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Oxfam-Magasins du monde

« Faire des achats publics de vêtements de travail durables un enjeu fort de ces élections »

Analyses
« Faire des achats publics de vêtements de travail durables un enjeu fort de ces élections »
Les élections communales approchent, c’est l’occasion d’enfiler son costume de militant ! Dans le cadre de sa campagne ‘Une autre commune est possible’ (et dans la continuité de la précédente ‘Une autre mode est possible’), Oxfam-Magasins du monde invite son mouvement à interpeller les candidats et les élus en matière d’achats publics de vêtements. Moins visibles que le secteur de la mode, ces achats publics de vêtements (de travail, de sécurité et promotionnels) représentent pourtant un marché important (4 milliards d’euros en Europe en 2008 pour les seuls vêtements de travail, dont la moitié passe par des marchés publics[1. AchACT. 2018. Mémorandum pour des achats publics durables – L’exemple des vêtements de travail et promotionnels fabriqués dans le respect des droits de l’homme. Voir également : http://www.achact.be/Produits-Vetements-de-travail.htm.]). Ils constituent donc un levier potentiellement très intéressant pour améliorer les conditions de travail et diminuer les impacts environnementaux au sein des chaines d’approvisionnement textiles. Le point sur la situation avec Carole Crabbé, secrétaire générale d’achACT.

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À quelques mois des élections communales, où en est-on en Belgique en matière d’achats publics durables ?
Mise à part une enquête d’achACT et Ecoconso récemment publiée[2. AchACT. Mars 2018. Communes & achats durables. Prise en compte du respect des droits humains dans les achats publics de vêtements de travail et promotionnels.], nous disposons de très peu de données précises. Mais de manière générale, on constate que les pouvoirs de tutelle encouragent de plus en plus les autorités publiques à acheter durable. Une directive européenne, votée en 2012 et transposée en juin 2017 dans la loi Belge[3. Voir notamment : http://marchespublics.cfwb.be.], a ainsi permis des avancées. Il est maintenant plus facile de faire référence à des labels comme élément de preuve du respect de critères durables. La loi autorise également la prise en compte non seulement du coût d’acquisition, mais de l’ensemble des coûts liés au cycle de vie du produit. C’est ce que l’on appelle en termes juridiques « choisir l’offre économiquement la plus avantageuse » : cela permet d’intégrer les impacts sociaux et environnementaux de la production et donc d’encourager les achats durables. Enfin, il est maintenant plus simple de séparer les marchés en différents lots, ce qui favorise également les fournisseurs durables (souvent de taille modeste et donc potentiellement en incapacité de fournir l’entièreté des produits d’un seul grand appel d’offres).
Quels sont les critères à respecter pour l’achat de vêtements socialement responsables ?
Ce sont essentiellement le respect des droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs tels que définis par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) : interdiction du travail des enfants, du travail forcé, des discriminations, le droit à la négociation collective, à un salaire vital, à une durée de travail limitée, à un contrat de travail, etc.[4. Ces différents critères ainsi que les démarches en matière d’achats durables sont notamment détaillés dans le mode d’emploi de l’achat écologique et socialement responsable – spécial vêtements de travail et promotionnels (achACT, Ecoconso – 2012).]
Comment s’assure-t-on du respect de ces critères ?
C’est ce que l’on appelle l’élément de preuve, l’une des plus grandes difficultés actuellement pour un acheteur de vêtements socialement responsables. Car contrairement au domaine environnemental, il n’existe pas de standard universellement admis au niveau éthique. Un acheteur tel qu’Anderlecht, pourtant l’une des communes à la pointe dans ce domaine, ne demande ainsi à ses soumissionnaires qu’une simple déclaration sur l’honneur pour faire respecter les critères éthiques de son cahier des charges.
Que proposez-vous sur cette question ?
Malheureusement, la loi Belge ne va pas aussi loin que ce que la Directive européenne autorise en matière d’achats durables. La Belgique pourrait s’inspirer de ses voisins, en particulier des Pays-Bas. Chez ces derniers, des éléments de preuve convaincants et reconnus par les autorités doivent être apportés par les soumissionnaires eux-mêmes : par exemple une justification de production dans un pays peu risqué au niveau social, ou bien l’adhésion à un standard tel que la Fair Wear Foundation (FWF) pour l’habillement ou le label Fairtrade pour le coton. Cette politique a notamment amené toute une série d’entreprises à s’affilier à la FWF (selon nous, l’initiative multipartites la plus crédible au niveau européen) et a donc fait beaucoup progresser les achats publics durables.
De ce point de vue, le Plan d’Action National (PAN) Entreprises, adopté par la Belgique en 2017, pourrait être un bon marchepied vers une politique belge similaire[5. L’objectif des Plans d’Action Nationaux est de mettre en œuvre au niveau national les Principes directeurs ‘Entreprises et droits de l’Homme’ des Nations Unies. Ces Principes précisent les devoirs et responsabilités des États et des entreprises en matière de protection et de respect des droits de l’homme dans le cadre des activités commerciales et en matière d’accès à des voies de recours efficaces pour les particuliers et groupes touchés par ces activités. Voir également le chapitre 3.1.3 de l’étude d’Oxfam-Magasins du monde : Veillard P. Décembre 2015. Travail décent et textile équitable. Impact du commerce équitable sur la durabilité des chaînes textiles. Analyse de contexte globale.]. Il contient en effet une partie dédiée aux marchés publics durables. Y est notamment mentionné le fait que le gouvernement belge souhaite étudier le fonctionnement de différentes initiatives dans les pays voisins, et sur cette base, analyser ce qui peut être mis en place en Belgique. Il existe ce système de preuves aux Pays-Bas dont je parlais, mais aussi d’autres initiatives dont le gouvernement belge pourrait s’inspirer. Par exemple les plateformes multipartites sur le textile en Allemagne et aux Pays-Bas (qui regroupent entreprises, société civile et gouvernement), ou certaines initiatives législatives (telles que la loi sur le devoir de vigilance en France ou le « modern slavery act » au Royaume-Uni) qui contiennent des composantes sur les marchés publics. Sur le papier, il y a des intentions du gouvernement mais pour l’instant rien de plus…
Le recours à des centrales d’achat, par exemple du Service Public Wallon (SPW), ne pose-t-il pas un problème pour des communes désireuses d’aller plus loin ?
Cela peut fonctionner dans les deux sens, pro ou anti-durabilité, en fonction des critères des centrales d’achat. Le SPW doit jouer avec une forme de conservatisme ou frilosité des acheteurs publics, qui ne veulent pas être trop contraints par diverses exigences, tout en intégrant des critères n’étant pas trop difficiles à remplir par des entreprises. Ces deux obstacles –  éléments de preuve avalisés par les pouvoirs de tutelle et risques de ne pas trouver de soumissionnaire (en lien avec la pauvreté de l’offre sur le marché) – sont clairement les deux principaux freins à lever pour faire décoller les achats publics de vêtements socialement responsables.
Des communes ressortent-elles comme bons élèves ?
Oui, on peut citer la commune d’Anderlecht par exemple, qui, comme je le décrivais plus tôt, fait des efforts depuis maintenant de nombreuses années. C’est le résultat entre autres d’un agenda 21 très fort et d’un écoconseiller dynamique, qui pousse vraiment pour faire avancer la thématique. Plus modestement Mons, qui a par exemple fait appel à une entreprise membre de la FWF pour des t-shirts promotionnels. L’enquête que nous avons récemment publiée compare de manière plus détaillée les approches et démarches de différentes communes bruxelloises et wallonnes dans le domaine[6. AchACT. Mars 2018. Ibid.].
Quid des élections à venir ?
Dans le cadre des élections communales, nous proposons aux personnes intéressées de devenir Miss/Mister achats durables dans leur commune. Après une formation, ces citoyens pourront interpeller les candidats et sensibiliser autour d’eux, afin de faire des achats publics de vêtements de travail durables un enjeu fort de ces élections[7. Voir notamment : http://www.achact.be/achatsdurables.htm.].

Conclusions et perspectives

Cette action proposée par achACT est un moyen concret d’agir pour un ou une citoyenn.e sensibilisé.e à ces questions. L’une des 10 propositions formulées par Oxfam-Magasins du monde dans le cadre des élections communales fait également référence à ce thème. Il est demandé aux communes d’inscrire dans leur Déclaration de politique Générale : « Nos achats de vêtements de travail, de sécurité et promotionnels tiennent compte du respect des droits fondamentaux des travailleuses et des travailleurs ». Un exemple de motion communale a aussi été formulé, qui peut être directement repris (et éventuellement adapté) par tout groupe de citoyen.ne.s souhaitant interpeller son collège sur le sujet[8. Disponibles sur la page de campagne ‘Une autre mode est possible’ et sur le site (en téléchargement) des CDCE.].
A noter qu’un travail important est également conduit dans ce domaine au niveau européen par différents acteurs du mouvement du commerce équitable. Un groupe de travail ‘marchés publics textiles’ coordonné par le bureau européen du commerce équitable (FTAO) a ainsi été mis en place en juin 2018. Au-delà de l’objectif général de promouvoir les achats publics de vêtements durables, le groupe vise surtout le partage d’expériences et de bonnes pratiques[9. Un atelier de travail organisé par FTAO à Bruxelles le 28/06/18, dans le cadre de la conférence ‘From local to EU level : scaling up Fair Trade in Europe’, aura déjà permis de fructueux échanges.], en partant du constat de la difficulté technique ainsi que des risques que représentent pour les acheteurs ce type d’achat. En mettant en avant les exemples gagnants, l’idée est de convaincre les autorités locales de franchir le pas, tout en encourageant des législations nationales plus ambitieuses (i.e. avoir un cadre qui progresse du simple ‘peut faire des achats durables’ au ‘devrait’ ou même au ‘doit’). L’exemple belge de la ville de Gand est à ce titre très inspirant, elle qui a reçu le 27 juin 2018 le prix de la ville européenne du commerce équitable, en lien notamment avec sa politique innovante et proactive en matière d’achats de vêtements de travail durables[10. Parmi les nombreuses actions mises en place par la ville : le développement d’une stratégie d’achats de vêtements de travail durables, la publication d’un guide / boîte à outil pour les acheteurs, ou encore le soutien continu à ‘Gent Fair Trade’, une organisation active dans la conscientisation du grand public, notamment lors de l’évènement annuel ‘Fair Fashion Fest’.].
Patrick Veillard
Chargé thématique textile