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Oxfam-Magasins du monde

Kuapa Kokoo, des mesures concrètes contre les pires formes de travail des enfants

Analyses
Kuapa Kokoo, des mesures concrètes contre les pires formes de travail des enfants


En 2009, au Ghana, Kuapa Kokoo était audité par FLO-CERT, organisme indépendant de certification du commerce équitable, et se voyait retirer temporairement sa certification. En cause ? Des cas recensés de travail des enfants dans les zones d’activité de Kuapa Kokoo et le manque de directives adéquates en la matière.
Depuis Kuapa Kokoo a récupéré sa certification grâce à la mise en place d’une série de mesures. C’est pour s’en rendre compte qu’Oxfam-Magasins du monde a organisé une mission chez Kuapa Kokoo en juillet 2010, dans la région de Kumasi au Ghana.

Kuapa Kokoo, Union nationale d’associations villageoises

Kuapa Kokoo est née des suites de la politique gouvernementale de libéralisation du marché interne du cacao annoncée au Ghana en 1992. Inquiets de leur sort, quelques cultivateurs décidèrent de former leur propre organisation, de manière à participer directement au marketing interne du cacao.
C’est donc en 1993 qu’a débuté Kuapa Kokoo, coopérative de cultivateurs de cacao, avec 22 associations villageoises de producteurs [[highslide](1;1;;;)en anglais « Farmer societies »[/highslide]] représentant 22 villages. Elle compte aujourd’hui 45 000 membres organisés en 1300 associations villageoises de toutes les régions cacaoyères du Ghana excepté la Volta, soit 52 districts cacaoyers au total. Cette Union de cultivateurs dispose d’unités spécialisées dans ses différents domaines d’action : une branche commerciale, une association qui gère les projets mis en œuvre grâce à la prime de commerce équitable (voir ci-dessous), une union d’épargne et de crédit et deux entreprises de fabrication de chocolat dans lesquelles Kuapa Kokoo est l’actionnaire majoritaire.
Kuapa Kokoo Farmers Union, la maison-mère, est organisée de manière démocratique à différents niveaux :

  • Dans chaque village, un comité de 7 personnes élues gère chacune des 1300 associations. Une personne est également élue comme intermédiaire d’achat et de vente de leur cacao ;
  • Au niveau de chacun des 52 districts, un conseil exécutif est élu par les associations membres ;
  • Au niveau national, l’Assemblée Générale des délégués, composée de 2 représentants de chaque association villageoise, 1 homme et 1 femme, discute et décide des politiques principales de l’union avant toute mise en œuvre. Cette assemblée élit un Conseil Exécutif national composé de 20 personnes qui sont ensuite réparties dans les conseils exécutifs des autres unités du groupe.

Kuapa Kokoo : une organisation de commerce équitable

Partenaire d’Oxfam-Magasins du monde, Kuapa Kokoo est une organisation de commerce équitable, certifiée par Fairtrade Labelling Organizations International (FLO, dont Max Havelaar est le membre belge). En tant que tel, elle bénéficie, lorsqu’elle vend à des clients du commerce équitables, d’un prix minimal garanti fixé par cet organisme et d’une prime de commerce équitable qui lui permet la réalisation de projets communautaires, décidés par les membres.
Cela implique le respect des standards internationaux de commerce équitable que Kuapa Kokoo a choisi d‘imposer à l’ensemble de ses membres et sur la totalité de sa production. Un véritable défi quand on sait que l’organisation ne vend que 5 à 6% [[highslide](2;2;;;)Ce chiffre pourrait monter à 10% avec les prochaines ventes au géant britannique du chocolat Cadbury, qui a décidé d’acheter du cacao équitable pour sa barre chocolatée « Dairy milk ».[/highslide]] de son cacao sur le marché du commerce équitable et qu’elle ne dispose donc pas de grands moyens pour maintenir les standards de commerce équitable pour l’ensemble des groupes. Question de priorité pour Kuapa Kokoo !
Jusqu’à aujourd’hui, la prime équitable a permis la mise en œuvre de projets dans les domaines de la santé et de la sécurité, du bien-être des communautés (puits à pompe, cliniques mobiles, construction de toilettes,…), le renforcement économique et social des membres (moulins à maïs, extracteurs d’huile de palme, formations en fabrication de savon,…) et l’éducation (construction d’écoles, projet de sensibilisation au commerce équitable avec des écoles ghanéennes et anglaises,…).

Zoom sur une des 1300 associations villageoises, la « Bipoa Society »

A la périphérie de la ville de Kumasi, l’association de producteurs de cacao du village de Bipoa regroupe 56 membres, presque tous des femmes. Nicholas, responsable du département recherche et développement de Kuapa Kokoo (qui abrite le bureau sur le travail des enfants), nous accompagne. Il y a 12 ans, les productrices se sont regroupées sous l’impulsion de Kuapa Kokoo pour s’organiser et récupérer le contrôle des revenus de leur production, jusque-là entre les mains de leurs maris. Moyennant des frais d’enregistrement et une cotisation mensuelle, chaque membre participe aux réunions mensuelles et à des projets communs, livre son cacao à l’association et bénéficie de ses activités et de l’appui de Kuapa Kokoo. La culture du cacao reste quant à elle une activité individuelle ou familiale.
Pendant la réunion que nous tenons sous un arbre, les membres expliquent : « depuis la création de la Bipoa Society, nous avons amélioré notre savoir-faire pour le séchage du cacao et notre gestion, grâce à des formations […], nous avons également acquis plus d’autonomie dans le contrôle et la gestion des bénéfices de la vente de notre cacao et une meilleure capacité de négociation avec les acheteurs qui, auparavant trichaient aisément sur les prix ou quantités». Toutes les femmes sont d’accord pour affirmer qu’elles ont maintenant les ressources financières nécessaires à la prise en charge de leur famille et à l’éducation de leurs enfants, même en cas de décès du mari. Leurs enfants vont régulièrement à l’école. Un système de solidarité entre membres permet de faire face à des imprévus et Kuapa Kokoo leur accorde également des prêts. Un prêt équivaut à quelque 113 euros [[highslide](3;3;;;)200 cedis[/highslide]] et est accordé pour 6 mois à un membre. A la fin de la période, il doit payer 30% d’intérêts qui alimentent le fonds social de Kuapa Kokoo et la caisse d’épargne du groupe. A Bipoa, le fonds a entre autres aidé à la construction de toilettes. En général, les membres utilisent 75% de leur prêt comme fonds de commerce individuel – pour acheter des biens à Kumasi et les vendre au village ou inversement – et mettent les 25% restant en commun pour cultiver du manioc et produire du savon. Le bénéfice de ces activités collectives alimente la caisse de solidarité de l’association.

Le travail des enfants au Ghana et la politique nationale

Au Ghana, l’exploitation des enfants dans les plantations familiales de cacao est monnaie courante. Pour les pays producteurs et transformateurs et les consommateurs de cacao, c’est devenu une préoccupation majeure. De nombreuses initiatives internationales se sont ainsi développées pour tendre vers une filière du cacao durable, ce qui inclut l’élimination des pires formes de travail des enfants [[highslide](4;4;;;)Voir analyse, Le goût amer du chocolat pour les enfants[/highslide]].
Désireux d’aller dans ce sens, le gouvernement ghanéen a mis en place, depuis 2006, un programme national pour l’élimination des pires formes de travail des enfants [[highslide](5;5;;;)NPECLC : Voir le site officiel www.childprotection.gov.gh[/highslide]]. Avec pour ambition d’éliminer les pires formes de travail des enfants dans le secteur du cacao d’ici 2011 et de contribuer à leur élimination dans les autres secteurs de l’économie d’ici 2015.

  • Plus précisément, le programme vise à:
  • Améliorer la base de connaissances sur les pires formes de travail des enfants
  • Renforcer le cadre légal
  • Mobiliser les communautés
  • Développer et mettre en œuvre des interventions
  • Promouvoir l’éducation de base universelle
  • Développer et mettre en œuvre des interventions qui réduisent le besoin à la base du travail des enfants
  • Développer les capacités institutionnelles et techniques pour s’attaquer effectivement au travail des enfants.

Le gouvernement a publié une liste exhaustive de travaux dangereux pour les enfants dans le secteur du cacao. Elle n’est certes pas encore légalement contraignante mais a le mérite de tracer des limites claires. D’autres instruments internationaux comme la convention 138 de l’OIT sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et la convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant sont reconnus par la loi nationale ghanéenne.

La situation chez Kuapa Kokoo

En tant qu’organisation certifiée équitable par FLO, Kuapa Kokoo respecte les standards internationaux en matières sociales, économiques et environnementales. Elle prend donc extrêmement au sérieux les questions de développement des enfants et de leur protection contre l’exploitation par des adultes comprises dans ces standards et pour lesquels FLO-CERT entreprend des audits rigoureux.
Mais sans dispositifs appropriés, difficile de garantir ce qui se passe effectivement sur le terrain. C’est d’ailleurs ce qu’un audit de FLO-CERT, en août 2009, a montré en mettant en évidence certains cas de travail d’enfants et un manque de procédures adéquates. Le certificat équitable de Kuapa Kokoo a donc été temporairement suspendu, le temps pour Kuapa Kokoo de prendre les mesures correctives nécessaires. Pendant cette période, les relations entre FLO et Kuapa Kokoo n’étaient pas rompues mais l’organisation n’était pas autorisée à signer de nouveaux contrats avec le label équitable.
Saisie de la situation, l’Assemblée générale a donc décidé qu’il fallait élaborer et mettre en œuvre une politique de lutte contre le travail des enfants et affecter une partie de la prime du commerce équitable à des mesures de protection des enfants et à des réponses à leurs besoins éducationnels. Ce travail s’est fait en consultation avec le Ministère de la jeunesse et du travail.
Attachée aux principes de protection des enfants à travers toute sa chaîne de production, Kuapa Kokoo n’en défend pas moins la position que la participation d’enfants au travail de la ferme peut contribuer à leur socialisation et à leur développement, par l’apprentissage d’un métier. Il est cependant essentiel de s’assurer que les enfants ne travaillent pas pendant les heures d’école et ne sont pas affectés à des activités dangereuses, qui seraient nuisibles à leur développement [[highslide](6;6;;;)En fonction de la liste établie par le ministère. Voir également l’analyse Contre le travail des enfants ?[/highslide]].

Les mesures prises par Kuapa Kokoo

Au-delà du travail de conscientisation déjà entamé, Kuapa Kokoo a engagé, suite à l’audit, un consultant pour élaborer un système de contrôle et organiser rapidement un atelier pour élaborer un plan stratégique. La période de suspension a donc été mise à profit pour développer un système de contrôle interne [[highslide](7;7;;;)KKICS : Kuapa Kokoo Internal Control System[/highslide]] destiné à surveiller et promouvoir le respect des standards de commerce équitable à tous les niveaux de l’organisation. Il implique non seulement des contrôles internes réguliers dans les fermes des membres mais aussi une formation continue pour assurer une bonne compréhension des principes du commerce équitable par les membres. Il permet une proactivité dans l’identification des risques et des problèmes. Les mesures nécessaires sont prises avec les communautés et peuvent mener à une suspension d’un membre dans les cas extrêmes.
Kuapa Kokoo accompagne également les associations villageoises dans l’identification des besoins de la communauté et l’élaboration de plans d’actions communautaires allant de la promotion d’une éducation pour tous les enfants à la mise en place d’activités génératrices de revenus. Les micro-crédits accordés par Kuapa Kokoo allaient déjà dans ce sens.
La formation met un accent particulier sur les questions de santé et de sécurité des enfants ainsi que sur la manipulation de produits chimiques et la lutte contre les pratiques dangereuses pour les jeunes. Tous les fermiers utilisent en effet des fertilisants – pas toujours organiques – et des traitements contre les maladies dont sont victimes les cacaoyers. Leur impact négatif sur le bon développement physique des enfants n’est plus à prouver. Ce travail de conscientisation a déjà touché 10.000 membres dans 10 districts.
Vu les limitations des ressources financières, un programme pilote est mis en place avec 28 associations de producteurs dans 4 districts cacaoyers. Dans chacun de ces districts, un groupe de travail communautaire est mis en place pour former les associations du programme pilote à l’identification des cas, à la remédiation et à la réhabilitation des victimes. Cette équipe rapporte tout cas identifié aux autorités compétentes tout en engageant un dialogue avec les communautés concernées.

Conclusion

Depuis janvier 2010, Kuapa Kokoo a récupéré la certification de commerce équitable qui lui avait été retirée temporairement. Et pour cause ! L’organisation s’est attelée de manière très sérieuse aux problèmes qui avaient été soulevés par l’audit de FLO-CERT. Elle a en effet consacré des moyens importants, tant humains que financiers pour mettre en place un système et des structures de contrôle interne aussi efficaces que possible.
En outre, Kuapa Kokoo a également décidé de s’atteler à la prévention, par la sensibilisation, l’appui à la scolarisation des enfants et le développement d’activités génératrices de revenus pour les familles. Le programme pilote d’identification de cas, de remédiation et de réhabilitation de victimes est amené à être progressivement étendu à tous les districts.
Valérie Vandervecken,
Partenariat Sud