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Empreinte carbone de l’artisanat équitable – Réflexions et pistes d’action pour Oxfam-Magasins du monde

2022 Analyses
Empreinte carbone de l’artisanat équitable – Réflexions et pistes d’action pour Oxfam-Magasins du monde

Méga-incendies, dôme de chaleur, inondations, sécheresses, etc. : les événements catastrophiques liés au changement climatique se succèdent pour devenir la nouvelle norme. A titre d’exemple, juin 2022 a été le troisième mois de juin le plus chaud jamais enregistré dans le monde, selon des données du service européen sur le changement climatique Copernicus. Et ce sont les mois de juin 2019 et 2021 qui le précèdent dans le classement[1]RTBF. 07/07/2022. Juin 2022, 3e mois de juin le plus chaud jamais enregistré dans le monde, selon Copernicus.

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Tous ces signes montrent une accélération de la crise climatique, tant en termes de fréquence que d’intensité des événements, comme le souligne le sixième rapport d’évaluation du GIEC[2]IPCC. August 2021. Sixth Assessment Report.. Malgré quelques nouveaux engagements de certains États[3]Exemples : la promesse des Etats-Unis de réduire leurs émissions de 50% d’ici 2030 par rapport à 2005 ou l’objectif britannique de 68% de réduction d’ici 2030, suite aux … Continue reading, notamment lors de la dernière COP26 à Glasgow[4]Parmi les engagements de différentes coalitions de pays, on peut citer : la sortie du charbon entre 2030 et 2040 ; la fin des financements publics dans les combustibles fossiles à partir de fin … Continue reading, les initiatives semblent souvent davantage provenir des acteurs non étatiques, telles que les régions, les villes, les acteurs de la société civile ou les entreprises[5]NewClimate Institute. 23/06/2021. Global climate action from cities, regions and businesses..

Parmi ces dernières, les organisations de commerce équitable (OCE) ont un impact mineur étant donné leurs faibles parts de marché dans le commerce mondial. Néanmoins, peut-être plus encore que des entreprises classiques, elles ont un devoir d’exemplarité et se doivent de « faire leur part » dans la lutte contre le changement climatique.

Quelques initiatives du secteur équitable

En dépit de son ADN avant tout social, le secteur ne part heureusement pas de nulle part. De nombreuses OCE et plateformes se sont engagées plus ou moins récemment sur le sujet. Exemples : le nouveau principe 10 de WFTO[6]Le contenu du principe 10 a été révisé en 2019 pour être renommé « Crise climatique et protection de notre planète ».. WFTO. 20/09/2019. Fair trade calls climate emergency, revises … Continue reading ainsi que son initiative « People and Planet »[7]WFTO. 2019. Putting people & planet first is common-sense (our new initiative). ; le verdissement des critères du label Fairtrade International ainsi que le développement d’une offre de « crédits carbone équitables »[8] Fairtrade International. Carbon credits. ; la multiplication des études d’impact sur l’environnement ; le développement de labels combinant des critères équitables et biologiques (par exemple Bio Equitable en France, Biopartenaire, Naturland Fair) ; le lancement de démarches de commerce équitable local[9]TDC. 08/10/2020. Le commerce équitable local belge et européen. Voir également la démarche « Paysans du Nord » d’Oxfam-Magasins du monde..

Un certain nombre de campagnes de sensibilisation liant la justice climatique aux pratiques et politiques commerciales ont également été lancées, par exemple « Commerce équitable et climat, même combat » en France[10]CEF. Commerce équitable et climat : même combat !, « Fair trade and climate justice » au Royaume-Uni[11]Fairtrade Foundation. Fair trade and climate justice., ou plus récemment, « Climate justice : let’s do it fair » par un consortium d’OCE au niveau européen[12]EFTA. Climate justice: let’s do it fair. A noter que la campagne d’Oxfam-Magasins du monde sur la justice climatique s’inscrit dans cette campagne commune mais a développé de manière propre … Continue reading.

Malgré ces différentes initiatives, le niveau de connaissance de beaucoup d’OCE sur leur impact climatique est assez faible, sans parler de leur impact environnemental global. De fait, il existe clairement un manque de données dans la littérature scientifique, où l’on trouve très peu de références à des études spécifiques au commerce équitable[13]Un exemple d’étude identifié : Fairtrade International. July 2018. Life cycle assessment cut roses.. Quelques OCE ont cependant entrepris de mesurer plus précisément l’empreinte carbone (voir encadré) de leurs activités et/ou de leurs chaînes d’approvisionnement. Exemples : Oxfam Intermon en Espagne[14]Anthesis Lavola. 2020. Auditoria CO2 y desarrollo de un Plan de Acción Medioambiental para Oxfam Intermón (OES). Informe de resultados de Auditoria de la Huella de Carbono de Oxfam Intermón … Continue reading, GEPA en Allemagne, Seepje en Hollande[15]Seepje. 08/04/2020. Himalayan supershells. Achieving carbon neutrality. Consultancy report by Utrecht University., Oxfam Fair Trade [16]OFT. 2022. Planet friendly and socially just. Sustainability report 2021.ou Oxfam-Magasins du monde[17]Ernst C. Décembre 2013. Pistes d’amélioration de l’impact environnemental d’Oxfam-Magasins du monde via un audit carbone. en Belgique[18]D’autres organisations ont par le passé réalisé des ACV plus systématiques (i.e. sur un ensemble de critères environnementaux, pas seulement climatiques) de produits. Voir par exemple … Continue reading.

Empreinte carbone axée produits

L’empreinte carbone est définie comme la quantité de gaz à effet de serre (GES) rejetée, directement et indirectement, dans l’atmosphère du fait des activités d’un individu, d’une organisation ou du cycle de vie d’un produit. L’empreinte carbone est généralement mesurée en tonnes équivalentes de dioxyde de carbone (CO2e). Les tonnes CO2e permettent de convertir dans une même unité de mesure les émissions de tous les GES, en utilisant pour cela le pouvoir de réchauffement global (PRG) des différents gaz (ex. sur une période de 100 ans, une tonne de méthane est équivalente à 25 tonnes de CO2, 1 tonne de N2O à 300 tCO2e).

Le bilan carbone® est une méthodologie de calcul développée pour mesurer l’empreinte carbone d’une entité, par exemple un individu ou une entreprise[19]Elle a été conçue en 2004 par l’ADEME, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie en France. https://bilans-ges.ademe.fr/. . C’est donc à la fois une marque (déposée par l’Association Bilan Carbone) et un outil destiné aux entreprises et organisations souhaitant mesurer leur empreinte carbone (en tenant compte pour cela du secteur d’activité de l’entreprise et de nombreux éléments pour rendre son bilan)[20]Projet Pangolin. Guide complet sur l’empreinte carbone. C’est quoi, comment la calculer et la réduire ?.

Une analyse du cycle de vie (ACV) est une méthode d’évaluation permettant de réaliser un bilan environnemental global d’un système (produit, service, entreprise ou procédé), sur de nombreux critères et étapes différentes de son cycle de vie (de l’extraction des matières premières à sa fin de vie).

Lorsque l’on calcule l’empreinte carbone d’un produit, on combine les méthodologies du Bilan Carbone et des ACV, c’est-à-dire que l’on mesure les émissions liées au produit (donc sur une seule composante environnementale, contrairement aux AVC multi-critères) sur l’entièreté de son cycle de vie (voir schéma).

Une équation plus complexe dans l’artisanat

Comparé à l’alimentaire, les données et les études sont plus rares encore dans l’artisanat et le textile, même pour le secteur dit conventionnel (voir bibliographie ci-dessous). La principale raison est assez simple: l’artisanat se caractérise par une grande diversité de matières premières et de procédés, ce qui complique d’autant le calcul sur différentes filières (qui plus est souvent opaques et complexes).

De plus, l’artisanat est le plus souvent réalisé dans des pays dits du Sud, qui ont des capacités moindres en termes de contrôle et/ou de traçabilité. Plus important encore, les ventes du secteur de l’artisanat sont relativement faibles. De ce fait, le rapport coûts / bénéfices d’une étude d’empreinte carbone est moins rentable que dans le secteur alimentaire par exemple.

Malgré ces différents obstacles, il devient de plus en plus difficile pour les OCE de rester passives dans ce domaine. Comme mentionné ci-dessus, elles doivent « faire leur part » et aligner leurs pratiques sur leur communication et leurs campagnes. De plus, d’un point de vue légal et commercial, les consommateurs et les organismes de réglementation exigeront de plus en plus de preuves de leur engagement, c’est-à-dire de réduction de l’impact carbone des produits qu’elles commercialisent. Cela est d’autant plus pertinent si l’on considère les risques potentiels associés à des produits dérivés de matières premières animales (par exemple, les produits en cuir, cf. les fortes émissions de méthane du bétail).

Exemple de l’empreinte carbone d’un jean en coton[21]Libération. 2018. Sur les traces de l’empreinte carbone.

Pistes d’action pour Oxfam-Magasins du monde

A la suite de diverses études réalisées au cours des années passées[22]Voir notamment un bilan carbone de 2013 ou un stage d’analyse qualitative de quelques produits d’artisanat : Plomteux A. December 2018. Fair Trade, Handicraft Production and the Environment: … Continue reading, un travail plus élaboré d’estimation de l’empreinte carbone d’une dizaine de produits artisanaux[23]Les 10 produits analyses sont : bol en noix de coco (Vietnam); sac shopping en jute (Bangladesh) ; arrosoir en métal recyclé (Inde) ; livre en coton (Sri Lanka) ; shampooing solide à l’huile … Continue readinga été récemment initié par Oxfam-Magasins du monde (OMdm). Cela se fait avec l’aide du bureau de consultance environnementale Ecores, qui utilise une combinaison de données génériques et d’informations fournies par OMdm et ses partenaires. Sur base de ce travail, différentes réflexions et pistes d’action peuvent déjà être ébauchées, dans les trois domaines identifiés comme les plus émetteurs : les transports, les matières premières et les emballages.

Un premier constat, dans la lignée du bilan carbone réalisé en 2013, est celui de l’importance du mode de transport des produits. Comme le montre le graphique ci-dessous, un transport international en avion a un facteur d’émissions (FE)[24]Emissions de GES rapportées à la tonne de produit et au km parcouru. 100 fois plus important que le transport en porte-conteneur. Au niveau du transport local, on voit logiquement que c’est le transport sur les derniers kilomètres (en van de 2t) qui est le plus émetteur (10 fois plus polluant au kg qu’avec un semi-remorque de 26-44t). Il est cependant important de mettre ces facteurs d’émissions en perspective avec les kilomètres parcourus (souvent plus de 1000 kilomètres pour le bateau et l’avion, comparés avec seulement quelques centaines de kilomètres en camion). La principale conclusion est limpide : pour les produits encore transportés en avion, il est urgent de trouver les solutions logistiques et organisationnelles pour effectuer un shift vers le transport maritime.

Au niveau des matières premières, l’analyse d’une dizaine de produits d’artisanat montre d’importantes différences en termes de facteurs d’émissions. Le coton conventionnel est particulièrement émetteur (19700 kg CO2e/t). Cela est principalement dû aux intrants utilisés pour sa culture, ainsi qu’aux nombreuses étapes (énergivores) de transformation (filage, tissage, teinture, etc.). Ce constat est cependant à relativiser étant donné que de plus en plus de fibres synthétiques sont utilisées dans l’industrie textile conventionnelle et que leurs émissions par kg sont en moyenne trois fois plus importantes que celles du coton[25]En tenant compte des énergies fossiles utilisées pour leur production, les émissions moyennes des fibres plastiques sont égales à 11,9 kg CO2e par kg de fibre, contre 4,7 pour le coton. Ellen … Continue reading.

Les autres matières premières, naturelles pour la plupart, ont un FE beaucoup plus faible, ce y compris la laine d’alpaga (pourtant issu de l’élevage).

On notera par ailleurs que l’utilisation de matières premières recyclées permet de diviser plus ou moins par deux les facteurs d’émissions, que ce soit pour le métal (arrosoir) ou le coton (livre). Enfin, dans le cas des sacs pour vélo fabriqués à partir de sacs à ciment, le FE est encore plus fortement réduit, du fait qu’il ne s’agit pas de recyclage mais bien de réutilisation.

Troisième et dernière catégorie d’analyse, le type d’emballage primaire[26]L’emballage primaire est la première couche en contact direct avec le produit, qu’il contient et protège, en plus de servir de support pour la communication et l’information vers les … Continue reading. Sans surprise, c’est le plastique qui a le facteur d’émissions le plus important (cf. la matière première fossile et le processus de production énergivore). Cette matière première est d’autant plus à éviter qu’elle pose de nombreux autres problèmes de pollution environnementale (cf. la non bio-dégradabilité ou les microplastiques dans les océans, des aspects non évalués dans cette analyse d’empreinte carbone). A noter que pour les plastiques « à bulles » servant à protéger les produits des chocs lors du transport, des alternatives en carton recyclé sont déjà proposées par des partenaires et utilisées par OMdm.

Conclusions

Cette première ébauche d’analyse a permis d’obtenir une meilleure compréhension générale des domaines émettant du carbone durant le cycle de vie des produits artisanaux. Cela trace déjà des perspectives d’amélioration significative en termes de politiques d’approvisionnement.

Une analyse comparative sur une sélection plus grande de produits permettra de fixer des pistes d’action plus précises. Cela constitue une étape importante dans le cadre du plan stratégique 2030 d’Oxfam-Magasins du monde, qui a identifié comme un enjeu majeur « d’inclure la Transition dans son fonctionnement et de diminuer les impacts négatifs de ses activités »[27]Oxfam-Magasins du monde. Décembre 2019. Plan stratégique 2030..

Les produits d’artisanat équitable étant majoritairement fabriqués à la main et à base de matières premières naturelles, on peut supposer que leur impact carbone (et plus largement environnemental) est faible comparativement à des produits conventionnels équivalents. Mais il se pourrait que ce ne soit pas toujours le cas – on l’a vu, certaines matières premières[28]En particulier dans la filière textile, voir notamment : Veillard P. 06/12/2019. Impact environnemental du secteur textile : le dernier clou dans le cercueil? et modes de transport sont une source majeure d’émissions – ce qui justifie de mieux le mesurer et de s’attaquer au plus vite à ce chantier.

Le principal objectif dans un premier temps sera de progresser sur le processus de sélection des produits. Plus précisément, l’idée sera de faire en sorte que les acheteurs d’OMdm intègrent davantage les critères environnementaux dans la sélection des produits proposés par nos partenaires[29]Les exemples de possibles approches incluent : le développement d’une grille d’analyse intégrant l’empreinte carbone ; la formation des product managers à l’utilisation de cette grille (et … Continue reading.

Un deuxième axe consécutif pourrait être le développement d’une approche plus globale d’écoconception de l’artisanat au sein du staff d’OMdm(Cela pourrait passer par exemples par le recrutement d’un.e designer spécialisé.e en écoconception. Parmi les autres pistes à explorer : développer de meilleurs outils d’échanges de designs de produits avec les partenaires Sud ; mettre en place avec eux des programme d’échanges sur l’écodesign.)). Au-delà de l’amélioration de la durée de vie des produits et de la diminution de leur impact environnemental, cette approche d’éco-conception pourrait donner des bénéfices communicationnels et marketing.

La mesure plus systématique de l’empreinte carbone des produits d’artisanat équitable, en comparaison avec leur équivalent conventionnel, permettrait aussi de davantage communiquer sur les produits à faibles émissions (ou même à absorption nette de CO2, tels que ceux fabriqués en jute[30]PHWC. May 2006. Life cycle assessment of jute products.).

Bibliographie – Empreinte carbone de l’artisanat

  • Joseph K., Nithya N. 2009. Material flows in the life cycle of leather. Journal of Cleaner Production, 17(7), p. 676-682.
  • Mistra Future Fashion. 2018. LCA on fast and slow garment prototypes.
  • UK Environment Agency. 2011. Life cycle assessment of supermarket carrier bags: a review of the bags available in 2006.
  • Danish Environmental Protection Agency. February 2018. Life Cycle Assessment of grocery carrier bags.
  • Khan E. et al. 2018. Lifecycle Analysis (LCA) of a White Cotton Tshirt and Investigation of Sustainability Hot Spots: A Case Study. London Journal of Research in Science, 18(3), p. 21-31.

Patrick Veillard

Notes[+]