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Lorsque l’on s’engage dans un mouvement citoyen ou une association en général, on est habituellement convaincu par les objectifs qui l’animent. Cela nous amène à vouloir convaincre d’autres citoyens et collectifs de porter ces messages (que ce soit le respect de l’environnement, des droits humains, la lutte contre la pauvreté ou même le végétarisme par exemple) et souvent de privilégier certains comportements plutôt que d’autres. Pourtant, les stratégies de communication que nous utilisons semblent parfois contreproductives. Prenons un peu de recul.
La différence entre attitude et comportement
En psychologie sociale, on distingue l’attitude et le comportement. La première est « conçue comme une évaluation générale (positive ou négative) d’une personne à l’égard d’un objet » (FONTIAT et BOYER 2015 : 2). Prenons un exemple. En simplifiant un peu, l’attitude d’une personne par rapport à un objet, par exemple la politique, c’est le fait que l’on trouve que la politique est quelque chose de bien ou est quelque chose de mauvais. Cette attitude peut être centrale dans le système de valeurs et croyance de l’individu – et donc plus difficile à modifier – ou non. Exemple : la politique, je ne m’y intéresse pas vraiment et je pourrais changer facilement d’attitude à son sujet. Elle n’est pas centrale pour moi et mon identité.
Le comportement peut, lui, être définit par les actes réels observables posés par l’individu.
Or, de nombreuses recherches en psychologie sociale attestent que si l’attitude à un impact sur le comportement, elle est loin de suffire pour prédire un comportement. Ce point est particulièrement intéressant pour des mouvements citoyens créant des « campagnes de sensibilisation ». Pourquoi, par exemple, malgré toutes les campagnes sur les changements climatiques et les connaissances partagées à ce sujet, n’a-t-on pas tous totalement changé nos manières de vivre pour limiter la production de gaz à effet de serre ? Concrètement, ce n’est pas parce que je suis convaincu que l’utilisation du vélo est meilleure que celle de la voiture (attitude), que je vais me mettre à me déplacer en vélo plutôt qu’en voiture (comportement). Ainsi, une étude au long cours sur un programme de prévention du tabagisme (Peterson, Kealey, Mann, Marek et Sarason, 2000) a montré des différences d’attitude par rapport au tabac entre deux groupes de jeunes adultes. Un groupe avait bénéficié d’une grande quantité d’interventions à l’école sur le tabac et ses dangers, étalées tout au long de leur scolarité. L’autre non. Une fois adultes, si les attitudes par rapport au tabac différaient selon le groupe (les plus sensibilisés ayant une attitude plus négative par rapport au tabac), les comportements (proportion de fumeurs) étaient, eux, similaires.
Comment alors, lorsque l’on veut aboutir à des changements de comportements, ne pas se limiter à des changements d’attitude (ce qui est pourtant déjà un défi à atteindre) ?
Les théories du changement de comportement
On appelle « persuasion », le fait d’arriver à un changement d’attitude (qui peut être inscrit durablement ou non) et « influence », le fait d’arriver à un changement de comportement (lui aussi durable ou non). Or, ayant pris le recul sur les notions d’attitude et de comportement, on se rend compte que ce sont majoritairement des changements d’attitude que nous visons en général dans nos pratiques associatives de dispositifs de sensibilisation. C’est pour dépasser cela que dans la présente analyse, c’est sur l’influence que nous nous interrogeons. Celle-ci peut bien sûr nécessiter également de viser des changements d’attitudes pour augmenter les chances de modifier un comportement. Nous l’envisagerons donc de manière brève. Pour une étude plus approfondie des théories du changement d’attitude, nous renvoyons notamment vers FONTIAT et BOYER (2015) et les nombreuses références qu’ils proposent.
Les recherches (FONTIAT et BOYER 2015 ; MARCHIOLI 2016) tendent à montrer que l’attitude (favorable ou défavorable) vis-à-vis d’un comportement (par exemple manger moins de viande) va dépendre d’une part des croyances sur les conséquences de ce comportement (par exemple : « manger moins de viande donne une meilleure santé, limite la pollution, mais donne des repas fades » pourrait penser quelqu’un) et d’autre part de l’évaluation de ces conséquences (par exemple : « être en bonne santé et peu polluer est positif, des repas fades ne me plaisent pas »). Mais, pour déterminer un comportement, en plus de l’attitude, vont s’ajouter :
- les normes que ressent l’individu, elles-mêmes influencées par les croyances en matière de normes de ses proches (par exemple : « je crois que mes amis et mes parents pensent que réduire ma consommation de viande n’a pas de sens ») et la motivation à obéir à ses normes (« je n’aime pas suivre l’avis de mes parents ») ;
- la sensation de contrôle qu’il a sur le comportement (faisable ou pas). Celui-ci dépend des croyances concernant les obstacles à ce comportement (exemple : « quand je suis invité à manger, il y a rarement un repas sans viande ») et de leur évaluation (« c’est facile pour moi d’expliquer à mes amis qui m’invitent à dîner que je ne mangerai pas la viande »).
Modèle du comportement planifié (adapté de Fishbein et Azjen, 1991) dans Fontiat et Boyer, 2015)
La théorie du comportement planifié est une extension de la théorie de l’action raisonnée : cette nécessité d’avoir un nouveau modèle provient des limitations liées aux comportements sur lesquels les individus n’avaient qu’un contrôle partiel. Une troisième variable a donc été ajoutée, qui influencerait l’intention d’effectuer un comportement, à savoir la perception du contrôle sur le comportement (AZJEN, 1991)
Selon les études, « La théorie du comportement planifié s’avère valable pour prédire l’effet des campagnes [de sensibilisation à la santé] sur le changement de comportement » (MARCHIOLI 2006 : 7). Bien entendu, ce modèle est très loin d’être infaillible et permet juste de prévoir une probabilité de comportement (27% de la variance du comportement peut être expliquée par ce modèle selon FONTIAT et BOYER). Fort heureusement, l’individu est trop complexe que pour pouvoir si facilement être cerné. Déterminer avec certitude des comportements est donc, heureusement, impossible.
La communication engageante
Dépassons maintenant les théories tentant d’expliquer comment se forme un comportement pour arriver sur une théorie récente liée au changement de comportement. Sur base du constat que la communication plus classique, informative et argumentative, suffisait rarement à dépasser des changements d’attitude pour aboutir à des changements de comportements, des chercheurs français ont développé et testé ce qu’ils ont appelé « la communication engageante ». Pour cela, ils travaillent largement avec des associations et pouvoirs publics menant des campagnes de sensibilisation pour les aider à les rendre plus efficientes.
Dans cette forme de communication, une différence fondamentale est la place accordée à la « cible » de la communication. Le récepteur n’est plus ici considéré comme passif, mais comme un acteur, voire un partenaire, avec qui l’émetteur du message (l’association par exemple), partage un objectif commun. Pour donner cette place d’acteur à l’interlocuteur, qui bien souvent n’a rien demandé et certainement pas à être « sensibilisé », les chercheurs utilisent des outils de la psychologie sociale. Il s’agit principalement d’arriver à ce que le récepteur pose un petit acte, peu coûteux, dans le sens de l’attitude recherchée, avant qu’on passe à l’information et la réception. Concrètement, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation visant à limiter la pollution par les vacanciers sur les plages et en mer, il s’agissait de faire passer aux récepteurs un petit test des écogestes qu’ils connaissaient et pratiquaient déjà, en précisant que le but n’était pas de « donner des bons points ». Ils utilisaient ici une technique de psychologie sociale appelée « pied dans la porte » : son principe est d’obtenir un acte peu coûteux (répondre à un petit test) avant de demander beaucoup (un changement de comportement écologique).
Au fur et à mesure, les militants des associations environnementales informaient sur l’impact et l’utilité de chaque geste. Après ce topo, les enquêteurs félicitaient pour les gestes déjà appliqués (étiquetage mettant l’accent sur les traits correspondant au comportement recherché : « mais oui, en fait, je suis plutôt quelqu’un qui fait attention à l’environnement ») et demandaient enfin si les vacanciers étaient prêts à s’engager pour faire l’un ou l’autre geste en plus, de manière volontaire. Joule et Beauvois (2010) expliquent que cet engagement permet de faire le lien entre la personne (ses valeurs, ses attitudes affirmées, son identité) et ses actes. Grâce à ce lien créé, étant donné que l’interlocuteur a été acteur, la probabilité qu’il respecte son engagement et donc un comportement recherché, est plus forte. En effet, l’engagement était libre et renforce une identité positive de soi (même minime) vu les impacts positifs exposés de l’action à laquelle on s’est engagé (« si j’utilise des produits écologiques sur mon bateau, c’est parce que je suis quelqu’un de bien »). Cette probabilité augmente encore bien plus si cet engagement est public, c’est pourquoi les militants associatifs s’adressaient à des groupes/familles de vacanciers. Un engagement discuté et pris devant des amis, un membre de la famille, ou autre proche devient plus fort. Enfin, un coupon résumant le test écologique et l’engagement était remis à la personne (ou un fanion à ajouter à son bateau dans le cas des plaisanciers en bateau) pour marquer encore plus cet engagement publiquement.
Ce concept rejette donc toute communication risquant de culpabiliser sans laisser une place d’acteur (« Génocide dans votre assiette » avec une image de viande, risque fort de ne pas du tout convaincre des personnes peu/pas sensibilisées à la cause végétarienne), notamment car cela va à l’encontre d’un « étiquetage mettant l’accent sur le trait ou les valeurs correspondant au comportement ultérieur recherché » (JOULE 2011).
Quels apports pour des campagnes de sensibilisation ?
Il nous semble que dans les campagnes de conscientisation, nous aboutissons plus régulièrement à des changements d’attitude alors que nous visons au final des changements de comportements. Cela est sans doute également lié au fait que nous voulons que les actes soient autant que possible décidés par l’individu (sur la base de son attitude) plutôt que d’aboutir à des actes sans que l’attitude soit présente (et que l’on soit donc plus proche d’une forme, relative, de manipulation). Sans remettre cela en question, cette recherche peut amener à quelques éléments concrets à prendre en compte quand on met sur pied une campagne de sensibilisation visant entre autre des changements de comportement.
Quelques éléments peuvent aider à ce qu’une personne adopte un nouveau comportement :
- Viser d’avantage « l’opinion publique » et l’entourage des gens (pour agir sur les normes subjectives). En ce sens, viser à faire adopter des comportements à des collectivités comme des familles, des écoles ou des communes permet de moins viser directement l’individu tout en préparant le terrain. Par exemple, un.e commerçant.e dans une commune estampillée « du Commerce équitable » se verra donc rejoindre un mouvement déjà adopté par son milieu s’il ou elle décide d’élargir sa gamme à des produits équitables.
- Amener les gens à poser un premier acte moins coûteux que le comportement visé. Par exemple, un jour à vélo par semaine plutôt que de viser directement l’abandon de la voiture bien qu’il s’agisse ici déjà d’un premier acte plus coûteux que ceux décrits par JOULE. Cette stratégie est sans doute déjà adoptée par Oxfam-Magasins du monde lorsqu’elle propose à des jeunes de rejoindre une action de sensibilisation « clé-sur-porte » et bien encadrée. Les jeunes font ainsi leur première expérience de ce genre de mobilisation sans que cela ne soit trop contraignant. Le postulat est qu’ils seront conquis peu à peu par l’intérêt de ces actions et renforceront leur engagement par la suite.
À un autre niveau, il en va de même pour la consommation éthique. Proposer d’acheter un produit (équitable, écologique, local…) vient potentiellement remettre en question tous les comportements de consommation d’une personne, mais cette transition peut se faire pas à pas, sans que cela ne soit trop coûteux de premier abord.
- Avoir une communication permettant un étiquetage de chacun comme proche du comportement recherché. Par exemple, le Gracq – association cycliste – propose de parler de cyclistes potentiels plutôt que d’automobilistes, terme qui crée une distance rendant plus compliquée l’identification aux messages du Gracq pour les non-utilisateurs habituels de vélo.
- Amener les gens à poser un acte les engageant de manière publique, auprès de proches (par exemple en le faisant publier sur sa page de réseau social ou en lui laissant un autocollant « je donne mon sang » après un premier don de sang). Attention toutefois à ne pas attendre systématiquement d’une personne qu’elle souhaite mettre en avant un comportement. Avec de tels messages, il est parfois facile de retomber dans une culpabilisation de ses pairs. « Je suis un bon citoyen qui s’engage pour des causes » peut aussi sonner comme prétentieux ou provocateur auprès de son entourage. Nombre de citoyens préfèrent ne pas mettre en avant leur engagement, convictions ou gestes qu’ils adoptent au quotidien.
Conclusion
Quand on défend des valeurs et un modèle de société, on vise à des changements et on utilise divers outils de communication. Que cela soit implicite ou non, on utilise aussi des outils de persuasion. Pour que ceux-ci soient efficaces, les bons arguments ne suffisent pas, il est nécessaire de lier ceux-ci aux valeurs et attitudes des publics ciblés et de mettre en valeur les engagements peu coûteux qui renforcent leurs identités positives.
Les techniques ici évoquées s’adressent plutôt à de la sensibilisation individuelle, en face à face, mais peuvent tout autant se décliner en une communication vers un large public, via les médias traditionnels, les réseaux sociaux, des affichages…
Dans ces cas cependant, un des problèmes sera alors d’arriver à rendre véritablement les récepteurs acteurs. Un média interactif comme internet peut aider à résoudre ce problème. Mais l’engagement d’un clic de souris reste souvent léger, et ne permet pas de savoir si les comportements suivront.
Retenons surtout l’intérêt d’une communication qui ne se veut pas frontale : le fait de considérer la cible comme partageant les mêmes objectifs que nous, pas comme des ennemis, des imbéciles ou des égoïstes. Si l’on cherche moins à convaincre et davantage d’amener à s’engager concrètement pour une cause, c’est à une toute autre démarche de communication que l’on s’attelle.
Oxfam-Magasins du monde en a fait en quelque sorte l’expérience en 2016/2017 en faisant campagne pour promouvoir les alternatives alimentaires sans mettre trop l’accent sur les crises dénoncées et les comportements de surconsommations, mais plutôt en avançant la convivialité, l’intérêts de toutes les alternatives qui voient le jour actuellement et de leur caractère enthousiasmant.
Ceci étant, cette brève analyse ne doit pas faire oublier que ce sont des changements globaux que nous visons et que les gestes et changements de comportements individuels, même s’ils contribuent au changement, ne sont pas suffisants. Les mouvements collectifs, le politique et l’institutionnel doivent rester des cibles privilégiées lorsque l’on veut défendre une société plus juste et plus durable.
Elisabeth Mailleux
Bibliographie
FOINTIAT V., BARBIER L., 2015, Persuasion et Influence : changer les attitudes, changer les comportements. Regards de la psychologie sociale. Journal d’Interaction Personne-Système (JIPS), AFIHM, 4 (1), pp.1-18.
GRACQ, 2016, « Gracq cherche non cyclistes… et plus si affinité », GRACQ MAG, n°20, p. 12-15.
JOULE R., BEAUVOIS J., 2010, Chapitre 3. La psychologie de l’engagement. Dans R. Joule & J. Beauvois (Dir), La soumission librement consentie: Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ?. Paris: Presses Universitaires de France. 52-94.
JOULE R., 2011, « La psychologie de l’engagement », document de travail consulté le 17/12/2017 sur http://education_politique.eklablog.com/robert-vincent-joule-psychologie-de-l-engagement-2003-a27745542
MARCHILI A., 2006, « Marketing social et efficacité des campagnes de prévention de santé publique : apports et implications des récents modèles de la communication persuasive. », Market Management (Marketing & Communication), 1 (1), pp.17-36.
Peterson A.V., Kealey K.A., Mann S.L., Marek P.M., Sarason I.G., 2000, “Hutchinson smoking prevention project : Long-term randomized trial in schoolbased tobacco use prevention – Results on smoking”, Journal of the National Cancer Institute, 92, 24, 1979-1991.
VAIDIS D., 2006, « Attitude et comportement dans le rapport cause-effet : quand l’attitude détermine l’acte et quand l’acte détermine l’attitude », Linx, 54, 103-111.