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Oxfam-Magasins du monde

Le monde de la mode 10 ans après l’effondrement du Rana Plaza

2023 Analyses
Le monde de la mode 10 ans après l’effondrement du Rana Plaza
  • 10 ans après l’effondrement du bâtiment Rana Plaza au Bangladesh, le monde de la mode n’est toujours pas contraint d’être responsable.
  • Quelques initiatives du secteur et de la société civile sont à saluer, mais les initiatives volontaires demeurent insuffisantes.
  • La position de l’UE sur la responsabilité des entreprises et sa directive sur le devoir de vigilance des entreprises est déterminante pour améliorer les conditions de travail dans le secteur de la mode.
  • Les chantiers du secteur sont encore grands, notamment celui du paiement de salaires décents.
  • Il y a moyen d’agir concrètement à son niveau et de faire bouger le milieu politique !

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En 2013, un bâtiment de neuf étages abritant 5 ateliers de confection de mode s’effondre au Bangladesh. 1134 travailleuses et travailleurs du textile meurent sous les décombres. Cet évènement tragique fera trembler le monde de la mode. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur le système d’exploitation que soutiennent et mettent en place les marques de la mode rapide et pas chère, la fastfashion.

Figure 1 Photo de l’effondrement du Rana Plaza

Première réaction des marques ? « On ne savait pas. Ce n’est pas nous. ». Courageux, non ? Seulement 12 d’entre elles ont reconnu avoir produit des vêtements dans ce bâtiment au moment de l’effondrement. Imaginez-vous arpenter les décombres afin de retrouver des étiquettes de vêtements, et des bons de commandes afin de pouvoir identifier les autres marques qui se fournissaient via ces ateliers… C’est ce que les groupes militants bengalis ont fait face au silence de l’industrie. A ce jour, 32 marques ont pu être ont pu être reliées aux ateliers du Rana Plaza :


Adler Modemärkte (Allemagne), Ascena Retail (États-Unis), Auchan (France), Benetton (Italie), Bonmarché (Angleterre), C&A (Belgique), Camaïeu (France), Carrefour (France), Cato Fashions (États-Unis), El Corte Ingles (Espagne), Grabalok (Store 21, États-Unis), Gueldenpfennig (Allemagne), Iconix (Lee Cooper, États-Unis), Inditex (Zara, Espagne), JC Penney (États-Unis), Kanz (Kids Fashion Group, Allemagne), Kik (Allemagne), L.C. Waikiki (Turquie), Loblaws (Canada), LPP (Pologne), Mango (Espagne), Manifattura Corona (Italie), Mascot (Danemark), Matalan (Angleterre), NKD (Allemagne), Premier Clothing (Angleterre), Primark (Angleterre/Irlande), PWT (Texman, Danemark), The Children’s Place (États-Unis), Walmart (États-Unis) et YesZee (Italie).[1][1] « Bangladesh: effondrement du Rana Plaza », consulté le 10 mars 2023, https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/vetements/sante-et-securite-au-travail/securite-des-batiments/rana-plaza.


C’était il y a 10 ans. Depuis, que s’est-il passé dans l’industrie textile ? Les marques ont-elles pris leurs responsabilités ? La fastfashion a-t-elle régressé ? Les victimes ont-elles eu accès à la justice et à des réparations ? Comment améliorer et lutter pour de meilleures conditions de travail ?

La fastfashion en 2023 : quelques victoires…

L’évènement tragique du Rana Plaza a eu le mérite de réveiller le secteur de la confection textile et de le mettre face à ses manquements. Pour rappel, le modèle économique de la fastfashion peut être schématisé comme suit.

Figure 2 Infographie exemple de parcours d’un vêtement – Oxfam-Magasins du monde

Au 19e siècle, l’usine en tant que lieu pouvait donner à la main d’œuvre un cadre plus « sécurisé », ou en tout cas plus « contrôlé ». Le fait d’avoir des bâtiments et de concentrer le capital et la force de travail en un lieu favorisait également les investissements par le patronat liés aux conditions de travail (machinerie, éclairage, postes de travail etc). Par conséquent, cela donnait un sens de responsabilité un peu plus accru des entreprises textiles, même si les conditions de travail restaient particulièrement indécentes, notamment par rapport aux salaire, congés payés, sécurité sociale. Le modèle industriel textile était donc fondé autour de l’investissement dans des bâtiments permettant des innovations (pour l’époque, par exemple, accès aux chemins de fer, ateliers textiles avec machinerie spécialisée, protection contre les incendies etc) permettant de produire sur place et surtout permettant un enrichissement un peu plus collectif (création d’emploi local, vie économique, innovation, écart de rémunération marges-salaires moins élevé)[2]« Rana Plaza, la mort de l’industrie », Le Monde.fr, 26 mai 2013, https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/05/26/rana-plaza-la-mort-de-l-industrie_3417734_3234.html.. Néanmoins, l’amélioration des conditions de travail en dehors des aspects de sécurité, ont été des victoires obtenues par l’organisation collective et l’action syndicale (qui est encore interdite ou fortement pénalisée dans de nombreux pays). Au 21e siècle, l’industrie textile fonctionne – au-delà de la délocalisation – sur des commandes faites à des entreprises sous-traitantes, sans investissements conséquents des marques permettant à ces sous-traitantes d’investir dans des locations/construction d’ateliers respectant des normes minimales de sécurité. La confection textile pouvant se faire sur de petites machines, et même depuis chez soi, la porte est donc ouverte à tous les abus. La recette magique est donc : moins d’investissements, mais plus de profits : autrement dit des marges toujours plus grandes avec des prix de confection toujours plus tirés vers le bas. Un enrichissement qui termine dans les poches des entreprises seules, et plus dans celles des ouvrier∙ères.

L’effondrement du Rana Plaza a d’abord pointé les manquements en terme de sécurité du bâtiment : trois des étages étaient construits dans l’illégalité, des personnes avaient déjà dénoncé des fissures dans le bâtiment, et ironie cruelle, le bâtiment avait fait l’objet d’un audit quelques mois avant son écroulement… qui le certifiait conforme[3]« #4 Un contrat à respecter. Entreprises : Sortir du tout volontaire vers des accords négociés et contraignants – ranaplaza.be », http://www.ranaplaza.be, consulté le 12 avril 2023, … Continue reading! Cet audit était dirigé par la BSCI (Business Social Compliance Initiative) et l’entreprise de certification allemande TÜV (également responsable de l’effondrement du barrage minier de Brumadinho au Brésil[4] « 6 portraits de femmes qui risquent leur vie pour notre planète et nos droits », Oxfam-Magasins du monde (blog), 3 mars 2023, … Continue reading). Malgré d’autres accidents tragiques et la demande des syndicats et ONG pour régler le problème de sécurité dans les ateliers de confection, ces questions n’étaient pas à l’ordre du jour dans l’industrie de la mode. Suivant l’effondrement du Rana Plaza l’Accord Bangladesh, déjà en discussion avant l’effondrement, a vu le jour en mai 2013. L’Accord sur la protection contre les incendies et la sécurité des bâtiments au Bangladesh (Accord on Fire and Building Safety in Bangladesh), négocié suite au travail de longue haleine des syndicats locaux, Worker Rights Consortium, Industriall et la Campagne Clean Clothes (CCC) est le premier accord juridiquement contraignant dans ce domaine. Négocié pour 5 ans initialement, il est reconduit en 2018 pour 3 ans, puis à nouveau en 2021. Cet accord a été signé par plus de 200 enseignes et il concerne ainsi aujourd’hui 1600 fabriques qui emploient plus de 2 millions de personnes au Bangladesh[5]« La sécurité des bâtiments au Bangladesh », consulté le 10 mars 2023, https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/vetements/sante-et-securite-au-travail/la-securite-des-batiments-au-bangladesh.. L’Accord Bangladesh est innovant car préventif ET juridiquement contraignant. C’est-à-dire que « les entreprises doivent rendre publique la liste de leurs sous-traitants et faire inspecter les usines par des organes indépendants. Sa signature est volontaire, mais une fois l’entreprise engagée, les obligations sont contraignantes. De plus, les mesures de correction prescrites dans le cadre des inspections doivent être mises en œuvre par les usines en collaboration avec les marques. De ce fait, la santé et la sécurité au travail ne relèvent plus de la seule responsabilité des sous-traitants. Autre clause inédite : les firmes signataires s’engagent, en cas de besoin, à soutenir financièrement leurs sous-traitants lorsque ceux-ci doivent procéder à des réparations dans les usines. »[6]« La sécurité des bâtiments au Bangladesh ».. La mise en œuvre de l’accord reste cependant difficile mais progresse (notamment dû à la situation politique au Bangladesh, aux mécanismes décisionnels et à la mise en œuvre tardive des mesures par les entreprises).

En 2021, cet accord est dupliqué en Accord International, ciblant les pays producteurs concernés pour les marques désireuses d’aller plus loin (187 signataires)[7]« Home – International Accord », 20 octobre 2022, https://internationalaccord.org/.. En 2023, l’Accord sur la protection contre les incendies et la sécurité des bâtiments est transposé au Pakistan. En 2012 à Karachi, au Pakistan, le pire incendie de l’histoire de l’industrie mondiale de l’habillement faisait 250 mort·es. Cet Accord est donc une avancée majeure[8]« Avancée majeure pour les travailleuses et travailleurs de la confection au Pakistan », achACT (blog), 14 décembre 2022, … Continue reading.

L’effondrement du Rana Plaza a aussi posé la question de la transparence des filières de la mode. L’ONG Fashion Revolution, fondée en 2013, répertorie chaque année dans leur Index de Transparence les actions des marques et des entreprises textiles[9]« FASHION TRANSPARENCY INDEX 2022 : Fashion Revolution », consulté le 31 mars 2023, https://www.fashionrevolution.org/about/transparency/.. En Belgique, l’association achACT a également mis en place un « Fashion Checker » pour permettre aux consommateurs et consommatrices de mieux savoir ce qui se cache derrière les étiquettes de leurs vêtements. La Fondation FairWear est également une actrice de choix dans le secteur, permettant aux marques de mieux connaitre le contexte de leurs sous-traitants et de les accompagner dans l’amélioration des conditions de travail. D’autres initiatives multi-acteurs ont vu le jour du côté du secteur privé (Fashion Pact, Charte de l’Industrie de la mode pour le climat…)[10]« Impact environnemental du secteur textile : le dernier clou dans le cercueil? », Oxfam-Magasins du monde (blog), 9 décembre 2019, … Continue reading, mais elles restent faibles face à la hauteur des enjeux.

Au niveau des Etats, plusieurs initiatives de textile durable ont vu le jour, comme aux Pays-Bas, en Allemagne ou à l’échelle de l’UE[11] « Le textile socialement responsable : quoi de neuf ? », Oxfam-Magasins du monde (blog), 18 avril 2019, https://oxfammagasinsdumonde.be/le-textile-socialement-responsable-quoi-de-neuf/.. Ces initiatives (textes de lois, directives) sectorielles et multipartites engagent marques, PME, ONG, syndicats et Etat dans des plans d’actions et des objectifs d’amélioration de la transparence et de la qualité dans ces filières textiles. Ces initiatives ne sont pas toutes contraignantes.

…Et toujours de gros chantiers

Contraindre les entreprises à être responsables

Le devoir de vigilance permet aux entreprises d’identifier, de prévenir et d’atténuer les risques liés à leurs activités sur leurs chaines de valeur. En terme de texte législatif, il s’agit de contraindre les entreprises à réellement être responsables (au sens juridique du terme) de l’impact de leurs activités sur leurs chaines de valeur. Le devoir de vigilance permet d’ancrer la responsabilité des entreprises dans la révision de leur modèle d’affaire. On pourrait voir cet outil comme une incitation contraignante à respecter les limites planétaires et les droits humains.

Au niveau des Nations Unies, de l’UE ou des pays membres, la responsabilité des entreprises est sur toutes les tables. Si les négociations politiques sont bloquées aux Nations Unies et au niveau de certains pays – comme la Belgique par exemple – 2023 marque une avancée décisive dans l’UE pour ce sujet. Sur la table de la Commission, puis du Conseil et maintenant en phase d’être votée au Parlement Européen, la proposition de directive sur la responsabilité des entreprises et leur devoir de vigilance pourrait permettre d’avancer dans la bonne direction[12]Pauline Grégoire, « L’ÉCONOMIE ET L’ENTREPRISE AU SERVICE DE LA PLANÈTE ET DES DROITS HUMAINS », s. d., 84..

Un texte ambitieux sur le devoir de vigilance des entreprises[13]Coalition Société Civile Belge, « Mémorandum: Fondements essentiels pour une loi belge sur le devoir de vigilance », octobre 2020, … Continue reading, appliqué au monde de la mode, permettrait une meilleure transparence des filières et de lutter concrètement contre les abus de droits du travail. Les impacts pourraient notamment améliorer la liberté d’association, l’accès à la justice et aux réparations pour les victimes, une meilleure prise en compte des problématiques systémiques de harcèlement et de violence sur les lieux de travail et des avancées sur le salaire vital.

Rémunérer dignement les personnes qui fabriquent nos vêtements

Démarrons par un rappel simple. Le salaire décent (ou le salaire vital) est considéré comme un droit humain fondamental par les Nations Unies. Le salaire décent signifie « qu’en travaillant à temps plein, sans avoir recours à des heures supplémentaires ou à de multiples jobs, le salaire doit permettre de se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner, accéder à l’eau potable, à l’éducation, aux transports, et enfin à une petite épargne permettant entre autres de faire face aux dépenses imprévues. »[14]« Fashion Checker », consulté le 30 mars 2023, https://fashionchecker.org/fr/living_wage.html. selon la campagne Vêtements Propres (CCC).

Enjeu de taille dans le secteur de la fast fashion : la rémunération des personnes qui fabriquent nos vêtements. Pourquoi ? Car les coûts de production toujours tirés vers le bas afin de dégager un maximum de profit pour les marques ont un impact sur les salaires des ouvrières textiles. Les salaires bas, souvent même en dessous du salaire minimum dans certains pays de production, piègent les personnes dans un cercle de pauvreté continu. Résultat : impossible de s’en sortir et de vivre dignement en travaillant. Ces méthodes de réduction drastiques des coûts de production peuvent ainsi facilement favoriser le travail forcé.


Le travail forcé est défini comme  « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré» [15]« Qu’est-ce le travail force, l’esclavage moderne et la traite des êtres humains (Travail forcé, esclavage moderne et traite des êtres humains) », consulté le 24 mars 2023, … Continue reading. Les pratiques de travail forcé ne sont pas toutes visibles. Elles regroupent par exemple toutes les pratiques qui empêchent les travailleurs∙euses de quitter leur emploi (rétention de papier, interdiction de changer d’emploi, la servitude pour dettes). Les facteurs de risques peuvent être géographiques : certains pays n’ont pas ratifié les conventions de l’OIT et leurs pratiques du droit du travail laissent une large part à ces pratiques. D’autres facteurs de risques peuvent être démographiques : comme la migration par exemple ou sociaux, comme la vulnérabilité de la main d’œuvre (qualification, langues, endettement etc). Le dernier grand cas de travail forcé dans le secteur de la mode est celui de la communauté Ouïghour en Chine[16]« La Chine commet de « graves violations des droits de l’homme » au Xinjiang selon un rapport du HCDH | ONU Info », 31 août 2022, https://news.un.org/fr/story/2022/09/1126282..


Les discussions et les initiatives de travail autour de la question du salaire décent dans l’industrie textile sont nombreuses. En revanche, subsiste toujours la question fatidique du calcul : à combien devrait s’élever un salaire décent ? Cela dépend en effet de la localisation de l’entreprise, du contexte économique local etc. Une question épineuse, et des entreprises frileuses.

En effet, on discute beaucoup de ce que signifie un « salaire décent » quand bien même les études démontrent qu’il suffirait d’augmenter de 0,10 euros le prix d’un t-shirt (ou de réduire ses marges de 0,10 centimes par t-shirt) pour que la personne qui le fabrique touche une rémunération décente. En revanche, on n’entend pas beaucoup les marques discuter de ce qui serait « décent » en terme de profit engrangés sur le dos de ces travailleurs∙euses.

Figure 3 Répartition du coût d’un t-shirt – Source Clean Clothes Campaign

Parmi les initiatives proposant des méthodes de calcul de salaire décent, on peut citer la Global Living Wage Coalition, ou l’Alliance Asia Floor Wage. Il existe aussi le rapport Made in Europe et des outils de suivi des avancées des marques comme le Fashion Checker. La Global Living Wage Coalition se base sur la méthodologie Anker. Cette méthodologie a été appliquée dans 9 pays pour une multinationale et a été ensuite agrandie à d’autres pays et d’autres secteurs. Le calcul inclut la nourriture, l’eau, le logement, l’éducation, les soins de santé, le transport, l’habillement et d’autres besoins essentiels, y compris la prévision d’événements imprévus. Les résultats combinent à la fois des références internationales données par les organismes compétents (OMS pour la nutrition par exemple), et des références locales (chiffres immobiliers, panier alimentaire, etc). La méthodologie donne aussi la parole aux communautés concernées, ce qui permet d’ajuster le calcul au plus proche des besoins. L’intégralité de la méthodologie de calcul est expliquée sur leur site[17]« The Anker Methodology for Estimating a Living Wage », Global Living Wage Coalition, consulté le 12 avril 2022, https://www.globallivingwage.org/about/anker-methodology/..

La méthode Asia Floor Wage est spécifiquement dédiée au secteur du textile et au continent asiatique. Fondée en 2007, elle est créée par une « alliance syndicale et sociale mondiale dirigée par des travailleurs et travailleuses asiatiques dans les pays producteurs de vêtements d’Asie et les régions de consommation des États-Unis et d’Europe. »[18] « Asia Floor Wage Alliance », Asia Floor Wage Alliance, consulté le 30 mars 2023, https://asia.floorwage.org/. C’est aussi la seule méthode de calcul pour la région et le secteur qui inclut une dimension genre : le travail de soin non rémunéré et le travail domestique sont intégrés dans le calcul. Le salaire décent pour les pays producteurs de textile est fixé par l’alliance Asia Floor Wage a 1600 dollars par mois en 2022. L’alliance invite donc les marques de mode à payer l’écart entre leurs salaires et le salaire plancher (salaire décent). Dans le graphique ci-dessous, PPP et PPA signifient Purchasing Power Parity $. Il s’agit d’une monnaie imaginaire de la Banque mondiale construite sur la consommation de biens et de services par les personnes, permettant de comparer le niveau de vie entre les pays quelle que soit la monnaie nationale.[19]« Asia Floor Wage Alliance ».

Figure 4 Source Asia Floor Wage

Le rapport Made In Europe établit par la campagne Vêtements Propres (CCC), stipule qu’en moyenne le salaire minimum représente 26% seulement du salaire décent qui devrait être payé aux personnes qui fabriquent nos vêtements en Europe de l’Est, Centrale et Sud-est[20] « Europe Floor Wage », Folder, Clean Clothes Campaign, consulté le 30 mars 2023, https://cleanclothes.org/campaigns/europe-floor-wage.. La méthode de calcul est inspirée de celle de l’Asia Floor Wage Alliance, adaptée au contexte Européen[21]« The Europe Floor Wage Benchmark », File, Clean Clothes Campaign, consulté le 30 mars 2023, https://cleanclothes.org/file-repository/cleanclothescampaign_europefloorwage_report_web.pdf/view..

Par pays, l’état de la recherche donne les chiffres suivants pour l’année 2021. La Moldavie, l’Albanie, la Bulgarie et la Roumanie comptent parmi les pays avec l’écart salaire minimum – salaire décent le plus bas. Ce qui confirme que les pratiques de relocalisation des marques pour le « Made in Europe » ne sont pas synonymes de meilleures pratiques de production, bien au contraire.

Figure 5 Source Clean Clothes Campaign

Un Made in Europe encore trop Made in Impunité

Dans le secteur de la mode, la relocalisation est loin d’être un synonyme d’amélioration des conditions de travail. En témoigne les enquêtes faites à Leicester par nos partenaires achACT et ZinTV, dans leur documentaire Open Secret (sorti en 2022), ainsi que les organisations syndicales d’Europe de l’est qui rapportent régulièrement les manquements de l’industrie vis-à-vis de leur main d’œuvre européenne.

Mêmes pratiques, autre localisation. Les entreprises de fast-fashion savent saisir les opportunités pour exploiter à moindres coûts.

Il est également important de garder à l’esprit que les évolutions salariales sont acquises grâce à la présence des organisations syndicales dans les pays et les usines concernées. Les pratiques anti-syndicats sont monnaies courantes dans l’industrie textile où certaines usines interdisent aux syndicats l’accès à leurs bâtiments, d’autres menacent ou intimident les personnes syndiquées en leur sein. Or, sans la présence de représentant∙e∙s des travailleurs∙euses, difficile de progresser réellement sur l’amélioration des conditions de travail, dont la rémunération fait partie.


Des opportunités pour l’action citoyenne

Depuis l’effondrement du Rana Plaza, le secteur du textile n’a malheureusement que peu changé et reste dans une trajectoire toujours plus croissante. Le secteur devrait croitre encore de 3,9% d’ici 2025[22]« Les Chiffres Clés du Secteur de la Mode en 2022-2023 », Alioze (blog), consulté le 31 mars 2023, https://www.alioze.com/chiffres-mode. malgré une nette chute de son chiffre d’affaire lors de la pandémie de la Covid-19.

En revanche, si des pistes d’améliorations et de travail existent, elles restent lentes et la volonté politique et économique des marques reste faible – trop faible en tout cas par rapport à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux actuels.

Que faire donc en tant que citoyen∙ne∙s et consommateurs/ices ?

On y revient encore : acheter du neuf, pourquoi pas, mais pour quelles raisons ?

Imaginez-vous avec un billet de 20 euros. Sur le site d’une entreprise d’ultra fast fashion ou de fast fashion, vous pourriez vous acheter un à deux pulls. Très bien. A quel besoin cet achat va-t-il répondre? En avez-vous un besoin immédiat ? Avez-vous déjà quelque chose de similaire dans votre garde-robe ? Quelle est l’origine de ce produit ? A quoi va-t-il vous être utile ? Ces 5 questions sont extraites de la méthode BISOU développée par Marie Duboin Lefevre et Herveline Verdeken autrices du livre J’arrête de surconsommer – 21 jours pour sauver la planète et mon budget.

Passé ces 5 questions vous êtes toujours en possession de votre billet de 20 euros. Préférez-vous donner votre billet aux caisses de Boohoo, Shein, Zara H&M, Mango, Primark (liste non exhaustive…), ou préférez-vous le donner aux caisses d’un magasin associatif de seconde main, ou votre friperie locale ? Dans une friperie de Bruxelles, avec 20 euros, vous pouvez acheter plus d’un kilo de vêtements (15 euros/kilos) ou une/plusieurs pièces de seconde main, en étant sure que vos 20 euros serviront à de meilleures causes que celle des actionnaires des marques de fast fashion. Vous pouvez également acheter une pièce dans un magasin de slow fashion.

Ce sont vos 20 euros. Le choix est donc entièrement le vôtre. C’est dans cet acte d’achat ou de non-achat que réside votre pouvoir.

Une deuxième source de pouvoir à votre portée est située dans votre citoyenneté. Votre nationalité et votre appartenance à l’Union Européenne vous confère des droits. Parmi eux, le droit de signer des Initiatives Citoyennes Européennes. Il s’agit d’une procédure démocratique européenne ou la société civile (associations, syndicats…) peut à condition de collecter 1 million de signatures dans les pays membres de l’UE proposer des amendements législatifs à l’UE.

Ça tombe bien, Fashion Revolution propose d’ajouter l’obligation de payer des salaires décents aux personnes qui fabriquent nos vêtements à la directive sur la responsabilité des entreprises, actuellement en discussion. En juin 2023, si 1 million de signatures sont réunies, la Commission devra étudier la proposition et y répondre. Alors, si vous trouvez normal de recevoir un salaire décent pour fabriquer nos vêtements, rendez-vous sur Good Clothes Fair Pay, muni de votre numéro de carte nationale.

Une troisième option, puissante également est le pouvoir de se tenir informé. Sur les nombreux outils que nous vous avons présentés, vous pourrez retrouver le classement des marques de mode en fonction de leurs actes en faveur d’un salaire décent ou de respect de normes sociales/environnementales.

Amusez-vous à regarder d’un autre œil les magasins que vous appréciez fréquenter : les travailleuses sont-elles mises en valeur, que vous disent les marques sur leurs approches RSE ? Les informations sont-elles précises, vagues ? Posez des questions sur leurs posts de réseaux sociaux, si vous le pouvez, challengez vos marques pour qu’elles changent.

Vous pouvez également regarder des films, des documentaires, suivre des associations, ou des influenceurs∙euses slow fashion qui vous nourrissent l’esprit et vous donnent des conseils pour aller plus loin dans votre prise de conscience ou votre activisme citoyen.

Conclusion

Une décennie pour changer. C’était le défi de l’industrie de la mode depuis les nombreux scandales liés au système de production crée par elle. En partie relevé grâce à un fort investissement de la société civile dans la dénonciation, les enquêtes, le suivi, et l’accompagnement et la recherche de solution en lien avec les engagements des entreprises. Des accords internationaux signés qui engagent des centaines de marques, des citoyen∙ne∙s plus informé∙e∙s et mobilisé∙e∙s.

C’est à présent autour des Etats et de nos politiques élus de nous prouver qu’ils et elles seront à la hauteur des enjeux pour contraindre (enfin) les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement.

Au menu des négociations, la directive européenne sur le devoir des vigilances des entreprises, un gros morceau législatif à suivre de près les prochains mois. Cette directive (si forte et ambitieuse) pourrait donner une excellente impulsion aux négociations du Binding Treaty : une résolution contraignante en matière d’entreprise et de droits humains.

Les entreprises conservent tout de même un chantier de taille : celui des salaires décents. A l’heure d’une économie globalisée et des chaines de valeurs complexes, des solutions et des méthodes de calcul existent pourtant pour rendre ce droit fondamental réel en pratique.

Nous avons également un pouvoir non négligeable entre nos mains : celui du choix. Choisir de consommer neuf ou en seconde main, neuf en fast fashion ou neuf en slow fashion. Choisir d’allouer 1 minute de notre temps pour montrer que nous avons le pouvoir de faire changer les choses en signant des initiatives citoyennes européennes. Choisir de s’éclairer et de se tenir informé pour ne pas ou pour ne plus se faire berner.

Bibliographie

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Oxfam-Magasins du monde. « Impact environnemental du secteur textile : le dernier clou dans le cercueil? », 9 décembre 2019. https://oxfammagasinsdumonde.be/impact-environnemental-du-secteur-textile-le-dernier-clou-dans-le-cercueil/.

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« Qu’est-ce le travail force, l’esclavage moderne et la traite des êtres humains (Travail forcé, esclavage moderne et traite des êtres humains) ». Consulté le 24 mars 2023. https://www.ilo.org/global/topics/forced-labour/definition/lang–fr/index.htm.

Notes[+]