[wpdm_file id=329]
Avec « Cartes sur table ! », Oxfam-Wereldwinkels, notre homologue néerlandophone, se lance dans une vaste campagne ayant pour objet principal la concentration du pouvoir économique dans de nombreuses filières alimentaires. Ce faisant, ils mettent le doigt sur l’un des principaux obstacles au développement pour des milliards de petits producteurs agricoles, rendus incapables de tirer parti des échanges économiques internationaux.
Travailler plus pour gagner moins !
Le prix des biens alimentaires sur le marché mondial peut être aujourd’hui relativement haut. En toute logique, nous devrions nous attendre à ce que cela soit une excellente nouvelle pour les producteurs. Or sur le terrain, force est de constater qu’ils sont nombreux à ne pas parvenir à vivre décemment de leur production. Un grand nombre d’entre eux cessent même bien souvent toute activité, faute d’obtenir un prix tenant compte de leurs couts de production.
Des prix en hausse dont ne profitent pas les producteurs
Alors que depuis plus d’une décennie la demande mondiale pour le café augmente en moyenne de 2% par an, l’offre mondiale a tendance à stagner. Ce décalage croissant entre l’offre et la demande explique une certaine pression à la hausse des cours mondiaux du café. Une opportunité que nos partenaires du Kivu parviendraient difficilement à saisir sans le soutien d’Oxfam, faute d’avoir les capacités suffisantes d’investir dans le renouvellement de leurs plants vieillissants et dans le maintien de pratiques agroécologiques, et faute de soutien de la part de l’Etat congolais. Une situation que connaissent de nombreux producteurs du Sud… [[highslide](1;1;;;)
Pour aller plus loin, voir: « Le café paysan du Kivu », in Commerce Equitable : construire la paix !, Oxfam-Magasins du monde, Cahier thématique #7 – octobre 2012
[/highslide]]
Les consommateurs ne payeraient-ils toujours pas assez cher pour leur nourriture ? Les discours convenus du « consommateur responsable » tendent en effet à les tenir pour principaux responsables de la pression exercée sur le prix payé aux producteurs. En rechignant à mettre la main au portefeuille, ils ne valoriseraient pas à leur juste valeur les biens alimentaires qu’ils consomment. Pourtant, pour certains consommateurs, les temps sont vraiment durs…
Non seulement cette idée entretient une culpabilisation excessive du consommateur, mais elle fait également l’impasse sur un aspect pourtant essentiel du fonctionnement de notre système alimentaire : la société dans son ensemble a largement perdu le contrôle des filières alimentaires ! Les consommateurs interviennent en effet très peu dans la formation des prix des biens alimentaires qu’ils consomment, et ont une responsabilité mineure vis-à-vis de la situation dans laquelle se retrouvent les producteurs.
Dans le contexte économique actuel, où producteurs et consommateurs comptent sur des ressources économiques limitées, la question de savoir à quoi devrait correspondre le prix équitable de la nourriture ne s’avère donc pas si simple.
Payer le prix juste
Oxfam maintient depuis toujours que le commerce constitue un formidable outil de développement et d’émancipation. Dans la mesure où les règles commerciales sont justes et équitables pour tout le monde, la transaction économique permet, en effet, l’accumulation de ressources nécessaires à la réalisation de projets positifs auxquels un grand nombre de personnes aspirent.
Dans un tel cadre, la notion de prix juste renvoie à l’idée que dans une transaction donnée, un équilibre puisse être naturellement trouvé entre celui qui offre un bien ou un service (le producteur) et celui qui en fait la demande (le consommateur). La transaction satisfait donc pleinement les deux parties, et peut à ce titre être considérée comme étant parfaitement équitable. Cela est généralement rendu possible lorsqu’il y a un nombre suffisamment important d’acteurs de part et d’autre qui sont associés à ce marché.
Malheureusement, les règles commerciales actuelles, qui prétendent favoriser le bon fonctionnement de ces transaction en préconisant le moins d’intervention possible de la part des états, sont parfaitement inéquitables. Elles sont en effet fondées autour de l’idée fausse que tous les acteurs économiques, sont parfaitement concurrents. Or, il n’en est rien. Dans la plupart des filières alimentaires, quelques acteurs peu nombreux sont parvenus à contrôler à leur avantage leur fonctionnement. Le soi-disant libre fonctionnement du marché ne fait en réalité que renforcer la domination de ces acteurs économiques puissants qui parviennent à imposer leurs propres conditions à l’ensemble des autres acteurs de la filière. En d’autres termes, les marchés alimentaires fonctionnent bel et bien avec des règles. Mais, ce sont maintenant ces quelques acteurs qui les dictent à la place des états.
Evolution des prix de quelques biens alimentaires
Ce graphique montre l’évolution des prix de quelques matières premières pour la période de 1980 à 2000/2002. Alors que les prix payés pour les producteurs n’ont pas cessé de diminué, ceux-ci ont paradoxalement fortement augmenté pour les consommateurs. Nous voyons ici que le consommateur ne tire donc aucun avantage de la pression exercée sur les producteurs pour qu’ils produisent à moindre frais. [[highslide](2;2;;;)
Illustration tirée de : Agriculture at a Crossroads: Food for Survival, Greenpeace – Octobre 2009
[/highslide]]
Du point de vue sociétal, l’action de ces acteurs est nuisible dans la mesure où ils pèsent injustement sur la formation des prix. En amont, ils exercent une pression excessive sur le prix payé aux producteurs. Ceux-ci sont en effet pour la plupart obligés de passer par eux pour écouler leur production, et n’ont pas d’autre choix que d’accepter ce qu’ils veulent bien leur offrir. En aval, les consommateurs payent bien souvent excessivement cher pour ces mêmes produits. Faute de concurrents sur le marché, leur rareté peut en effet être artificiellement entretenue afin d’en augmenter leur valeur. Ainsi une grande partie de la différence entre le prix payé aux producteurs et le prix payé par le consommateur ne participe pas du bon fonctionnement du marché, mais bien de l’enrichissement de ces intermédiaires. Contrairement aux idées reçues, les consommateurs ne sont pas tant les bénéficiaires de l’action de ces intermédiaires, mais bien les dindons de la farce.
Des marchés agricoles sans concurrence [[highslide](3;3;;;)Illustration tirée de : Déclaration de Berne, « AGROPOLY – Ces quelques multinationales qui contrôlent notre alimentation », Vers un développement Solidaire, #216, numéro spécial – juin 2011[/highslide]] | ||
Marché | Nombre d’entreprises | Parts de marché |
Fourrage animal | 10 | 15,5% |
Elevage | 4 | 99% |
Semences | 10 | 74% |
Engrais | 10 | 55% |
Pesticides | 10 | 90% |
Négoces des céréales et du soja | 4 | 75% |
Transformation | 10 | 28% |
Commercialisation | 10 | 10,5% |
Ainsi, ce qui met profondément en difficulté les producteurs agricoles du monde entier, ce n’est pas tant l’indisposition du consommateur à payer un prix juste pour ce qu’il consomme, mais bien une organisation totalement inefficace des filières alimentaires. Payer un prix juste, c’est donc d’abord et avant tout rétablir les bases d’une transaction économique plus juste entre les acteurs de ces filières.
Les gagnants du libre marché
La structuration et le fonctionnement du marché international est donc aujourd’hui essentiellement dicté par quelques acteurs économiques, peu nombreux et extrêmement puissants. Dominant pour l’essentiel les échanges économiques, ils ont beau jeu aujourd’hui de se faire les défenseurs du libre marché. C’est évidemment sans compter sur le lent processus historique qui en a fait des géants économiques qui sapent aujourd’hui le fonctionnement équitable de ce marché.
A travers le temps, ces acteurs ont en effet connu une intégration horizontale, en élargissant leur champ d’activité de base à d’autres filières alimentaires. Par exemple, une entreprise spécialisée dans le traitement de farines de blé qui élargit son activité dans les filières de maïs, de soja, de cacao, etc.
Ils ont également connu une intégration verticale, en intégrant différentes phases des filières alimentaires à leur propre compte. De la sorte, ces acteurs ont progressivement pris le contrôle du fonctionnement de toutes les étapes de transformation et du conditionnement des produits. Par exemple, une entreprise qui contrôle la récolte et la vente de la production, sa transformation, son conditionnement et sa distribution.
Cargill, un parfait exemple d’intégration verticale
Le plus grand groupe céréalier Cargill fait travailler des agriculteurs sous contrat, produit des denrées alimentaires et des matières fourragères. Il est aussi présent dans le secteur de l’énergie et sur les marchés financiers. [[highslide](4;4;;;)
Illustration tirée de : Déclaration de Berne, « AGROPOLY – Ces quelques multinationales qui contrôlent notre alimentation », Vers un développement Solidaire, #216, numéro spécial – juin 2011
[/highslide]]
Nous sommes la farine dans votre pain, le blé dans vos nouilles, le sel dans vos frites. Nous sommes le maïs dans vos tortillas, le chocolat dans vos desserts, l’édulcorant dans vos sodas. Nous sommes l’huile dans votre vinaigrette et le bœuf, le porc ou le poulet que vous mangez au repas. Nous sommes le coton dans vos vêtements, le support de vos tapis et les fertilisants dans votre champs. (Cargill corporate brochure, 2001).
Enfin, en opérant de plus en plus à différents endroits du monde, leur expansion globale leur a conféré également un pouvoir inouï vis-à-vis des pays où ils opèrent. Ceux-ci sont en effet devenus capable de jouer sur les aides directes des Etats ou les avantages fiscaux qui peuvent favoriser leurs activités. Les montages financiers de ces structures sont devenus parfois si complexes qu’elles échappent le plus souvent à toute forme de contrôle.
La campagne d’Oxfam-Wereldwinkels
En proposant des produits alimentaires issus des circuits du commerce équitable, Oxfam-Wereldwinkels donne aux consommateurs une alternative concrète de consommation, tout en leur permettant de prendre conscience des injustices des relations commerciales actuelles. Dans le même temps, ce sont de nouvelles perspectives qui se dégagent pour les producteurs, qui ont enfin la possibilité de choisir à qui ils veulent vendre leurs produits et à quelles conditions.
De la sorte, Oxfam-Wereldwinkels montre qu’il est possible de pratiquer un commerce qui contente réellement producteurs et consommateurs. En mobilisant cet exemple, l’intention est de constituer un formidable challenge pour tous les acteurs économiques actifs dans les filières alimentaires concernées.
Au niveau politique, Oxfam-Wereldwinkels plaide pour l’adoption de nouveaux instruments et institutions politique pour encadrer les marchés internationaux. Cela implique notamment de pouvoir développer une meilleure connaissance du phénomène de concentration des pouvoirs dans les filières alimentaires, et de freiner la libéralisation des marchés tant que nous n’avons pas pleinement conscience de ses conséquences pour des milliers de producteurs.
Corentin Dayez
Animateur thématique
Pour aller plus loin :
- Site de campagne d’Oxfam- Wereldwinkels: www.allekaartenoptafel.be
- Oxfam- Wereldwinkels, Het spel der giganten, Machtsconcentratie in de ketens, achtergronddossier – juillet 2013
- Déclaration de Berne, « AGROPOLY – Ces quelques multinationales qui contrôlent notre alimentation », Vers un développement Solidaire, #216, numéro spécial – juin 2011