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Oxfam-Magasins du monde

Sensibiliser dans des magasins de commerce équitable : un défi qui passe par l’éducation permanente !

Analyses
Sensibiliser dans des magasins de commerce équitable : un défi qui passe par l’éducation permanente !

L’appropriation des thématiques et outils de sensibilisation en magasin par les bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde.

Il ne sert à rien d’éprouver les plus beaux sentiments si l’on ne parvient pas à les communiquer.

Stefan Zweig, extrait de Clarissa.
Depuis près de 40 ans, Oxfam-Magasins du monde déploie son alternative de commerce équitable à travers de nombreux points de vente sur le territoire de la Belgique francophone. Depuis toujours, ces magasins sont considérés comme autant de relais importants pour la mission de sensibilisation que l’organisation s’est assignée. En effet, pour l’organisation, l’acte d’achat d’un produit de commerce équitable est intrinsèquement lié au message de sensibilisation qu’elle veut faire passer, aux valeurs de justice et de solidarité constitutives de ses missions ainsi qu’à son ambition de changer le système commercial profondément injuste.
Cette démarche de sensibilisation est assurée par les nombreux bénévoles de l’organisation qui, au quotidien, rencontrent les clients et sympathisants dans les magasins.
Oxfam-Magasins du monde, en tant qu’organisation d’éducation permanente, considère le bénévole comme un citoyen qui se questionne sur les enjeux sociétaux. Nous ne voulons donc pas imposer notre vision de manière brutale, en considérant le bénévole comme un perroquet qui doit répéter « la bonne parole » ou comme une simple courroie de transmission de nos thématiques.
Au contraire, nous voulons faire en sorte que le bénévole s’approprie les thématiques avec ses questions, sa personnalité, et qu’il se sente investi d’une mission de sensibiliser à son tour le public qui entre dans son magasin. C’est en tout cas cette hypothèse que nous voulons explorer dans cette analyse.
Pour cela, nous avons mené une réflexion interne dans l’organisation, incluant ses différentes composantes (éducative / commerciale ; salariés / bénévoles ; …). En février 2014, une évaluation a été réalisée auprès de nos clients sympathisants. Une autre enquête auprès des bénévoles de notre mouvement a été réalisée en août 2014, portant sur la sensibilisation en magasin ; nous avons reçu 77 questionnaires en retour. Enfin, nous avons échangé avec une autre organisation de commerce équitable, Artisans du monde en France, afin de collectiviser nos enjeux.

Notre approche éducative en magasin : contexte et outils

Oxfam-Magasins du monde est souvent envié par d’autres organisations : notre force réside en effet sur la présence en Belgique francophone de 71 magasins autour desquels gravitent  2427 bénévoles, organisés en équipes. Cette présence « sur le terrain » permet d’aller à la rencontre des citoyens -clients et sympathisants- afin de les sensibiliser à notre vision du commerce équitable, qui va bien plus loin que le simple « juste prix » offert aux producteurs. Au-delà du soutien à des projets portés par des groupes de producteurs partenaires, Oxfam-Magasins du monde considère le commerce équitable comme un levier efficace afin de dénoncer les mécanismes économiques et sociaux globaux créateurs d’injustices.
Notre objectif est donc de dépasser l’acte d’achat et de promouvoir, à travers le commerce équitable, une citoyenneté active au Nord. C’est dans cette optique que nous sensibilisons les clients et sympathisants aux enjeux qui sont les nôtres : le commerce (in)équitable, la souveraineté alimentaire, le travail décent, la consommation responsable, l’égalité de genre et l’environnement.
La démarche de sensibilisation fait l’objet d’une réflexion spécifique dans notre organisation. Nous avons structuré l’année en 3 moments de sensibilisation distincts, que nous avons nommés TEM (Thématiques en magasin). Les thématiques de chacun de ces moments de sensibilisation sont liées soit à une campagne menée par l’organisation, soit à un sujet spécifique que nous souhaitons mettre en lumière pendant une période déterminée. Ainsi, nous abordons dans nos espaces magasins des enjeux liés, par exemple, aux conditions de travail dans le secteur textile, aux modèles agricoles, à la consommation responsable, à l’identité culturelle, à l’égalité de genre, à la lutte contre l’exode rural, etc.
Pour construire ces moments de sensibilisation en magasin, nous privilégions une approche PPP (produit / partenaire / projet politique). Il s’agit d’une manière de communiquer, qui allie dans nos messages les 3 P : un message politique, un partenaire de l’organisation ainsi qu’un produit quand c’est possible. Cela permet de relier les enjeux que nous souhaitons mettre en avant avec l’activité quotidienne des bénévoles dans le magasin.
Afin d’atteindre nos objectifs, nous déployons différents outils et supports. Pour chaque moment de sensibilisation (TEM), nous concevons un dépliant spécifique résumant les enjeux (à distribuer aux clients et sympathisants), des affiches, des informations directement à côté de certains produits dans le magasin (quand ils sont liés à la thématique mise en avant), une vidéo qui défile sur un petit écran situé sur le comptoir. Certains outils plus spécifiques peuvent être déployés selon les sujets (cartes postales, etc).
A côté de cela, des outils permanents permettent d’appuyer notre mission de sensibilisation en magasin. Des brochures de base sur nos thématiques phares, des cartes sur nos partenaires résumant en quelques mots-clés les impacts du commerce équitable, etc. Enfin, des écrans interactifs ont été installés dans quelques magasins depuis octobre 2014, dans l’intention d’offrir un soutien aux bénévoles dans leur démarche de sensibilisation. On y retrouve quantité d’information et vidéo sur nos partenaires, les produits, des actualités locales, événements, etc. Ce projet est en cours d’évaluation.
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Les freins et difficultés rencontrées dans la démarche de sensibilisation en magasin

Une évaluation de notre démarche de sensibilisation en magasin menée en février 2014 auprès de clients/sympathisants nous a permis de constater que la grande majorité (80%) des clients interrogés (choisis parmi ceux qui ont une carte de fidélité) est intéressée par nos thématiques de base. Il est, par contre, plus difficile de mesurer ce qu’ils retiennent de ces thématiques suite à un passage en magasin. Ce point fera l’objet d’une évaluation externe en 2015.
Chez Artisans du Monde, une organisation sœur de commerce équitable en France, le constat est critique : selon Grégoire Osoha, les clients n’ont pas le temps, ils sont là d’abord pour acheter et sont peu réceptifs à des messages complexes. La posture d’Artisans du monde se veut réaliste : on ne touchera que quelques bénévoles et quelques clients. Mais il faut continuer à vouloir sensibiliser ne fut-ce que pour montrer que nos magasins ne sont pas comme les autres, qu’ils ont une identité propre et qu’ils sont « engagés » en faveur d’un autre modèle de société.
Même constat de la part des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde, qui estiment pour la plupart que peu de clients ont envie de s’arrêter pour s’informer et discuter des thématiques présentes en magasin[1. Enquête réalisée en été 2014 auprès de 77 bénévoles de différents Magasins du monde-Oxfam.].
Un premier frein est donc lié au public à sensibiliser : un public intéressé certes, sans doute déjà en partie sensibilisé puisqu’il se rend dans nos magasins, mais qui n’a pas toujours le temps ou l’envie d’en savoir plus.
Un second frein est lié aux bénévoles, relais de la démarche de sensibilisation.
Ici aussi, le constat est sévère. Lors d’une enquête menée en août 2014, les bénévoles d’Oxfam interrogés soulignent qu’ils sont nombreux, lors de leur permanence en magasin, à ne pas se sentir capables ou n’ont pas envie de sensibiliser, soit par manque d’intérêt, soit par manque de confiance en soi ou par peur de ne pouvoir répondre aux questions des clients. Selon Grégoire Osoha d’Artisans du Monde, transmettre de l’information en magasin demande autant de savoirs-faire et de savoirs-être que de parler dans une école, si pas plus… Cela nécessite en tout cas tout un processus de motivation et de formation et de renforcement des capacités des bénévoles.
Enfin, un dernier frein concerne la tension inhérente à la double activité qui se déroule au sein d’un même espace : vente et sensibilisation.
Nos magasins sont souvent des lieux exigus et nous n’avons pas énormément de moyens pour les aménager de manière optimale. De plus, lorsque les ventes diminuent, la tendance est plutôt d’investir dans l’espace commercial que dans l’espace de sensibilisation.
Cette tension entre les exigences commerciales et la volonté de sensibiliser peut s’avérer un frein, voire un casse-tête. N’est-on pas en train de demander aux bénévoles d’être des « super héros », capables à la fois de vendre et de sensibiliser les clients ? Chez Oxfam-Magasins du monde, nous pensons qu’il est possible et même indispensable de lier vente et sensibilisation, car c’est la spécificité du commerce équitable, qui nous distingue du commerce conventionnel.

Les opportunités et pistes d’amélioration

Nous avons identifié 3 freins principaux: l’espace en lui-même, les clients et les bénévoles. Nous avons décidé de concentrer nos moyens et nos réflexions sur ces derniers, les bénévoles, en tant que relais de sensibilisation, afin d’identifier ce qui peut être mis en œuvre pour améliorer l’appropriation de ces moments de sensibilisation.
Par appropriation, nous voulons dire « prendre possession de », c’est-à-dire à la fois connaître la thématique (savoirs), donner confiance, porter en soi la conviction de l’importance de sensibiliser (savoirs-faire) et adopter la bonne attitude pour faire passer le message avec les outils appropriés (savoirs-être).
Nous avons mis en place une stratégie basée sur 3 niveaux d’appropriation.
Le premier niveau est la participation des bénévoles responsables de la sensibilisation en magasin à l’élaboration des TEM (contenu, message, outils de diffusion et d’appropriation). Certains espaces et lieux de construction doivent donc être prévus à cette fin, que ce soit à travers notre programme de formation ou ailleurs. Cette démarche s’inscrit dans celle de l’éducation permanente : partir « de là où les gens se trouvent », de leurs préoccupations, interrogations, indignations, etc. Nous pensons que si nous relions les thématiques que nous portons en magasin aux préoccupations des bénévoles, cela favorisait l’intérêt pour aller plus loin, s’interroger davantage et cheminer dans la compréhension du monde et des inégalités, tant au niveau local que global.
Le second niveau concerne l’appropriation de la sensibilisation, notamment via des formations[2. Dans notre programme de formation 2015, différentes formations permettent de s’approprier les thématiques et axes de travail d’Oxfam-Magasins du monde : « comprendre les enjeux d’Oxfam », « parler d’Oxfam », « découvrir Oxfam », « présenter et vendre les produits », « sensibiliser lors des petits déjeuners et en magasin », « faire vivre le commerce équitable et notre relation avec les partenaires », « agir pour la souveraineté alimentaire », « agir pour le travail décent », « journée partenaires ».] auxquelles nous encourageons vivement les responsables « sensibilisation » à participer.
Quelques semaines avant le début d’un nouveau moment de sensibilisation (TEM) en magasin, les responsables reçoivent (par mail ou courrier postal) une fiche qui leur détaille le message et les outils disponibles.
Une vidéo est réalisée avant chaque TEM afin de présenter de manière claire et compréhensible la nouvelle thématique, les actions éventuelles, les outils et une proposition d’activité à réaliser en équipe pour faciliter l’appropriation de l’ensemble des bénévoles.
Cette phase d’appropriation vise essentiellement une catégorie de bénévoles plus attirés par la sensibilisation, ceux que l’on nomme « responsables sensibilisation ». En formant ces bénévoles, il sera plus facile de toucher l’ensemble d’une équipe. Cette forme d’apprentissage par les pairs est non seulement une pratique répandue dans notre organisation en matière d’apprentissage, mais c’est aussi une pratique appréciée par les bénévoles qui en retirent du positif en termes d’accompagnement. De plus, les responsables sensibilisation seront ainsi plus valorisés et responsabilisés dans leur mission de former leurs collègues bénévoles. Encore une fois, cette démarche d’apprentissage par les pairs est en lien avec notre démarche d’éducation permanente et à notre vision de l’apprentissage.
Le troisième niveau concerne l’appropriation de la thématique par l’ensemble des bénévoles d’une équipe.
Les réunions d’équipe semblent être les lieux privilégiés pour que l’ensemble des bénévoles s’approprient la thématique. L’animateur aura alors l’occasion et la tâche importante de faire prendre conscience à chacun qu’il participe à la construction du savoir collectif. Chaque bénévole participe à la réunion avec son histoire et ses connaissances. La première chose à faire avant d’aller dans les détails de la thématique est de partir des connaissances de chacun pour rappeler la base commune des valeurs d’Oxfam. Nous sommes convaincus que le manque de confiance des bénévoles en leur capacité de relayer nos messages peut être, en partie, surmonté en leur faisant prendre conscience qu’ils en savent déjà beaucoup plus qu’ils ne le pensent à propos des enjeux que nous abordons. En prendre conscience, c’est se renforcer dans ses capacités à pouvoir ensuite relayer les messages que nous défendons.
Pour chaque TEM, une activité (ludique, formative, …) à réaliser avec l’ensemble de l’équipe de bénévoles, est proposée aux responsables de la sensibilisation.
Si le temps le permet (minimum 30 minutes) : animation autour du TEM (débat mouvant, jeopardy, quizz, photolangage, etc.) qui permet à un maximum de bénévoles de prendre conscience des enjeux par eux-mêmes.
Si l’ordre du jour ne le permet pas (5 minutes) : message principal (fiche info magasin) et sources précises pour obtenir plus d’informations.
Bien sûr, nous développons toute une série de supports à travers lesquels le bénévole peut également prendre connaissance du TEM seul via la lecture de la fiche info magasin, le visionnage de la vidéo du TEM, le visionnage de la vidéo explicative du TEM (réalisée par le trio), la lecture du dépliant du TEM, de l’Oxmag (journal interne à Oxfam-Magasins du monde) et du Déclics en ligne (magazine destiné au grand public).
Mais nous privilégions l’appropriation en équipe, afin de bénéficier du débat du groupe pour construire son opinion et faciliter la transmission vers d’autres.
A côté des réunions d’équipes, d’autres espaces comme les assemblées générales ou régionales peuvent être des moments d’échange. Dégager du temps lors des instances pour la sensibilisation en magasin donnerait un signal fort pour montrer qu’il s’agit d’un chantier important pour l’ensemble de l’organisation. De même, chaque déménagement ou réaménagement de magasin doit être envisagé comme une opportunité pour que l’équipe s’approprie un espace sensibilisation, et que le magasin soit de plus en plus perçu comme lieu de sensibilisation tout autant que de vente.
Un dernier moyen de favoriser l’appropriation des thématiques par l’ensemble des bénévoles nous vient de ce que certaines équipes ont déjà mis en place : une « cellule sensibilisation en magasin » composée de quelques membres qui passent régulièrement en magasin, rencontrer chaque bénévole afin de prendre le temps d’échanger et d’informer personnellement sur la thématique mise en avant. Une autre forme d’apprentissage « par les pairs » que nous souhaitons encourager dans l’avenir.

Conclusion

Favoriser l’appropriation du contenu renforcera certainement la confiance en eux des bénévoles à pouvoir relayer nos messages. Ceci étant dit, il est nécessaire de poursuivre aussi le renforcement des savoirs-être des bénévoles, afin que sensibiliser en magasin devienne une action naturelle pour chacun. C’est notamment ce qui continuera à être développé à travers différentes formations.
Nos magasins sont notre vitrine. La vitrine de notre mouvement. Un mouvement de citoyens qui agit contre l’injustice économique et qui défend un modèle alternatif de consommation.
Un magasin n’a donc aucun sens si les citoyens bénévoles n’y propagent pas l’essence de notre mouvement. Et pour la propager, il est nécessaire de se doter de moyens efficaces et pertinents, de temps aussi, afin de transformer nos indignations en force de changement vers un monde plus juste. Travail à suivre donc…