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Riz et changement climatique

Analyses
Riz et changement climatique

Le riz, c’est la vie !

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ne pouvait pas mieux résumer l’importance capitale de cette céréale au niveau mondial lors du lancement de l’année internationale du riz en 2004. Il constitue en effet l’aliment de base de pas moins de 3,23 milliards de personnes, soit plus de la moitié de la population mondiale, loin devant le blé – 1,55 milliard – et le maïs – 288 millions [FAO 2007].
Or, avec le changement climatique, la culture du riz connait des bouleversements énormes qui pourraient à terme mettre en péril la sécurité alimentaire de nombreuses personnes. Les défis à relever sont énormes.

Le riz est un enjeu fondamental pour le Sud

La production rizicole en terrasse ne permet pas toujours le recours à une forte mécanisation de la production.

Avec une consommation annuelle moyenne inférieure à 10kg/habitant dans les pays occidentaux, il n’est pas étonnant que nous ne nous sentions pas vraiment concernés par la culture du riz [Cavalier 2007]. Le riz nourrit en effet avant tout les populations du Sud : c’est la nourriture de base [[highslide](1;1;;;)
Dans ces pays, la consommation annuelle moyenne oscille entre 80kg et 200kg par habitant !
[/highslide]] dans 17 pays d’Asie et du Pacifique, 9 pays en Amérique du Sud et du Nord et 8 pays en Afrique [FAO 2004]. Cette céréale est la source de calories principale des populations les plus pauvres de la planète.
A l’échelle mondiale, environ 2 milliards de producteurs produisent du riz, et les 4/5ème de la production est assurée par de petits cultivateurs de pays en développement [Cavalier 2007]. En Asie (90% de la production mondiale) et en Afrique Sub-saharienne, presque tout le riz est produit dans de petites exploitations allant de 0,5 à 3 hectares qui requièrent beaucoup de main d’œuvre, l’essentiel du travail devant s’effectuer à la main [Groenendijk 2010].
Ce type de production côtoie – parfois au sein d’un même pays producteur – une riziculture commerciale intensive à plus grande échelle. Les différences de rendement entre les différents pays et modes de culture pratiqués peuvent être énormes: en 2004 le rendement national le plus élevé est de 10,07 tonnes/ha (riziculture irriguée intensive, comme en Australie), celui le plus faible est de 0,75 tonne/ha (système pluvial traditionnel, comme au Congo), le rendement moyen mondial étant de 3,84 tonnes/ha. Cette riziculture commerciale intensive, dont la commercialisation est assurée par quelques entreprises multinationales, concurrence fortement les petits producteurs et menace à terme leur gagne-pain [Cavalier 2007].

L’impact direct du changement climatique

Localement, le changement climatique pourrait potentiellement avoir un impact positif sur la production de riz. Par exemple, une augmentation de température permettrait d’accroitre la productivité de certaines régions plus froides, comme en Chine, ou permettre d’opérer plusieurs récoltes par an, là où cela n’était pas possible avant [[highslide](2;2;;;)
Certaines régions européennes comme en la Suisse ont même lancé avec succès de la production rizicole !
[/highslide]]. Cependant, dans l’ensemble, les effets du changement climatique risquent d’être globalement négatifs [IRRI 2011]. Sans entrer trop dans les détails, en voici quelques explications clés :

  • L’élévation du niveau des mers : D’après les experts, la fonte des glaces causée par la montée des températures risque bien de provoquer une élévation moyenne du niveau des mers de 1m d’ici la fin du 21ème siècle. Or, de grandes quantités de riz d’Asie sont cultivées dans de basses terres d’immenses deltas et dans les régions côtières. A titre d’exemple, au Vietnam, plus de 50% de la production de riz est faite dans le delta de fleuve de Mekong ! Une moindre perturbation du niveau des mers peut avoir des conséquences considérables – récoltes sous eaux, mais aussi perturbation profonde des écosystèmes qui rendent possible la production du riz!
  • Inondations : Ce qui distingue le riz de nombreuses autres céréales, c’est qu’il peut se cultiver dans des conditions très humides. Les cultures de riz ne peuvent néanmoins pas être indéfiniment inondées : le riz ne résiste pas sous l’eau pendant de longues périodes. Les inondations, qui se feront plus fréquentes, vu la recrudescence des orages tropicaux à prévoir à l’avenir, gêneront probablement la production de riz. Actuellement, environ 20 millions d’hectares du secteur rizier du monde sont susceptibles d’être de temps en temps inondés trop longtemps, en particulier dans les pays importants de production de riz tels que l’Inde et le Bangladesh.
  • La salinité : l’élévation du niveau des mers mène l’eau saline plus loin à intérieur des terres, ce qui expose les zones de riziculture aux conditions salées. Or le riz tolère seulement modérément le sel et les rendements peuvent être réduits quand la salinité est présente.
  • Niveau de CO2 et températures plus élevées : Un niveau de CO2 plus élevé provoque une production plus importante de biomasse, mais n’a pas nécessairement d’effets positifs sur les rendements. Les températures plus élevées affectent les rendements du riz parce qu’elles peuvent rendre les fleurs de riz stériles – ce qui signifie qu’aucun grain n’est produit – et nuire à l’aération des sols – ce qui rend également le riz moins productif.

Les tableaux ci-dessous [FAO 2008] montrent les effets négatifs du changement de température sur les rendements des cultures rizicoles.

  • Pénurie d’eau : Le riz a besoin d’eau en suffisance pour prospérer. Son rendement peut être réduit de manière très significative par une succession de quelques jours secs : deux semaines dans des rizicultures peu profondes et seulement une semaine pour les rizicultures de montagne. Dans les zones de rizicultures pluviales menacées par la sécheresse, la perte moyenne de rendement s’est étendue de 17 à 40% quand la sécheresse est survenue. Or, il est prévu que l’intensité et la fréquence des sécheresses augmente pour les rizicultures pluviales. La pénurie d’eau affecte déjà plus de 23 millions d’hectares de rizicultures pluviales en Asie du Sud et Asie du Sud-Est. En Afrique, la sécheresse périodique affecte presque 80% du potentiel des 20 millions d’hectares de rizicultures pluviales. La sécheresse affecte également la production de riz en Australie, en Chine, aux Etats-Unis et dans d’autres pays.
  • Parasites et maladies : De nombreuses enquêtes de terrain réalisées ces 10 dernières années prouvent que le développement de maladies et de parasites qui affectent la production du riz et le changement climatique sont étroitement liés. Un phénomène qui est en grande partie lié à la problématique de l’eau : pénurie, des précipitations irrégulières…

L’impact indirect du changement climatique

Population mondiale et production de riz (FAO 2007)

D’après les statistiques de la FAO, le taux de croissance de la population mondiale est resté relativement stable depuis 1965, moment où l’institution dénombrait déjà 3,34 milliards de personnes. La régularité de cette évolution laisse à penser que nous devrions atteindre les 9,3 milliards d’ici 2050.
Du côté de la production mondiale de riz, les stocks ont aussi connu un taux de croissance élevé jusqu’en 2000. Globalement, cette évolution a permis de maintenir un certain équilibre vis-à-vis d’une population mondiale grandissante. Malheureusement, si la production mondiale de riz continue aujourd’hui d’augmenter, sa croissance est désormais ralentie de manière très significative, ce qui tôt ou tard posera la question de la sécurité alimentaire mondiale – soit celle de savoir si nous serons en mesure de produire des quantités de riz suffisantes pour nourrir tout le monde [[highslide](3;3;;;)
Aujourd’hui, la question est posée en des termes différents puisque les stocks alimentaires sont encore suffisants, mais économiquement inaccessible aux plus pauvres de la planète.
[/highslide]] [FAO 2007].
En réalité, les multiples famines de 2007-2008 dans de nombreux pays du monde sont déjà des manifestations concrètes des problèmes qui sont susceptibles de survenir avec plus de force à l’avenir si rien ne change. En effet, ces années ont été marquées par des stocks alimentaires historiquement bas, sur lesquels de nombreux acteurs économiques n’ont pas hésité à spéculer. Résultat : le prix du riz a fortement augmenté, le rendant inaccessible à une frange importante de la population mondiale [[highslide](4;4;;;)
Voir à ce sujet le documentaire réalisé par Jean Crépu Main basse sur le riz , 2010
[/highslide]] . Suite à cette crise, la barre symbolique du milliard de personnes sous-alimentées a été dépassée !
A l’avenir, les calculs économiques de différentes institutions internationales prévoient que la montée en flèche du prix des matières premières, et particulièrement du riz, risque d’être fortement accentuée par le changement climatique [IFPRI 2009]. De nombreuses personnes sont ainsi susceptibles d’être sous-alimentées, faute de moyens disponibles pour payer leur nourriture.

Le riz, responsable du changement climatique

Au niveau planétaire, les rizicultures interviennent peu dans le réchauffement climatique [[highslide](5;5;;;)
La production de méthane pèse pour 20% de l’effet de serre mondial. Seuls 10% de cette production peut être imputée à la production rizicole [IRRI 2011] – ce qui est bien loin de l’impact de la production de viande qui pèse elle pour près de 37% du méthane produit!
[/highslide]]. Elles sont néanmoins une source de gaz à effet de serre non négligeable à l’échelle de nombreux pays asiatiques. Les modes de culture du riz irriguée – soit près de 80% de la production mondiale du riz – sont en effet une source de méthane, fruit de la décomposition des matières organiques qui se retrouvent dans des conditions anaérobiques. Après le CO2, c’est le gaz le plus important en matière de réchauffement climatique, notamment parce que son « effet de serre » est 25 fois plus important que le CO2.

Résumé des émissions de méthane dans les rizicultures (MT/an) (FAO 2008)

Dans une moindre mesure, la production de riz peut également générer des émissions de CO2 et de l’oxyde nitreux (N2O), autre gaz dont l’effet de serre est très important. Ces émissions sont elles principalement attribuables à l’industrialisation des cultures rizicoles [PAN AP 2011].

Le riz aux paysans !

Savoir comment nourrir le monde tout en préservant la planète. S’il y a maintenant consensus entre acteurs sur la question, les réponses, quant à elles, divergent.
Après la Révolution Verte, qui marque l’essor dans les pays du Sud d’une agriculture industrielle reposant sur le recours massif aux intrants artificiels, les uns proposent uneRévolution Génétique, soit le recours aux variétés hybrides et/ou génétiquement modifiées (OGM) pour résister au climat. Développées en laboratoire, ces variétés seraient hautement productives tout en ayant beaucoup moins recours aux intrants traditionnels. Combinées avec des méthodes de production « modernes », leur utilisation permettrait de réduire sensiblement l’impact des rizicultures sur le climat. La posture a le mérite d’ouvrir un formidable marché pour le riz hybride et génétiquement modifié, ce qui n’est pas pour déplaire aux acteurs qui ont des intérêts économiques liés à leur vente [PAN AP 2011].
Cette perspective maintient la voie vers une standardisation toujours plus forte de la production rizicole, et par conséquent, à une perte considérable de variétés de riz existantes [[highslide](6;6;;;)
Au Philippines, before, existaient pas moins de 4.400 variétés de riz différentes. Depuis la Révolution Verte, 80% des terres arables ne servent plus qu’à cultiver 5 variétés. Le risque de cette perte de biodiversité est élevé: en cas d’attaques de maladies ou de parasites, les récoltes peuvent être dramatiquement réduite, voire annihilées, mettant en danger la sécurité alimentaire du pays! [Piras 2011]
[/highslide]] . Or, les expériences récentes prouvent que le maintien de ce patrimoine mondial est capital. A titre d’exemple, le phénomène de salinisation des terres a occasionné un regain d’intérêt pour les variétés résistantes au sel jusqu’ici dénigrées pour leur productivité moins importante que les variétés industrielles [FAO 2007]. Mais cette voie constitue également un piège pour le monde paysan dans la mesure où il perdrait totalement la maitrise de ses semences, qui constitue la base même de l’agriculture. Déjà fortement pénalisés par l’organisation actuelle du marché du riz, ils seraient dès lors encore plus contraints d’accepter les conditions de production imposées par les autres acteurs de la filière.
En opposition à cette première posture, toute une série d’expériences visent à rendre les paysans mieux équipés pour faire face aux défis à relever. Essentiellement basées sur les échanges de connaissances et pratiques de terrain, elles donnent un rôle déterminant aux paysans dans leur élaboration et application concrètes. L’exemple phare de ces expériences est celle du Système de Riziculture Intensive (SRI) qui préconise un mode de gestion spécifique de la terre, des plants, de l’eau et des fertilisants durant la production de riz. Elle permet une réduction très significative des émissions de méthane tout en augmentant la productivité du riz à l’hectare. Les résultats sont surprenants : hausse de la productivité de 47%, réduction du besoin de semences de 90%, des besoins en eaux de 40%, et des coûts de production de près de 23%. Par ailleurs, les cultures sont plus résistantes aux parasites et aux maladies tout en ayant besoin de moins de fertilisants [Groenendijk 2010].
Cette seconde perspective s’inscrit dans une logique de revalorisation de la paysannerie. En effet, ces expériences sont non seulement parfaitement concluantes au regard des défis à relever, mais elles sont également parfaitement adaptées à la paysannerie. La méthode du SRI, par exemple, requiert une main d’œuvre abondante que seul le monde paysan est en mesure d’offrir. Par ailleurs, son adoption est libre, facile et n’occasionne pas de coûts additionnels. Les petites exploitations paysannes, soit la grande majorité des producteurs de riz dans le monde, peuvent donc jouer un rôle clé dans la lutte contre le changement climatique, tout en assurant leur propre sécurité alimentaire. Et cela en gardant le contrôle sur leur production !
Corentin Dayez
Service politique

Références

  • Cavalier, J-B., Une filière équitable au Laos, Artisans du monde, Janvier 2007
  • FAO, Riz et alimentation humaine, factsheet, FAO, 2004
  • FAO, Rice & Climate Change, Factsheet, FAO, 2007
  • FAO, Climate change, water and food security, FAO Water Reports #36, 2008
  • Groenendijk, S., Small scale farmers can cool the world, Oxfam-Novib et International Development Issues Nijmegen, 2010
  • Pesticides Action Network Asia and the Pacific (PAN AP), IRRI’s not-so-green revolution, Eye on IRRI Factsheet #1, 2011.
  • Piras, E., Reis ist Leben, Wie Öko-Landbau und Fairer Handel zu Ernährungssouveränität führen, Naturland, 2011
  • Ringler, C., Climate Change and Agricultural Trade: How effective is reform as an adaptation measure?, IFFRI, PPT, 2009
  • WEB