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Oxfam-Magasins du monde

Les Magasins du monde-Oxfam face à la grève générale

Analyses
Les Magasins du monde-Oxfam face à la grève générale

L’appel à  participer  à la grève générale de janvier 2012, envoyé par le comité de direction d’Oxfam-Magasin du monde à son mouvement n’a pas eu beaucoup de succès mais  pose un certain nombre de questions.

Contexte

Décembre 2011, le gouvernement Di Rupo se met en place et décide rapidement de mesures d’austérité qu’un gouvernement en affaire courante ne pouvait pas prendre. Depuis des mois en effet, la politique européenne, face à une croissance économique trop faible,  nous y poussait. Pour tous les secteurs des syndicats, il est temps d’envoyer un signal en annonçant une grève générale le 30 janvier 2012. Une telle action n’avait plus eu lieu depuis 1993.
Une semaine avant, le comité de direction d’Oxfam-Magasin du monde envoyait à toutes ces équipes adultes locales un message proposant « d’envisager la fermeture » du magasin parce qu’il y a « proximité entre l’objet de la grève et nos valeurs de justice sociale ». Proposition était aussi faite de prendre position en affichant sur la porte son soutien.

Lettre envoyée aux équipes le 20 janvier 2012

Lundi 30 janvier, une grève générale est prévue. On le sait, elle vise notamment à interpeller les citoyens et les décideurs sur les enjeux fondamentaux des politiques actuellement mises en œuvre. On ne peut qu’être interpellé par la proximité de l’objet de la grève avec nos valeurs de justice sociale.
Nous ne sommes pas indifférents à cet appel, c’est pourquoi nous vous proposons d’envisager la fermeture de votre magasin pour soutenir les actions de ce lundi 30 janvier.
Malgré un délai court, nous espérons que vous pourrez prendre position en équipe pour décider si vous fermez votre magasin ou pas. Si le lundi est votre jour habituel de fermeture, ou d’inventaire, rien ne vous empêche de prendre position pour afficher votre soutien
Rappel de quelques mesures d’austérité :

  • Allongement de la durée de la carrière
  • Limitation de l’accès à la prépension et à la pension anticipée
  • Accélération de la dégressivité des allocations de chômage sans création d’emploi
  • Diminution de la dotation à la SNCB et à la Poste
  • Allongement du stage d’attente des jeunes
  • Diminution de la norme de croissance du budget des soins de santé
  • Etc.

Si vous décidez de fermer votre magasin, nous vous conseillons de le faire savoir par un avis sur la porte comme par exemple : « Parce que les plans d’austérité imposés aux populations européennes, nous rappellent les plans d’ajustements structurels imposés aux pays du Sud, nous fermons le magasin et soutenons la grève générale. » OU « Parce que les plans d’austérité imposés à nos populations ne visent pas les vrais responsables de la crise, nous soutenons la grève générale en fermant notre magasin ce jour ».
Signé : Le Comité de Direction d’Oxfam-Magasin du monde.

Cette proposition n’a pas eu beaucoup d’échos, ce qui a le mérite d’interpeller sur le partage d’une vision commune au sein du mouvement. Cette analyse veut faire la synthèse des réactions, donner des clés d’analyses à un débat qui est resté inachevé et capitaliser les éléments de compréhension.

Réactions du mouvement

Les bénévoles des équipes locales ont beaucoup réagi à cette proposition. Principalement pour exprimer une opposition ou un malaise.
Certains ont mis en avant l’argument commercial. Faire grève pour une partie, c’est perdre une journée de vente. «Mais que diront nos clients en voyant la porte du magasin fermée ? Pensons d’abord à nos partenaires du Sud qui attendent notre aide !» ou, une autre, pour les magasins de vêtements de seconde main : « Il me semble que, plus que jamais il est important que les magasins Oxfam soient justement ouverts afin de permettre aux plus démunis (ici en Belgique) de faire leurs achats et à ceux qui souhaitent aider les habitants des pays du sud, comme vous les appelez, de les soutenir grâce également à des achats. »
Le temps face au travail à fournir en magasin est l’argument de poids. « Il y a sûrement des points plus efficaces pour notre commerce à mettre à l’ordre du jour, que de s’égarer dans de vains discours politiques. Nous, nous avançons sur notre chemin, vers une société plus juste, plus équitable…simplement humaine. Oxfam nous guide et reste du bon côté dans ce combat. »
« Des bénévoles qui font la grève….c’est une première dans le livre des records ! ». Certains, dans une logique de bénévolat plus fonctionnelle, ne font pas le lien entre bénévoles et citoyens. « Chez Oxfam, je trouve indécent de faire appel à la grève, car le message s’adresse principalement à des « bénévoles », presque tous pensionnés, seniors, qui se dévouent pour un idéal.»
Le bénévole n’établit pas de liens évidents entre austérité au Nord et au Sud. « Cela me gêne beaucoup par rapport à nos partenaires du Sud, et l’argument présenté ne me semble pas adéquat; cette grève est un mouvement de la population belge pour la population belge ; rien d’autre », ou « pour moi, la situation belge n’a rien de comparable avec celle des pays du Sud » ou encore « Il y a bien d’autres moyens d’action. Ce n’est pas le rôle d’Oxfam de conseiller quoi que ce soit, vous sortez complètement de votre objet social. »
Un certain nombre ont réagi sur le moyen d’action face aux mesures d’austérité : la grève. « (…) empêcher des travailleurs de se rendre à leur boulot par des piquets de grève et des barrages sur les axes routiers, pour moi, c’est inacceptable. » ou  « Chacun à sa place ! Ne mêlez pas Oxfam aux luttes syndicales belges nostalgiques des années 60. »
Plusieurs demandent le débat en équipe : « Il me semble qu’organiser une soirée débat pour tous (bénévoles et toutes personnes intéressées) sur les choix de société envers les plus « fragilisés » tant au Nord qu’au Sud serait plus porteur pour faire de nous des citoyens responsables ! » ou « Dommage que cette question n’ait pas été débattue à l’assemblée régionale du 18 janvier, vu que la grève du 30 était annoncée depuis bien longtemps; de plus le délai est trop court pour prendre position en équipe ».
Enfin, beaucoup de réactions sont des éléments de débats. « Je ne suis pas ‘pour’ : il faut de l’austérité si l’on veut que les jeunes générations bénéficient d’une dette allégée, et je pense que l’austérité a été plutôt bien réfléchie que mal réfléchie, même si l’on pouvait mieux faire… » ou « (…) En résumé la grève générale de lundi, je la désapprouve mais qu’Oxfam décide de manifester sa solidarité je suis plutôt pour. » ou  « Nous sommes suffisamment créatifs pour essayer de mettre en route d’autres solutions pour faire fi de toute cette économie qui ne nous convient plus, et dans lesquels nous ne nous retrouvons plus les valeurs que nous voulons défendre.  Voilà, je trouve le débat super intéressant.» ou «C’est bien la première fois que je dois me demander si je participe à une grève ou pas…!  Mon premier réflexe est d’avoir envie de soutenir cette grève et ceci pour plusieurs raisons: (…) » ou encore « franchement, si Oxfam avait condamné le mouvement de grève, je pense que je ne l’aurais pas admis. »

Des points de tensions

Nous voyons ainsi apparaître au travers de tous les emails et avis reçus, différents thèmes de réflexion et pôles tensions.
La 1ère tension se focalise sur la manière de concevoir son action bénévole. Nous pouvons faire la  différence entre le bénévolat et le militantisme social. Si tous deux travaillent pour faciliter le changement et faire évoluer le développement avec un large éventail d’activités, [[highslide](1;1;;;)
« Bénévolat, volontariat et militantisme social ; vecteurde la participation au développement humain », Civicus, UN Volunteers, International Association for Volunteer Effort,
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certaines de ces actions comme le lobbying, le plaidoyer, les manifestations de protestation, les campagnes de conscientisation sont le plus souvent associées au militantisme.

Nous retrouvons dans les témoignages ces 2 pôles. Il existe certes un besoin de donner son avis, de défendre une opinion. Mais du besoin d’expression à la mobilisation collective, le parcours est aujourd’hui plus difficile. Nous avons mieux à faire « que de s’égarer dans de vains discours politiques » est assez représentatifs de la méfiance du citoyen. Le rapport de force, le contre-pouvoir et le conflit qui exercent des fonctions importantes dans le jeu démocratique s’en trouvent discrédités.
Pour contrer cette désillusion, un certain nombre de bénévoles mettent toute leur foi dans l’activité de ventes, seule capable d’aider directement « ceux qui attendent notre aide ».  L’impact direct vers quelques bénéficiaires semble avoir pris l’ascendant sur le discours politique censé se traduire en bien-être collectif. Cette dépolitisation est d’ailleurs constatée par tous les acteurs de l’éducation permanente.[[highslide](2;2;;;)
Delhaye, Ch., « L’Éducation permanente : ses enjeux actuels et à venir », cesep, 2013  & « la formation des bénévoles », Etude, collectifs d’association nationales française, France,  Avril 2011
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Cela nous amène par voie de conséquence vers notre deuxième tension centrée  sur le moyen d’action. Faut-il manifester ou travailler ? Grâce à son outil de mobilisation citoyenne – le magasin -, Oxfam-Magasins du monde touchent énormément de public. Le terme « magasin » repris dans son nom, ne trompe personne. Le type d’engagement et le changement auquel le bénévole participe est ainsi connu. Le citoyen s’engage souvent d’abord pour cet aspect. Si la rentabilité est indispensable à la pérennité du projet commercial, éducatif et politique, notre modèle va plus loin en terme de citoyenneté. Nous ne voulons pas d’un modèle descendant, où les citoyens sont là pour « tenir une boutique ». C’est au contraire un modèle qui mobilise, qui suscite la participation à chaque niveau de l’organisation, qui permet à chacun de s’émanciper au sein d’un collectif ouvert, qui amène des groupes à défendre des idées,  à porter des projets, voire à en faire émerger de nouveaux.
Mais les réactions reçues tendent à faire penser que les moyens d’actions s’opposent voire, pour la manifestation, « ne répond pas à notre objet social ». Or le but est de[[highslide](3;3;;;)
Le Moniteur, Statuts d’Oxfam-Magasin du monde, avenant du 15/08/2008
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mobiliser des citoyens pour lutter contre les causes du mal-développement et proposer des changements…

Nous sillonnons quelque part entre le but de mission défini dans les statuts et le but de survie vécu en partie à travers la vente.
Partir de la réalité des gens, de ce qu’ils vivent est à la base de la démarche d’éducation permanente. Notre travail est de relier l’indignation des bénévoles à leur environnement social.  Néanmoins il faut du temps d’information et de formation, du travail sur les représentations pour que la réflexion devienne peut-être alors un discours de revendication. Etre impliqué dans la construction est et reste toujours un préalable à l’engagement.
La troisième tension est dirigée vers le sujet. Formons-nous une équipe locale ou bien chacun a ses idées et les réunions prennent trop de temps ?  Nous le voyons dans les réactions; certaines laissent entrevoir, à travers une réflexion individuelle, une volonté d’en discuter, d’autres par contre ne le laisse pas envisager prenant l’interpellation à leur compte.  Certes l’organisation d’un magasin prend beaucoup de temps en réunion mais pour répondre à nos missions, il faut réserver de la place pour le débat d’idées et la compréhension des enjeux.  Mais quel temps avait laissé le Comité de direction aux équipes locales pour y réfléchir ? Trop peu pour se réunir.  Dans un monde qui va vite, la démocratie a besoin de temps. Le temps de digérer, de comprendre, de débattre, de se mettre en action. D’autre part, utilisons-nous suffisamment bien les instances de notre mouvement pour porter les  questions liées à nos missions ? Il n’est pas gagné, qu’au sein du mouvement, nous partagions les mêmes idées et ambitions. Nous avons une multiplicité de projets en commun, mais nous manquons peut-être de réalisme ou de moyens.

Et chez Oxfam-Magasins du monde ?

Sur le plan organisationnel, nous ne nous sommes pas bien préparés. Les équipes locales ont été prises de cours tant sur la réflexion de fond, que sur l’organisation d’un débat et d’un potentiel jour de fermeture. Nous aurions dû élaborer mieux notre action. Dans ce cas-ci, la proposition de fermeture du magasin était faite à chaque locale. S’il y avait accord préalable sur une vision du monde, de la société, de leur bénévolat à Oxfam-Magasins du monde et du fonctionnement de l’équipe, la réponse pouvait être rapide. Dans le cas contraire, le temps, le consensus préalable manquait.
missiles-dehorsSur le plan politique, ce n’est pas la première fois que nous confrontés à des prise de position Nord qui font le lien Nord-Sud. Nous pourrions faire le parallélisme avec l’investissement du mouvement dans le combat dans les années ’80 contre les missiles à Florennes. A priori pas de connexion.  Nous étions, à ce moment-là, en pleine guerre froide et Oxfam considérait qu’il était important de faire valoir que la paix est un élément fondamental pour le développement. Aujourd’hui, l’économique a pris le dessus. Beaucoup de pays du Sud ont été mis au pas par les fameux plans d’ajustements structurels. Sa version européenne arrive avec les plans d’austérité. Les mêmes mécanismes d’appauvrissement des peuples, n’est-ce pas là le lien ?
Après les révolutions arabes et les différents mouvements des indignés, des altermondialistes, il nous semble important que notre mouvement se réapproprie ces enjeux économiques et sociaux qui dépassent bien la Belgique. Comme la raison d’être d’Oxfam-Magasins du monde est de « construire la justice socio-économique en combattant les inégalités et les injustices de manière structurelle et globale », la situation actuelle nous donne un champ de réflexions et d’actions possibles. Très concrètement, nous savons que le contexte assez défavorable risque bien d’impacter nos partenaires du Sud et nous–mêmes dans les prochaines années : un détricotage des acquis sociaux au Nord va aggraver la situation au Sud ; nos subsides vont tôt au tard être revus à la baisse avec un impact sur l’emploi ; le pouvoir d’achat des citoyens va diminuer et avoir une conséquence sur nos ventes ; la flexibilité et l’augmentation du temps de travail va aller de pair avec la réduction du temps libre.
Chaque bénévole en promouvant un commerce équitable ou solidaire (vêtements de seconde main) cherche à faire évoluer les choses à son niveau. Il pose des choix de société et est mû par un idéal. Alors posons-nous la question : en quoi ces choix et cet idéal sont-ils en phase avec les mesures prises par nos gouvernements et le projet de société qui se dessine ? Nous pouvons aider les équipes à y répondre via quelques questions : Quelles sont vos expériences et vos analyses de l’austérité ? En partant des missions et valeurs d’Oxfam-Magasin du monde, quelle société voulons-nous ? Est-ce que nos choix de société sont compatibles avec les plans de nos gouvernements ?  Faut-il réagir et comment ?

En guise de conclusion…

Nous avons vu que le mouvement n’était pas, en grande partie, prêt pour cette action. D’une part, parce que le temps de réaction était trop court pour débattre en équipe et valider ensemble la décision. En cela, nous avons peut-être présupposé trop vite que le lien entre austérité au Nord et impact pour le Sud allait de soi. Un phasage avec un processus de discussion et d’action aurait sans doute permis une avancée en termes d’apprentissages. Par ailleurs, si nous devons, dans les formations de base des bénévoles, être très clairs sur la personnalité d’Oxfam, nous devons aussi continuer notre mission d’éducation permanente pour favoriser et développer chez les adultes une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société.
Denis Clérin
Directeur Education-Mobilisation-Campagne