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Un juste prix pour une nourriture saine pour l’homme et l’environnement 

2023 Analyses
Un juste prix pour une nourriture saine pour l’homme et l’environnement 

Interview Guillaume Sérillon d’Ethiquable – « Un juste prix pour une nourriture saine pour l’homme et l’environnement »

Guillaume Sérillon est responsable de filière chez Ethiquable, une marque française de produits équitables maintenant bien connue. Il est plus particulièrement en charge des relations avec des groupements de producteurs, aussi bien au Sud (ex. café) qu’au Nord (ex. fruits). Echanges avec lui sur la démarche de l’organisation en matière de commerce équitable Nord / Nord (historiquement issue de leur démarche « Paysans d’Ici »[1]), notamment sur la transition agroécologique, l’historique de la création du label Bio Equitable en France (BEF) et les questions de transformation et de valorisation en circuits longs.

Quelle est l’approche d’Ethiquable en matière de transition agroécologique ?

Si l’on veut obtenir des producteurs des changements de pratiques, qui impliquent des coûts, il faut sécuriser leurs revenus. On n’obtiendra jamais de transition agroécologique sans cela. En tant qu’acteurs de commerce équitable, nous pensons que l’échelle du groupement de producteurs est l’échelle idoine pour opérer ces changements. Nous faisons le pari d’un juste prix qui couvre les coûts de production. L’agroécologie implique des pratiques de diversification, de restauration des sols et de préservation du vivant au sens large qui rendent des services écosystémiques et doivent donc être valorisés. Cela nécessite des investissements financiers, en temps et en matériel, ainsi que du support technique. Les producteurs refont de l’agronomie en tant que telle, ne se contentant plus de protocoles de la part des vendeurs de produits phytosanitaires par exemple. Tout cela a un coût important qui doit se traduire par un juste prix, pour une nourriture saine pour l’homme et l’environnement. Lorsque le consommateur ne paie pas ce prix, en réalité c’est la collectivité qui va le payer, à l’exemple du coût de traitement des eaux polluées par les nitrates. Nous aspirons à une véritable révolution culturelle, sur nos systèmes alimentaires et sur le prix que l’on consent à mettre dans notre alimentation.

Plantation de groseilles au sein de Terretic dans les monts du Lyonnais en France

Ethiquable appose le label Bio Equitable en France (BEF, voir encadré) sur la plupart de ses produits Nord / Nord. Comment a-t-il été créé ? Allez-vous au-delà des exigences de ce label ?

Nous avons participé à la création de ce label, en apportant notre vision, nos outils et nos données. Avec les autres partenaires, nous avons essayé de nous mettre d’accord sur des outils, des valeurs cibles et des objectifs. Cela s’est révélé très intéressant mais également très complexe car une grande variété de modèles agricoles se retrouvent dans ce label, des grandes cultures du Nord de la France aux arboriculteurs du Sud Est en passant par de la polyculture du Sud Ouest. Autant de pratiques et de types d’exploitations différentes. Cela n’a donc pas été simple de se mettre d’accord sur ce qu’est une approche agroécologique juste. Mettre en place 100 m de haies par hectare peut ainsi être très facile dans des régions de bocage vallonnées mais bien plus complexe dans les grandes cultures. Mais nous avons abouti à un socle commun exigeant. Dans certains cas, nous allons au-delà des critères du label, comme sur le prix minimum dans certaines filières. Mais il y a toujours une marge de progression pour lier agroécologie et résilience économique, c’est un travail sans fin.

Visuel du label Bio Equitable en France

Le label Bio Equitable en France, exemple de label de CE N/N

Initié il y a maintenant plus d’une quinzaine d’années par des pionniers tels que Biopartenaire, Alter Eco ou Ethiquable, le concept de commerce équitable Nord / Nord est aujourd’hui plus mature, avec de nombreuses démarches présentes dans plusieurs pays européens (ex. Allemagne, Autriche, Belgique, Grèce, France, Italie, Suisse)[2]. C’est en France que le marché est le plus développé et le plus structuré, grâce notamment à une loi sur l’économie sociale et solidaire de 2014, dans laquelle le Commerce Equitable « Origine France » (CE OF) a été pour la première fois inscrit[3]. Pas moins de 8 labels sont maintenant disponibles sur le marché français, certains purement français (Biopartenaire, Tourisme équitable, Agri-Ethique, Bio Equitable En France, Bio Français Equitable), d’autres à la vocation plus « universelle » (Fair For Life, Max Havelaar France[4], WFTO), c’est-à-dire utilisables dans d’autres pays[5].

Issu d’une collaboration entre les acteurs/rices historiques du CE OF que sont Biocoop et Ethiquable, le label Bio Equitable en France (BEF) est l’un des labels les plus dynamiques et exigeants. Créée en mai 2020, l’association BEF regroupait fin décembre 2021 plus de 5000 fermes paysannes, fédérées dans 34 groupements agricoles, ainsi que 46 entreprises de la bio (transformation et distribution). Cela correspondait à 96 chaines labellisées, dans une multitude de filières agricoles (ex. fruits, légumes, céréales, légumineuses, plantes aromatiques et médicinales, lait, viande). Au total, 348 références étaient commercialisées dans divers magasins bio ainsi qu’en grande et moyenne surface (GMS)[6].

Les différents labels de commerce équitable en France, dont les labels CE OF

Comment se fait le calcul des coûts de production ?

C’est très complexe, même pour nous, qui sommes habitués à le faire dans le Sud. Sur une ferme ultra diversifiée des monts du Lyonnais par exemple, qui combine maraichage, arboriculture et un peu de prairie, il est très difficile de calculer la répartition des charges fixes ou le temps de travail par atelier. Mais cela reste plus facile qu’au Sud car on a ici plus de ressources, par exemple comptables, et les données sont plus facilement disponibles. Ethiquable propose un appui méthodologique mais ce sont les groupements de producteurs qui font les calculs. Pour chacune des productions représentant 10% ou plus de leur chiffre d’affaire, le label BEF exige une structure de coûts au bout d’un an. Dans les faits, les producteurs n’incluent souvent pas leurs coûts de main d’œuvre. C’est typique du monde paysan, même si la nouvelle génération commence à prendre en compte un revenu minimum à inclure dans les charges de l’exploitation.

Quel est le niveau d’exigence du label BEF ?

Avec les autres partenaires du référentiel, nous nous sommes notamment retrouvés sur une chose fondamentale, créer de l’exigence. On ne peut pas se contenter de la massification pour avancer vers une véritable transition agroécologique. Sans compter tous les risques de dévalorisation de la production et de stagnation du marché que cela comporte. Sur la bio par exemple, nous voulions éviter ce que l’on appelle communément le bio opportuniste. Ici, nous sommes sur du bio ‘++’, avec des critères plus stricts que la norme européenne, interdisant par exemple le travail détaché, les serres chauffées ou les monocultures. Un autre critère est l’obligation pour une marque de passer au bout de quelques années à un pourcentage de l’ordre de 25% de produits certifiés BEF sur toute sa gamme. Cela pour éviter que de grosses multinationales aient un seul de leurs produits en bio équitable, comme un arbre qui cache la forêt. Nous considérons que pour avoir un véritable impact et un prix juste pour le consommateur, il faut une mise à l’échelle en opérant un changement systémique.

Cela est-il compatible avec l’idée de sortir d’une logique de marché de niche ?

Il y a eu beaucoup de réflexions avant de se lancer car c’est vrai qu’il existe déjà de nombreux autres labels, certains réservés aux réseaux spécialisés, d’autres ouverts à tous mais « moins-disants », d’autres encore uniquement bio ou uniquement équitables. La conclusion est un label disponible pour tous les canaux de distribution mais intransigeant sur les deux volets bio et équitable.

La spécificité du label BEF n’est-elle pas aussi d’articuler bio et équitable ?

Les deux sont indissociables. Nous nous battons pour des produits de qualité, qui créent de la valeur pour le territoire et ont une empreinte environnementale réduite. Tout cela a un coût. Les gens en ont de plus en plus conscience mais ont du mal à consentir à payer le prix. Il faut pourtant aider les producteurs à transitionner vers des modèles agroécologiques tout en se payant des salaires corrects. Si l’on impose une contrainte, ils n’en auront pas les moyens. On parle d’une profession en crise, qui a perdu 1/3 de ses forces en 15 ans et qui vit très mal. Ethiquable n’est pas là pour jeter la pierre sur les producteurs en conventionnel. On est là pour proposer des outils et changer de modèle. Ce n’est pas facile car c’est une profession fortement capitalistique, qui nécessite de gros investissements de départ, ce qui fait qu’il est très complexe, long et couteux de se détourner du modèle conventionnel. Le label BEF s’inscrit dans la logique de fermes plus petites, économiquement beaucoup plus efficaces et ne fonctionnant pas qu’avec des subventions. Nous visons des systèmes réellement résilients du point de vue agroécologique, capables de faire vivre correctement ceux qui les produisent, en soutien à des écosystèmes viables, le tout pour produire des produits de qualité.

Votre modèle commercial suppose-t-il de se passer des aides publiques du type PAC (Politique Agricole Commune) ?

Le modèle européen pensé à l’époque de la PAC était dans une logique de sécurité alimentaire. L’objectif a été accompli sauf qu’aujourd’hui, on voit bien le dévoiement. Les primes à la surface sont toujours là et aucun coup de barre n’a été donné sur le fléchage des aides. On a une forme de verdissement de la PAC mais tout cela est marginal. En politique publique, c’est ce que l’on appelle de la dépendance de sentier. C’est difficile de changer de modèle en un claquement de doigts. Les plus gros bénéficiaires de la PAC sont loin d’être les premiers acteurs de l’agroécologie. Derrière cela, il y a des lobbys et des objectifs politiques importants. Nous ne sommes pas contre les aides, au contraire. L’Etat doit accompagner cette transition agroécologique en termes de coûts. Mais allons-y franchement. Continuer à subventionner certaines cultures, néfastes pour l’environnement du fait de leurs externalités de production, ne va pas dans la bonne direction.

Quid d’un modèle mixte combinant des prix justes et des aides publiques qui flècheraient vers la transition ?

La question est politique. Les agriculteurs doivent vivre correctement de leur travail. Subventionner un sujet aussi stratégique et sensible que l’agriculture se défend. Il existe beaucoup d’autres secteurs subventionnés pour des raisons stratégiques, que ce soit au niveau de la collectivité, de l’Etat ou de l’Europe. Nous assumons notre positionnement politique de vouloir réserver une part plus importante du budget à l’alimentation. Il n’y a rien de révolutionnaire à cela, les consommateurs l’ont fait à de nombreuses autres périodes de l’histoire. On nous a vendu une société d’abondance basée sur des prix bas. C’est une analyse erronée car le prix bas n’existe pas. Si ce n’est pas le consommateur qui le paie, quelqu’un d’autre va le payer derrière. Si l’on faisait payer le juste prix du conventionnel, il deviendrait plus cher que le bio parce qu’il a un coût colossal pour la collectivité. Cela n’empêche pas que l’Etat doit être proactif et envoyer un signe fort en faveur de la transition.

Ne faut-il pas adopter une forme de progressivité dans la refacturation du vrai prix, surtout dans le contexte inflationniste actuel ?

Absolument. Ethiquable ne marche pas sur l’eau. Nous contraignons nos marges, beaucoup plus que les acteurs plus industriels, notamment du fait de nos coûts de production beaucoup plus élevés. Mais nous ne sommes qu’au début d’une crise énergétique, qui va nous faire réaliser les coûts du transport, des intrants chimiques à base de pétrole et de gaz, etc. Chauffer des serres au gaz risque par exemple d’être très vite un vrai sujet.

Observe-t-on un effet de résilience des producteurs bio par rapport à cette augmentation des coûts de l’énergie ?

Je n’ai pas de données factuelles dans ce domaine. Mais il me semble clair que le modèle agroécologique est plus résilient climatiquement et économiquement, notamment de par les baisses de charges associées. Mais dans l’immédiat, je ne sais pas. Les paysans bio ont quand même des tracteurs, ils paient du carburant comme tout le monde. Les agriculteurs conventionnels iront jusqu’à dire que le bio est moins résilient, du fait de la mécanisation accrue qu’induit le désherbage mécanique par rapport à de l’épandage de glyphosate. Il faudrait regarder dans les détails mais je pense que c’est un raisonnement qui ne tient pas. A moyen et long terme, l’agroécologie implique des pratiques telles que le couvert végétal qui permettent de s’affranchir de certaines de ces contraintes. Ou en aval, des maraichers installés dans les ceintures alimentaires des villes ont moins de coûts de transport et sont donc moins sensibles à l’explosion du coût des hydrocarbures.

Atelier de transformation de Terretic dans les monts du Lyonnais en France

Comment se fait le développement de nouvelles filières chez Ethiquable ?

Nous identifions des groupements de producteurs et de potentielles nouvelles filières. Puis nous faisons un diagnostic pour évaluer si le développement d’une filière Ethiquable aura un apport, avec un véritable projet paysan derrière. C’est ce que l’on appelle le marketing inversé : on ne part pas de ce qui se vend bien mais de l’impact sur la filière. Cela peut être un intérêt agronomique, comme la préservation de variétés anciennes, ou un impact sur la résilience de la communauté locale. Nous sortons ensuite un produit que l’on va pousser vers la R&D et le service commercial, souvent dans une optique de diversification des produits. Sur du pruneau d’Agen mi-cuit par exemple, nous avons très vite lancé de la purée de pruneaux, une forme de valorisation des écarts de tri. Notre approche est « 1 produit, 1 projet » : nous accompagnons les producteurs sur de la diversification et le développement d’ateliers de transformation, afin d’optimiser la valeur ajoutée pour les groupements de producteurs. Inversement, nous passons notre chemin s’il n’y a pas d’intérêt pour eux ou pour nous.

Quelle est votre complémentarité avec les circuits-courts ?

En France, nous travaillons avec vingt groupements en commerce équitable Nord / Nord. Leur modèle économique est basé sur la vente en circuit local, via des AMAP, des groupements de producteurs, en collectivités, etc. Mais il y a nécessairement des écarts de tri, qui sont transformés en atelier et valorisés en circuits longs. Notre partenaire Terretic par exemple, un réseau de fermes ultra diversifiées dans les monts du Lyonnais, commercialise des confitures et des coulis, en complémentarité avec leurs produits frais. La groseille notamment est une culture intéressante d’un point de vue agronomique mais Terretic n’a pas les capacités de vente suffisante en frais local, ce qui nous a amené à lancer une gelée de groseille. Mais nous ne sommes pas que sur les produits transformés. Nous avons par exemple toute une gamme de légumineuses, qui sont intéressantes d’un point de vue agronomique, notamment pour limiter l’élevage.

Communication d’Ethiquable sur la répartition de valeur dans une filière de confiture de groseille

Quelle est la part des produits Ethiquable dans les chiffres d’affaires de vos partenaires ?

Nous ne représentons pas grand-chose pour les fermes en tant que telles. Pour les ateliers de transformation associés par contre, on peut représenter jusqu’à 50% de leur chiffre d’affaire. Il faut savoir que dans le monde du fruit, l’écart de tri ne vaut souvent rien en tant que tel, ou bien quelques centimes du kilo, pour être récupéré par des confituriers. Le véritable revenu pour les producteurs, il est là : dans la valorisation de cette matière première en produits finis. Et les ateliers de transformation servent aussi à de la vente locale. Celui que nous avons monté avec Terretic par exemple leur permet de vendre de la confiture aux cantines lyonnaises ou à leurs magasins de producteurs.

Quel est pour Ethiquable le périmètre géographique que l’on doit associer au commerce équitable Nord/Nord ?

Le périmètre du label BEF est actuellement la France continentale. Mais la transformation se fait la plupart du temps dans un rayon de 50-100 km. Dans des régions comme l’Alsace, il peut y avoir un intérêt à transformer en Allemagne près de la frontière. Il y a donc une réflexion pour travailler à l’échelle territoriale plutôt que de manière purement administrative, ou bien pour reconnaitre les démarches et labels d’autres pays européens.

Patrick Veillard

[1] En l’absence à l’époque d’un cahier des charges public, Ethiquable a en 2011 élaboré en interne sa propre charte, définissant 24 critères articulés autour de l’agriculture paysanne et du commerce équitable. Ethiquable. 2011. Charte « Paysans d’Ici ». Démarche équitable et bio d’Ethiquable pour les producteurs français.

[2] TDC. Octobre 2020. Le commerce équitable local belge et européen.

[3] TDC. 03/05/2021. La France, pionnière du commerce équitable local en Europe.

[4] Affilié français de Fairtrade (le label majoritaire de commerce équitable dans le monde), Max Havelaar France a lancé en 2021 une expérimentation pour certifier des ingrédients français (lait bovin et blé tendre) et labelliser des produits finis « mixtes », i.e. qui contiennent à la fois des ingrédients français et des ingrédients Sud / Nord certifiés Fairtrade (ex. les deux premiers produits de ce type lancés étaient un fromage blanc à la vanille équitable de Madagascar et un autre au sucre de canne équitable). Une spécificité de ces cahiers des charges est d’utiliser une méthode de fixation du prix garanti en fonction du territoire et d’un objectif chiffré de revenu. Max Havelaar France. 05/05/2022. Lancement des premiers produits avec la labellisation Max Havelaar France.

[5] CEF. Novembre 2021. Guide des labels et systèmes de garanties commerce équitable origine France.

[6] BEF. 02/02/2022. Le label Bio Equitable en France : piloté en majorité par des producteurs et une multitude de filières agricoles soutenues. Communiqué de presse.