S’inspirer de la classe inversée dans nos activités d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire et d’éducation permanente
Trouver LA méthode pour transmettre de l’information qui ne soit pas redondante, descendante et donc parfois longue et ennuyeuse. Voilà une réflexion qui anime tout acteur.trice de l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire et d’éducation permanente (ECMS) et de l’éducation permanente. La solution serait-elle dans la « classe inversée » ? À l’aide de la littérature scientifique, nous allons explorer les bienfaits de cette méthode dans l’enseignement secondaire et supérieur, mais aussi ses limites. Nous verrons enfin si cela pourrait être une opportunité pour Oxfam-Magasins du monde avec ses différents publics. Une réflexion qui n’est pas nouvelle mais qui a été accélérée dans ce contexte de crise sanitaire qui nous pousse à questionner nos pratiques.
Ce que la classe inversée a de révolutionnaire
Dans un schéma de formation classique, à tous niveaux scolaires, on retrouvera généralement la séquence : transmission de savoir – application du savoir transmis. D’abord, celui ou celle qui possède déjà le savoir (enseignant.e, formateur.trice) le fait connaitre à la classe durant le cours (le plus souvent de manière descendante). Ensuite, les élèves essayent d’appliquer la théorie en tentant de résoudre un problème qui leur est présenté, le plus souvent en résolvant des exercices comme devoir, à la maison.
La méthode dite de la « classe inversée » propose, comme son nom l’indique, d’inverser ce schéma, non pas tant dans la temporalité que dans le lieu des apprentissages. En résumé, « tout ce qui est traditionnellement fait en classe, l’est à la maison, tandis que ce qui est fait à la maison, l’est en classe. » (Lage, Platt et Treglia dans Guilbaut et Viau-Guay, 2017). L’étudiant.e pourra donc visionner ou lire un contenu théorique de manière autonome, chez lui/elle, dans un premier temps. « La classe doit [ensuite] devenir un lieu où les étudiants confrontent et soulèvent leur compréhension de la matière, grâce à des exercices d’apprentissages actifs, principalement réalisés en groupe » (Guilbaut et Viau-Guay, 2017).
Cette méthode est relativement nouvelle[1]Elle est apparue aux États-Unis à la fin des années 90 (Faillet, 2014). et peu étudiée, il faut donc évaluer les résultats de la littérature scientifique avec prudence. Cependant, beaucoup de chercheurs.euses se sont déjà penché.e.s sur la question et ont dégagé certains bienfaits et limites de la méthode.
Les avantages de la classe inversée
Les bénéfices observés par les chercheurs.euses lors de l’usage de cette méthode, aussi bien avec des adolescent.e.s qu’avec des étudiant.e.s, sont multiples. Tout d’abord, on observe une plus grande responsabilisation de l’élève par rapport à son apprentissage, son rôle devient plus important. « Dans une classe inversée, l’enseignant ne se pose pas d’abord en expert sur son estrade mais en accompagnateur, en facilitateur d’apprentissage. » (Lecoq et Lebrun, 2017) « [Il] n’est plus nécessairement la première source d’information » (Guilbaut et Viau-Guay, 2017).
Ce temps libéré en classe pour la discussion, les travaux de groupe, etc. permet également une individualisation de l’enseignement. En effet, le ou la professeur.e pourra plus facilement cibler quels élèves ont des difficultés et sur quelle partie de la matière. Cela peut se faire en les observant lors des travaux de groupes par exemple. Mais les évaluations formatives insérées dans le contenu numérique peuvent aussi aider. L’étudiant.e reçoit une note indicative rapidement et se sent suivi, les enseignants suivent mieux leurs élèves. En conséquence, un impact positif est observé sur la réussite scolaire, surtout dans le cas d’élèves en proie à des difficultés d’apprentissage dans le système traditionnel[2]On entend ici (et dans le reste du texte) par « traditionnel » tout enseignement suivant le schéma : « transmission de savoir – application du savoir transmis ». En effet, ils peuvent prendre connaissance de la matière à la vitesse qu’ils souhaitent, s’arrêter le temps qu’ils veulent sur les parties plus difficiles, etc. Ceci est positif car « les étudiant.e.s intègrent mieux les apprentissages lorsqu’ils vont à leur rythme » (Guilbaut et Viau-Guay, 2017). Ils ont aussi moins la pression sur leur prise de note, unique trace du cours oral dans le système traditionnel. Ici le cours est disponible à tout moment !
La classe inversée permet également de « gommer » en partie les différences socio-culturelles entre élèves. Ceux et celles n’ayant pas leurs parents disponibles à la maison pour les aider dans les devoirs (ou pour leur payer des cours particuliers de soutien) pourront désormais compter sur la présence de l’enseignant.e en classe lors des exercices pratiques, pour poser toutes leurs questions. Pour toutes ces raisons de nombreux auteurs.trices observent une augmentation de la motivation chez les élèves face à ce nouveau procédé de cours.
Les limites de la méthode
Comme indiqué ci-dessus, presque tous les auteurs.trices s’accordent à dire que la classe inversée a un impact positif sur les notes des étudiant.e.s avec difficultés d’apprentissage. On constate cependant, notamment chez V. Faillet le cas contraire pour les « bons » élèves dans le système traditionnel (Faillet, 2015). Ceux-là se retrouve avec une baisse de moyenne lors du passage en classe inversée. En ce qui concerne les taux de satisfaction des étudiant.e.s, les niveaux varient d’une étude à l’autre et certains montrent une forte insatisfaction, chez une minorité d’élèves toutefois, mais néanmoins à prendre en compte.
D’autres observent une augmentation de la satisfaction et de la motivation. Cependant, elle est de courte durée. Plusieurs raisons sont invoquées pour expliquer cette baisse qui survient ensuite : réticence au changement, habitude chamboulée, etc. L’insatisfaction des étudiant.e.s peut aussi trouver son origine dans le fait que la classe inversée leur demande, selon eux, plus de temps de préparation à la maison. « L’une des remarques des étudiants revenant à plusieurs reprises est qu’ils perçoivent cette charge comme plus importante que dans un cours magistral (notamment Enfield, 2013 ; Smith, 2013 ; Mason et al., 2013 ; McLaughlin et al., 2014). En contrepartie, les étudiants rapportent une diminution du temps d’étude avant les examens » (Guilbaut et Viau-Guay, 2017). Ce constat est donc contrebalancé positivement en fin d’année, du point de vue des notes obtenues.
La limite numérique entre aussi en compte, du côté des élèves comme de celui des professeur.e.s. Certain.e.s étudiant.e.s n’ont pas d’accès facile à un ordinateur ni à une connexion haut-débit. Cela peut être un obstacle à l’apprentissage dans le cas de cours en vidéo. Il faudra remédier au manque d’accès au numérique des élèves concerné.e.s. En ce qui concerne les professeur.e.s, tous n’ont pas les compétences et/ou le matériel nécessaire pour réaliser des cours en vidéo. Il est donc important d’outiller les enseignants en ce sens car il apparait que la qualité des supports de cours influe grandement sur la satisfaction et dès lors l’implication des étudiant.e.s dans la classe inversée. Les professeurs n’ont pas non plus toujours le temps disponible mais il apparait que le temps investi au début de la conversion vers la classe inversée dans la création des contenus se révèle une économie à long terme.
Il faut garder à l’esprit que toutes ces informations proviennent d’études scientifiques établies à partir de méthodes différentes, dans des contextes, pour des matières et avec des âges variés. Cependant, certaines tendances se dégagent et ce sont celles qui sont résumées ci-dessus.
Risques et opportunités de la classe inversée dans les formations chez Oxfam-Magasins du monde
Oxfam-Magasins du monde est une organisation active en ECMS et en éducation permanente depuis de nombreuses années. Elle a pu développer une certaine expertise en la matière. Des formations sont proposées chaque année à un public adulte (2500 membres, organisés principalement autour de magasins locaux) et à un public un peu plus jeune. Cependant, le contexte actuel alliant distanciel et présentiel ainsi que les évolutions dans le domaine de la pédagogie nous poussent à remettre en question nos pratiques. Une attention toute particulière est donnée au fait d’éviter le transfert de savoir uniquement descendant (ou « top-down »). Cela permet de garder l’attention des participant.e.s aux formations mais aussi de faciliter leur apprentissage. Plusieurs techniques sont déjà utilisées dans ce but dans les formations d’Oxfam-Magasins du monde : apprentissage entre pairs, ludo-pédagogie, vidéos, etc.
Nous nous intéressons aujourd’hui à la classe inversée, d’une part parce c’est un principe intéressant dans le cadre de formations digitales (que nous commençons à donner mais que nous ne maitrisons pas encore). D’autre part, parce que nous voulons limiter les formations présentielles trop denses et descendantes pour favoriser l’apprentissage et l’assimilation des savoirs.
Au vu de notre public et des conditions d’apprentissages, nous pouvons déjà dégager certaines limites et opportunités.
En ce qui concerne le public adulte, le plus souvent faisant partie d’une équipe gérant un magasin de commerce équitable et/ou de seconde main, il est souvent assez âgé, retraité pour la plupart. C’est un facteur dont il faut tenir compte quand nous passons vers une formule digitale de nos formations. Ce public n’est pas toujours à l’aise avec les outils informatiques. La majorité des réunions, dont l’Assemblée Générale, ont été menées ainsi depuis le début de la crise, le dispositif d’accompagnement des bénévoles (rencontres préalables informelles de familiarisation, support de membres du personnel qui aident les personnes en difficultés par téléphone) ont permis de les tenir avec succès. Autant de membres étaient présent·e·s lors de l’AG de décembre que lors des AG en présentiels. Les retours sont positifs. Mais lors d’une formation, il y a plus d’outils à connaitre (miro, MURAL, etc.)[3]Miro et Mural sont deux exemples d’outils digitaux facilitant l’animation d’une réunion digitale. (www.miro.com , www.mural.com , etc.). et nous avons aussi constaté que le passage au digital empêche certaines personnes de participer aux réunions, rencontres et formations[4]Cette affirmation relève d’un sentiment général. Nous n’avons pas encore mené d’étude pour savoir si le facteur du « digital » est la principale raison de la mise en retrait de … Continue reading. Un essai de classe inversée a toutefois été tenté lors d’une formation pour ce public. Les informations et contenus étaient disponibles sur un Padlet sous diverses formes dont la vidéo, consultables à tout moment. Cependant, le taux de participant·e·s qui avaient effectivement consulté le Padlet[5]fr.padlet.com : outil en ligne qui permet de partager un « mur » de messages, d’informations, etc. avant la formation n’était pas très élevé. Avant de dégager des enseignements à propos de l’intérêt et de l’efficacité de ce modèle avec le public bénévole d’Oxfam-Magasins du monde, il est nécessaire de reproduire le dispositif et de vérifier si la participation aux formations « inversées » se renforce et si le Padlet est consulté avant les séances de formation voire en dehors de celles-ci.
En ce qui concerne le public jeune, qui s’engage en dehors des heures de cours dans la tenue d’un Jeune-Magasin Oxfam au sein de l’école, nous pensons que la démarche est intéressante afin de ne pas reproduire le schéma descendant dans la transmission des savoirs dont nous parlions plus haut. Cependant, il nous semble également que le facteur temps pourrait être la limite principale à la mise en place d’une telle formule. La gestion du magasin Oxfam de l’école demande déjà beaucoup de temps à l’enseignant.e responsable, ainsi qu’aux élèves. Nous n’avons pas encore pu mettre en place les principes de la classe inversée avec ce public car, vu la crise sanitaire actuelle, le monde scolaire n’a plus de temps à consacrer dans la formation des élèves liés au Jeune Magasins-Oxfam. Nous ne pouvons donc pas plus nous avancer dans les conclusions. Une animation-type est prête à être testée lorsque cela sera possible.
Comme tout changement, nous pensons qu’il faudra surtout du temps pour implémenter cette nouvelle pratique qui demande à nos apprenants de se confronter et ensuite s’habituer à un nouveau mode d’apprentissage. Nous pensons qu’il peut être bénéfique pour Oxfam-Magasins du monde d’appliquer la méthode plusieurs fois et dans divers contextes. Il s’agira d’en faire ensuite une évaluation afin d’en tirer les conclusions nécessaires et de décider s’il faut poursuivre dans cette direction ou non.
Bibliographie
Faillet Vincent, La pédagogie inversée : recherche sur la pratique de la classe inversée, dans Sciences et Technologies de l’information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation, 21 (2014), pp. 651-665, consulté le 12 août 2020, URL : https://www.persee.fr/doc/stice_1764-7223_2014_num_21_1_1115
Guilbault Marco et Viau-Guay Anabelle, La classe inversée comme approche pédagogique en enseignement supérieur : état des connaissances scientifiques et recommandations, dans Revue Internationale de Pédagogie de l’Enseignement Supérieur, 33 (2017), mis en ligne le 06 mars 2017, consulté le 12 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/ripes/1193
Manon Aurélie, Quels sont les effets de la classe inversée sur les élèves, Mémoire pour l’obtention du Master Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, sous la dir. de Clemencon Yann, 2016, consulté le 12 août 2020, URL : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01366872/document
Lecoq Julie et Lebrun Marcel, La classe à l’envers pour apprendre à l’endroit : Guide pratique pour débuter en classe inversée, coll. Les cahiers du LLL, 1 (2016), 48 pages, consulté le 12 août 2020, URL : https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-lll/carnets/Classes_Inversees.pdf
TED (Technology, Entertainment and Design), « Salman Khan : utilisons les vidéos pour réinventer l’éducation », consulté le 13 août 2020, URL : https://www.ted.com/talks/salman_khan_let_s_use_video_to_reinvent_education?language=fr
Notes