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Oxfam-Magasins du monde

Le café paysan du Kivu

Analyses
Le café paysan du Kivu

En 2009, la République Démocratique du Congo (RDC) s’est doté d’une stratégie de relance de la filière du café, qui s’inscrit dans une perspective de dynamisation de l’économie du pays. D’après les conclusions de diverses études commanditées par l’Etat congolais, le contexte international est en effet très favorable au développement de cette filière. Alors que depuis plus d’une décennie la demande mondiale pour le café augmente en moyenne de 2% par an, l’offre mondiale a tendance à stagner. Ce décalage croissant entre l’offre et la demande explique une certaine pression à la hausse des cours mondiaux du café.
Ce contexte est une opportunité unique de pouvoir générer de la richesse en zone rurale grâce à cette culture d’exportation, et permettre ainsi à des milliers de paysans congolais de sortir de manière durable de la pauvreté. En RDC, Oxfam-en-Belgique a choisi d’intervenir au Sud Kivu, région encore ébranlée par des conflits meurtriers. Par le renforcement de l’agriculture paysanne locale, sa volonté est de pouvoir contribuer là-bas au développement de nouvelles perspectives d’avenir, gages d’une paix durable.

Une culture faite pour le Kivu

La région du Sud Kivu présente les caractéristiques idéales pour produire du café arabica de haute qualité. Elle y est prédisposée par la composition de ses sols, un climat tropical chaud et humide, avec une température moyenne annuelle de 15 à 20°c et des précipitations moyennes annuelles de 1.300 à 1.800mm, et un relief montagneux allant de 1.450 à 2.000 mètres d’altitude.
La production du café a toutefois fortement chuté dans la région depuis une vingtaine d’années. Et cela principalement pour deux raisons. D’une part les plantations ont été abandonnées ou déracinées à cause des conflits et de la chute des prix dans le passé. Et les agriculteurs sont incapables de les remplacer faute de moyens. D’autre part, la productivité a énormément chuté ces dernières années. En cause, des plantations mal entretenues et vieilles de 30 à 45 ans, des pratiques agricoles non durables et non respectueuses de l’environnement et un appauvrissement des sols causé par l’érosion, survenue en grande partie suite à la déforestation massive de terres non arables.

En 1989, les exportations d’arabica atteignaient 20.000 tonnes. Mais les superficies exploitables et la production en tant que telle ont fortement décliné à partir de 1990 en raison des troubles qui ont affecté le Kivu. Les exportations officielles sont tombées à moins de 4.000 tonnes en 2003 avant de rebondir récemment (7.000 tonnes en 2008) grâce à l’amélioration des conditions de sécurité dans les régions de production.

Bien que le pays soit en train d’adopter une large réforme du secteur agricole, les producteurs de café du Sud Kivu ne bénéficient ni de mesures de protection et d’encadrement spécifiques pour la production locale, ni d’aide en cas de désastre naturel. Sans aucun appui de l’Etat, ils sont en butte avec toute une série d’obstacles majeurs au développement de la production :

  1. L’insécurité foncière : les petits producteurs peuvent se faire retirer leurs terres à tout moment.
  2. Une faible capacité d’épargne et d’accès au crédit, qui limite les investissements que les producteurs peuvent faire.
  3. Des infrastructures de bases (routes, marchés, dépôts, dispositifs de conservation, etc.) détériorées. Faute d’accès à des marchés urbains et périurbains plus rémunérateurs, les producteurs en sont réduits à vendre leurs récoltes sur pieds à des intermédiaires qui imposent leur prix. L’autre solution est de risquer leur vie en essayant de franchir le lac Kivu pour atteindre le Rwanda où ils tentent de commercialiser leur café à des prix leur permettant de subvenir à leurs besoins.
  4. Le faible accès aux semences et outils de base de qualité
  5. L’insécurité localisée qui rend impossible l’accès à certaines zones agricoles
  6. Un déficit énorme de gouvernance : multiplication des tracasseries administratives, taxation abusive ou illégale, impunité et injustices.

Actuellement, ces différents facteurs rendent la production de café très peu compétitive sur les marchés, alors même que les paysans vendent leur café de qualité à des prix très bas.

Une opportunité pour les paysans

En RDC, les exploitations caféières sont à prédominance paysannes. Près de 95% d’entre-elles ne disposent en effet que de petites parcelles variant à peine entre 0,5 et 3 ha. Rares sont donc les planteurs de café qui peuvent résolument s’inscrire dans des logiques de production agroindustrielles, et tabler sur la seule récolte du café pour assurer pleinement leur subsistance.
Au Sud Kivu, la culture du café constitue pour les producteurs une source de revenus monétaires très importante. Selon les variations des prix du café, elle représente entre 25% et 40% du revenu du ménage et sert pour l’essentiel à financer la scolarité des enfants, à payer les soins de santé, de la nourriture, des vêtements et à couvrir les frais liés à l’habitat.
Notons que le pourcentage du revenu du ménage dédié à l’achat de nourriture est généralement faible (10%). La production de café est en effet le plus souvent associée à d’autres cultures vivrières qui interviennent directement dans l’alimentation du ménage : légumineuses (arachides, soja, petits pois, haricots, etc.), manioc, bananes, palmiers, maraîchage, etc. Cette association de cultures est doublement bénéfique, assurant d’une part la sécurité alimentaire des ménages, et garantissant d’autre part une production de café d’excellente qualité. Le café est en effet une plante qui croît de façon optimale en milieux forestiers, à l’ombrage des arbres et d’autres cultures.

L’afflux massif des réfugiés rwandais en 1994, la présence des troupes armées et des soldats de 14ème brigade des FARDC, notre manière désordonnée de couper les arbres nous ont mis dans des conditions difficiles et incalculables. Dans le temps, le vent soufflait beaucoup, nous avions beaucoup de pluies, de bois pour la cuisson et nos champs produisaient plus avec des produits de bonne qualité. Mais de nos jours c’est le contraire, on remarque une forte chaleur, une irrégularité et instabilité des pluies, la faible productivité du sol, voire même le manque de bois de chauffe pour la cuisson. Pour préparer la nourriture nous devons utiliser les tiges des feuilles de bananier, des tiges de manioc sec ou du bois mort ramassés par-ci par-là. Ainsi, nous sommes dans l’incapacité de connaître le moment propice pour le semis, de restaurer la fertilité des nos champs et par ricochet, d’année en année, notre production ne cesse de baisser.

Témoignage de Rose M’Zagabe, agricultrice de Shanga à Bushwira

Certes, la monoculture du café directement exposée au soleil permet une accélération du processus de maturation, et une augmentation des volumes de productions. Ce qui est gage de revenus plus importants à court terme, en dépit du fait d’avoir alors un café de piètre qualité. Toutefois, ces modes de productions ne séduisent pas les producteurs. D’une part, ils mettent en péril la sécurité alimentaire des ménages en les exposant davantage à la volatilité des prix alimentaires. D’autre part, ils nuisent gravement à la biodiversité et aux équilibres environnementaux, mettant en danger la viabilité des exploitations, et menant à l’achat d’intrants artificiels très coûteux. Enfin, ils nécessitent également de pouvoir puiser abondement dans des ressources naturelles dont l’accès est de plus en plus limité pour les populations locales.

Bio et Equitable !

La région du Sud Kivu est propice à la production de café arabica d’excellente qualité. En outre, la réalité de production impose pratiquement de facto le recours à l’agriculture biologique. Mais, les circuits locaux de commercialisation n’en tiennent pratiquement pas compte. Chaque année, des centaines de caféiculteurs se noient en essayant de traverser le lac Kivu pour rejoindre le Rwanda où ils espèrent trouver de meilleurs acheteurs pour leurs récoltes. La certification biologique et équitable prend ici tout son sens. En permettant aux producteurs d’écouler leur production, elle rémunère vraiment le fruit de leur travail en établissant des liens commerciaux privilégiés. C’est là tout l’enjeu de notre présence au Kivu et du renforcement des capacités d’intervention de nos organisations partenaires.

Vulnérabilité et changement climatique

Le Sud Kivu est l’une des régions les plus densément peuplées en RDC (en moyenne, 71 habitants/ km² en 2007). Elle est par ailleurs soumise à une considérable pression démographique, notamment due aux importants mouvements de populations causés par les différents conflits régionaux. Alors que les terres arables du Kivu montagneux n’occupent que 13 % du territoire, elles regroupent environ 70 % de la population de la région. La densité démographique monte parfois jusqu’à 400 habitants/km² ! Les sols sont donc surexploités, et les producteurs doivent faire face à une faible productivité des sols, voir même une infertilité.
En l’absence de statistiques officielles sur l’impact du changement climatique au Sud Kivu, il est difficile de rendre compte avec précision des effets avérés du changement climatique. Selon de nombreux producteurs, il se manifesterait localement par une augmentation des températures, ce qui, dans la plupart des cas, a un effet négatif sur les rendements, et la modification du régime des précipitations [[highslide](1;1;;;)
Le régime des précipitations est la quantité et fréquence des précipitations.
[/highslide]] qui déstabilise les producteurs dans la planification de leurs cultures. La production est moins prévisible, le risque d’insécurité alimentaire est donc accru.
Les pluies torrentielles, en nette augmentation ces dernières années, constituent toutefois la principale menace pour les producteurs de café, qui y sont devenus particulièrement vulnérables à cause de l’activité humaine intense dans la région. La région étant surpeuplée, collines et terres très inclinées sont soumises à une pression très intense. La déforestation de ces zones est massive pour pouvoir satisfaire aux besoins des populations locales (bois de chauffe, matériel de construction, terres cultivables nouvelles, etc.). Les risques d’érosion sont exacerbés, menant par conséquent à la perte des sols et de leurs substances nutritives. Les plaines sont, quant à elles, plus exposées aux inondations, suites au ruissellement de l’eau de pluie qui n’est plus absorbée par les sols des versants.

Soutenir l’agriculture paysanne

Comme nous l’avons souligné ci-dessus, les défis que doivent relever les producteurs de café pour pouvoir pleinement saisir l’opportunité qui se présente à eux sont multiples et complexes. Ils impliquent la coordination et la mise en œuvre de programmes qui concourent tous au renforcement d’une agriculture paysanne locale. Oxfam-en-Belgique prend part à cet objectif en intervenant de différentes manières.
Au niveau de la production, l’accent est mis sur le partage et la promotion de savoir-faire techniques paysans plus durables, pratiqués par certains producteurs: régénération naturelle des sols, production de fumures naturelles, technique du paillage, luttes biologiques contre les parasites et les maladies, intégration du petit élevage dans les plantations, lutte contre l’érosion des sols, etc. En outre, la production est également soutenue par un programme de renouvellement des plants de café grâce au développement de germoirs et pépinières gérés de façon collective par les organisations partenaires.
Ce soutien à une production plus durable participe directement à la lutte contre les effets du changement climatique au niveau local. Il est renforcé par un travail de sensibilisation des populations aux risques d’érosion et à leurs conséquences, ainsi qu’un travail de promotion du reboisement et de l’utilisation de techniques à faible consommation de bois de chauffe.
Au niveau de la transformation, l’accent est mis sur

  • l’amélioration des pratiques de transformation aussi bien au niveau de l’organisation centrale qu’auprès des producteurs
  • et l’acquisition collective d’équipements adaptés de transformation, tels que des dépulpeuses, dispositifs de séchage, des stations de lavage, des hangars et du matériel (des outils ?) mis à la disposition des planteurs.

Ces dispositifs permettent à la fois d’améliorer et d’accroître la qualité et la valeur de la production.
Au niveau de la commercialisation, les partenariats avec des associations étrangères visent à permettre aux coopératives congolaises partenaires

  • de nouer des contacts commerciaux beaucoup plus rémunérateurs
  • et d’accroître de manière significative les revenus de leurs adhérents.

Par ce biais-là, les coopératives partenaires retrouvent d’elles-mêmes une capacité d’investissement dans les différents programmes qu’elles souhaitent mettre en œuvre.
Au niveau organisationnel, les efforts sont fondamentalement concentrés sur le renforcement des structures décisionnelles, organisationnelles, administratives et commerciales des coopératives partenaires. La disparité ou la faiblesse des niveaux de structuration des organisations paysannes fragilisent leur capacité à gérer leurs projets de façon autonome et à entreprendre des négociations commerciales et politiques qui défendent les intérêts des paysans.
Dans cette perspective, Oxfam veille au renforcement du plaidoyer agricole en faveur de la filière paysanne du café. En s’inscrivant dans des réseaux de coopératives, à l’échelle régionale, nationale et internationale, les partenaires peuvent être présents et actifs afin d’influencer les différents facteurs qui rendent actuellement la production de café si peu compétitive sur les marchés. Concrètement, cela leur permet de contribuer à la réduction des taxes abusives, à la lutte contre la fraude, les obstacles administratifs et la contrebande du café vers les pays limitrophes, à la création de régimes fiscaux plus favorables, etc. L’enjeu est également de faire connaitre le café du Sud Kivu sur le plan international afin d’attirer investisseurs et acheteurs dans la région et ainsi contribuer au renforcement de la filière café dans la région.

Changer l’agriculture congolaise en faveur des familles paysannes

Alors que plus de 65 % de la population congolaise est paysanne et vit exclusivement de l’agriculture familiale, la politique agricole nationale, tout comme les principaux bailleurs internationaux, ne la considèrent pas comme un moteur de développement durable. Sa reconnaissance institutionnelle et politique reste insuffisante.
L’agriculture familiale ne bénéficie par ailleurs pas, ou très peu, d’investissements publics et privés qui permettraient aux paysannes et paysans d’en développer les plus-values.
Face à ce constat, plusieurs organisations belges, en concertation avec leurs partenaires locaux, ont constitué en 2010 l’Alliance AgriCongo. En RDC, son but est d’accompagner et d’appuyer les organisations paysannes dans leurs campagnes politiques et leurs processus de structuration. En Belgique, elle veut peser sur les politiques de coopération dans le domaine agricole pour que celles-ci soient construites en tenant compte des dynamiques paysannes locales et en considérant les organisations paysannes comme des acteurs centraux et incontournables.
Grâce au livre Changer l’agriculture congolaise en faveur des familles paysannes, AgriCongo est d’ores et déjà parvenu à rendre plus visible à différents niveaux le réseau des structures représentatives des différentes organisations paysannes en RDC. Les bases sont dorénavant jetées pour que celles-ci puissent davantage se faire entendre au sein des sphères de décision de l’Etat congolais.

Corentin Dayez, Animateur de campagne