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Pushpanjali : une association d’artisans pour une alternative économique durable

Analyses
Pushpanjali : une association d’artisans pour une alternative économique durable

Association d’artisans indiens fondée par cinq personnes en 1982 à Agra, ville du Taj Mahal, Pushpanjali qui, littéralement signifie « offrir des fleurs », est devenue en trois décennies un acteur clé du commerce équitable indien.
Agra, dans l’Etat d’Uttar Pradesh est une ville de plus d’un million d’habitants, parsemée de monuments datant de l’ère moghole. C’est à cette période que remonte la tradition du travail du marbre blanc et de la pierre à savon. Aujourd’hui, Agra est une destination touristique importante. On y trouve diverses industries mais Agra est également réputée pour sa tradition d’artisanat : joaillerie, marqueterie, enchâssement de pierres semi-précieuses dans le marbre et la pierre à savon, peinture sur soie ou sur coton et tapis.

Une association née d’une rencontre

1979 est la première date importante pour Pushpanjali lorsque le responsable de projets d’Oxfam Angleterre rencontre Mr Mittal, à l’époque vendeur d’artisanat local dans les rues d’Agra. L’amitié entre les deux hommes donne naissance à un soutien d’Oxfam aux producteurs. L’association Pushpanjali Society est née en 1982 avec 5 artisans. Pour des raisons administratives, fut fondée parallèlement Pushpanjali Export qui jouait le rôle d’exportateur officiel, dans la mesure où Pushpanjali Society ne pouvait pas obtenir de licence d’exportation. Durant les premières années, l’unique client de Pushpanjali fut Oxfam Angleterre. Ce n’est qu’en 1997 que Pushpanjali commença à vendre à d’autres organisations européennes de commerce équitable, entre autres à CTM-Altromercato en Italie. Aujourd’hui, l’association compte 70 artisans dont 26 femmes.

Une mission

Pushpanjali s’est fixé pour mission d’améliorer la condition de vie et le bien-être de personnes désavantagées à travers d’une part la promotion du commerce équitable comme alternative réelle et durable, et d’autre part le plaidoyer pour plus de justice dans le commerce mondial. L’association promeut également l’égalité des genres et la durabilité environnementale à travers des politiques spécifiques.
L’objectif commercial de Pushpanjali est d’améliorer la condition économique de la population locale via des commandes régulières, un préfinancement et des prix justes pour les produits locaux qu’elle exporte.

Fonctionnement interne

L’association est composée de six groupes d’artisans, organisés en structures familiales. Huit employés sont chargés de la gestion de l’emballage, de la comptabilité et de la logistique.
L’organe de décision est l’Assemblée Générale. Le Conseil d’administration est composé de sept membres et est renouvelé tous les cinq ans. Des réunions sont organisées de manière bimensuelle avec le staff et trimestrielle avec les producteurs. Ils y discutent les tendances du marché, le design de nouveaux produits, le contrôle de qualité, la fixation des prix et les projets sociaux.
Malgré cette organisation démocratique, le véritable responsable et moteur de l’initiative reste Suresh Mittal. Selon des rapports d’évaluation, sa relation aux artisans est bonne. Mais le fait qu’une personne ait un rôle prépondérant peut cependant être un risque par rapport à la survie et à l’avenir de l’organisation.
En général, les artisans travaillent dans des hangars contigus à leur maison ou dans les cours intérieures de celles-ci. Pushpanjali ne stocke pas de produits et ne commande aux artisans que les produits pour lesquels elle dispose déjà d’une commande ferme.

Rémunération et avantages sociaux des artisans

Pushpanjali garantit un revenu fixe aux travailleurs pendant au minimum huit mois par an. Ce qui est loin d’être le cas de tous les travailleurs indiens. Les producteurs sont informés des prix à l’exportation.
Les producteurs ont été formés par Pushpanjali au calcul de leurs coûts afin d’assurer un calcul de prix clair et transparent. La moyenne régionale des salaires et de 50 US$ en général et de 70 US$ pour les travailleurs du même domaine alors que le salaire minimum légal est de 75 US$ par mois. Les rémunérations des artisans par Pushpanjali atteignent 100 US$ [[highslide](1;1;;;)Equivalent à 83 euros en date du 11 juin 2010[/highslide]] par mois et sont égaux pour les femmes et les hommes.
[highslide](L exemple de Begum Bano;L exemple de Begum Bano;;;)L’exemple de Begum Bano parle de lui-même. 50 ans, 6 enfants, dont 4 filles, elle est membre d’un groupe de femmes qui font de la broderie avec Pushpanjali depuis plus de 10 ans. La boutique que tient son mari, Abdul Ajij leur rapporte l’équivalent de 25 US$ par mois. Pas assez pour subvenir aux besoins de la famille.
Aujourd’hui, Begum dispose d’un revenu mensuel avoisinant 131 US$. Grâce à cela, la famille est devenue propriétaire de sa maison et a vu ses conditions de vie s’améliorer sensiblement. Ils ont pu couvrir les frais de mariage de leurs filles, qui ont appris les techniques de broderie dans le programme de formation et les ateliers organisés par Pushpanjali.
Elles subviennent aujourd’hui aux besoins de leurs familles respectives.[/highslide]
Selon Pushpanjali, les rémunérations des employés et producteurs sont suffisantes pour couvrir les besoins d’une famille moyenne. Mais cette affirmation ne repose malheureusement que sur l’appréciation de l’organisation et non sur une base de calcul clairement établie.
Notons également qu’à Agra, la structure dominante, même pour l’activité artisanale, est celle de la « famille », un groupe qui peut rassembler jusqu’à cinquante personnes, comprenant les grands-parents, les oncles, tantes, cousins,…Tous sont soumis à l’autorité du chef de famille (qui peut être une femme), lequel contrôle le travail, reçoit les payements pour la production et distribue l’argent gagné entre les membres de la famille sur base des nécessités. Seuls les maîtres vitriers travaillent généralement comme artisans indépendants payés à la pièce. Pushpanjali n’échappe pas totalement à ce modèle d’organisation. En effet, beaucoup de personnes contribuent d’une manière ou d’une autre à la production et il donc est relativement difficile de déterminer combien gagne chaque personne.
En plus de leur rémunération, les artisans, employés et leurs familles bénéficient d’une assistance médicale, d’un service de premiers secours d’urgence et d’un appui aux familles pour la scolarisation des filles. Pushpanjali accorde également des crédits aux producteurs et les encourage à former des groupes d’épargne et d’entraide pour devenir plus autonomes

Des produits de longue tradition

Sur une gamme de six catégories de produits proposées par Pushpanjali, Oxfam-Magasins du monde achète des objets en pierre (en saponite ou pierre à savon), verre et coton tissé et brodé.
La tradition du travail de la pierre remonte à la construction du Taj Mahal, célèbre monument d’Agra. De même le travail du verre a une histoire de plusieurs siècles, surtout sous la forme de bracelets typiques, essentiellement dans la région de Firozabad. La technique de la broderie remonte elle aussi aux temps des moghols.
La pierre à savon provient de carrières situées aux confins de l’Uttar Pradesh et du Madhya Pradesh. Pushpanjali n’achète pas directement dans ces carrières et doit passer par des grossistes d’Agra. Le verre provient des verreries de Firozabad. Le coton pour les tapis provient du Maharashtra. La question de la traçabilité des matières premières reste un point problématique auquel Pushpanjali s’efforce de donner des réponses. C’est ainsi qu’ils ont démarré, en mars 2010, un projet de filière de coton bio sur trois ans. L’objectif est de contrôler l’ensemble de la chaîne de production.
Pour certaines phases du travail de la pierre à savon, on utilise des machines électriques plus ou moins simples (scies à ruban, tour, polisseuse) mais la plupart des opérations sont réalisées à la main. Les tapis sont fabriqués sur des métiers manuels.

Manque de ressources pour fournir du travail à plus d’artisans

Avec un chiffre d’affaires annuel non négligeable avoisinant 170.000 USD [[highslide](2;2;;;)Environ 140.000 euros[/highslide]] , dont 95% proviennent des exportations dans les réseaux de commerce équitable et 5% de ventes locales dans des foires et expositions, Pushpanjali ne travaille pas à sa pleine capacité de production. Actuellement, les commandes donnent du travail aux producteurs pour huit mois par an. Pushpanjali ne bénéficie d’aucun subside.
Estimant à près de 10.000 le nombre d’artisans dans la région, Pushpanjali est conscient que les ventes ne sont pas suffisantes pour donner du travail à d’autres artisans que les septante actuels. Ils ont la volonté de déployer des efforts pour élargir les débouchés locaux en ciblant les Indiens aux revenus élevés, dont le nombre est en augmentation. Une réflexion en termes de développement de produits répondant à cette demande spécifique est en cours.
Le résultat pour les 70 producteurs avec lesquels Pushpanjali entretient de relations stables depuis 1997 n’est pas négligeable pour autant. La relation de Pushpanjali avec les centrales d’importation de commerce équitable leur a ouvert des marchés, ce qui a entraîné une augmentation de leurs revenus. Tous vendent aussi une partie importante de leur production directement à des commerces de touristes et à des intermédiaires locaux. 80% d’entre eux sont aujourd’hui propriétaires de leur maison et de leur local de production.

Santé et éducation

D’une manière générale, Pushpanjali promeut le développement de la communauté locale à travers la mise en œuvre de programmes de développement. 2% du chiffre d’affaires sont affectés à la constitution d’un fonds utilisé à la fin de l’année pour acheter des biens utiles (casseroles, linges de maison, bicyclettes,…) qui sont ensuite distribués aux familles en fonction de leur contribution au niveau de la production. Pushpanjali ne bénéficie d’aucun subside public et les projets sociaux sont donc limités en fonction des bénéfices réalisés.
Au-delà des producteurs avec lesquels elle travaille, l’association met en œuvre des projets de soutien médical et éducationnel pour les populations rurales pauvres. Ces actions bénéficient depuis plusieurs années à plus de 1 500 personnes par an. Quelque 7 800 personnes en ont déjà bénéficié.
Les activités de Pushpanjali répondent entre autres à un problème médical répandu : la cataracte, une maladie des yeux que les villageois contractent à cause de la poussière et de la cuisine au bois et au charbon. Pour les opérer, Pushpanjali collabore avec l’Etat en prenant en charge les produits pharmaceutiques et les lunettes, alors que le gouvernement met le chirurgien à disposition et couvre les frais d’opération. Des camps médicaux sont également organisés dans le village de Khaula, à 15 km d’Agra, le 18 de chaque mois.
Sur le plan de la santé des producteurs, Pushpanjali fait aussi face à un défi important lié aux poussières auxquelles sont exposés les travailleurs lors du découpage de la saponite avec des scies à ruban. Pushpanjali les sensibilise à l’utilisation de masques à filtre mais beaucoup continuent à leur préférer le turban devant la bouche et les tisanes épicées auxquelles ils prêtent des vertus purifiantes. Le problème est donc bien réel.
Sur le plan de l’éducation, Pushpanjali prend annuellement en charge les frais scolaires de huit filles issues de familles défavorisées et 200 étudiants ont déjà été formés en informatique. Selon Suresh Mittal note que « en Inde, le taux d’alphabétisation est de 58%, chez Pushpanjali, il atteint 75% ».
Pushpanjali accorde une attention particulière au renforcement des capacités des artisans à travers la participation aux processus de décision avec des mesures spécifiques de discrimination positive en faveur des femmes. Aujourd’hui, Pushpanjali compte 26 femmes sur les 70 artisans et souhaite progressivement atteindre 50%. Pour Suresh Mittal, « c’est un grand pas en avant lorsqu’on sait qu’en 1984, il n’était même pas permis à un homme de parler à une femme musulmane et qu’aujourd’hui ils travaillent ensemble ».

Sensibilisation et plaidoyer pour le commerce équitable

Le plaidoyer pour plus de justice dans le commerce mondial fait partie de la mission de Pushpanjali. Les actions sont menées, dans le cadre des réseaux de commerce équitable dont l’organisation est un membre actif : Asia Fair Trade Forum, Fair Trade Forum India et WFTO [[highslide](3;3;;;)World Fair Trade Organisation, Organisation mondiale du commerce équitable[/highslide]] , ainsi qu’au niveau de l’association elle-même. Des événements de sensibilisation et de promotion du concept de commerce équitable sont organisés dans des écoles, des universités et d’autres organismes publics. 85% des producteurs et plus de 600 étudiants ont déjà suivi des sessions de conscientisation au commerce équitable. Chaque année, au mois de mai, Pushpanjali célèbre la journée mondiale du commerce équitable avec pour objectif de sensibiliser la population locale au commerce équitable et à des enjeux tels que l’environnement et les changements climatiques, entre autres par un marathon pour le commerce équitable. Pushpanjali assure la visibilité de ces actions par des journées portes ouvertes et grâce à une couverture médiatique tant par la presse écrite que par la télévision locale et nationale.

Conscientisation au respect de l’environnement et aux changements climatiques

Les producteurs sont conscients de la législation nationale en matière d’environnement. Ils accordent une attention particulière aux méthodes de production : utilisation de matériaux respectueux de l’environnement et biodégradables ainsi que de matériaux recyclés. Etant donné que les matières premières proviennent de sources extérieures, il n’est pas toujours possible pour les producteurs d’êtres certains de la qualité de leurs fournisseurs sur le plan environnemental. Pushpanjali encourage également des méthodes de production de plus en plus efficientes ainsi qu’un usage minimal de l’énergie et la conversion au bio. La plupart des produits sont fabriqués à la main ou avec des outils simples. Une mesure concrète au sein des employés de Pushpanjali a été de décider de venir travailler à vélo une fois par semaine. A terme, ils voudraient recourir à l’énergie solaire.
Un plaidoyer environnemental est aussi réalisé à travers la sensibilisation des producteurs et de la population, y compris les enfants, aux changements climatiques. Plus de 600 élèves ont déjà été conscientisés à ces enjeux à travers : des sessions de conscientisation, la distribution de fascicules, la plantation d’arbres dans les écoles, les rues et les parcs,… Des volontaires sont recrutés pour ce travail de sensibilisation.
Les produits de Pushpanjali sont acheminés vers l’Europe par bateau afin de limiter l’impact de leur transport sur l’environnement.

Défis pour l’avenir

Sur fonds de constat largement positif pour les 70 artisans de Pushpanjali, l’organisation doit encore affronter quelques défis de taille, comme fournir du travail douze mois par an aux producteurs actuels et élargir ses débouchés locaux pour pouvoir, à terme, offrir du travail à plus de producteurs.
Au niveau social, l’association souhaite également étendre l’appui médical et éducationnel à davantage de bénéficiaires. Cela dépendra, évidemment, des revenus générés par les ventes. A plus court terme, Pushpanjali envisage de mettre en place des programmes de formation pour les artisans en milieu rural, à commence par un programme de formation au développement de produits à destination des producteurs.
Enfin, la traçabilité des matières premières et le contrôle de l’ensemble de la chaîne de production est un enjeu de taille, tant sur le plan environnemental que du respect des critères du commerce équitable et des conditions de travail de tous les acteurs de la filière.
Valérie Vandervecken
Responsable Partenariat Sud