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Quelles politiques mettre en place pour une meilleure gouvernance de la filière coton en Afrique de l’Ouest ?

Analyses
Quelles politiques mettre en place pour une meilleure gouvernance de la filière coton en Afrique de l’Ouest ?
L’effondrement de l’usine textile du Rana Plaza au Bangladesh en mai 2013 aura provoqué un séisme médiatique et politique dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. De nombreuses initiatives ont été lancées ou redynamisées pour mieux réguler les filières d’approvisionnement textile au niveau mondial. Mais les étapes antérieures à la confection et en particulier la production de coton semblent être les parents pauvres de ces initiatives, qui semblent par ailleurs souffrir d’un certain essoufflement sous l’influence du lobbying privé.
L’article propose un certain nombre de pistes pour améliorer la régulation et la gouvernance de ce secteur, en particulier en Afrique de l’Ouest.

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Introduction

Comme expliqué dans diverses analyses et études d’Oxfam-Magasins du Monde[1. Voir notamment : Veillard P. 02/08/2013. L’impact de la hausse et de la volatilité accrues des cours sur les acteurs de la filière coton. Analyse Oxfam-Magasins du Monde ; Veillard P. 12/2015. Travail décent et textile équitable. Impact du commerce équitable sur la durabilité des chaînes textiles. Partie 1 – analyse de contexte. Etude Oxfam-Magasins du Monde. ; Fair Trade Advocacy Office, AProCA, Max Havelaar France, Fairtrade International, World Fair Trade Organization, Oxfam-Magasins du Monde. Décembre 2015. Plus de pouvoir pour les producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest. Analyse Oxfam-Magasins du Monde.], les impacts sociaux et environnementaux de la production de coton sont nombreux, en particulier en Afrique de l’Ouest. Les producteurs y subissent un système commercial injuste et d’énormes déséquilibres de pouvoir qui les fragilisent considérablement. Face à cette situation, le mouvement du commerce équitable prône le développement de filières textiles plus équitables et plus durables.
Sur la base de recherches documentaires et d’entrevues avec les parties prenantes du coton dans les pays dits du C4 (Bénin, Burkina Faso, Chad et Mali) et au Sénégal[2. Recherche sur le Pouvoir dans les filières cotonnières en Afrique de l’Ouest menée en 2015 par Simon Ferrigno, Daouda Traoré et Silvere Tovignan pour le Fair Trade Advocacy Office.], cette analyse vise à présenter des mesures politiques que les gouvernements Ouest Africains, les institutions de l’UE et les États membres de l’UE et du G7 devraient prendre pour une meilleure gouvernance de la filière coton en Afrique de l’Ouest.
L’objectif final est de donner plus de pouvoir aux petits producteurs du coton en se concentrant sur les petits producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest.

Dans les pays Ouest Africains

Améliorer la gouvernance de la filière coton

Une première recommandation en matière de gouvernance est de se concentrer sur l’amélioration des mécanismes de stabilisation des prix. Le Fonds de Lissage du Burkina Faso (voir encadré) constitue un bon exemple de pratique à développer à plus grande échelle.

Le Fonds de Lissage du Burkina Faso

“L’Association fonds de lissage” a été établie au Burkina Faso en 2008 pour mitiger les effets de la volatilité des prix sur les producteurs et les compagnies cotonnières. Le Fonds fonctionne sur un principe de stabilisation et de solidarité vis-à-vis du secteur. Pour cela, il établit des surplus les bonnes années, surplus qui sont reversés aux différentes parties prenantes (sociétés cotonnières, producteurs) les mauvaises années. Les prix au producteur sont basés sur les prix côtés de deux années avant la saison courante et les estimations pour les deux saisons suivantes. Tout restant est payé aux agriculteurs. Le Fonds est géré par des banques. Bien qu’il soit trop tôt pour parler de la durabilité du fonds dans sa forme actuelle, c’est une idée qui vaut d’être l’objet d’attention de la part des décideurs politiques et qui pourrait être mise à l’échelle sur toute ou partie de l’Afrique de l’Ouest.

Les gouvernements Ouest Africains devraient également faciliter le développement de sociétés de négoces nationales et régionales appartenant aux producteurs (surtout ceux du commerce équitable et de la filière biologique) ainsi que le développement de relations directes avec les usines (ce qui est actuellement rarement le cas).
À plus long terme, les institutions africaines et les gouvernements nationaux devraient préparer le terrain pour le développement d’un secteur de la transformation du coton. Cela pourrait passer notamment par davantage d’investissements dans les infrastructures (ex. fourniture stable et abordable en énergie, bonnes infrastructures portuaires ou de transport routier / ferroviaire)[3. interne, bien que les ports s’améliorent et que des investissements soient planifiés, notamment dans le transport ferroviaire.].

Un secteur textile croissant en Afrique de l’Est : un partenaire pour les producteurs Ouest Africains ?

Les secteurs textiles de l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Ouganda, Kenya, Éthiopie, Île Maurice) connaissent tous une bonne croissance et l’arrivée d’investissements dans le matériel et la force de travail. La diminution des barrières au commerce dans la région y est plus avancée. La Tanzanie et l’Ouganda, de même que l’Île Maurice offshore, ont développé une capacité de transformation dans les filières du coton équitable et biologique (par exemple, Mantis World en Tanzanie, tandis que Plexus Cotton vient d’ouvrir une usine en Ouganda avec des investisseurs Kényans), ainsi que dans le textile conventionnel.
La Fédération Africaine de l’Industrie du Coton et du Textile est très active dans cette région, soutenue par divers bailleurs de fonds.
Cela contraste avec la situation de l’Afrique de l’Ouest, où les investissements restent relativement peu visibles (ex. Alok Industries).

Enfin, les gouvernements Ouest Africains devraient soutenir la suppression des barrières au commerce intra-Africain, pour permettre le développement de filières transfrontalières et rendre les exportations en provenance des pays sans accès maritime plus faciles.

Soutenir les plateformes locales de producteurs de coton

Les producteurs du coton peuvent influencer les structures telles que l’UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine[4. L’UEMOA est l’une des deux arènes politiques à l’échelle régionale (l’autre étant la CEDEAO). L’UEMOA se concentre sur l’intégration économique et a trois programmes sur le coton : l’Agenda pour la Compétitivité du Secteur Coton et Textile ; le Programme de Soutien à la Filière Cotton Textile (PAFICOT) ; et enfin, un programme spécifique sur l’agriculture biologique et le commerce équitable, inclus dans l’Agenda pour la Compétitivité du Secteur Coton et Textile.]) ou l’Union Africaine principalement au travers des unions de producteurs et de l’Association des producteurs de Coton Africain (AProCA) (en tant qu’organisme représentatif régional).
Beaucoup dépend donc de la capacité des fédérations et associations à gérer les relations, comprendre et suivre les marchés et faire un plaidoyer effectif pour leurs membres. Ceci implique que toutes les politiques et programmes publics incluent un soutien accru au développement de la capacité des organisations de producteurs et de l’AProCA.
Plus particulièrement, des mécanismes appropriés doivent permettre aux producteurs d’influencer le système cotonnier actuel, caractérisé par une production intensive principalement destinée aux acheteurs d’outre-mer. L’idée est de porter une plus grande attention aux besoins en développement des petits producteurs. Un mouvement vers une production plus durable pourrait aussi aider à accroître la valeur des exportations, tout en réduisant le coût et l’impact environnemental des importations (cf. diminution de l’utilisation d’intrants tels qu’engrais, pesticides, etc.). Cela aurait pour conséquence des bénéfices nets pour les comptes nationaux et les revenus fiscaux, en plus des apports en matière de sécurité alimentaire, de diversification des moyens de vie et d’environnement.
L’AProCA est fortement impliquée dans de nombreuses initiatives, allant des programmes sur le terrain aux institutions régionales et continentales telles que l’UEMOA et l’Union Africaine. Malgré tout, elle dispose de peu de ressources humaines et a donc des besoins urgents en matière de renforcement des capacités et de soutien organisationnel. Les gouvernements africains devraient donc chercher à sécuriser la stabilité financière de l’AProCA et à créer des politiques de soutien spécifiques (ex. prélèvements fiscaux sur le secteur coton redirigés vers l’organisation).
De même, il serait intéressant de fournir un soutien accru à des structures de commercialisation du coton biologique / équitable telles qu’Organic Benin (voir encadré). Une expansion de ce type de modèle, regroupant plusieurs ou tous les groupes de producteurs d’une région, pourrait aider à trouver de nouveaux marchés (avec des économies d’échelle) tout en assurant une concurrence entre acheteurs (ce qui pourrait améliorer les prix).

Organic Benin

L’organisation à but non-lucratif Organisation Béninoise pour la Promotion de l’Agriculture Biologique (OBEPAB) a été fondée en 1996 pour soutenir les petits agriculteurs à produire et commercialiser le coton biologique. En 2003, elle a fait un grand pas en avant en établissant une structure de commercialisation séparée “Organic Benin”. Cette structure a pour objectif de négocier directement le coton produit par les plus de 1000 agriculteurs avec qui elle travaille. Malgré de nombreuses contraintes en matière de capacité et de financement, ceci a permis au groupe de trouver de nouveaux acheteurs et de bénéficier de plus d’options de commercialisation.

Développer des politiques nationales pour la promotion du coton équitable et biologique

Les gouvernements africains devraient reconnaître les impacts positifs du coton équitable et biologique. Cela inclut des améliorations pour les producteurs déjà impliqués dans ces programmes, mais aussi les gains potentiels d’un accroissement du nombre de producteurs (dont des gains en termes de balance des paiements).
Dans ce cadre, des politiques spécifiques doivent être mises en place pour :

  • reconnaître ces filières à valeur ajoutée ;
  • les inclure dans la gouvernance du secteur et dans les institutions ;
  • légiférer sur leur capacité à fonctionner comme des acteurs commerciaux – par exemple, pour que des entreprises détenues par des producteurs puissent commercialiser des produits équitables et biologiques, sous le contrôle des organismes de gouvernance nationale du secteur coton (le plus souvent, ils n’ont pas de reconnaissance – et donc d’autorisation de commercer – officielle, alors qu’elle leur permettrait pourtant de progresser dans la chaine de valeur).

Le commerce équitable fait déjà partie de certaines politiques publiques, comme la stratégie d’exportation du sucre du Malawi, et dans divers pays d’Europe et d’Amérique Latine[5. “Public policies in support of fair and solidarity trade : First research phase : the cases of Colombia, Ecuador and Brazil ; France, Italy and Spain” CLAC-Fair Trade Advocacy office, juin 2015.]. Le fait que la nouvelle Stratégie du Commerce et de l’Investissement de l’UE “Commerce pour Tous” inclue une section sur l’accroissement du commerce équitable et éthique (voir encadré), et que les partenaires traditionnels de l’Afrique de l’Ouest comme la France voient le commerce équitable comme faisant partie des politiques publiques[6. La France a signé divers accords bilatéraux de coopération avec les partenaires du sud, comme par exemple avec l’Équateur, pour promouvoir un accroissement du Commerce Equitable et des produits de l’économie solidaire.], donnent des opportunités aux gouvernements Ouest Africains d’utiliser le commerce équitable comme un outil de diplomatie économique au bénéfice des petits producteurs du coton.

La nouvelle stratégie “Commerce pour Tous” de l’UE[7. “Vers une politique de commerce et d’investissement plus responsable – le Commerce pour Tous » – voir section 4.2.4 sur la “Promotion des programmes de Commerce Equitables et éthiques” (Commission Européenne, 14 Octobre 2015).]

La nouvelle stratégie de Commerce et d’Investissement de l’UE ‘“Le Commerce pour tous”’ a une section spécifique (4.2.4) où la Commission s’engage à plusieurs actions en soutien des secteurs équitables et éthiques :

  • utiliser les structures existantes pour mettre en œuvre des accords de libre échange qui promeuvent les démarches équitables et durables, tel le label biologique de l’UE.
  • prendre en compte de manière plus systématique le commerce équitable et éthique dans la révision (à venir) de la stratégie ‘‘Aide au Commerce (Aid for Trade)’ et mettre en avant les projets liés au commerce équitable dans son rapport annuel ‘Aid for trade’ ;
  • promouvoir, via les délégations de l’UE et en coopération avec le Haut Représentant, les programmes de commerce équitable et éthique à destination des petits producteurs dans les pays tiers, en encourageant les meilleures pratiques ;
  • davantage soutenir le travail effectué au sein des forums internationaux, tel le Centre International du Commerce, pour obtenir des données de marché relatifs au commerce équitable et éthique. Ce travail pourrait servir de base au suivi de l’évolution des marchés ;
  • développer des activités de sensibilisation dans l’UE, en particulier avec les autorités locales de l’UE, par exemple au travers d’un prix “Ville UE pour le commerce équitable et éthique”.

Augmenter la pression légale et politique sur les pays octroyant des subventions

En échange de la fin des réclamations à l’OMC sur les subventions de coton américaines, le Brésil a conclu en octobre 2014 un accord avec les États Unis. Cet accord consiste en un paiement unique de 300 millions USD, et ce tant que leur nouveau programme sur l’agriculture reste d’application. Les producteurs de coton Ouest Africains, malgré des changements prévus dans les subventions américaines[8. Le nouveau programme agricole des États Unis (2014) a vu une évolution. De différentes formes de soutien aux revenus des fermes, on insiste maintenant sur la production et la gestion des prix. Le gouvernement américain soutient plus particulièrement l’assurance des récoltes comme instrument primaire. En 2014/15, les subventions aux assurances sont estimées à 490 millions USD, ou 6 US cts/lb. Les subventions fournies par le gouvernement chinois sont estimées à 8.2 billion USD en 2014/15 ou 58 US cts/lb. S’agissant des subventions attribuées par l’UE : en 2014/15 le niveau de subvention directe à la production en Grèce est estimé à 238 million USD, équivalent à 39 US cts/lb de production de fibre. La subvention en Espagne est de 72 millions USD en 2014/15, ou 44 US cts/lb de fibre.], continuent de faire face à un contexte inégal, avec des subventions injustes qui créent des prix anormalement bas. La réunion ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Nairobi en décembre 2015[9. WTO Ministerial Decision of 19 December 2015 : WT/MIN(15)/46 – WT/L/981 ““Rappelant que les subventions à l’exportation et toutes les mesures à l’exportation d’effet équivalent ainsi que le soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges accordé au coton par des Membres de l’OMC faussent les prix et perturbent les marchés internationaux du coton, avec de graves conséquences pour l’économie et la vie sociale dans les pays africains producteurs de coton, en particulier les pays les moins avancés (PMA), ” and “Nous nous félicitons des progrès accomplis à titre volontaire par certains Membres en vue de fournir un accès en franchise de droits et sans contingent pour le coton et les produits dérivés du coton originaires des PMA. Nous mettons en emphase que plus d’efforts restent à faire et que ces pas positifs ne sont pas un substitut pour a l’atteinte de notre objectif”.] n’a pas résolu la vieille requête des pays du C4 de trouver une solution politique au niveau de l’OMC, malgré leurs plaidoyers répétés pour la suppression des subventions distordant le commerce.
Tenant compte du fait qu’il est peu probable que l’actuel cycle de négociations de l’OMC (le « Doha Round ») accouche d’une solution réellement pro–développement, et compte tenu du pouvoir de négociation en diminution du C4, les pays producteurs du coton devraient lancer une démarche de résolution de litige à l’OMC, afin d’essayer de trouver une solution politique similaire à celle du Brésil.
Les réparations devraient être utilisées pour promouvoir des mesures d’amélioration des chaînes coton, comme la garantie d’un revenu vital pour les producteurs et un salaire vital pour les travailleurs.

Dans les institutions de l’UE

Faire de l’approvisionnement en coton équitable une priorité dans l’initiative sur les vêtements de l’UE

Dans le cadre de l’année Européenne pour le Développement en 2015, la Commission Européenne a lancé l’idée de créer une initiative sur toute l’UE pour améliorer les externalités sociales et environnementales de la production textile. Initialement intitulée “initiative textile”, elle a été renommée ‘“initiative vêtements”’, ce qui indiquerait que la priorité sera donnée à la phase de production des vêtements. Le mouvement du commerce équitable demande que cette initiative inclue explicitement toute la chaîne de valeur, y-compris les matières premières telles que le coton. Plus particulièrement, l’Association des Producteurs du Coton Africain (AProCA) devrait être invitée à se joindre à l’initiative comme organisme régional représentant des acteurs clés des chaînes d’approvisionnement en coton.
A moyen terme, des mesures actives devraient être mises en place pour aider d’autres acteurs de la filière textile, tels que les artisans textiles ou les producteurs d’autres matières premières fournissant la filière textile.
Enfin, à l’image de l’Alliance Allemande pour les Textiles Durables[10. Lancé en avril 2014 par le ministre de la coopération Dr. Gerd Müller, ce partenariat a développé, au travers d’une table ronde impliquant plus de 70 parties prenantes (essentiellement du secteur privé, en particulier des PME, ainsi que syndicats, ONGs et autorités publiques), un plan d’action pour améliorer les pratiques du secteur. Les priorités de ce plan incluent la transparence des chaines, la réduction des produits chimiques nocifs, la liberté d’association et la progression vers un salaire vital. Source : Federal Ministry for Economic Cooperation Development.  December 2014. Sustainable textiles : What German development policy is doing.], le mouvement du commerce équitable devrait être invité à devenir membre de l’initiative sur les vêtements, comme faisant partie de la solution et comme partenaires de la Commission et du secteur privé dans l’accomplissement des objectifs de l’initiative UE.

Mettre en œuvre des politiques sur le commerce et le développement en faveur du coton équitable

Une plus grande cohérence des politiques de l’UE en matière de développement pourrait avoir de nombreuses externalités positives, dans ses efforts de lutte contre la pauvreté mais aussi comme manière de réduire les pressions migratoires par exemple. Dans cette optique, l’UE doit soutenir les gouvernements Ouest Africains avec davantage de moyens techniques et financiers.
L’Accord de partenariat économique (APE) UE-Afrique de l’Ouest est un cadre permettant par ailleurs de mettre en œuvre les nouvelles volontés de la Commission Européenne sur le commerce équitable et éthique. L’UE devrait donc l’utiliser comme un outil de soutien aux petits producteurs de l’Afrique de l’Ouest.
La phase suivante (le programme actuel finit en 2016) du programme de soutien au coton UE-Afrique devrait prioriser le support aux efforts de l’Union Africaine (UA) pour développer son propre agenda coton-textile. Elle devrait également donner plus d’importance au soutien du coton équitable et biologique, en vue d’améliorer les modes de vie et moyens des producteurs et de protéger la base de la production (sols, eau, paysage…). Une priorité est de faciliter la création d’espaces de rencontre entre acheteurs européens et producteurs de coton Africain (voir ci-dessous). L’UE devrait aussi s’assurer que le secteur de la recherche cotonnière en Afrique soit correctement financé, sur base de besoins définis en Afrique (avec l’appui des producteurs) et non en soutenant les technologies importées.
Dans la nouvelle stratégie de l’UE Aide au Commerce (‘Aid for Trade’), l’UE doit se concentrer sur l’accroissement de la capacité productive et commerciale des producteurs de commerce équitable et biologique et les aider à s’insérer dans ces filières durables.

Faire en sorte que l’offre suffise à la demande

Un sondage Eurobarometer publié récemment montre que 50 % des répondants dans l’UE sont prêts à “payer plus pour des marchandises venant des pays en voie de développement qui soutiennent les populations de ces pays (par exemple, les produits de commerce équitable)”[11. Eurobarometer Report 441 : « The European Year for Development – Citizens’ views on Development, Cooperation and aid » TNS opinion & social, February 2016.] Les projets développés par le mouvement du commerce équitable sont d’excellentes opportunités pour les producteurs de coton d’entrer dans ces marchés (si possible via des structures de négoce détenues par des producteurs).
Malgré cet intérêt potentiel du consommateur final, il n’y a pas suffisamment d’opportunités de contacts directs entre ces structures et les sociétés européennes qui veulent se procurer du coton équitable pour leurs produits textiles. Au final, l’offre de textile équitable sur les rayons européens est aujourd’hui très réduite. De nouveaux programmes pour encourager ces rencontres doivent être mis en place dans la future stratégie de l’UE sur l’Aide au Commerce (Aid for Trade), la mise en œuvre de l’APE UE-Afrique de l’Ouest et le prochain programme de soutien au coton UE-Afrique.
Les délégations de l’UE en Afrique de l’Ouest ont un rôle clé à jouer. En cohérence avec la stratégie “Commerce pour Tous”, les délégations en Afrique de l’Ouest doivent fournir des espaces pour des réunions entre petits producteurs de coton et acheteurs vendant aux transformateurs textiles, en coopération avec les ambassades des membres de l’UE et les agences de promotion du commerce.

Mobiliser le pouvoir de l’approvisionnement public

L’objectif de la Directive UE sur l’approvisionnement public de février 2014 est de permettre aux autorités contractuelles de l’UE d’utiliser leur pouvoir d’achat pour soutenir des buts sociétaux. L’article 97 de la Directive explique clairement que la fourniture ou l’utilisation de produits du commerce équitable peut être inclue dans les appels d’offre, soit i) dans les critères d’attribution du contrat, soit ii) dans les conditions de performance du contrat[12. Article 97 de la Directive 2014/24/EU du Parlement Européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’approvisionnement public, “afin que les considérations sociales et environnementales soient mieux prises en compte dans les procédures de passation de marché, il convient que les pouvoirs adjudicateurs soient autorisés à appliquer des critères d’attribution ou des conditions d’exécution de marché liés aux travaux, produits ou services à fournir en vertu du marché public sous tous leurs aspects et à n’importe quel stade de leur cycle de vie, depuis l’extraction des matières premières utilisées pour le produit jusqu’au stade de l’élimination de celui-ci, y compris les facteurs intervenant dans le processus spécifique de production, de fourniture ou de commercialisation et ses conditions, desdits travaux, produits ou services, ou dans un processus spécifique lié à un stade ultérieur de leur cycle de vie, même lorsque ces facteurs ne font pas partie de leur contenu matériel. À titre d’exemple, sont à considérer comme des critères et des conditions applicables à ce type de processus de production ou de prestation ceux prévoyant que des substances chimiques toxiques n’entrent pas dans la fabrication des produits achetés ou que les services achetés sont fournis en utilisant des machines économes en énergie. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, il s’agit également de critères d’attribution ou de conditions d’exécution du marché relatifs à la fourniture ou à l’utilisation de produits issus du commerce équitable lors de l’exécution du marché à attribuer. Les critères et conditions concernant la commercialisation et ses conditions peuvent par exemple mentionner que le produit concerné est issu du commerce équitable, y compris l’obligation de payer aux producteurs un prix minimum et une majoration de prix”.].
La Commission devrait encourager les autorités contractuelles au sein de l’UE à inclure le commerce équitable aux côtés des autres critères sociaux dans leurs contrats publics sur l’approvisionnement textile. Pour ce faire, elle doit leur fournir des guides en vue de l’ouverture légale dans les nouvelles règles de l’UE.
À travers la mise en œuvre du nouveau Prix ‘Ville de l’UE pour le commerce équitable et éthique’ (cf. nouvelle stratégie UE “Trade for All”), la Commission doit promouvoir l’échange de bonnes pratiques entre les autorités locales sur la manière d’utiliser l’approvisionnement public pour accroître la demande pour le textile fabriqué avec du coton issu du commerce équitable.
La Commission européenne pourrait également soutenir la création d’un réseau d’approvisionnement en textile équitable sur toute l’UE. Ceci permettrait une approche coordonnée de l’approvisionnement et pourrait renforcer le pouvoir d’achat des autorités contractuelles (sur le textile équitable, ou fabriqué avec du coton équitable). Ceci donnerait un signal fort aux entreprises désirant participer au marché de l’approvisionnement public.

Soutenir la demande pour les projets de commerce équitable

La Commission européenne devrait utiliser les programmes existants et nouveaux – par exemple, le partenariat d’approvisionnement coton « FSP » de Fairtrade International, le nouveau label produit de World Fair Trade Organisation pour les organisations de commerce équitable (qui accepte aussi les autres fibres durables) – comme outils pour achever ces objectifs, comme dans le cas de l’Alliance Allemande des Textiles Durables.

Introduire la diligence raisonnable pour les entreprises qui important des textiles dans l’UE

La Commission européenne devrait explorer les possibilités de développement de cadres juridiques exigeant que les entreprises de l’UE appliquent le principe de diligence raisonnable tout au long de leurs chaînes, en respectant les standards internationaux en matière d’environnement, de Droits de l’Homme, et du travail, pour tous les acteurs impliqués dans leurs filières. En particulier, les entreprises devraient s’assurer que les agriculteurs fournissant leurs filières reçoivent un revenu vital et les ouvriers un salaire vital. Si le modèle de mise en œuvre des actions sur le bois et les minerais des conflits de l’UE ne constitue pas le meilleur exemple, leurs lacunes ne mettent pas en cause le besoin de responsabiliser les entreprises, par le biais de requêtes pour la diligence raisonnable pour les textiles qu’ils placent sur les marchés.

Dans les pays du G7 et de l’UE

Mettre en place des stratégies nationales pour atteindre la durabilité dans les filières textiles

 L’une des conclusions du sommet du G7 à Elmau (Allemagne), en juin 2015, est la volonté des chefs d’État et de gouvernement du G7 d’encourager les filières globales durables et de se mettre d’accord sur des actions concrètes de mise en œuvre. En matière de suivi, les Ministres de l’emploi, du travail, des affaires sociales, de la coopération internationale et du développement du G7 se sont accordés en octobre 2015 sur un “plan d’action de la consommation et de la production équitable et durable” avec des actions concrètes. Ce plan d’action couvre non seulement les problèmes de durabilité dans la confection des vêtements, mais aussi dans la production de coton. Il s’agit pour les pays du G7 de “mieux coordonner le soutien du G7 sur (…) la production du coton durable, notamment en Afrique et en Asie, par une volonté d’intégrer et de soutenir la mise en œuvre, là où elle est faisable, de l’un des standards de production de coton durable déjà existants (“Cotton Made in Africa”; “Better Cotton Initiative”; “coton commerce équitable” et “coton biologique”), quand de nouveaux programmes bilatéraux ou projets pilotes sur le coton en Afrique ou en Asie sont initiés”[13. G7. Octobre 2015. “Fair Sustainable Consumption and Production action plan” (voir la section “support to developing countries”).].
Dans ce cadre, les initiatives telles que l’Alliance Allemande pour les Textiles Durables (voir plus haut), devraient être répliquées par les autres états membres du G7, afin d’atteindre la pleine durabilité sur toute les filières textiles, du producteur au consommateur.

Soutenir l’utilisation des programmes de commerce équitable

Comme au niveau de l’UE, les gouvernements nationaux devraient saisir l’opportunité de travailler avec et d’utiliser les programmes nouveaux et existants de commerce équitable comme outils pour atteindre ces objectifs de durabilité des filières. Exemples : le système d’approvisionnement coton le nouveau standard textile équitable de Fairtrade International ou le nouveau label produit du World Fair Trade Organisation pour les organisations du commerce équitable.

Mobiliser le pouvoir de l’approvisionnement public durable

Pour les états membres de l’UE, la transposition en loi nationale des nouvelles règles sur les marchés publics est une bonne opportunité de clarifier le cadre juridique et développer des objectifs pour l’approvisionnement public. Par exemple en indiquant une feuille de route pour tous les niveaux de gouvernement et les agences pour s’approvisionner en textiles équitables par une date donnée. Fournir des avis “pratiques” et un soutien sur le plan juridique (en rédigeant des appels d’offre) serait aussi un bon moyen d’atteindre les autorités locales.
La mise en œuvre des nouveaux objectifs des Nations Unies sur le Développement Durable au niveau national, dans tous les pays du G7 et de l’UE, en particulier l’objectif numéro 12 sur la consommation et la production durable et le sous-objectif “promouvoir les pratiques d’approvisionnement public qui sont durables, en accord avec les priorités et politiques nationales’ serait une façon pratique d’aligner les volontés politiques avec les décisions d’achat, par le biais de stratégies politiques actives sur l’approvisionnement en coton issu du commerce équitable.

Introduire la diligence raisonnable pour les entreprises qui importent des textiles dans les marchés nationaux

De nouveau comme pour le niveau européen, les gouvernements nationaux devraient explorer les possibilités de développer des cadres juridiques contraignant les entreprises à appliquer les principes de diligence raisonnable tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, en respect des standards internationaux en matière d’environnement, de Droits de l’Homme et du travail. Cela doit concerner tous les acteurs impliqués dans les filières, du producteur au consommateur, en ligne avec la loi sur l’Esclavage Moderne récemment votée au Royaume-Uni[14. Business & Human Rights Resource Centre. United Kingdom´s Modern Slavery Act 2015.] ou autres initiatives législatives telles que la loi sur le devoir de vigilance en France[15. En instaurant l’obligation d’un plan de vigilance, cette loi imposerait aux grandes entreprises implantées en France une responsabilité juridique vis-à-vis de l’ensemble de leur chaine de valeur (en France comme à l’étranger), ce qui impliquerait entre autre l’accès des victimes à la justice. Adoptée à l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 30 mars 2016, elle est pour l’instant toujours bloquée au Sénat. Source : CCFD Terre Solidaire. 13/10/2016. La proposition de loi sur le devoir de vigilance bloquée au Sénat. ]. En particulier, les entreprises doivent s’assurer que les agriculteurs dans leurs filières reçoivent un revenu vital et les ouvriers un salaire vital.

Conclusions

L’effondrement de l’usine textile du Rana Plaza au Bangladesh en mai 2013 aura provoqué un séisme médiatique et politique dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. De nombreuses initiatives ont été lancées ou redynamisées afin de mieux réguler les filières d’approvisionnement textile au niveau mondial.
Mais comme on l’a vu, le coton et plus généralement les étapes antérieures à la confection semblent être les parents pauvres de ces initiatives. Sous l’effet notamment du puissant lobbying des intérêts privés, ces dernières semblent par ailleurs souffrir d’un certain essoufflement par rapport à la dynamique initiale (cf. l’enlisement de l’initiative vêtements de l’UE) ainsi que d’une grande dispersion (cf. les initiatives nationales en Allemagne ou en Hollande vs. l’initiative UE).
Il est donc important pour les acteurs du coton équitable de mettre en avant la nécessité de réguler l’ensemble de la chaine, des vêtements jusqu’aux producteurs de coton, en particulier ceux d’Afrique de l’Ouest.
La prochaine campagne d’Oxfam-Magasins du Monde (fin 2017 / début 2018), qui tentera de sensibiliser le grand public à ces questions de régulation des filières textiles, devrait offrir différentes opportunités pour mettre la question à l’agenda, en particulier au niveau belge.
Comme de nombreuses autres ONG au Nord comme au Sud , notre approche est de combiner la mobilisation de la société civile avec la construction de plaidoyers, dans l’objectif d’amener les décideurs politiques (en Afrique et en Europe) à prendre des décision donnant plus de pouvoir aux petits producteurs de coton et ainsi leur garantir les moyens d’une vie décente.
Fair Trade Advocacy Office, AProCA, Max Havelaar France, Fairtrade International, World Fair Trade Organization, Oxfam-Magasins du Monde