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Les Accords de Partenariat Economique

Analyses
Les Accords de Partenariat Economique

Les négociations actuelles d’Accords de Partenariat Economique (APE) entre l’UE (Union européenne) et les pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) font aujourd’hui couler beaucoup d’encre. Devant théoriquement être signés pour le 31 décembre prochain, ces accords suscitent en effet de nombreuses critiques. Les enjeux, il est vrai, sont énormes. Supposés favoriser une meilleure intégration des pays ACP dans le commerce international et réduire la pauvreté dans ces régions, ils pourraient bien dégrader encore davantage les conditions de vie quotidiennes des populations concernées.

1. LES APE, c’est quoi ?

Les APE sont des accords de libre-échange, actuellement négociés entre l’UE et les pays ACP (77 au total). La Commission européenne insiste pour en obtenir la signature au 31 décembre 2007.
Un « accord de libre-échange » instaure une « zone de libre-échange » entre des pays ou régions, c’est-à-dire une zone au sein de laquelle l’essentiel des échanges commerciaux est libéralisé : la majorité des produits circulent sans obstacles, que ces derniers soient « tarifaires » (taxes) ou « non tarifaires » (autres barrières à l’importation, telles que des réglementations sanitaires, sociales ou environnementales).

2. Pourquoi des APE ?

Les négociations sur les APE s’inscrivent dans le cadre de l’Accord de Cotonou, qui a succédé aux Conventions de Lomé.

A. Les Conventions de Lomé

Les Conventions de Lomé ont régi les relations entre l’UE et les pays ACP entre 1975 et 2000 [highslide](1;1;;;)La Convention signée en 1975 était d’une durée de 5 ans. Elle a ensuite été reconduite à plusieurs reprises.[/highslide] . Elles comprenaient deux volets complémentaires : l’aide au développement et un accord commercial. Ce dernier était caractérisé par des « préférences tarifaires non réciproques » :

  • Les exportations des pays ACP ont un accès privilégié au marché européen : elles sont moins taxées que les produits équivalents provenant d’Amérique Latine ou d’Asie du Sud-Est (principe d’une «préférence tarifaire»);
  • Cet accès privilégié est accordé aux pays ACP de manière unilatérale par l’UE: ces pays ne sont pas obligés d’adopter les mêmes pratiques à l’égard des exportations européennes destinées à leurs propres marchés (principe de la «non-réciprocité»).

B. L’Accord de Cotonou

Visant à « mieux insérer les pays ACP dans le commerce mondial tout en contribuant à l’éradication de la pauvreté », l’Accord de Cotonou réforme radicalement la coopération régie par les Conventions de Lomé, en prévoyant l’instauration d’un nouveau régime commercial devant entrer en vigueur en 2008 : les fameux APE.
Pourquoi instaurer un nouveau régime commercial ? Officiellement, la principale raison invoquée par l’UE est la nécessaire mise en conformité des relations UE-ACP avec les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). En effet, le régime commercial UE-ACP actuel contredit ces règles :

  • La réglementation en vigueur à l’OMC prévoit qu’en principe, des pays développés ne peuvent accorder de privilèges commerciaux à certains pays en développement et non à d’autres;
  • La seule exception en ce domaine s’applique aux PMA («Pays les Moins Avancés»[highslide](2;2;;;)Les PMA sont des pays reconnus comme « handicapés » dans leur développement au regard des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. À ce titre, ils sont reconnus par les Nations Unies comme devant faire l’objet d’une attention spéciale de la part de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement [CNUCED]. La liste des PMA est consultable sur le site Internet de la CNUCED.[/highslide]). Selon les règles de l’OMC, seuls des PMA peuvent en effet bénéficier d’avantages commerciaux non étendus à l’ensemble des autres pays;
  • Or, le groupe des pays ACP comprend une majorité de PMA, mais aussi des pays en développement non PMA;
  • L’UE accorde donc des privilèges commerciaux à certains pays en développement non PMA (des pays ACP) qu’elle refuse dans le même temps à d’autres (pays d’Amérique latine, par exemple), et viole ainsi la réglementation de l’OMC.

Cette violation européenne des règles de l’OMC a fait l’objet de plusieurs plaintes devant l’Organe de différents de l’OMC émanant de pays d’Amérique latine qui se sont sentis commercialement lésés. L’UE a alors obtenu une dérogation de l’OMC pour se mettre en conformité d’ici la fin 2007. Pour ce faire, l’UE avait deux possibilités :

  • Accorder à tous les pays en développement les préférences commerciales qu’elle confère aux pays ACP;
  • Instaurer des zones de libre-échange entre l’UE et les ACP respectant un principe de réciprocité, chacune des deux parties en présence devant alors libéraliser ses importations en provenance de l’autre. L’OMC permet en effet que des pays confèrent à d’autres des avantages commerciaux si elles le sont de manière réciproque dans le cadre de ce type d’accords de libre-échange.

L’UE a choisi la seconde option, en l’occurrence la négociation d’APE. La non-réciprocité des Conventions de Lomé est donc abandonnée. Changement radical, les pays ACP sont désormais obligés de libéraliser leurs frontières aux importations européennes pour espérer continuer à bénéficier d’un accès privilégié au marché européen.

3. Que négocie-t-on dans le cadre des APE ?

Concrètement, l’UE négocie des APE avec les 6 sous-régions de la zone ACP : l’Afrique de l’Ouest (zone CEDEAO), l’Afrique Centrale (CEMAC), l’Afrique australe (SADC), l’Afrique de l’Est (EAC), les Caraïbes (CARIFORUM) et le Pacifique. Région par région, les négociations portent notamment :

  • Sur la couverture de la libéralisation, c’est-à-diresur le choix des secteurs à libéraliser. Tous les secteurs, en effet, ne sont pas concernés, l’OMC stipulant sans plus de précisions que «l’essentiel» des échanges doit être libéralisé. Dans le cadre des APE, l’UE estime généralement qu’il s’agit de 90 % des échanges, avec une asymétrie possible entre l’UE et les pays ACP: l’UE ouvrirait 100% de ses marchés et les pays ACP 80%. D’où la question de savoir quels produits échapperont à la libéralisation des frontières: des produits considérés comme «sensibles» pour le développement économique des pays concernés.
  • Sur le calendrier de la libéralisation. Dans le cadre de la mise en place d’accords de libre-échange, l’OMC parle d’un «délai raisonnable» pour la libéralisation des frontières. La libéralisation se veut donc progressive (10, 15 ou même 20 ans pour certains produits).

4. Tout le monde peut-il y gagner ?

Les entreprises européennes ont globalement de quoi se réjouir d’une signature d’accords de libre-échange entre l’UE et les pays ACP. Elles y trouveront de nouveaux débouchés, et non des moindres : au cours des années 2020, on estime que le marché africain pourrait devenir le second au monde derrière son homologue asiatique.
Les économies nationales des pays ACP, en revanche, ont bien plus à y perdre qu’à y gagner, puisque ces pays bénéficient déjà d’un accès préférentiel au marché européen. En particulier, les PMA bénéficient depuis février 2001 de l’initiative « Tout Sauf les Armes », qui octroie à ces 49 pays un libre accès au marché européen pour toutes les marchandises à l’exception des armes [highslide](3;3;;;)Pour trois produits considérés comme sensibles [banane, riz, sucre], l’ouverture des frontières européennes s’effectue de manière progressive, entre 2005 et 2009.[/highslide] . Lorsqu’elles pénètrent en Europe, ces marchandises ne sont donc ni taxées, ni limitées en volumes [highslide](4;4;;;)Pour autant, les marchandises concernées peuvent évidemment se heurter à un ensemble de barrières non tarifaires.[/highslide] .
C’est clair, dans les faits, la libéralisation prévue dans les cadre des APE concerne surtout l’ouverture des frontières des pays ACP aux importations européennes, pour les produits agricoles comme non-agricoles.

5. Que risquent concrètement les économies des pays ACP ?

Que ce soit dans le domaine agricole ou non-agricole, de nombreuses études d’évaluation d’impact montrent que la mise en œuvre d’APE sous leur forme actuelle présente des risques majeurs pour le développement des pays ACP et de leurs économies. La libéralisation des frontières est notamment susceptible d’occasionner les problèmes suivants :

  • Le remplacement de certaines productions locales ou régionales importantes de pays ACP par des produits européens concurrents. Conséquence: pertes de débouchés, d’emplois, de revenus, dépendance alimentaire accrue, endettement, …
  • Une baisse significative des revenus des Etats ACP. Qui dit «moins de taxes à l’importation» dit «moins de recettes générées par ces taxes»… Conséquence: moins de budget pour toute une série de dépenses, consacrées au développement rural, aux services sociaux de base (santé, éducation, …) ou au remboursement de la dette par exemple [highslide](5;5;;;)Ces risques restent majeurs quel que soit le délai prévu pour la libéralisation des frontières et même si certains secteurs des pays ACP peuvent échapper à cette libéralisation. De même, ce ne sont pas les quelques mesures de protection théoriquement permises à l’OMC pour protéger les marchés intérieurs en cas d’importations massives à trop bas prix [mesures dites de sauvegarde et de sauvegarde spéciale] qui y changeront grand chose. Dans la pratique, ces mesures sont peu accessibles aux pays en développement ou leur sont d’un intérêt assez limité, alors même que ce sont eux qui en ont le plus besoin.[/highslide] .

[highslide](Exemple : les cereales au Senegal;Exemple : les cereales au Senegal;;;)
Au Sénégal, la mise en œuvre, dans les années 80, de politiques d’ajustement structurel du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale a considérablement déstabilisé les producteurs locaux de céréales. Et pour cause : la baisse exigée des droits de douane a ouvert la porte aux importations européennes massives à bas prix, privant ces producteurs de débouchés sur le marché intérieur. Résultat parmi d’autres, le Sénégal est devenu fortement dépendant des importations alimentaires pour nourrir sa population, important près de la moitié de sa consommation céréalière. Et tout cela alors que dans ce pays, l’agriculture occupe pratiquement 70 % de la population, et devrait donc normalement être en mesure de fournir l’essentiel de l’alimentation consommée nationalement.
La signature d’un APE par la Cedeao[Le Sénégal fait partie de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest [Cédéao], qui regroupe au total 15 pays d’Afrique de l’Ouest] aurait pour effet de figer cette situation en éliminant progressivement l’ensemble des taxes prélevées sur les produits agricoles importés.
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6. La signature d’APE est-elle incontournable ?

La Commission européenne insiste régulièrement sur l’idée selon laquelle la signature d’APE constitue une contrainte extérieure objective (obligation de l’OMC) à laquelle il serait impossible de déroger. Pourtant, des alternatives existent bel et bien à la conclusion de tels accords, en particulier dans leur forme actuelle.

L‘une de ces alternatives serait l’introduction dans l’article XXIV du GATT (l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce -un des accords de l’OMC-) [highslide](6;6;;;)Cet article du GATT traite à l’OMC des règles devant s’appliquer à la mise en place de zones de libre-échange.[/highslide] du principe du « traitement spécial et différencié ». Ce principe permet l’octroi de préférences  commerciales non-réciproques de pays développés en faveur de pays en développement. Son introduction dans les règles régissant la mise en place d’accords de libre-échange ouvrirait la porte à des accords de libre-échange UE-ACP accordant aux pays ACP une marge de manœuvre non négligeable pour protéger leurs économies [highslide](7;7;;;)Certes, encore faudrait-il pour de nombreux pays que dans le même temps, l’ouverture des frontières imposée dans le cadre des politiques d’ajustement structurel soient fondamentalement remise en question.[/highslide] .

Quoi qu’il en soit, vu les risques considérables que font peser ces accords sur les économies nationales des pays ACP, il importe de suspendre la signature des APE prévue au 31 décembre :

  • le délai n’est pas acceptable pour permettre aux pays ACP de négocier correctement ;
  • le contenu même de la négociation est à revoir.

Corollairement, il importe de reconnaître et respecter le droit à la souveraineté alimentaire [highslide](8;8;;;)Pour rappel, le droit à la souveraineté alimentaire est le droit des populations, de leurs Etats ou Unions, au Nord comme au Sud, à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis à vis des pays tiers.[/highslide] , qui implique notamment le droit à la protection des marchés intérieurs chaque fois que cela est nécessaire pour garantir des conditions de vie décentes aux populations locales [highslide](9;9;;;)Dans leur mémorandum commun adressé aux mandataires politiques à l’occasion des élections législatives belges de juin dernier, Oxfam-Solidarité, Oxfam-Magasins du monde et Oxfam-Wereldwinkels se sont prononcés sur les APE, appelant notamment à un report de la date butoir de signature et le droit des pays ACP à protéger leurs marchés.[/highslide] .
Stéphane Parmentier
Département Actions/Education




UN SITE A CONSULTER : La campagne « Stop APE » : www.ape2007.org
SOURCES :

  • Glipo A. (2006). Achieving Food and Livelihood Security in Developing Countries : The Need for a Stronger Governance of Imports. ECOFAIR TRADE DIALOGUE Discussion Papers N°2. Heinrich Böll Foundation, Misereor, Wuppertal Institute for Climate, Environment and Energy, 64 p.
  • Hermelin B. (2007). L’OMC est-elle une enceinte de régulation internationale? In Boussard J.-M., Delorme H. (direction). La régulation des marchés agricoles internationaux. Un enjeu décisif pour le développement. L’Harmattan, p. 311-325.
  • Inter-Réseaux (2007). Accords de partenariat économique: Présentation, analyses, points de vue. Grain de sel 39. La revue de l’Inter-réseaux juin-août 2007. Numéro spécial: APE. Inter-réseaux, 40 p.
  • Site Internet d’Oxfam-France Agri Ici: www.oxfamfrance.org

L’ensemble du bulletin 39 d’Inter-réseaux conscaré aux APE est consultable sur le site de l’Inter-réseaux à l’adresse suivante : www.inter-reseaux.org/rubrique.php3?id_rubrique=527