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L’agriculture bio regénérative de Farm for Good

2023 Analyses
L’agriculture bio regénérative de Farm for Good

Comment faire évoluer les systèmes agricoles et alimentaires vers plus de durabilité ? C’est le type de question que se pose chaque jour Clotilde de Montpellier, agronome et co-fondatrice de l’asbl Farm For Good. Cette jeune initiative vise l’accompagnement des agriculteurs/trices belges dans leur transition agroécologique au travers d’une communauté d’échanges de savoirs techniques et le développement de filières pour les grandes cultures. Passage en revue dans cette analyse des différentes facettes des activités de l’asbl.


Quelle est l’idée à l’origine du projet Farm For Good (FFG) ?

Le projet a commencé avec 4 fermes. L’asbl a grandi très vite puisqu’aujourd’hui, 2 ans après, nous en sommes à 30. Les fermes sont du type polyculture (élevage) mais les productions sont diverses, certaines sont en maraichage, d’autres en grandes cultures céréalières. Un dénominateur commun est la surface relativement grande (jusqu’à 200 hectares). Mais cela reste souvent trop petit pour s’ancrer seul dans des circuits à plus grande échelle, tout en étant trop grand pour écouler en circuit court. Tout l’idée du projet est donc de se fédérer et de travailler ensemble sur la création de connaissances, de valeur et de filières.

Votre site internet parle d’agriculture bio regénérative. Que recoupe exactement ce terme ?

Nous parlions à l’origine d’agroécologie. Mais on s’est rendus compte que ce n’était pas toujours clair, notamment en termes d’impacts ou de pratiques. On a aussi remarqué la sensibilité du terme. Quand on est en plein champ et non en circuit court, l’agroécologie peut ne pas être le bon terme. En l’absence de définition claire de l’agroécologie, nous avons repris le concept d’agriculture régénérative en y ajoutant la bio. Cela correspond en fait à ce que l’on appelle de l’agriculture biologique de conservation (ABC, voir encadré), mais en plus compréhensible pour le grand public. Ce qui est sûr, c’est que nos membres, soit en bio soit en agriculture de conservation, arrivaient aux limites de leurs systèmes.

Quel est le niveau de développement de cette agriculture biologique de conservation (ABC) en Belgique ?

Il n’existe pas de communauté ABC en Belgique, c’est pour cela qu’on l’a créée. Certains agriculteurs se lancent mais ils sont très isolés et se cherchent des alliés pour partager entre pairs. Aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs s’intéressent à l’ABC. Mais ils ont besoin d’expérimenter, d’innover et d’échanger pour la mettre en place de manière assurée et consolidée. FFG est donc une communauté qui aide ces pionniers de l’ABC en compilant et en diffusant les résultats, en les faisant valider scientifiquement et en valorisant les productions sur les marchés.


Membres et partenaires de l’asbl Farm For Good

Existe-t-il un réseau académique pour aider ces agriculteurs ?

Nous consultons régulièrement nos partenaires académiques effectivement. Typiquement, notre boussole ABC a été validée scientifiquement par des partenaires universitaires. L’idée derrière cet outil était de se donner des objectifs chiffrés pour l’ABC. On a donc créé cette boussole qui visualise les objectifs des fermes sur 4 dimensions, chacune étant déclinée en 4 indicateurs. L’idée est d’accompagner chaque ferme pour « botoxer » leur profil et arriver dans la zone agroécologique ou ABC. Dans cette zone, on a une ferme qui a réussi sa transition car elle a des sols vivants, une biodiversité, elle est autonome et rentable. En faisant ce diagnostic sur toutes les fermes, on se rend compte des stratégies qu’elles ont mises en place, de leurs forces et faiblesses, c’est un bel outil de communication entre eux. Nous, cela nous permet d’évaluer leur niveau d’avancement dans différents domaines.

Comment se fait la notation sur chaque indicateur ?

On est une asbl sans budget donc on devait être pragmatique. On s’est basé sur des indicateurs existants en France et on a complété avec d’autres systèmes. L’idée est de pouvoir faire l’évaluation en quelques heures avec l’agriculteur ou, si ce dernier utilise un carnet de culture, à le récupérer pour remplir les bonnes cases. C’est donc surtout basé sur les pratiques. Des mesures de sol demandent des budgets donc ce sera plus dans un second temps. Sur cette base, nous travaillons sur les systèmes alimentaires, en se disant qu’il y a vraiment une demande pour trouver dans les magasins des produits issus de l’agroécologie ou en ABC. Quand on s’engage dans le réseau FFG, on signe une charte qui engage aux objectifs de la boussole. Si on mutualise les productions de toutes les fermes, on peut faire des circuits séparés soutenus par la chaine de valeur. L’idée est ici de soutenir économiquement la démarche de transition des fermes du réseau. Elles sont en chemin, mais la démarche va les amener à faire des erreurs, parfois aussi à des baisses de rendements, de prendre beaucoup de temps pour rechercher de l’information. Pendant ces années, on a besoin que ce soit valorisé et mieux rémunéré dans les circuits. On va donc voir les entreprises pour leur demander de soutenir la transition de ces fermes en créant ensemble des filières.


Boussole ABC de Farm for Good : performances agroécologiques de différents types de pratiques agricoles.

Avez-vous mis en place un cahier des charges, avec par exemple des critères de relations commerciales ou de prix juste pour sécuriser cela ? 

Nous sommes en train de développer cela via la création de notre coopérative. Nous avons fait des essais de récoltes sur deux années avec des partenaires. Comme on voit que cela fonctionne vraiment bien et qu’il y a une demande, on va délocaliser toute l’activité commerciale dans une coopérative. Sur base des mesures de la boussole, on crée des filières avec les entreprises. On met en place des mesures sur lesquelles les entreprises peuvent communiquer, par exemple les niveaux de matière organique, de carbone, de biodiversité. C’est du marketing, on est content tant qu’ils arrivent à vendre, il faut juste trouver le bon moyen de communiquer.

Quelles sont les filières développées jusqu’à présent ?

Plusieurs entreprises, petits et plus grosses, qui nous permettent de créer des filières sur de l’orge brassicole, des céréales panifiables, de la moutarde, de la protéine végétale, des lentilles. L’idée est de faire travailler les fermes et les entreprises ensemble. On commence par un petit projet, pour ne mettre personne à risque puis petit à petit on fait des roadmaps avec ces industriels pour pouvoir faire davantage de volumes et attirer d’autres fermes. En fait, dans les circuits de plus grande ampleur, on peut valoriser directement beaucoup de volume et donc de valeur à aller chercher. Les industriels sont beaucoup plus enclins à payer plus cher l’agriculteur dans des circuits industriels que dans des circuits plus petits, où tout est très cher pour le consommateur. Ce qui est beau dans ce modèle, c’est qu’en s’appuyant sur des filières industrielles, on arrive à avoir des prix plus compétitifs pour des plus petits transformateurs. Typiquement sur la moutarde, en créant une filière à plus gros volume avec Bister ou autre, on a à côté de cela des petits artisans qui n’arrivent pas à s’approvisionner en moutarde ABC belge car cela n’existe pas. Personne ne veut créer de projet avec eux car il y a trop de risques pour de trop petits volumes, typiquement 300 kg. Cela implique des coûts de transformation, de logistique et de création de connaissances qui sont énormes par rapport aux tonnes produites. Alors que si on le fait sur base d’un plus gros projet, on peut dire au transformateur qu’une partie des volumes produits lui sera dédiée. On construit comme cela des réseaux territoriaux avec un modèle économique beaucoup plus intéressant. Certaines fermes récupèrent elles-mêmes des volumes, par exemple sur des pâtes, pour faire de la vente directe dans leur ferme. Elles ne doivent s’occuper de rien car la logistique de qualité, tri, stockage, transformation est organisée sur un plus grand volume. Elles s’évitent ainsi de nombreuses heures de travail pour finalement avoir un produit cher qui ne leur permet pas de bien gagner leur vie. Ici on a un système où l’agriculteur vend ses productions à la coopérative, pour récupérer une partie sous forme d’ingrédients plus ou moins transformés pour vendre en vente directe.


Moutarde Bister labellisée Farm for Good

Qui investit dans les infrastructures intermédiaires de tri, stockage, transformation, etc. ?

On travaille avec des partenaires existants, qui sont très demandeurs. Ces maillons intermédiaires ont besoin que l’acheteur suive dans l’achat de matières premières plus chères. Tout la chaine doit se tenir. C’est pour cela que l’on doit aller chercher, dans la chaine de valeur, celui capable de payer une contribution agroécologique, en plus des coûts de production. On va chercher cette contribution où on veut dans la chaine de valeur, à différentes étapes de transformation. Cela peut être le meunier, le boulanger, le biscuitier, le grossiste ou le distributeur. C’est le travail de la coopérative d’aller chercher qui peut payer. Plus on descend la chaine de valeur, plus le surcoût est anecdotique. Sur nos biscuits, c’est par exemple trois cents de plus. Pour le producteur correspondant en amont, avoir 20 euros la tonne en plus change tout son modèle et lui permet de déclencher une transition. On veut des projets qui démontrent cela, qu’on n’est pas dans une « filière de niche et de riche ». Ce qu’on a souvent entendu, c’est que les entreprises qui transforment intègrent les surcoûts et donc diminuent une partie de leur marge, le reste étant répercuté sur le consommateur.

Comment calcule-t-on le prix ? Sur base des coûts de production ?

On a une méthodologie qui nous permet de calculer, par culture, les coûts de production de chacun de nos producteurs. Sur base de cela, on travaille en totale transparence avec les acteurs de la chaine pour négocier et créer le projet. On peut jouer sur les volumes ou les économies d’échelle ou travailler avec des partenaires externes tels que des fondations par exemple pour les premières années. Après, on fait des contrats multipartites avec les différents acteurs de la chaine de valeur et ensemble on fixer les conditions, les prix et les volumes. La moutarderie Bister nous indique ainsi chaque année ses volumes, à temps pour que l’on puisse semer. C’est une filière qui fonctionne très bien et voit sa production de moutarde presque doubler chaque année. C’est une plante intéressante dans l’assolement pour laquelle il n’y a que très peu de valorisation. Grâce à FFG, de nouveaux producteurs s’engagent et apprennent vite à bien produire de la moutarde, pour minimiser les coûts et maximiser les rendements. C’est notre engagement d’asbl envers les entreprises, pour qu’après leur fort soutien initial à la transition des fermes, ces dernières augmentent leurs rendements et diminuent les coûts avec le temps.

Il y aussi des aspects de contractualisation sur la durée ?

L’idée est d’avoir quelque chose de pérenne, le projet de tout le monde étant de soutenir la transition des fermes sur le plus long terme. Il faut mettre en place des mécanismes pour rester connecté au marché tout en étant suffisamment déconnecté pour ne pas être trop sensible aux aléas. Aujourd’hui, il y a des prix qui s’envolent et les entreprises sont demandeuses de relocalisation pour pouvoir les encaisser.

Les structures intermédiaires de transformation sont-elles adaptées à la diversité et l’hétérogénéité des productions agroécologiques ?

Oui car elles testent nos produits. Si on fait des associations de cultures ou des nouvelles variétés, l’idée est qu’elles soient testées et validées et qu’ensemble on trouve l’assolement ou la variété qui serve le système. Si le boulanger a besoin d’un taux de protéine suffisamment élevé pour que sa pâte prenne, il faut y arriver. On a par exemple développé des programmes avec des partenaires scientifiques comme l’UCL pour améliorer la qualité de notre production tout en servant nos besoins agronomiques.

Comment gérer la variabilité, par exemple en protéines, d’une production agroécologique ?

Si le transformateur travaille avec une ferme, cela va être très gênant en effet. Mais avec un réseau, cela va être lissé, on va valoriser sur 25 lots plutôt que sur 5. L’entreprise va devoir aussi s’adapter en fonction de ses approvisionnements. C’est une co-construction et la clef est la communication. Certaines entreprises n’ont par exemple pas besoin d’avoir de taux de protéine élevés car ils font du levain ou de la pâte à tarte. Dans ce cas, cela nous arrange d’avoir une grande variété de fermes pour pouvoir ajuster et contenter tout le monde. Concrètement, on a des cas d’échanges de lots entre fermes. Mais tout cela nécessite de la souplesse logistique, raison pour laquelle on doit créer la coopérative.

Cela suppose l’achat de moyens logistiques et de transport ?

Non, nous sommes pragmatiques, on se concentre sur la création de modèles, sachant qu’il existe déjà des acteurs disposant des infrastructures et qui travaillent très bien. Il faut juste créer une communauté d’acteurs capables de travailler ensemble. Peut-être que dans 2-3 ans, on sera contents d’avoir nos propres silos. Mais ce n’est pas du tout la priorité, qui est plutôt aujourd’hui d’avoir les contrats, les prix, la qualité, un réseau d’acteurs autour de la table et respectueux les uns des autres. Il faut surtout valoriser le travail de nos agriculteurs et inspirer d’autres entreprises. Car beaucoup parlent d’agroécologie mais les agriculteurs n’arrivent pas à s’ancrer dans des projets soutenants.

D’où la notion de chaine de valeur semi-longue pour valoriser les productions de ces fermes de taille intermédiaire ?

Oui car on ne peut pas demander à ce type de ferme d’intégrer toutes les étapes de la chaine. Jusqu’à preuve du contraire, aucun humain ne mange pas de graines de céréales crues ! Dans les productions de tomate et de laitue, c’est beaucoup plus facile de vendre directement à un consommateur. Dans les céréales, il faut travailler avec un meunier ou un boulanger et je ne sais pas si c’est une bonne idée de demander aux agriculteurs de le devenir. Ce sont des métiers différents, c’est difficile et énergivore, le consommateur est exigeant, il veut de la qualité si c’est plus cher, etc.

Avez-vous des critères de sélection des entreprises partenaires ?

Nous sommes jeunes, et n’avons pas encore de grille de critères stricts. Ce dont nous avons besoin, ce sont des gens qui partagent nos valeurs, nos objectifs et l’envie de co-créer. On ne va pas refuser une entreprise, c’est un luxe que l’on ne peut pas se permettre. D’autres acteurs le font dans des circuits plus territoriaux car ils moins d’enjeux de volumes. Nous ne pouvons pas faire les compliqués car c’est complexe de transformer 1000 tonnes de céréales. De nouveau, ce que l’on espère c’est que mettre en place ces filières va permettre de développer aussi les filières territoriales, les acteurs sociaux, les artisans, des flux qui sont notre résilience. Mais notre stratégie est de démarrer la transition avec des plus gros, qui vont récupérer de la valeur et la redistribuer aux agriculteurs. La première année, on s’est directement focalisé sur ces acteurs territoriaux et artisans mais on a commercialisé 20 tonnes de céréales. C’était extrêmement difficile et insoutenable financièrement.

Un label Farm for good est visible sur un produit tel que la moutarde Bister. Quel est son fonctionnement ?

On n’a pas trouvé de meilleur mot que label. Notre moutardier voulait nous faire exister et retracer la matière première. Derrière ce label, il y a les indicateurs de notre boussole et notre cahier des charges de la filière. Nous devrons réfléchir l’année prochaine pour structurer cela de manière plus professionnelle. Aujourd’hui, c’est un peu comme la tête d’un agriculteur sur un paquet de farine artisanale dans un territoire. Ça vaut ce que ça vaut. Tout le monde veut aider les agriculteurs mais la plupart des projets essaient de d’abord régler le problème des métriques, du label, du scorecard, etc. Mais en attendant rien ne se met en place et les agriculteurs produisent chaque année avec des aléas climatiques qui s’enchainent. Et il y a des entreprises qui veulent avancer, qui sont ok de construire des démarches ensemble, sur base de concret, plutôt que de se voir imposé certaines pratiques. L’idéal serait de se baser sur un référentiel et des indicateurs existants, mais il n’y avait rien quand nous avons démarré. Nous, on s’est basé sur la vision des agriculteurs, validé par des universitaires. Tout le travail maintenant est de communiquer avec la région wallonne et autres pour trouver un ajustement ensemble et être sûr que c’est intéressant pour le monde agricole.