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Le partenariat est transversal aux activités d’Oxfam-Magasins du monde. L’interaction directe avec les partenaires est essentielle pour mener à bien nos activités (co-construction commerciale et éducative…) et permet de renforcer et d’améliorer la collaboration, qui est au cœur de notre mission.
La rencontre avec des représentant.e.s de nos organisations partenaires est également une activité de notre démarche d’éducation et de sensibilisation. De manière générale, nous organisons un accueil personnalisé, un programme approprié et un accompagnement collectif et adapté pour nos partenaires qui se déplacent en Belgique et viennent à notre rencontre.
Comment valoriser au maximum l’opportunité que représente la visite d’un partenaire en Belgique, en tenant compte des besoins et objectifs des différentes parties concernées (l’organisation et ses parties prenantes ainsi que les partenaires) ? Comment atteindre les objectifs de notre organisation (d’éducation et de mise en action, commercial et de communication) tout en répondant au mieux à ceux de nos partenaires ?
Nous avons clarifié les besoins des différentes parties prenantes et réfléchi à une méthodologie et des outils concrets pour plus d’efficacité dans ces rencontres. Cette analyse a pour objectif de partager les résultats de notre travail de réflexion autour des risques, opportunités et recommandations des rencontres directes avec des partenaires du Sud.
Qu’est-ce que le partenariat ?
Dans les années 1970, la notion d’aide ou d’assistance s’estompe pour faire place à celle de partenariat.
Cette évolution sémantique reflète une évolution du concept même de la coopération au développement. La notion de partenariat implique désormais l’existence de deux entités engagées dans une relation consciente et volontaire et qui tendent à développer une relation égalitaire (c’est la racine même du mot partenariat).
Le commerce équitable et le partenariat
« Le Commerce Equitable est un partenariat commercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. (…).
Les organisations du Commerce Equitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel. »[1. FINE, une coordination informelle des acteurs du commerce équitable réunissant les grands réseaux internationaux (FLO, IFAT, NEWS et EFTA). 2001]
Si la visée commune des partenaires de commerce équitable est avant tout commerciale, la volonté de changer le commerce conventionnel existe également. C’est là qu’apparaît la distinction entre les deux pôles, commercial et éducatif, du commerce équitable.[2. [1] Article « Les deux âmes du commerce équitable » d’Angelo Caserta, Antipodes n°161-162, juin-sept. 2003.]
Chez Oxfam-Magasins du monde, derrière le terme « partenaire », il faut comprendre « partenaire producteur du Sud ». Cependant, dans cette ONG, la relation commerciale va de pair avec les actions éducatives.
Le partenariat Nord-Sud dans l’action éducative chez Oxfam-Magasins du monde
Il existe différents types d’actions éducatives en lien avec le partenariat Nord-Sud[3. Article « Un inventaire des pratiques, une typologie des actions et des recommandations pour le Sud et le Nord », par Adélie Miguel Sierra.] : la création d’outils pédagogiques (brochures, expositions, vidéos, trames d’animations… : cf. www.outilsoxfam.be) ; des campagnes de sensibilisation et d’interpellation politique communes (cf. « Les campagne Nord-Sud, un outil de partenariat équitable », Estelle Vanwambeke, 2016) ; les échanges scolaires et voyages de découverte (cf. Projet des Jeunes Ambassadeurs de Commerce Equitable) ; des actions culturelles et artistiques ; les rencontres directes entre partenaires…
Dans cette analyse nous allons nous pencher sur les rencontres directes, en Belgique, entre les partenaires producteurs, les bénévoles et le grand public.
Les attentes de chacune des parties méritent d’être décrites.
L’ONG
Pour Oxfam-Magasins du monde, les échanges et débats en Belgique entre bénévoles et organisations partenaires du Sud ont une ambition éducative. Ces rencontres, subventionnées par la Direction Générale au Développement (DGD), visent à mieux faire comprendre les enjeux et impacts du commerce équitable, débattre des alternatives pour un changement global au Nord et au Sud et travailler les enjeux et thématiques de l’ONG à travers le prisme de la réalité du terrain, des communautés et partenaires du Sud. Elles visent également à avoir un impact sur les choix de consommation responsable par le grand public.
L’organisation productrice du Sud
Elle a souvent des aspirations économiques pour son séjour en Belgique. Le partenaire du Sud souhaite renforcer sa compréhension du marché belge, voire européen (clients-produits-tendances) et de l’ONG partenaire (fonctionnement). L’organisation du Sud souhaite appréhender le contexte, améliorer la compréhension mutuelle, personnaliser les échanges pour consolider la relation de partenariat – à plus forte raison le partenariat commercial – afin d’augmenter les commandes.
Les bénévoles
Les bénévoles sont curieux d’entendre l’histoire du partenaire et de comprendre ce qu’il y a derrière les produits de commerce équitable qu’ils vendent en magasin. Leurs motivations, dans leur bénévolat, sont entre autres la solidarité, l’aide aux moins favorisés, la notion d’équité commerciale et de développement du Sud[4. Enquête « Profil, motivations et attentes des bénévoles », réalisée par SONECOM en 2010]. Le partenaire est un témoin exotique des impacts du commerce équitable et de leur engagement bénévole.
On le voit, les attentes sont soit orientées commerce (partenaire), soit éducation (Oxfam-Magasins du monde), les unes n’étant jamais éloignées des autres.
Les opportunités
Quels sont les intérêts des rencontres directes ?
Annick Honorez, dans son article « Comment l’éducation au développement a pu se développer depuis tant d’années, avec une certaine force, sans partenariats réels ? », met en évidence deux types d’approches en lien avec des organisations du Sud : l’action globale qui vise des changements économiques et globaux et l’action locale qui vise le changement d’attitude personnelle à travers la rencontre directe, dite de proximité.
Bien souvent, la demande initiale vient du Nord. Les éducateurs en développement partent de la volonté d’ouvrir les esprits et la connaissance des gens du Nord pour qu’ils agissent en faveur des populations du Sud. Oxfam – Magasins du monde invite ses partenaires du Sud pour venir témoigner de leurs projets, de leurs expériences, pour mettre en lumière le commerce équitable comme levier de changement et de développement… dans une perspective d’analyse critique et, in fine, pour changer les comportements.
Dans la rencontre l’aspect sentimental influence les publics, la mentalité change parce qu’on est « touchés ». La rencontre directe amène de la reconnaissance : d’objets qu’ils étaient, les gens du Sud deviennent sujets, citoyens de la même terre. L’échange crée un sentiment de « communauté », de convivialité. L’apprentissage se fait à travers le vécu, la proximité. Après une journée de rencontre avec des partenaires du Sud, les bénévoles d’Oxfam affirment se sentir plus partenaires, faire partie d’une grande famille, ressentir l’humanité et la solidarité.[5. Enquête « Profil, motivations et attentes des bénévoles », réalisée par SONECOM, 2010]
Une autre plus-value de ces rencontres directes c’est de mieux appréhender le contexte de ces partenaires venus de loin. Annick Honorez le formule comme suit : « Même si nous relayons intégralement le discours d’une personne du Sud, sa manière à elle de le dire, ses intonations, sa façon d’être en relation transmettent un contenu que nous ne sommes pas spécialement à même de transmettre. Tous les codes culturels qu’on met dans l’agencement de l’information, dans la relation, étayent l’apprentissage, éduquent. Il est utile qu’il y ait un décloisonnement et que le discours sur le Sud ne soit pas qu’une affaire du Nord. »
Les risques
Quels sont les écueils à éviter lors de ces rencontres ?
Pour que les rencontres satisfassent les différentes parties, l’ONG doit clarifier les objectifs, enjeux et attentes de chacun et sélectionner l’organisation partenaire ainsi que son représentant en s’accordant sur les motivations de ces échanges. Mais les exigences de l’organisation Nord qui accueille le partenaire sont parfois élevées. Idéalement, l’organisation Sud doit avoir des valeurs semblables, une bonne gouvernance, réaliser des actions en lien avec les thématiques… et son représentant devrait faire preuve d’assertivité, être à l’aise en public, témoigner des défis de son organisation sans être trop éloigné du terrain… N’y a-t-il pas une propension à vouloir façonner le partenaire, en faire un résistant conscientisé, autonome, digne, qui affirmerait politiquement, économiquement et culturellement sa propre identité … tout en étant en phase avec les visions de l’organisation Nord?
Et le partenaire du Sud, ne risque-t-il pas d’adopter un comportement et un discours formaté selon les attentes et envies de son client ? Car il s’agit bien d’un client. On touche ici à une difficulté : la relation entre Oxfam et les partenaires-producteurs peut être biaisée par la logique économique. Etant donné qu’Oxfam est l’acheteur, le pourvoyeur de commandes et de travail, il y a une dépendance de la part du partenaire qui compromet la critique, la confrontation.
Le business[6. Article « Les deux âmes du commerce équitable » d’Angelo Caserta, Antipodes n°161-162, juin-sept. 2003.]
Le danger est que les rencontres, la sensibilisation, les campagnes et le plaidoyer soient subordonnés à l’objectif commercial, l’âme commerciale grignotant peu à peu ce qu’il restait d’utopie et de volonté de changement du monde. Coup de projecteur sur les dérives possibles :
- Le marketing social des organisations de commerce équitable contribue à sensibiliser à propos des problèmes Nord-Sud mais cette approche peut être très réductrice lorsque les producteurs deviennent des témoins qui confirment, à travers leurs histoires, un message qui est produit par les organisations des pays économiquement développés pour leur public.
- Les partenaires invités ainsi que les thèmes choisis peuvent aussi répondre à un besoin du marché, par exemple pour soutenir les ventes stagnantes de certains produits. Angelo Caserta remarque que les campagnes sur le café ont été très fréquentes ces dix dernières années. Nous posons le même constat chez Oxfam-Wereldwinkels qui, au cours des 5 dernières années, a invité 3 fois un partenaire de café lors des journées partenaires.
Le paternalisme
Il correspond ici à « La croyance de certaines organisations des pays économiquement développés que leur expérience leur confère la connaissance de ce que les actions de sensibilisation devraient être, tandis que les groupes de producteurs n’ont pas assez de « vision ». Avec cette hypothèse, il est facile de construire des projets pour informer ou éduquer le public sur les injustices dans le monde, sans regarder si ces injustices sont perçues de la même façon par les producteurs ou sans regarder les solutions que ces groupes envisagent.
Pour construire un véritable partenariat, il faut changer de méthode, ne plus partir d’une « bonne idée du Nord » qui veut intégrer des gens ou des organisations du Sud, mais croiser les demandes. »[7. Article « Les deux âmes du commerce équitable » d’Angelo Caserta, Antipodes n°161-162, juin-sept. 2003.]
Les recommandations
Voici quelques pistes de recommandations pour apporter une dimension éducative
Trop souvent encore, l’organisation du Sud est plus « utilisée » comme ressource sur le fond plutôt que comme actrice à égalité avec celle du Nord. Elles apparaissent comme des partenaires qui apportent des informations sur la situation locale, ou comme des témoins venant confirmer le bienfondé du commerce équitable en racontant des histoires qui soutiennent les objectifs des activités et donnent un visage aux campagnes, qui sans cela resteraient anonymes[8. Article « Les deux âmes du commerce équitable » d’Angelo Caserta, Antipodes n°161-162, juin-sept. 2003.].
Pour dépasser le stade de l’information (s’informer sur l’autre lors de rencontres Nord-Sud ne signifie pas d’office éducation au développement) il est déterminant :
- D’impliquer l’organisation du Sud lors de l’élaboration de l’animation pour y intégrer sa vision, ses intérêts et son expertise dans les thèmes abordés et ne pas réduire l’interaction à l’organisation de conférences ou de rencontres pour lesquelles des représentants de producteurs sont invités.
- D’instaurer un véritable échange. Trop souvent, le projecteur est braqué sur le partenaire orateur et les questions, à sens unique, sont adressées par les bénévoles au partenaire. Il s’agirait de construire des animations qui favorisent les interactions entre les partenaires et les publics, animations dans lesquelles les partenaires se positionnent aussi comme acteurs et actrices de changement, présentent leur équipe et les actions qu’ils mènent. De plus, la réciprocité dans la découverte répond à une attente du partenaire.
- De favoriser les regards croisés entre organisations Nord et Sud. Cela permettrait de toucher un nouveau public, d’échanger les savoirs et savoir-faire, de valoriser des expertises et de créer de nouvelles synergies. Exemples : développer des collaborations avec des couveuses d’entreprises, des écoles, des artisans ou des organisations productrices belges…
Bien entendu, la bonne communication, la concertation, la transparence, la connaissance mutuelle, la capacité de s’engager dans la durée, la qualité des relations humaines, sont la base de tout partenariat.
En conclusion, comme le fait remarquer Angelo Caserta dans son article « Les deux âmes du commerce équitable », les priorités ne sont pas les mêmes pour les partenaires producteurs Sud. La majorité des organisations Sud sont plus intéressées par le fait de mieux survivre dans ce système que par le changement de ce dernier. C’est compréhensible puisqu’ils ont souvent des besoins immédiats à satisfaire. Au Nord, des moyens humains et financiers permettent plus aisément de sortir la tête du guidon.
Pour éviter l’instrumentalisation du partenaire du Sud lors de sa visite en Belgique, potentiellement mal à l’aise dans une thématique ou à propos de certains enjeux systémiques, il est primordial de vérifier si les enjeux de l’organisation et ce que le partenaire souhaite exprimer correspondent. Et si tel est le cas, on peut alors favoriser la co-construction des animations, avec d’une part les partenaires et d’autres part les forces vives de l’organisation.
Sara Dodemont
Sources
Revue Antipodes, paradoxes du partenariat, N°171
- Article « Comment dit-on « partenaire » en langue locale ? », par Antonio de la Fuente
- Article « La tension entre la situation de disparité réelle des partenaires et l’idéal d’égalité qui se trouve au centre même du concept est à la source de bien des frustrations au Nord et au Sud », par Jean-Michel Swalens
Revue Antipodes, Partenariats Nord-Sud en éducation au développement, une idée qui fait son chemin, N°161-162
- Article « Les deux âmes du commerce équitable » d’Angelo Caserta, Antipodes n°161-162, juin-septembre 2003.
- Article « Comment l’éducation au développement a pu se développer depuis tant d’années, avec une certaine force, sans partenariats réels ? », par Annick Honorez
- Article « Les activités de sensibilisation sur le commerce équitable en Europe sont conçues, organisées et réalisées sans participation significative des groupes de producteurs », par Angelo Caserta
- Article « Un inventaire des pratiques, une typologie des actions et des recommandations pour le Sud et le Nord », par Adélie Miguel Sierra
Auto évaluation journée des partenaires d’Oxfam du 24 avril 2015
Enquête « Profil, motivations et attentes des bénévoles », réalisée par SONECOM, 2010
Revue Nouvelle N°7, article « Le solitaire et le populaire », Bernard Duterme, 2015