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Oxfam-Magasins du monde

L’accès aux semences : une (res)source importante pour les droits des paysan.ne.s

Analyses
L’accès aux semences : une (res)source importante pour les droits des paysan.ne.s
Les semences et les réglementations dont elles font l’objet sont essentielles pour garantir l’accès à la souveraineté alimentaire des producteurs, des productrices et des populations qui en dépendent. Face au modèle hyper réglementé et productiviste imposé par la Commission Européenne et par l’agro-business, des initiatives défendent les droits des paysan.ne.s, l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire. 

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Dans l’étape « ressources » des systèmes alimentaires, on pense généralement en premier lieu à l’accès à l’eau et à la terre. Mais les semences et les réglementations dont elles font l’objet sont également essentielles pour garantir l’accès à la souveraineté alimentaire des producteurs, des productrices et des populations qui en dépendent. Face au modèle hyper réglementé et productiviste imposé par la Commission Européenne et l’agro-business, des voix s’élèvent et des initiatives sont portées pour défendre un modèle axé sur la défense des droits des paysan.ne.s, l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire.
Cette  analyse introductive vise à (1) dénoncer l’évolution de la législation européenne en matière de semences et (2) soutenir le travail de plaidoyer porté par le Mouvement Paysan International, tout en montrant (3) que dans ce contexte des alternatives existent et qu’il faut les soutenir.

Quand la libre circulation engendre la restriction

Avant la création de l’Union européenne et de son projet politique de marché commun, on trouvait chez les agriculteurs et les agricultrices de toute l’Europe une grande diversité de semences. Il était alors de coutume que l’on conserve et que l’on reproduise des variétés de semences locales, adaptées au terroir et culturellement implantées dans les us et coutumes des différentes régions.
Avec l’arrivée du principe de libre circulation des marchandises et les échanges commerciaux au sein de l’Union, une définition commune des différentes variétés de semences a été élaborée. Les instances européennes ont voulu faciliter les échanges commerciaux en standardisant les différentes catégories de denrées alimentaires produites dans les champs des pays membres. Cette définition commune s’est construite sur la base de la standardisation exigée par les Droits de Propriété Industrielle (DPI), avant de s’imposer aux réglementations régissant le commerce des semences, l’accès aux ressources génétiques et enfin la diffusion des plantes issues des biotechnologies[1. FIAN Belgium, Note d’analyse, Guy Kastler, « La réglementation européenne sur les semences : D’où vient-elle ? Où va-t-elle ? »,  p.1, Septembre 2015.]. On est bien loin de l’utilisation d’une grande variété de semences locales. Un choux fleur ou une carotte produits d’un coté ou de l’autre de l’Union Européenne doivent correspondre aux mêmes caractéristiques, aux même standards afin de pouvoir être vendus dans tous les supermarchés de l’Union ou être exportés, toujours en tenant compte des prix du marché. C’est ainsi que, selon la FAO, au cours du XXe siècle, la diversité mondiale des cultures a chuté de 75% et qu’un tiers des variétés actuelles pourraient disparaitre d’ici 2050.
La Commission Européenne a déterminé un catalogue qui recense les semences commercialisables choisies pour leur rentabilité à l’hectare et selon les critères « DHS ». Selon ces critères, les semences doivent être Distinctes les unes des autres, Homogènes et Stables. Les semences deviennent alors la propriété juridique des entreprises qui les ont inscrites au catalogue, et il est dès lors interdit de les reproduire, de les modifier  et de les échanger sans passer par la caisse. Cette conception qui fait que deux légumes produits avec les même semences doivent être parfaitement identiques, verrouille toute la filière semencière en imposant une norme technique-agronomique et une norme juridique de propriété industrielle sur les semences. De cette manière, l’évolution des réglementations européennes en la matière a assuré une mainmise des géants de l’agro-industrie sur la production et la commercialisation des semences aux dépends de la biodiversité et des droits des paysan.ne.s[2. FIAN Belgium, Note d’analyse, Guy Kastler, « La réglementation européenne sur les semences : D’où vient-elle ? Où va-t-elle ? »,  Septembre 2015.].
À ce sujet, Bernard Pinaud[3. Bernard Pinaud est délégué général du CCFD-Terre Solidaire et administrateur de Coordination SUD, la coordination des ONG françaises d’urgence, de développement et de volontariat internationale.] relève que : « Les semences paysannes représentent entre 80% et 90% des semences plantées en Afrique et entre 70% et 80% en Asie et en Amérique Latine. C’est pourquoi le droit des paysans aux semences est essentiel pour la réduction de la pauvreté des paysans eux-mêmes et pour la sécurité alimentaire mondiale. Or de nombreux pays du Sud deviennent des marchés convoités par les multinationales semencières ». [4. La Via Campesina, « Peut-on concilier le droit des paysans aux semences et les droits de propriété intellectuelle ? », 28.10.2016]

La nécessité d’une déclaration des droits des paysannes et des paysans se fait ressentir

En réaction à ces restrictions qui illustrent le manque, voire l’absence de protection juridique spécifique aux paysans et aux paysannes les plus vulnérables, et suite aux émeutes de la faim de 2008, la Via Campesina[5. Mouvement Paysan International : www.viacampesina.org] demande à  la communauté internationale qu’elle adopte une « Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan.ne.s et des autres personnes travaillant dans les zones rurales ».  À travers cette démarche, la Via Campesina et les organisations qui la soutiennent visent deux objectifs : d’une part, rassembler sous un seul document l’ensemble des droits émis dans des traités et accords internationaux et, d’autre part, favoriser la reconnaissance de nouveaux droits – tels le droit à la terre, le droit aux semences et le droit à la souveraineté alimentaire – en se référant également à des textes internationaux préexistants.
Du 13 au 30 septembre 2016 se tenait la 33e session du Conseil des droits de l’homme. Cet événement a été une nouvelle occasion de débattre de ce projet de « Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan.ne.s et autres personnes travaillant dans les zones rurales ». La Présidente-Rapporteuse du Conseil  s’est engagée à proposer une version révisée du projet de Déclaration d’ici à la prochaine session de négociation (prévue entre mai et août 2017) afin de pouvoir incorporer les résultats des dernières négociations et d’avancer vers la reconnaissance des droits des paysan-ne-s[6. Pour plus d’informations : FIAN, « La Déclaration des droits des paysan-ne-s : Derniers développements et prochaines perspectives »].

« Bingenheimer Saatgut » , une alternative parmi d’autres, face aux multinationales semencières

Perpétuellement à la recherche d’alternatives en faveur de la souveraineté alimentaire, Oxfam-Magasins du monde soutient,, depuis sa campagne « CULTIVONS. La terre. La vie. Le monde », menée en 2012, le modèle de gestion des semences axé sur l’agriculture paysanne, en commercialisant un assortiment de semences biologiques de Bingenheimer Saatgut.
Cette initiative créée en 2001 sur la base d’un projet plus ancien de sélection et de commercialisation de semences au sein d’un centre pour personnes handicapées physiques et mentales, situé dans le village de Bingenheim, fait partie d’un réseau de sélectionneurs et multiplicateurs de semences bio et biodynamique appelé « Le Cercle initiative ». Ce réseau a pour objectifs de :

  1. pratiquer l’agriculture biologique et biodynamique ;
  2. mener les producteurs et les productrices à l’autonomie semencière ;
  3. produire des semences libres d’accès.

En effet, pour les membres du Cercle initiative, les semences sont considérées comme un héritage de l’humanité, on ne peut donc pas en faire des propriétés privées. C’est pour cela que les producteurs et les productrices peuvent librement reproduire les semences Bingenheimer Saatgut à la ferme : celles-ci sont inscrites au catalogue officiel des espèces et variétés pour la mise sur le marché de la Commission Européenne, mais Bingenheimer Saatgut ne demande pas d’astreinte financière pour la multiplication et l’échange de ses semences.
Outre son travail de multiplication des semences, de tests qualité, d’empaquetage et de vente à des clients comme Oxfam-Magasins du monde ou Semailles , Bingenheimer Saatgut réalise un travail de plaidoyer au niveau européen avec des acteurs tels que Kokopelli. Un des enjeux est de faire accepter par la Commission Européenne la part des semences bio qui ne correspondent pas aux critères « DHS ». En effet dans la nature il est rare que des variétés de plantes soient homogènes et stables comme l’impose cette norme. Par ailleurs, Bingenheimer Saatgut et Kokopelli bataillent aux côtés d’autres organisations pour la reconnaissance des semences  libres de droits.

Conclusion

À l’opposé du caractère « open source » des semences bio vendues chez Oxfam, les semenciers industriels ont un intérêt économique à empêcher les agriculteurs et les agricultrices de reproduire leurs semences, pour qu’ils soient obligés d’en racheter. Dans le système paysan, tout est fait pour favoriser la circulation en réseau et pour que les paysan.ne.s se réapproprient le savoir-faire des semences et du vivant. Par ailleurs, les techniques de sélection des semences en laboratoire d’une part et dans les conditions de production environnementale d’autre part, confèrent au modèle paysan une plus grande capacité d’adaptation au milieu sans l’apport d’intrants chimiques et assurent ainsi une meilleure valorisation de la biodiversité.
La défense de cette biodiversité et celle des droits paysans, des paysannes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, sont des enjeux primordiaux qui passent notamment par un retour à l’accès aux semences de qualité et adaptées au terroir naturel et culturel des régions dans lesquelles elles sont plantées. Comme souvent dans les chantiers que mènent Oxfam-Magasins du monde et ses partenaires, la solution passe à la fois par un travail de plaidoyer aux différents niveaux de pouvoir et par l’expérimentation et le soutien d’alternatives citoyennes innovantes, respectueuses des populations et de leur environnement.
Sébastien Maes