-même, qui se limitent trop à une relation « client – fournisseur ».
Dans le même ordre d’idées, Christophe Maldidier constate un double phénomène dans l’évolution de la relation entre Artisans du Monde et ses partenaires Sud :

D’une part, on a assisté à une tendance à l’éloignement des producteurs, à la dépersonnalisation des relations, au renforcement de l’asymétrie dans les relations Nord-Sud, thèmes qui, du fait du développement de la certification (Renard, 2006), ont aussi été mis en évidence dans le secteur alimentaire équitable. Mais, d’autre part, des expériences, encore limitées à quelques filières, montrent qu’il est possible de construire des relations plus négociées entre le Nord et le Sud, et qu’une telle pratique peut devenir le fondement distinctif d’un réseau associatif comme Artisans du Monde. Les modalités pour rassurer l’éventuel acheteur sur le caractère équitable des filières Artisans du Monde viendraient alors moins de labels privés ou publics, que de la confiance qu’inspire une démarche reposant à l’évidence sur une forte éthique relationnelle.

Cette « forte éthique relationnelle », pour reprendre l’expression de Christophe Maldidier, consiste notamment à favoriser des relations personnalisées avec les partenaires commerciaux importants, afin de les associer à un processus d’amélioration de la relation commerciale (qualité des produits, délais, informations, types d’appui au design,…), dans le cadre d’objectifs communs et dans une logique d’engagements réciproques. Même si cette recherche d’une relation équilibrée entre acteurs du commerce équitable du Nord et du Sud est d’abord basée sur une vision « commerciale », elle influence la perception mutuelle et la manière de travailler ensemble. La définition de ce qui est juste et équitable devient progressivement objet d’une négociation. Ce processus de rapprochement avec certains producteurs peut aussi toucher les bénévoles des magasins, que ce soit au travers de voyages collectifs de bénévoles ou dans la coparticipation à des projets concrets [[highslide](12;12;;;)
Citons à cet égard les relations qu’entretiennent certains Wereldwinkels en Flandre avec des partenaires Sud.
[/highslide]].

Des recommandations pour Oxfam-Magasins du monde

Avant de se lancer dans un partenariat éducatif Nord/Sud, il est important de répondre à quelques questions essentielles. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive et est sans doute assez spécifique à Oxfam-Magasins du monde. Nous pensons malgré tout qu’elles peuvent alimenter la réflexion d’autres organisations de commerce équitable souhaitant mener des partenariats éducatifs Nord/Sud.

Apprendre à bien se connaître et à établir une relation d’égalité

On a vu à quel point des malentendus peuvent se créer entre partenaires du Nord et du Sud…
Certains mouvements du Sud ne connaissent pas toujours bien les organisations du Nord et les considèrent encore trop fréquemment comme seulement des bailleurs de fonds [[highslide](13;13;;;)
Note de Coprogram « Un autre partenariat est possible et… requis d’urgence !» (2004)
[/highslide]]. A l’inverse, les organisations du Nord pensent que leurs partenaires du Sud n’ont pas envie de s’impliquer davantage dans les champs de l’éducation ou du politique.
Pour éviter ces écueils, il faut apprendre à mieux se connaître et promouvoir tant que possible une relation d’égalité. Comme le disait Annemie Demedts, directrice de COPROGRAM, en introduction du séminaire sur l’ED et partenariat Nord/Sud, si on encourage le décloisonnement entre Nord et Sud, cela implique aussi

de permettre à nos partenaires de nous interpeller sur la manière dont nous travaillons au Nord.

 L’importance du choix des partenaires

Le choix du partenaire n’est évidemment pas à laisser au hasard. Il vaudrait mieux choisir une association déjà partenaire, ce qui permet une facilité de contact et une confiance mutuelle favorisée par une expérience commune.
Ce choix de développer plus de synergies éducatives avec un ou plusieurs de nos partenaires ne devrait pas dépendre de la nature de la relation commerciale avec ces derniers. Ainsi, certains partenaires pourraient devenir des « partenaires éducatifs » à côté de partenaires plus « commerciaux ».
Pour aller plus loin dans cette démarche, examinons les critères de choix d’un partenaire éducatif :
Il est important de choisir un partenaire qui soit motivé par des actions d’éducation au développement qui seront développées principalement en Belgique. Il sera important de ne pas créer de malentendus à ce sujet : même si le partenariat éducatif peut avoir comme impact secondaire le renforcement des activités d’éducation au développement du partenaire, il n’en n’est pas l’objectif principal.
Il faut aussi se poser la question de la thématique sur laquelle nous voulons travailler ensemble. Certains partenaires ont une expérience intéressante par exemple dans le domaine de l’agriculture paysanne, du genre, de la lutte contre les discriminations envers les minorités…
Enfin, il y a la question du public. Si par exemple nous voulons nous adresser à une communauté immigrée en Belgique dans le cadre d’un projet d’ED, il peut être intéressant de chercher un partenaire du pays d’origine de cette communauté.
Enfin, il faut se poser la question de la réciprocité : que « gagne » et qu’ « offre » chaque partenaire dans la relation ? Au-delà de l’aspect financier, quelle plus-value tire l’association partenaire de cette action commune ? Ces questions doivent être posées dès le début de la relation et font partie intégrante de la mise en place de l’action de partenariat.

Un agenda commun et une répartition des rôles

De plus en plus d’ONG insistent sur l’établissement d’un agenda et de programmes politiques communs avec leurs partenaires du Sud. Pour autant que l’envie soit partagée !
Coprogram, la fédération des ONG de coopération au développement en Belgique néerlandophone, insiste sur la répartition des rôles d’un partenariat Nord/Sud en ED [[highslide](14;14;;;)
Note de Coprogram « Un autre partenariat est possible et… requis d’urgence !» (2004)
[/highslide]]:

(…)Il est vraiment urgent de mieux intégrer les activités que nous menons dans le Nord (éducation, campagne, travail politique) et celles menées dans le Sud (programmes avec les partenaires). Cela ne signifie pas une intégration complète (c’est-à-dire permanente et dans toutes les actions) : l’objectif global final du partenariat doit être réparti, mais les objectifs spécifiques peuvent varier au Nord et au Sud.

Une approche segmentée de nos partenaires Sud

Comme nous l’avons vu précédemment, nous pouvons développer des relations de partenariat éducatif ou de sensibilisation à géométrie variable, selon les intérêts communs et les opportunités. Pour le moment, nos partenaires sont davantage des personnes ressources qui interviennent dans notre démarche d’éducation. Nous les invitons à témoigner lors de « vins –fromages », c’est-à-dire à des conférences locales. Ils témoignent régulièrement devant des élèves membres de JM (groupe jeunes d’Oxfam dans le secondaire) ou devant les bénévoles (lors des « journées partenaires »).
Notre intention est d’impliquer nos partenaires comme acteurs, et de les inclure dès la conception de projets éducatifs dans lesquels les rôles et les objectifs de chacun devraient être précisés. Avant de penser à travailler ensemble, il faut d’abord apprendre à mieux se connaître et à mieux cerner les attentes de part et d’autre. C’est pour cela qu’un premier séminaire « partenariat éducatif » aura lieu en juin 2012 (voir ci-dessous).

Conclusion

Les éléments ci-dessus constituent une première piste de réflexion pour les ONG souhaitant s’interroger sur leur démarche de partenariat éducatif et politique. L’ambition, sur du long terme, est de renforcer cet aspect de notre partenariat avec les acteurs du Sud.
C’est à cet effet qu’un séminaire partenariat-éducation aura lieu au mois de juin 2012. Il se veut être une première étape pour réaliser un état des lieux des zones d’action de nos partenaires en matière de campagne et d’éducation et d’établir des zones d’intersection possibles. Dans le futur, des missions et un autre séminaire seront organisés afin de poursuivre la démarche.
Roland d’Hoop
Service éducation