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Oxfam-Magasins du monde

Quels rôles et collaborations entre travailleurs salariés et bénévoles dans l’économie sociale ?

2019 Analyses
Quels rôles et collaborations entre travailleurs salariés et bénévoles dans l’économie sociale ?

Sans les personnes volontaires, de nombreux secteurs relevant de l’économie sociale ne survivraient pas. L’implication des volontaires dans la recherche de rentabilité, les rôles respectifs, l’articulation et les collaborations entre travailleurs/euses salarié∙es et volontaires sont donc des questions fondamentales de l’ensemble des organisations et entreprises concernées. Cette analyse les aborde après une description de la situation du bénévolat chez Oxfam-Magasins du monde.

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Introduction

Les premières initiatives d’économie sociale ont été portées par des personnes volontaires qui s’étaient engagées pour répondre à des besoins sociaux et environnementaux.

Même s’il s’est professionnalisé, le secteur fait encore appel à de nombreux bénévoles. Deux raisons à cela : la volonté de valoriser l’engagement citoyen, fondement de certaines organisations ainsi que l’impossibilité d’assurer les missions, le développement et la pérennité des initiatives sans travail gratuit. L’exemple des ressourceries d’économie sociale est parlant. Selon l’observatoire de la réutilisation[1]Observatoire de la réutilisation – édition 2018, Fédération des entreprises d’économie sociale actives dans la réduction des déchets par la récupération, la réutilisation et la … Continue reading, en Fédération Wallonie Bruxelles, 7703 personnes travaillent dans les entreprises d’économie sociale actives dans la réduction des déchets. Parmi celles-ci, 43 % sont des travailleurs/euses sous contrat, 28% sont des travailleurs/euses en formation et 29% sont des travailleurs/euses volontaires.

Sans les personnes volontaires, le secteur ne survit pas. L’implication des volontaires dans la recherche de rentabilité, les rôles respectifs, l’articulation et les collaborations entre travailleurs/euses salarié∙es et volontaires sont donc des questions fondamentales de l’ensemble des organisations/entreprises concernées.

De manière formelle, la rentabilité commerciale peut être résumée par la mesure de la rentabilité d’une entreprise selon son volume d’affaires.  Classiquement cette mesure est établie en divisant le résultat net par le chiffre d’affaires ; ce qui permet de juger si une entreprise est « rentable » dans son secteur d’activité (plus la rentabilité commerciale est importante, plus la marge brute de l’entreprise sur la vente de ses produits/services est forte).

Cette réflexion de rentabilité commerciale est nécessaire pour assurer la pérennité des organisations. Ainsi, par exemple, la gestion du réseau de magasins Oxfam- Magasins du monde – organisation qui se définit avant tout comme un mouvement d’éducation permanente et un acteur de changement des inégalités socio-économiques – ne peut pas se permettre de laisser les aspects économiques de son réseau de distribution en arrière-plan de ses missions de base.

Cette réalité est par ailleurs devenue cruciale en raison de deux ensembles principaux de facteurs :

  • un ensemble de facteurs endogènes, à savoir la crise économique actuelle que traverse l’organisation ;
  • un ensemble de facteurs exogènes et contextuels, à savoir le contexte du développement de la concurrence du marché ces dernières années : productions industrielles, commerces en ligne, développement de start-up et de chaînes d’éco-consommation, évolution des modes de consommation (localisme, zéro déchets, bio,…), etc.

Face à des difficultés économiques et à un mouvement de bénévoles vieillissant, Oxfam- Magasins du monde est à un tournant de son histoire. L’organisation doit évoluer et se redéployer. Parmi les nombreuses pistes envisagées, l’évolution de son approche commerciale pour assurer la rentabilité de ses activités commerciales est nécessaire. L’organisation doit être attentive, d’une part, à diminuer les charges associées à ses projets de magasins et, d’autre part, à augmenter ses résultats.

Dans cette optique, les pistes d’amélioration consistent principalement en :

  • L’instauration de nouveaux modèles de surfaces commerciales combinant différents produits et services (par exemple des produits en vrac, un service de cafétéria, des vêtements de seconde main vintage, etc.) afin de mieux correspondre aux exigences du public et de renforcer la légitimité du commerce équitable dans les enjeux environnementaux actuels. 
  • Une augmentation des standards qualitatifs de présentation des produits ainsi que de l’accueil et du conseil auprès de la clientèle afin d’être en mesure de concurrencer la professionnalisation du secteur par des acteurs commercialement plus « agressifs ».

Par corollaire, la poursuite de cet objectif impliquera également une amélioration de l’image de marque des magasins du monde Oxfam.

Ces pistes d’amélioration ne sont envisageables que s’il existe une « professionnalisation[2]Professionnalisation désigne pour G. Le Boterf le processus permettant de construire et développer ses compétences, notamment via la formation. », un dynamisme et un accroissement des compétences dites « commerciales » dans le chef des équipes de bénévoles travaillant dans les projets de magasin.

Or, on constate que ce n’est pas (toujours) le cas.

Cette analyse, après une description de la situation du bénévolat chez Oxfam-Magasins du monde, se posera la question de la collaboration entre les volontaires et des salariés pour assurer la rentabilité nécessaire à la pérennité d’une entreprise d’économie sociale.

Étude de cas – Oxfam-Magasins du monde : les bénévoles : quelles sont les compétences nécessaires et quelles sont les forces et faiblesses du bénévolat actuel?

1. Les compétences commerciales

Dans un contexte professionnel, le travail des bénévoles nécessite, tout autant que le travail salarié, la mise en œuvre de compétences.

Dans une organisation comme Oxfam- Magasins du monde, le succès du projet commercial repose, entre autres, sur les compétences suivantes:

  • DES SAVOIR-FAIRE :  aménager les magasins, présenter les produits, accueillir et conseiller les clients, gérer les stocks, vendre aux professionnels, promouvoir le magasin et le projet dans la commune, recruter de nouveaux bénévoles, …
  • DES SAVOIRS : connaître marché, les tendances, le contexte local, le cadre juridique (AFSCA, SABAM, etc.), …
  • DES SAVOIR-ETRE : proactivité, esprit d’équipe, sympathie, ouverture d’esprit, rigueur, orientation clients…

2. Le bénévolat actuel

L’alternative du commerce équitable et le réseau de magasins s’appuient sur l’engagement d’environ 3000 bénévoles.

Forces

Le bénévolat d’Oxfam-Magasins du monde est particulièrement nombreux et méritant.

D’une enquête réalisée en 2015[3]BIDEE J., GRIEP Y. ; Oxfam-Magasins du monde : Rapport sur l’enquête de satisfaction ; VUB, 2015 il ressort :

  • une grande fidélité des bénévoles, dont l’ancienneté évolue au fil du temps : elle est d’un peu plus de 7 ans en 2015, alors qu’elle était d’environ 5 ans en 2010 ;
  • un investissement en temps pour gérer le magasin qui est considérable : en moyenne, un bénévole y consacre 16 heures par mois mais cela peut aller jusqu’à 50 heures pour les plus assidus ;
  • un attachement au magasin et aux valeurs d’Oxfam- Magasins du monde et du CE ;
  • des personnalités très actives et militantes, qui apportent différentes compétences à leur équipe.

Cependant, le fonctionnement et le profil des bénévoles actuels présentent des limites pour donner vie aux nouveaux projets et aux défis commerciaux. La réussite de ces projets est conditionnée par une volonté de collaboration, une recherche de complémentarité, une ouverture à d’autres modes de fonctionnement, une capacité à se remettre en question pour évoluer et accepter le changement. Nous avons repéré des difficultés à dépasser[4]Voir les analyses « Renouveler son bénévolat : bonne idée ! Mais par où commencer ? » et « Un bénévolat en Transition » :

Faiblesses

  • La mise en œuvre des innovations envisagées par le siège se heurte parfois à une vision et un mode de fonctionnement local. C’est la zone de friction entre la marge de manœuvre laissée aux équipes locales, la volonté de les autonomiser et les responsabiliser, et les enjeux plus globaux liés au développement de l’organisation. Le siège doit pouvoir prendre des décisions pour le bien commun, les intérêts de l’organisation dans son ensemble.
  • Le modèle actuel repose sur un grand nombre de bénévoles. Les horaires d’ouverture d’une surface commerciale requièrent une grande disponibilité. (Un horaire classique de 5 jours par semaine, de 9h à 18h, représente 45h de permanences à tenir en magasin soit 15 bénévoles minimum à raison de 3h par semaine). Aux permanences, s’ajoutent des postes à responsabilités qui sont pris en charge par des bénévoles : comptabilité, gestion des stocks d’artisanat et produits alimentaires, communication locale, mise en valeur des produits en magasin et dans la vitrine …
  • Le fonctionnement du magasin repose sur un bénévolat collectif très exigeant. Le fonctionnement en groupe peut représenter une difficulté, notamment quand l’équipe ne parvient pas à trouver un moyen de fonctionner qui agrée tous ses membres.
  • La gestion (et la rentabilité) d’un magasin requièrent efficience et professionnalisme, un challenge parfois générateur de stress pour le groupe, ce qui peut avoir des répercussions sur l’investissement dans les autres missions d’Oxfam.
  • La communication entre le siège et les équipes locales est compliquée, d’une part parce qu’il y a de nombreux messages à faire passer et d’autre part parce que le nombre de personnes qui les émettent et les reçoivent est très important. La volonté est de rationaliser les messages et supports transmis aux bénévoles mais également les canaux de diffusion et le mode de communication (plutôt vertical jusqu’ici).
  • Une réalité à prendre en compte également, c’est l’intégration et l’accompagnement d’un public précarisé au sein des équipes (personnes ayant un problème de santé, en réinsertion sociale, en difficulté psychologique ou économique …)
  • Par ailleurs, des personnalités « toxiques » ou « despotiques » qui imposent leur vision et cherchent à dominer peuvent nuire à la dynamique de l’équipe.
  • Des ressources humaines salariées en nombre limité pour le suivi des bénévoles en demande d’appui, de conseils, de services.
  • Le processus démocratique de l’organisation (assemblées locales, régionales, générales, plan stratégique à 10 ans, processus participatif en éducation permanente, etc.) ne permet pas toujours de réagir rapidement et efficacement.
Forces Faiblesses
Investissement Bénévolat collectif très exigeant
Fidélité Besoin de beaucoup de ressources humaines bénévoles
  Ressources humaines salariées insuffisantes
  Processus démocratique complexe
  Communication complexe
Soutien au projet, valeurs Vision et mode de fonctionnement local
Personnalités riches Personnalités nuisibles

 

On le voit, les besoins liés aux activités commerciales sont très importants et le fonctionnement actuel du bénévolat peut difficilement y répondre.

3. Conclusion

Un modèle économique qui repose massivement sur le bénévolat a ses limites, aussi bon et efficace que soit le développement des outils, des compétences et de la professionnalisation.

Les organisations d’économie sociale doivent tenir compte de la spécificité du volontariat, qui doit rester un don et un engagement moral. On ne peut donc pas avoir les mêmes exigences qu’avec des professionnel∙les salarié∙es. L’énergie déployée par les salarié∙es d’Oxfam- Magasins du monde pour professionnaliser des bénévoles seniors, qui souhaitent avant tout créer du lien social en se rendant utiles, porte-elle ses fruits ? Comment faire progresser les compétences d’une équipe de bénévoles en vue d’une recherche de rentabilité et quelle est la marge de progression réelle ? Ces questions pourraient faire l’objet d’une analyse ultérieure.

Et par ailleurs, est-il possible d’être performants commercialement avec une faible professionnalisation ? En partant du besoin de professionnalisation d’un mouvement de bénévoles pour être rentable, nous analyserons ci-dessous le recours à un travailleur rémunéré pour pallier ces « lacunes » et favoriser la rentabilité commerciale d’un projet de magasin[5]Analyse « Quelle contribution les salariés peuvent-ils apporter pour atteindre la rentabilité commerciale dans un Mouvement d’éducation permanente ? », Sara Dodémont, 2019..

Quelle contribution les salariés : peuvent-ils apporter ? Comment articuler la collaboration entre salarié∙es et bénévoles ?

La première partie de cet article, en prenant l’exemple d’Oxfam-Magasins du monde, mettait en avant les limites du volontariat pour atteindre la rentabilité commerciale et les difficultés liées au besoin de professionnalisation d’un mouvement de bénévoles. Partant de ce constat, nous questionnons l’apport des travailleurs rémunérés et l’articulation entre ces derniers et les bénévoles pour favoriser la rentabilité commerciale d’un projet de magasin.

1. Qu’est-ce qu’on entend par « travailleur rémunéré » ?

  • Un ou des travailleurs salariés du siège intervenant en magasin à intervalle régulier sur des missions/tâches précises
  • Un travailleur salarié à plein-temps en magasin (une sorte de gérant)
  • Un travailleur indépendant à plein-temps en magasin

Le type d’emploi et le profil des salarié∙es est bien sûr crucial pour une bonne collaboration. Les salarié∙es qui ont le statut d’article 60 nécessitent un encadrement approprié par exemple. Cette question sera développée dans l’analyse « Comment envisager le projet d’insertion de travailleurs sous statut « Article 60 » au sein des équipes locales d’Oxfam-Magasins du monde ? »[6]Analyse « Comment envisager le projet d’insertion de travailleurs sous statut « Article 60 » au sein des équipes locales d’Oxfam – Magasins du monde ?», Anne Bartelemy, 2019..

2. Qu’est-ce qu’on entend par « travailleur bénévole » ?

Le mot bénévole vient du latin benevolus, de bene (bien) et volo (je veux). Le bénévole est celui qui est « bienveillant » parce qu’il veut faire le bien, de manière désintéressée, sans rémunération, à la grande différence du professionnel salarié. Et à la différence de certains profils de volontaires, comme par exemple les pompiers volontaires, le bénévole reste un amateur.

Dans une entreprise d’économie sociale comme Oxfam-Magasins du monde, il s’agit d’un bénévolat de travail qui est à distinguer du bénévolat de loisir. Le critère pour distinguer ces deux types de bénévolat repose sur la question qui consiste à évaluer si la personne présumée bénévole peut être ou non remplacée par un salarié. Si oui, il s’agit d’un travailleur bénévole, si non, d’un simple membre de l’association. Autrement dit, un travailleur bénévole assume des actions qu’un professionnel pourrait prendre en charge. Il existe donc une possibilité objective de chevauchement des actions et des responsabilités.

Dans certains cas, la seule distinction claire entre travail bénévole et travail rémunéré est celle de l’existence d’un contrat de travail pour les salarié∙es[7]Stéphane Rullac, Quels enjeux et modalités de collaboration entre les bénévoles et les salariés dans le secteur de l’économie solidaire ?, Cairn info, Hors-série 5 pp. 185 à 206, 2012.

3. Exemples d’organisation de travail où bénévoles et salariés travaillent ensemble aux mêmes tâches

Pour étudier la contribution des travailleurs salariés et l’articulation salariés-bénévoles, nous avons interviewé des employé∙es de deux associations d’économie sociale et solidaire dont nous sommes proches : Oxfam-Solidarité (OS) et Oxfam-Wereldwinkels (WW). Ces 2 organisations ont des magasins co-gérés par des bénévoles et des salarié∙es depuis de nombreuses années. Dans ce cas, il s’agit de travailleurs salariés à plein-temps ou mi-temps en magasin.

Un travailleur salarié à plein-temps ou mi-temps en magasin (co-gestion) :

Forces

  • Quand il y a un salaire et un contrat de travail, il y a un engagement légal (vs l’engagement moral des bénévoles), des objectifs à atteindre et des pénalités possibles en cas de non-respect de ce contrat.
  • La personne salariée est souvent le point de référence de l’équipe de bénévoles. Ça permet d’améliorer la communication et de créer une cohésion dans l’équipe. C’est également plus facile pour faire lien entre le siège et le terrain.
  • Prise de responsabilités que certains bénévoles n’ont pas envie ou pas les moyens de prendre. Car si l’équipe est composée exclusivement de bénévoles, c’est parfois contraignant de réaliser de nouveaux projets, d’innover.

Faiblesses

  • Tensions entre salarié∙es et bénévoles : la personne salariée doit trouver sa place et n’être ni despote ni esclave de l’équipe. Cela pose la question de la légitimité, de la hiérarchie et du partage clair des tâches et responsabilités.
  • Dépendance de l’équipe : les bénévoles peuvent se reposer sur la personne salariée, ne plus prendre d’initiative, et se désengager.
  • La présence de salarié∙e∙s – tout comme celle de bénévoles avec responsabilités – crée une hiérarchie dans l’équipe, ce qui n’est pas accepté par tout le monde.
Forces Faiblesses
Contrat, engagements légaux Ni despote, ni esclave : partage des responsabilités et des tâches
Communication facilitée, référence de l’équipe de bénévoles Dépendance de l’équipe 
Prise de responsabilités Légitimité, hiérarchie

 

Fonctionnement d’Oxfam- Wereldwinkel :

  • 10 employé∙e∙s basé∙e∙s au siège sont coordinateurs d’équipes, responsables de la mise en œuvre des projets – commerciaux et éducatifs – sur le terrain.
  • 30 employé∙e∙s sont réparti∙e∙s dans les 200 magasins pour réaliser des tâches administratives, logistiques, commerciales et éducatives.
  • Chaque magasin WW est une asbl indépendante.

Un constat est formulé par Ive Boogaerts, responsable des ventes dans le réseau OWW : il est difficile de mesurer l’impact commercial des employé∙e∙s qui travaillent en magasins car il n’y a pas de rapport systématique entre leur présence et l’augmentation du chiffre d’affaires.

Sindy Kinard, employée dans un magasin bruxellois, précise que son rôle en tant qu’employée au sein de l’équipe est de stimuler la prise d’initiative des bénévoles. Une équipe composée uniquement de bénévoles s’expose à plus d’immobilisme. Mais pour stimuler les bénévoles de l’équipe, il faut les convaincre et être reconnu comme un pair. Cette fonction nécessite un sens relationnel très poussé …et de la patience.

Fonctionnement d’Oxfam- Solidarité :

  • 5 employés basés au siège sont coordinateurs d’équipes
  • 60 employés à temps plein ou mi-temps dans 30 magasins
  • Chaque magasin dépend du siège social, tout comme chez Oxfam- Magasins du monde

Sindy Kinard témoigne de la difficulté de se positionner par rapport aux bénévoles du magasin. Pour que son autorité soit reconnue, elle estimait qu’il fallait prouver son efficacité et sa valeur, notamment en participant aux tâches de terrain. Le respect et la crédibilité ne sont pas acquis d’amblée, cela se construit dans la durée.

Lors de l’interview, Birgit Vanhoutte qui coordonne des équipes de bénévoles en tant que travailleuse salariée qui dépend directement du siège d’Oxfam-Solidarité, confie qu’une partie importante de son temps de travail est consacrée à la gestion des ressources bénévoles. C’est elle qui assure le recrutement, l’accueil, la formation et le cas échéant l’exclusion des bénévoles. L’autonomie, la proactivité et la mission de sensibilisation des équipes de bénévoles d’Oxfam-Solidarité est nettement plus réduite que chez Oxfam-Magasins du monde et nécessite un encadrement plus rapproché. Cela pourrait s’expliquer par le profil socio-économique des bénévoles qui travaillent dans les magasins de seconde main (vêtements, livres, informatique etc.).

Pour Kevin Matthys, également coordinateur de bénévoles, le fonctionnement actuel fait peser une charge mentale et physique lourde sur les bénévoles. Il s’agit de reconnaître les bénévoles à leur juste valeur sans trop se reposer sur eux. Ces derniers sont en attente d’un appui de la part des salarié∙e∙s. Selon lui, on ne peut pas être professionnel uniquement avec des bénévoles.

4. Enjeux à relever pour optimiser l’articulation travailleurs salariés et bénévoles

La gestion des ressources humaines et du management

Au nom de la coexistence de la professionnalisation salariale et bénévole dans les associations d’économie sociale, les institutions sont amenées progressivement à envisager une politique de ressources humaines des bénévoles et à étendre ainsi leur autorité et leur management au-delà des acteurs salariés (exemple du Plan DDB, Dynamique Des Bénévoles chez Oxfam- Magasins du monde). Ainsi, les associations d’économie sociale qui recourent au bénévolat sont tenues de développer une gestion professionnelle du bénévolat : « Cela se traduit par une série de mesures, du recrutement à l’intégration des bénévoles, de la contractualisation à la formation, de l’organisation du travail à sa valorisation »[8]Danièle DEMOUSTIER, « Le bénévolat, du militantisme au volontariat », in Revue française des affaires sociales, n° 4, 2002.

Une réflexion pour attirer de nouveaux publics et renouveler le bénévolat est menée par Oxfam-Magasins du monde[9]Voir analyses « Renouveler son bénévolat, bonne idée mais par où commencer », « Un bénévolat en Transition ». Mais bien que notre organisation se soit penchée depuis plusieurs années sur une politique de gestion des ressources humaines bénévoles, la réflexion sur l’articulation salarié∙es-bénévoles, le besoin de professionnalisation et la valorisation de compétences spécifiques est assez récente.

La gouvernance

Dans son article « Démocratie participative : idéal démocratique ou paroxysme de l’hyper-individualisme ? »[10]Matthieu Peltier, Démocratie participative : idéal démocratique ou paroxysme de l’hyper-individualisme ?, le Vif, 2019, Matthieu Peltier, s’interroge sur les limites de la démocratie participative et sur le défi de décider à plusieurs, en horizontalité. Ces difficultés décisionnelles sont parfois vécues dans notre organisation. Il faut trouver la juste mesure entre l’autonomie des équipes bénévoles (projet local) et une décision hiérarchique prioritaire pour l’organisation (projet global). Questionnons sans tabou le modèle de démocratie et de responsabilités, car trop de démocratie ouvre la porte à la tyrannie et/ou à la léthargie. Comme le souligne Matthieu Peltier, pour accepter le changement, il faut accepter qu’une partie nous échappe, dépasser notre individualisme pour faire vivre un projet politique commun.

La professionnalisation, tant pour les salarié∙es que pour les bénévoles

Le militantisme a été le nerf du développement des actions sociales, éducatives, politiques et – dans le cas particulier d’Oxfam- Magasins du monde – du développement commercial.[11]Jacques ION, « Brève chronique des rapports entre travail social et bénévolat », in Pensée plurielle, n° 10, 2005. Si les bénévoles ont créé l’association, les salarié∙es se chargent de la pérenniser. Le duo bénévolat et salariat perdure dans le milieu associatif mais est perpétuellement en tension de légitimité.

Le besoin de professionnalisation comporte des risques : que cette professionnalisation efface progressivement le rôle central des anciens bénévoles et que s’impose un monde professionnel de plus en plus qualifié et détaché de ses origines « charitables » ou militantes.[12]Idem. D’autre part, l’engagement militant s’enracine dans un don, il importe de ne pas dénaturer cette spécificité en appliquant la même rationalité d’objectivation qu’à un acte relevant d’un contrat salarial.

La relation hiérarchique

Les salarié∙es sont-ils les supérieur∙es hiérarchiques des bénévoles ou dans une position de référent∙es ? Cette relation de référence est par nature délicate et complexe car elle doit respecter le caractère éminemment libre et gratuit du bénévolat qui s’effectue dans le cadre d’un contrat exigeant, certes, mais qui reste malgré tout purement moral.

Conclusions

Comme nous l’avons vu, on ne peut pas établir de lien direct entre la rentabilité commerciale et la présence d’un salarié dans les magasins. Par contre, la présence d’un travailleur rémunéré peut influencer positivement la communication entre le siège et les équipes locales et augmente la cohésion d’équipe. Or on peut supposer que si une équipe est cohérente, dynamique et motivée, elle sera plus active dans ses activités et vecteurs de vente.

Chez Oxfam-Solidarité et Oxfam- Wereldwinkels, un travailleur salarié est à plein-temps ou mi-temps en magasin. Une autre formule qui pourrait être envisagée est l’intervention d’un ou plusieurs travailleurs∙euses salarié∙e∙s du siège dans un magasin à intervalles réguliers sur des missions/tâches précises répondant aux besoins identifiés des équipes de bénévoles. En effet, vu les nombreuses différences de fonctionnement et de besoins des équipes locales, le plus pertinent serait sans doute de réaliser une analyse puis de proposer un appui salarié en fonction des potentiels et des besoins des équipes.

Comme pour tout projet, des objectifs mesurables doivent être fixés afin de tester la rentabilité durant une période déterminée et évaluer l’impact de l’appui d’un salarié sur le terrain.

Les bénévoles et les salarié∙e s doivent trouver un mode de collaboration. Toute collaboration nécessite un partage des tâches et passe préalablement par une distinction des responsabilités de chaque acteur. Chacun doit être conscient de son rôle et de sa place au sein de l’organisation. Il est essentiel de montrer l’interdépendance fondamentale entre salarié·e·s et bénévoles et à quel point chacun contribue à la cause commune.[13]Analyse « Salarié.e.s VS bénévoles : prendre conscience des différences pour un meilleur parteanriat », Jérémy Paillet, 2018

Partager les connaissances et les compétences entre salarié∙es et bénévole s, faire équipe ensemble avec un projet commun, reconnaître le travail accompli et la plus-value des bénévoles sont autant d’éléments essentiel pour renforcer la collaboration.

Bibliographie

Matthieu Peltier, Démocratie participative : idéal démocratique ou paroxysme de l’hyper-individualisme ?, le Vif, 2019

BIDEE J., GRIEP Y, Oxfam-Magasins du monde : Rapport sur l’enquête de satisfaction, VUB, 2015

Analyse « Salariés vs bénévoles prendre conscience des différences pour un meilleur partenariat », Jérémy Paillet, 2018

Analyse « Renouveler son bénévolat : une bonne idée ! Mais par où commencer ? », Sylvie Dossin, 2016

Analyse « Un bénévolat en Transition. Quelles évolutions pour le bénévolat chez Oxfam-Magasins du monde ? », Sara Dodémont, 2016

Analyse « Changement de projet, un renouvellement dans l’équipe », Ariane Hermans, 2016

Analyse « Comment envisager le projet d’insertion de travailleurs sous statut « Article 60 » au sein des équipes locales d’Oxfam – Magasins du monde ?», Anne Bartelemy, 2019.

Notes[+]