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Kavokiva : une réponse aux effets de la libéralisation du marché du cacao ivoirien

Analyses
Kavokiva : une réponse aux effets de la libéralisation du marché du cacao ivoirien

Crise économique et plans d’ajustement structurel

La Coopérative Agricole Kavokiva de Daloa (CAKD) est née en 1999, année du lancement officiel du processus de libéralisation du secteur du cacao ivoirien prôné par les plans d’ajustement structurel imposés par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale à un Etat incapable de rembourser sa dette extérieure.
Conséquence directe : alors que l’Etat intervenait jusqu’alors dans ce domaine, les prix du cacao (comme ceux du café un an plus tôt) ont dorénavant été fixés par le marché. Cette libéralisation forcée du marché a plongé de très nombreux agriculteurs ivoiriens dans une situation clairement défavorable. La plupart d’entre eux ne disposent pas d’information sur les prix et n’ont pas la possibilité d’emprunter des fonds, et dépendent donc directement d’intermédiaires commerciaux peu scrupuleux. Ces derniers se trouvent au contraire dans une position de force : ils ont facilement accès à des capitaux et à des moyens de transport et sont mieux informés que les paysans sur l’évolution des prix offerts dans les ports d’exportation pour le cacao et le café. Autre facteur important qui renforce la position des intermédiaires : ils entretiennent des contacts entre eux afin de fixer ensemble les prix offerts aux producteurs, dans le but d’obtenir le profit le plus important possible.
[highslide](La Cote d Ivoire,  le pays des extremes;La Cote d Ivoire, le pays des extremes;;;)Depuis l’indépendance acquise en 1960, la Côte d’Ivoire a traversé les situations extrêmes, du miracle économique des années 1960 et 1970 à l’effondrement des décennies suivantes. De la stabilité politique et sociale qui a prévalu jusqu’aux années 1990 à une situation de forte instabilité qui a culminé avec la guerre civile de 2002. De la grande richesse de quelques habitants des grandes villes à l’extrême pauvreté des populations des bidonvilles et des campagnes.[/highslide]
Au niveau de l’évolution de la production agricole, les contrastes sont tous aussi spectaculaires. Selon les statistiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la surface consacrée à la culture du cacao est passée de 260 000 hectares en 1961 à 1,9 million d’hectares en 1995. Soit quasiment le double de la superficie de la Belgique. Dans le même temps, la production a crû de 80 000 tonnes à 1,4 million de tonnes. La Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial de cacao en 1978, lorsque sa production a dépassé celle de son voisin ghanéen. Ensemble, la Côte d’Ivoire et le Ghana produisent 59% du cacao du marché mondial.
En s’unissant et en créant Kavokiva, les producteurs ont voulu apporter une réponse à cette situation.
Grâce à son action sur toute la chaîne, de la plantation au port, la coopérative peut offrir des prix plus élevés aux producteurs et garder la plus grande partie des bénéfices au sein de la coopérative.

Kavokiva, « laissez-nous nous unir »

Le nom de Kavokiva, qui signifie « laissez-nous nous unir », résume bien la philosophie à l’origine d’une coopérative qui a été créée afin d’améliorer la situation sociale et économique de ses membres, via le soutien à la production de cacao et de café et la commercialisation de ces produits. Au-delà de la production et de la vente, l’objectif de Kavokiva est d’apporter des solutions concrètes dans des secteurs où l’Etat s’est retiré et où le marché a échoué à assurer le bien-être des populations locales.
Actuellement, la coopérative compte pas moins de 6 000 membres (pour 600 à sa création). Toutefois, un millier d’entre eux, dont les terres se situent dans la zone contrôlée par les rebelles du Nord [[highslide](1;1;;;)Depuis l’accord de paix intervenu en 2003, le pays est divisé en deux : le Nord est contrôlé par les Forces Nouvelles de Guillaume Soro devenu Premier ministre en 2007, tandis que les forces gouvernementales sont présentes dans le Sud. 8 000 soldats des Nations Unies contrôlent la zone intermédiaire[/highslide]], ont malheureusement dû interrompre leur activité agricole. Les membres de Kavokiva sont regroupés dans 45 sections et cultivent au total 20 000 hectares de café et de cacao. La capacité de production de cacao est d’approximativement 15 000 tonnes, dont un quart est vendu par Kavokiva, en grande partie dans le circuit du commerce équitable et, dans une moindre mesure, à des exportateurs travaillant selon les règles du commerce conventionnel.

Les investissements dans l’enseignement et les soins de santé

Conformément aux recommandations de la Banque Mondiale et du FMI, les investissements du gouvernement ivoirien dans les services sociaux ont été considérablement réduits. Cette politique d’austérité budgétaire a touché de plein fouet les secteurs de l’enseignement et des soins de santé.
La quasi-absence de l’Etat dans ces deux secteurs a des conséquences graves sur le plan social, mais aussi sur le plan économique. En effet, des analphabètes peuvent facilement être trompés par les intermédiaires. Un mauvais état de santé limite la productivité du travail et les agriculteurs sont obligés de limiter leurs investissements pour garder des économies destinées à payer d’éventuels soins de santé.
Si les agriculteurs préfèrent vendre leur production à des intermédiaires qui paient en liquide, plutôt que de vendre à crédit à la coopérative, c’est en partie parce qu’ils ont besoin d’argent liquide pour payer les frais de scolarisation de leurs enfants. Le début de l’année scolaire coïncide d’ailleurs avec le début de la récolte du cacao.
Dans ce contexte, il est indispensable pour Kavokiva d’investir dans l’enseignement. La raison d’être des écoles financées par la coopérative est d’encourager les enfants à étudier à un prix abordable et près de chez eux. Ces écoles sont souvent des constructions en bois branlantes avec un toit en feuilles, qui ont partiellement été remplacées par des constructions plus solides. La coopérative s’occupe aussi du matériel scolaire et intervient dans la rémunération d’un enseignant. Le matin, ce sont les enfants qui vont à l’école. L’après-midi, c’est au tour des adultes qui souhaitent apprendre à écrire et à compter.
L’enseignement n’a pas seulement un effet positif sur le développement des enfants. C’est aussi un moyen efficace de lutter contre le travail des enfants !
La santé de la population est une autre grande priorité de Kavokiva, ce qui s’est entre autres concrétisé par des séances d’information sur le VIH-SIDA et par le creusement de puits. De plus, grâce aux revenus générés par le commerce équitable, un petit centre médical est en construction près de l’entrepôt et du siège de la coopérative, dans le centre de la région de Gonaté. Les membres de Kavokiva pourront y recevoir des soins de santé de base à un prix démocratique. Enfin, la coopérative mène en ce moment une étude visant à évaluer la possibilité d’instaurer une assurance maladie.

Kavokiva et l’environnement : lutter contre la déforestation

La forêt tropicale primaire de Côte d’Ivoire a souffert durement de l’extension de la surface cultivable. Les raisons de la déforestation massive sont à chercher du côté des autorités, mais aussi dans le fait qu’il est économiquement plus rentable pour les agriculteurs de remplacer la forêt primaire par des plantations de café et de cacao.
Alors qu’il ne reste aujourd’hui presque plus de forêt primaire dans le pays, les plantations continuent de s’étendre sur les limites des quelques parcs naturels. Il est même fréquent que les agriculteurs s’installent dans les parcs naturels, parce que l’Etat n’a ni les moyens (ou la volonté) de les protéger, ni d’alternative économique à proposer à une population rurale appauvrie. La perte de biodiversité qui en résulte est énorme. Exemple symbolique de cette évolution dramatique : l’éléphant, dont l’ivoire a donné son nom du pays, a aujourd’hui disparu de Côte d’Ivoire.
La réponse de Kavokiva à cette situation environnementale est à la fois directe et indirecte :

  • Directe, dans le sens où la viabilité économique des exploitations travaillant avec la coopérative ne doit pas nuire aux rares aires boisées qui subsistent dans la région. Kavokiva a d’ailleurs retiré son soutien aux paysans qui se sont installés dans le parc naturel de Marahoué. De plus, depuis trois ans, 400 producteurs participent à la conversion de 1 200 hectares de plantation à l’agriculture biologique. Il ne s’agit pas d’une entreprise facile en Côte d’Ivoire, où les maladies et épidémies touchant les plantes sont nombreuses, mais la coopérative considère qu’il est important d’essayer de développer cette filière.
  • Indirecte, via l’application de mesures économiques qui servent à protéger l’environnement. D’abord, Kavokiva finance chaque année à hauteur de 75% le renouvellement des plants de cacao sur 500 hectares de plantation. Les plants vieux et affaiblis, devenus peu productifs et pour lesquels les agriculteurs doivent utiliser beaucoup d’engrais et de pesticides, sont remplacés par des variétés plus récentes et améliorées. Celles-ci fournissent une production plus importante, avec pour conséquence une diminution de l’emploi d’engrais. Ensuite, et cela peut sembler contradictoire à première vue, la coopérative finance l’achat des engrais et des pesticides dont ont besoin les producteurs, avec l’objectif de maintenir plus longtemps à un certain niveau la production des arbres vieillissants.

Ensemble, ces mesures, définies par un comité que préside un membre du conseil d’administration, veillent à la fois à la viabilité économique des plantations et à ce que les agriculteurs ne soient pas tentés de quitter leur terre pour s’installer sur des aires de forêt tropicale non cultivée.

La politique cacao d’Oxfam-Magasins du monde et Oxfam-Wereldwinkels

Oxfam-Wereldwinkels a actuellement une expertise très forte sur le cacao, afin de mettre le cacao, avec le café, au cœur de son travail politique sur l’agriculture. Oxfam-Magasins du monde partage, appuye et relaye les actions entreprises par son homologue néerlandophone.
Car, le cacao partage plusieurs points communs avec d’autres ressources agricoles vendues sur les marchés internationaux : une surproduction, des prix bas et instables, peu ou pas d’organisation des producteurs, et une forte concentration des sociétés multinationales actives dans le secteur. Le cacao est un parfait exemple pour illustrer les déséquilibres caractérisant le commerce international des matières premières agricoles.
Un des problèmes centraux du secteur du cacao provient de l’énorme dépendance des producteurs et des pays exportateurs par rapport aux revenus générés par les matières premières agricoles. En 2002, le cacao représentait plus de 30% des revenus totaux d’exportation de la Côte d’Ivoire et 25% de ceux du Ghana. Pour diminuer cette dépendance, une solution peut venir de la diversification des activités, tant de manière horizontale que verticale. Par la diversification horizontale, les paysans peuvent s’orienter vers d’autres cultures ou même d’autres activités que l’agriculture. Par la diversification verticale, les producteurs n’exportent plus des produits bruts, mais se chargent de la transformation de ceux-ci. Ceci est plus facile à dire qu’à faire, d’autant plus que l’instabilité et le faible niveau des prix ne permettent pas de couvrir complètement les risques liés à la diversification.
La chaîne du cacao est très complexe. A ses deux extrémités, on trouve d’une part un grand nombre de petits agriculteurs qui produisent du cacao et, d’autre part, un grand groupe de consommateurs de chocolat. Le chemin parcouru par le cacao entre les producteurs de cacao et les consommateurs de chocolat, qui passe par les commerçants locaux, les exportateurs internationaux, les transformateurs, les fabricants de chocolat et les supermarchés, se caractérise en revanche par une forte concentration. En effet, dans chaque maillon de la chaîne, on ne trouve que quelques entreprises multinationales. En outre, les activités de ces multinationales sont dans de nombreux cas intégrées sur tout le long de la chaîne, ce qui leur donne un pouvoir de marché énorme, qui s’exerce sur des millions de producteurs généralement pas ou peu organisés.
C’est pourquoi dans les prochaines années, Oxfam-Wereldwinkels s’efforce de faire entendre la voix aux producteurs marginalisés dans la chaîne de production. Pour ce faire, un travail est mené à plusieurs niveaux :

  • Un effort est réalisé en vue de renforcer la capacité des partenaires qui produisent du cacao, tant en ce qui concerne leur capacité de production que la préservation de l’environnement et leur participation au processus de négociation des prix.
  • Dans le travail de plaidoyer, l’accent est mis sur les producteurs marginalisés, de manière à insister sur la nécessité d’aboutir à des accords internationaux plus justes dans le domaine des matières premières agricoles. Oxfam-Wereldwinkels demande à ce que des mesures de régulation du marché soient définies au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce. De telles mesures devraient inclure des instruments de maîtrise de l’offre, une assistance technique et un soutien financier aux producteurs, la mise à disposition d’informations sur le marché des matières premières agricoles. Quant aux autorités belges et européennes, elles doivent soutenir la construction de réseaux dans le Sud, afin de renforcer le pouvoir de négociation des pays exportateurs et des producteurs.

Défis majeurs et réponses concrètes

Comme on a pu le voir dans cette brève présentation de ses activités, la coopérative Kavokiva apporte des solutions concrètes à un grand nombre d’agriculteurs ivoiriens et à leur communauté, dans un contexte social, économique, politique et environnemental particulièrement difficile. Par ailleurs, concernant le contexte, pour saisir l’importance d’une telle initiative, il ne faut pas perdre de vue le cadre économique international dans lequel s’insère le commerce d’une matière première agricole comme le cacao. Le cas de Kavokiva montre donc bien ce que peut apporter le commerce équitable aux producteurs marginalisés et à leur communauté, particulièrement lorsque l’Etat manque à ses obligations vis-à-vis de la population et que la dérégulation et les pratiques commerciales déloyales envahissent l’espace laissé vacant par les pouvoirs publics.
Face à l’ampleur et à la multiplicité des défis, Kavokiva parvient, grâce aux revenus et à l’organisation générés par le commerce équitable, à donner des réponses concrètes sur différents plans, qui concernent le présent et l’avenir d’une population rurale marginalisée par les pratiques du commerce international conventionnel, alors que son activité agricole alimente précisément un marché international sur lequel certains grands acteurs commerciaux génèrent des revenus considérables.
François Graas
Service Politique

Pour plus d’infos

Analyses d’Oxfam-Magasins du monde “Agriculture et commerce équitable”