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Oxfam-Magasins du monde

Origine et moteurs des alternatives citoyennes : de l’indignation à l’alternative citoyenne

Analyses
Origine et moteurs des alternatives citoyennes : de l’indignation à l’alternative citoyenne
En quoi l’indignation qui a abouti à la création d’un mouvement tel qu’Oxfam-Magasins du monde, dans les années 1970, est-elle proche ou différente de celle qui a donné naissance à des alternatives plus récentes liées au mouvement de la transition, tels que les Repair Cafés ou les supermarchés participatifs comme Bees Coop ?  À travers l’analyse de trois alternatives au modèle de consommation dominant, créateur d’inégalités et destructeur de la planète, nous voulons mieux comprendre ce qui les sous-tend, ce qui les motive et les facteurs qui contribuent à leur émergence. Pour Oxfam-Magasins du monde, il est en effet important de pouvoir tirer des leçons de différentes expériences d’engagement citoyen afin de mieux répondre aux attentes des bénévoles mais aussi des bénéficiaires et de la société dans sa globalité.

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En quoi l’indignation qui a abouti à la création d’un mouvement tel qu’Oxfam-Magasins du monde, dans les années 1970, est-elle proche ou différente de celle qui a donné naissance à des alternatives plus récentes liées au mouvement de la transition, tels que les Repair Cafés ou les supermarchés participatifs ?  À travers l’analyse de ces trois alternatives au modèle de consommation dominant, créateur d’inégalités et destructeur de la planète, nous voulons mieux comprendre ce qui les sous-tend, ce qui les motive et les facteurs qui contribuent à leur émergence.
Pour Oxfam-Magasins du monde, il est en effet important de pouvoir tirer des leçons de différentes expériences d’engagement citoyen afin de mieux répondre aux attentes des bénévoles mais aussi des bénéficiaires et de la société dans sa globalité.
Pour illustrer cette analyse, nous avons choisi de partir de cas plus précis : pour Oxfam-Magasins du monde, nous allons nous intéresser à TransiSTORE, un nouveau magasin qui regroupe trois acteurs : une équipe d’Oxfam-Magasins du monde, la coopérative Agricovert (légumes et produits locaux) et un groupe de citoyens ; pour les Repair Cafés, nous avons choisi celui de Mons ; enfin,  pour les supermarchés participatifs, nous prendrons l’exemple de Bees Coop à Schaerbeek.

1. Introduction

De tout temps et partout dans le monde, les humains se sont indignés, rebellés, ont créé de nouvelles civilisations, de nouvelles organisations sociales, de nouveaux modèles de « vivre ensemble ».
Comme le suggère Stéphane Hessel dans son petit pamphlet « Indignez-vous », cette faculté d’indignation et d’engagement n’est-elle pas au cœur de la nature humaine ? : « La pire des attitudes est l’indifférence, dire « je n’y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui fait l’humain. Une des composantes indispensables : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence[1. Indignez-vous !, Stéphane Hessel, Indigène éditions, 2010.]. »
Pourquoi certains individus sont-ils capables de s’indigner, de se révolter, et ensuite de transformer cette indignation en un geste positif, créateur d’une alternative, alors que d’autres restent passifs voire indifférents ? Cette question mériterait une autre analyse et renvoie à beaucoup de facteurs liés à la culture, l’éducation, les rapports de domination, la personnalité, les moyens de communication ou le nombre de personnes touchées par la même indignation. Sans entrer dans une recherche sur les ressorts d’indignation au niveau individuel, cette analyse va s’intéresser au niveau collectif.  Nous formulons en effet l’hypothèse que tout engagement nécessite une indignation, individuelle et collective. Dans cette analyse, nous nous attacherons à comparer trois alternatives citoyennes en explorant les indignations qui les ont portées et les facteurs qui ont permis leur éclosion.

2. L’indignation, le carburant essentiel des alternatives. Comparaison des indignations au cœur des 3 alternatives étudiées

Comme on va le voir, les trois alternatives étudiées s’opposent au modèle de consommation dominant créateur d’inégalités et de gaspillage des ressources naturelles et basé sur l’exploitation de travailleurs.
* Dans le contexte de la décolonisation, Oxfam-Magasins du monde s’affirme dans les années 1970 comme un pionnier du commerce équitable. Avec comme devise « trade not aid », cette nouvelle forme de commerce permet de montrer sa solidarité avec les pays du Sud et d’agir en faveur de leur développement, tout en dénonçant le modèle dominant où quelques multinationales se partagent les bénéfices au détriment de milliers de petits producteurs exploités et au détriment de l’environnement. Cette vision du développement basé sur des rapports économiques plus justes et sur l’autonomie des pays du Sud tranchait avec une vision plus paternaliste qui maintenait le Sud dans une sorte de dépendance vis-à-vis de pays riches qui se donnaient la mission de leur apporter la « modernité », de manière pas si désintéressée[2. Voir « les deux premières conceptions du développement, 1950-1975 », par Guy Bajoit, in Antipodes, 2010, http://www.iteco.be/revue-antipodes/Sur-le-developpement/Les-deux-premieres-conceptions].
Récemment, à partir de 2013, Oxfam-Magasins du monde a intégré des produits du Nord afin de soutenir des producteurs européens engagés dans l’agriculture ou l’alimentation durables. Ces producteurs sont confrontés au poids grandissant de la grande distribution qui rabote les prix de leurs matières premières et dont le modèle privilégie la quantité au détriment de la qualité.
* Contre le modèle toujours plus puissant des multinationales agro-alimentaires et de la grande distribution qui exploite les personnes et les ressources et nuit à l’environnement et à la santé des consommateurs, Bees Coop a développé son alternative : construire une coopérative de citoyen.ne.s afin de garantir leur accès à une alimentation saine, durable et accessible, privilégiant les circuits courts et une dynamique participative, inscrite dans le quartier.

2.1. Oxfam-Magasins du monde : d’une solidarité avec les peuples du Sud vers une solidarité globale avec les producteurs luttant pour la justice sociale et environnementale

Au début des années 70, la philosophie d’Oxfam s’inscrit dans la suite logique de la décolonisation. En effet, la nouvelle indépendance politique acquise par les anciennes colonies cachait mal une dépendance économique. Basé sur la devise « Trade not Aid » (du commerce, pas de l’aide), le commerce équitable vise à rétablir plus de justice dans la relation commerciale entre le Nord et le Sud et à établir une relation plus juste entre les producteurs, les consommateurs et les citoyens. Le magasin devient un lieu de sensibilisation, où le client est invité à agir en tant que « consom’acteur ».
Pour les premiers bénévoles et clients des magasins du monde Oxfam, la vente de produits est avant tout considérée comme un geste militant, le but étant de soutenir des luttes de libération (Nicaragua, Afrique du Sud, etc). A cette époque, la qualité des produits n’est dès lors pas encore considérée comme une priorité. Et acheter équitable, c’est surtout montrer son adhésion à un message politique.
Aujourd’hui, le commerce équitable s’est professionnalisé, avec une recherche constante d’amélioration de la qualité des produits. Alors qu’à l’origine, Oxfam ne travaillait qu’avec des producteurs (qu’on appelle « partenaires ») du Sud (Asie, Afrique et Amérique du Sud), l’organisation soutient aujourd’hui aussi des partenaires en Europe et en Belgique. Comme pour les critères du commerce équitable avec le Sud, l’organisation impose aux producteurs le respect d’une charte avec des critères s’inspirant du commerce équitable Nord/Sud[3. Lire à ce sujet l’analyse « Les apports de la démarche paysans du Nord au commerce équitable », septembre 2013].
L’intégration des produits « Nord » dans le commerce équitable et la volonté de créer des synergies avec le mouvement de la transition montre qu’Oxfam souhaite développer plus de synergies avec les différentes alternatives de consommation locale, tout en gardant un lien fort avec ses partenaires du Sud. C’est dans cet esprit que le projet TransiSTORE a été lancé à Etterbeek avec un groupe citoyen et la coopérative Agricovert[4. Voir l’analyse «Repair cafés, supermarchés participatifs et Magasins du monde-Oxfam : une comparaison des modèles de gouvernance et d’engagement »].
À côté de son action commerciale, pour contribuer à l’émergence d’une société plus solidaire et plus juste pour les populations du Nord et du Sud, Oxfam-Magasins du monde met en place quatre types d’actions auprès de différents publics : l’information, la sensibilisation, la mise en action et le plaidoyer.

2.2. Repair Cafés : lutter contre l’obsolescence programmée et partager les savoirs

Lancés en 2009 aux Pays Bas par Martine Postma, une journaliste spécialisée sur les questions environnementales, les Repair Cafés ont connu un développement fulgurant : on en compte aujourd’hui 1200 à travers le monde, principalement en Europe : 358 aux Pays-Bas, 346 en Allemagne, 215 en Belgique, 130 en France…[5. Voir le rapport 2016 de la Fondation internationale Repair Cafés]
Les citoyens qui se regroupent au sein d’un Repair Café sont choqués par l’énorme gaspillage de ressources et d’énergie dû à la surconsommation de produits difficiles à réparer. En cause, le manque d’accès aux pièces détachées, les prix excessifs, le manque d’information sur les réparations et l’entretien mais également le caractère peu réparable des produits et de leurs composants. Il est souvent plus facile d’acheter un nouveau produit que de le faire réparer.
Plus qu’un simple coup de main entre voisins, les Repairs Cafés favorisent la rencontre entre les habitants d’un même quartier : des personnes qui n’ont pas forcément le même âge, les mêmes passions, occupations ou centres d’intérêts, se retrouvent solidaires face à une panne, un problème à régler, et cherchent une solution ensemble. D’autres se retrouvent autour d’un café ou d’une tarte dans une ambiance conviviale. On y répare toute sorte de choses, des machines à café ou autres petits électroménagers, des vêtements, des ordinateurs, des vélos, des objets en bois… Au Repair Café de Mons, le prix de la réparation est libre, basé sur le principe de la « participation libre et consciente » : chacun donne ce qu’il veut en fonction de ses moyens et de ce qu’il estime devoir payer.

2.3. Des premières sociétés coopératives  du 19e siècle aux supermarchés participatifs

Les sociétés coopératives apparaissent au 19e siècle dans le contexte de la révolution industrielle, période de transition d’une société essentiellement agricole vers une société industrielle. Face à la vie chère, des mouvements ouvriers s’organisent en coopératives de consommateurs afin de fournir à leurs membres des produits de qualité à des prix abordables. Ce modèle est né en Angleterre, pays d’origine de la révolution industrielle, avec une première expérience en 1844 : la  Société des équitables pionniers de Rochdale. Douze ouvriers tisserands de la ville de Rochdale s’étaient regroupés pour améliorer leurs conditions de (sur)vie à la suite d’un refus du patronat d’accorder une augmentation de salaire.
En Belgique, le Vooruit (En avant) va jouer un rôle moteur. Cette coopérative gantoise socialiste, fondée en 1880, vise d’abord la production et la vente de pain à un prix abordable. Mais très vite, grâce à ses 1750 membres dès 1885, son activité va s’étendre à d’autres secteurs industriels et commerciaux. En 1885, le Vooruit soutient les mineurs grévistes du Borinage en leur envoyant du pain. Le Vooruit va continuer son développement avec des pharmacies, un journal, une bibliothèque centrale, un tissage, une flotte de pêche basée à Ostende… D’autres coopératives alimentaires voient le jour en Wallonie, toujours dans la mouvance du parti socialiste de l’époque, le POB (Parti Ouvrier Belge). Mais ce mouvement coopératif engagé connait son déclin dans les années 1970-80 lorsqu’il doit faire face à la concurrence des prix bas de la grande distribution conventionnelle.[6. Voir l’analyse de Julien Dohet sur l’histoire des coopératives en Belgique]

L’apparition des supermarchés coopératifs et participatifs

C’est à Brooklyn, quartier de New York, que nait en 1973 la première expérience de supermarché coopératif, le Park Slope Food Coop, avec pour but de redonner du pouvoir d’achat aux habitants. Aujourd’hui, le magasin s’étend sur 1.000 m2 et réalise un chiffre d’affaires de 33 millions d’euros. La coopérative compte pas moins de 17.000 membres à la fois coopérateurs, clients et travailleurs. Pour coordonner leurs activités, 70 salariés ont même dû être engagés[7. Voir à ce sujet le film documentaire « Food Coop » de Tom Boothe, sorti en 2016, ou celui réalisé par Bees Coop et le collectif Engrenages].
En France, le mouvement connait un essor formidable avec une vingtaine de nouveaux projets : la Louve à Paris, la SuperCoop à Bordeaux, la Cagette à Montpellier, Otsokop à Bayonne, La Chouette Coop à Toulouse, Scopéli à Nantes, Super Quinquin à Lille, … En Belgique francophone, on compte à ce jour deux supermarchés participatifs : Bees Coop à Schaerbeek et Coopéco à Charleroi, sans compter toutes les autres petites épiceries fonctionnant sur le même modèle (Bloom à Forest, L’Epi à Uccle, l’épicerie participative du Logis-Floréal à Watermael-Boitsfort, etc.).
À l’instar des autres supermarchés participatifs, Bees Coop fonctionne comme une coopérative de citoyens. Le principe est simple : toute personne qui souhaite avoir le droit d’y faire ses courses doit acheter au moins une part de la coopérative et y travailler bénévolement trois heures par mois. Réagencement des rayons, nettoyage du magasin, caisse, réception de la marchandise, etc. L’objectif de ce système est de permettre une réduction du prix des produits. Une marge de 18 % est pratiquée sur tous les articles afin de rémunérer les salariés, payer les coûts fixes et rembourser les emprunts.

La volonté première est d’offrir une nourriture saine et durable à un prix abordable au plus grand nombre.

Au cœur de la philosophie de Bees Coop, on trouve aussi la volonté d’encourager une économie locale en créant des partenariats sur le long terme avec des producteurs de la région. Comme pour les Repair Cafés, le but est également de créer un espace convivial permettant de renforcer la cohésion sociale. Enfin, Bees Coop insiste sur la mise en place d’une politique du prix juste tant pour les consommateurs que pour les producteurs et sur la transparence de l’information à propos des produits et du fonctionnement du supermarché.
Les coopérateurs ou bénévoles de Bees Coop veulent aussi sensibiliser leurs sympathisants ou coopérateurs aux habitudes de consommation et à leurs conséquences (santé, écologie, économie, etc.) et lutter contre le gaspillage alimentaire et le suremballage par la promotion de la vente en vrac. À travers leur expérience, il s’agit aussi de promouvoir le modèle coopératif et l’innovation sociale via la diffusion en open source des outils et connaissances développés.[8. Source : http://bees-coop.be/le-supermarche/valeurs-et-missions/]
En 170 ans, les coopératives alimentaires ont donc évolué d’un modèle visant avant tout à permettre aux populations pauvres de se nourrir vers un modèle mettant l’accent sur la qualité, la santé, l’origine des produits, le durable et s’adressant à des publics d’horizons sociaux différents.

3. Comment naissent les alternatives ? Qu’est-ce qui les motive ? Quels sont les facteurs qui facilitent leur éclosion ?

Pour que l’indignation ne se limite pas à un feu de paille, à une colère engendrant encore plus de frustration voire de violence, il faut être capable de la transformer en une alternative. Comme le dit un ancien slogan d’Amnesty, « On a raison d’être en colère, on aurait tort de ne rien faire ». Cela demande nécessairement un passage du niveau individuel à un niveau collectif (celui de l’action coordonnée). En effet, même s’il est possible d’agir individuellement (on pense par exemple au consommateur qui choisit le commerce équitable ou bio), ce geste n’est possible que parce qu’en amont, des personnes se sont regroupées pour faire vivre des alternatives de consommation (dans ce cas-ci, du commerce équitable et du bio).
Comme le souligne l’étude Potentia réalisée par Oxfam-Magasins du monde, Quinoa et Rencontre des Continents, les dimensions individuelles et collectives se complètent, mais c’est l’action collective qui aura le plus de poids. Pour appuyer cet argument, l’étude cite Marc Jacquemin, sociologue à l’ULG, qui distingue la « liberté du consommateur » et la « liberté du citoyen » et pour qui la liberté de la consommatrice ou du consommateur donne le droit et le pouvoir de refuser certaines choses alors que seule la liberté de la citoyenne et du citoyen a le pouvoir de faire émerger une alternative[9. Voir l’étude « Potentia » publiée par Rencontre des Continents, Quinoa et Oxfam-Magasins du monde, page 14].
Dans une société de plus en plus individualiste et qui fait porter le poids de la culpabilité du réchauffement climatique sur les consommateurs[10. Voir l’article de Slavoj Zijek « Trier, manger bio, prendre son vélo, ce n’est pas comme ça qu’on sauvera la planète », décembre 2016], l’action de résistance collective peut sembler vaine et décourageante. Pour reprendre l’ancien résistant Stéphane Hessel, « (…) les raisons de s’indigner peuvent paraître aujourd’hui moins nettes ou le monde trop complexe. Qui commande, qui décide ? Il n’est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n’avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements. C’est un vaste monde, dont nous sentons bien qu’il est interdépendant. Nous vivons dans une interconnectivité comme jamais encore il n’en a existé. »

L’importance du lien social

C’est sans doute ce besoin d’interconnectivité, de lien social qui pousse beaucoup de citoyennes et citoyens à réinventer un autre modèle de consommation, qui passe notamment par des liens plus directs entre producteurs et consommateurs. L’émergence d’alternatives citoyennes telles que les groupes d’achats communs ou groupes d’achats solidaires de l’agriculture paysanne (GAC ou GASAP), les services d’échanges locaux (SEL), les supermarchés participatifs ou les Repair Cafés sont révélateurs de cette tendance et de cette volonté de se réapproprier le contrôle sur son alimentation ou sa consommation tout en recréant des liens sociaux. Chez Oxfam-Magasins du monde, l’importance du lien social est également citée par les bénévoles comme une de leurs principales sources de satisfaction (voir l’étude « Pratiques d’apprentissage des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde. De la conscientisation à l’autonomie »[11. Voir l’étude « Pratiques d’apprentissage des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde. De la conscientisation à l’autonomie » publiée par Oxfam-Magasins du monde]) et même par les clients (dans une évaluation de 2015 menée par le bureau DRISS, 15% déclarent venir chez Oxfam pour le soutien au travail mené par des bénévoles et 15% pour la proximité et la facilité de contact). C’est encore plus vrai chez TransiSTORE, où les personnes qui rejoignent le groupe citoyen sont avant tout motivées par l’idée d’un lieu rassemblant des personnes de différents milieux afin de créer des liens et de sensibiliser à une consommation plus responsable. Comme le dit François Olivier Devaux, membre et cofondateur du groupe citoyen de TransiSTORE, « ce lieu appartient aux citoyens, à eux de se l’approprier. [12. Voir l’article « Echange citoyen et commercial au TransiStore, La Libre Belgique, 14 et 15/08/2017.]» Quant aux Repair Cafés, ils sont clairement des lieux de rencontre entre personnes qui ont des savoir-faire et qui les partagent avec d’autres personnes de tout milieu social ou culturel.

Internet et les réseaux sociaux, nouvelle caisse de résonance des indignations

On a beaucoup parlé de l’importance des réseaux sociaux dans l’émergence des révolutions du « printemps arabe » mais aussi des mouvements comme « Occupy Wall Street » ou des indignés. Même si les nouvelles technologies ont contribué au succès de toutes ces colères, il faut les prendre pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des outils adaptés au mode de communication de notre époque. Car avoir un bon outil ne suffit pas : ce qui compte avant tout, c’est la force du message et l’impact qu’il aura sur le public que l’on vise. Autrement dit, il ne suffit pas de faire un buzz sur internet pour créer un réel changement social, il faut aussi que le message déborde dans la vie réelle et crée un rapport de force.
Un nouveau mot est apparu pour désigner un activisme mou, qui donne bonne conscience aux internautes mais qui ne change rien au fond des choses : c’est le « slacktivisme », fusion entre les mots slacker (paresseux, fainéant) et activisme. Ainsi, changer son profil en fonction de la cause ou de l’évènement, signer une pétition virtuelle ou cliquer sur un bouton « j’aime » sur facebook ne va sans doute pas changer la face du monde et ne remplacera jamais le poids d’une foule qui descend dans la rue. Mais cela peut être un premier pas, une première accroche pour amener une réflexion, un débat et parfois une réelle mobilisation.
Aujourd’hui, tous les mouvements sociaux, toutes les alternatives utilisent d’une manière ou d’une autre internet, à la fois caisse de résonance et amplificateur des indignations. C’est bien entendu le cas pour les trois alternatives étudiées dans cette analyse : chez Oxfam-Magasins du monde, internet est à la fois utilisé comme un outil d’information et de sensibilisation (via les nombreux articles, analyses, vidéos, infographies) et comme un outil de mobilisation (via les appels à signer des pétitions, à participer à des débats, à des manifestations, à rejoindre d’autres mouvements, …). Internet est également utilisé comme outil d’évaluation, à travers des questionnaires en ligne.
Pour le Repair Café, il s’agit avant tout de se faire connaître et de faire passer des annonces précises liées à l’actualité (recrutement de nouveaux bénévoles, besoin de matériel pour un atelier, jour et horaire du prochain Repair Café, participation à un événement particulier…) mais aussi de relayer certains articles ou vidéos en lien avec les thématiques de l’obsolescence programmée ou de la consommation responsable. Idem pour Bees Coop, qui utilise internet pour se faire connaître, pour diffuser ses valeurs et ses idées mais aussi pour l’organisation pratique (permanences, organisation des différentes cellules, …).

Fin ou moyen ?

Lorsque l’on parle de modèle alternatif de consommation ou même de politique, la question de la fin ou du moyen surgit régulièrement : le but est-il l’alternative en tant que telle, ou celle-ci n’est-elle qu’un moyen pour aboutir à un objectif plus ambitieux, à savoir le changement de toute la société ?
À l’instar du slogan « penser global, agir local », nous pensons que les deux dimensions se complètent. En effet, les trois alternatives étudiées dans cette analyse sont à la fois une fin en soi, vu qu’elles répondent à des problématiques ou des injustices directement vécues, mais participent également à un objectif plus global. Comme le soulignent les auteurs de l’étude Potentia menée par Rencontre des Continents, Quinoa et Oxfam-Magasins du monde, « à long terme, ces expériences locales singulières sont des propositions vivantes de ce à quoi pourraient ressembler d’autres manières de vivre ensemble. Fin et moyen ne s’opposent plus, ils se complètent»[13. Voir l’étude « Potentia » publiée par Rencontre des Continents, Quinoa et Oxfam-Magasins du monde]

Le rapport à l’Etat

Cette question est souvent perçue comme un enjeu stratégique aux yeux des militants porteurs d’une alternative : faut-il composer avec l’Etat ou avec l’autorité politique locale, en faire un allié au risque de se faire récupérer, ou au contraire préserver son indépendance et sa « pureté originelle » ?
Dans l’étude « Potentia », les auteurs ont classé les alternatives liées à l’alimentation selon trois types de stratégies d’action : « avec », « sans » ou « contre » l’Etat.
Avec : la puissance publique est perçue comme une alliée
Contre : la puissance publique est perçue comme un obstacle
Sans : c’est une nouvelle catégorie, une nouvelle posture peu utilisée dans les schémas classiques d’analyse des mouvements sociaux. Mais cette posture correspond bien aux mouvements de la transition, qui ne voient pas toujours l’intérêt de recourir à des politiques publiques. Les changements sociaux peuvent aussi être expérimentés à la base, avec éventuellement des interpellations politiques ponctuelles, mais qui ne sont pas au cœur de la stratégie de l’alternative.
Ces catégories sont aussi poreuses : en fonction du contexte, des stratégies peuvent amener à un changement de posture. Certaines alternatives, comme une bourse d’échange de semences, peuvent regrouper les trois dimensions.
Selon cette classification, les Repair Cafés se situent plutôt dans la catégorie « sans » : rares sont les Repair Cafés qui dépendent directement d’une autorité. Celui de Mons bénéficie quand même d’une aide matérielle du service de prévention de la ville, qui met à sa disposition un local gratuit, sans contrepartie. Oxfam-Magasins du monde et Bees Coop s’inscrivent plutôt dans la catégorie « avec » : les emplois sont pour la plupart financés grâce à des subsides, ce qui implique une justification des moyens demandés, notamment par une évaluation de l’efficacité et de l’efficience des actions menées. Ce soutien de l’autorité publique peut être perçu comme une menace par rapport à la dimension citoyenne lorsqu’elle devient trop lourde en gestion administrative ou lorsque la disparition des subsides peut menacer la survie du projet.

Conclusion

L’hypothèse sur laquelle se base cette analyse se vérifie : tout engagement nécessite une indignation, individuelle et surtout collective. Les motivations qui sous-tendent ces alternatives varient selon l’époque et le contexte socio-politique et économique de l’époque. L’alternative portée par Oxfam-Magasins du monde a été fort marquée par l’époque de la décolonisation. Le commerce équitable était d’abord conçu comme une manière de se montrer solidaire des peuples du Sud, afin de rétablir plus de justice et d’équité dans les relations commerciales Nord/Sud et de contribuer au développement des pays de ce qu’on appelait le « Tiers monde ». Les supermarchés participatifs tels que Bees Coop trouvent leur origine dans la recherche d’une solution à la « malbouffe » et aux dérives du système agro-industriel mais leur modèle d’organisation trouve son origine dans les anciennes coopératives alimentaires du 19e siècle : leur but est avant tout d’offrir une nourriture saine et durable à un prix abordable au plus grand nombre. À la différence de ces premières expériences marquées par l’idéologie socialiste, l’accent est aujourd’hui mis sur les circuits courts et le respect de l’environnement, dans la mouvance de la transition. Quant aux Repair Cafés, ils s’inscrivent également dans la mouvance de la transition, en donnant aux citoyens la capacité de se réapproprier le contrôle de leur consommation et en favorisant les liens sociaux.
Les facteurs qui contribuent à l’éclosion des alternatives étudiées sont multiples. L’indignation collective est plus porteuse que l’indignation individuelle : une alternative sera plus forte si elle est portée par un groupe qui partage les mêmes idées. Certains outils, comme internet et les réseaux sociaux, peuvent faciliter la mobilisation et l’organisation pratique des alternatives. Enfin, ces alternatives se distinguent dans la manière dont elles se positionnent face à l’autorité publique : avec, contre ou sans.
Comme les mouvements sociaux ou politiques, Oxfam-Magasins du monde, Bees Coop ou le Repair Café de Mons ne peuvent rester des structures figées. Pour survivre, elles devront évoluer avec le temps, en s’adaptant à l’évolution de la société et de la consommation.