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Les adolescent·e·s, un public spécifique pour les animations en ECMS

2021 Analyses
Les adolescent·e·s, un public spécifique pour les animations en ECMS

Les adolescent.e.s représentent un public avec des spécificités dont il faut pouvoir tenir compte lors d’une animation d’ECMS[1]Éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire. Ils ne sont ni des enfants, ni des mini-adultes. Ils se sentent souvent en insécurité et peuvent être confrontés au harcèlement, préoccupés par leurs amours, etc. S’ils acquièrent de nouvelles possibilités cognitives, leur apparence et leur identité restent une grande source de préoccupation. L’article donne des conseils généraux quant à l’attitude (authenticité, positivité inconditionnelle, empathie) à adopter pour leur permettre de commencer à appréhender le monde, ses enjeux et ses défis.

Carole Van der Elst

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L’adolescence est une période complexe à définir. Quels sont les signes ou l’âge qui indiquent l’entrée dans l’adolescence mais aussi la sortie vers l’âge adulte ? On parle d’adolescent.e.s, mais aussi de pré-adolescent.e.s, de post-adolescent.e.s, d’adulescent.e.s, … Les spécialistes en psychologie ne s’accordent pas sur une définition précise et exhaustive, l’adolescence regroupe un grand nombre de significations différentes. Si on regarde l’histoire, le terme « adolescent » n’est apparu qu’au 19e siècle, et il ne recouvrait pas la même signification qu’aujourd’hui dans notre culture. On peut donc facilement énoncer que le concept d’adolescence ne va pas de soi. Mais une chose est certaine : c’est une période de la vie où le jeune vit un grand nombre de chamboulements corporels, émotionnels ou comportementaux.

La célèbre pédiatre et psychanalyse Françoise Dolto a comparé l’adolescent.e avec le homard : elle utilise le concept du « complexe du homard » pour représenter la crise d’adolescence. Le homard, à un moment de sa vie, se défait de sa carapace, qui soudain devient trop étroite, pour en acquérir une autre. Entre les deux, pendant le changement de carapace, il est fragile et vulnérable. Comme le homard, le jeune quitte l’enfance pour l’âge adulte, et dans cette transition de l’entre deux sans carapace, il se trouve dans l’adolescence. Il doit parvenir à se défaire de sa carapace devenue trop étroite et ainsi prendre distance par rapport au cadre familial. Il doit lui aussi faire face à des ennemis extérieurs (des personnes malveillantes, …) ou intérieurs (l’enfant n’a pas envie de grandir, …). Lors de cette période, l’adolescent.e réalise que la protection donnée par le nid familial s’écroule et vit une sorte de cassure avec le monde magique de l’enfance car, comme l’explique le pédiatre français Marcel Rufo, « être adolescent, c’est se rendre compte qu’on est moins bien que ce qu’on nous a laissé croire et penser que, de ce fait, la vie n’est peut-être pas aussi formidable que ce qu’on avait imaginé ».

Pour toutes ces raisons, les adolescent.e.s représentent un public dont il faut pouvoir tenir compte des spécificités lors d’une animation d’ECMS. De nombreux paramètres vont influencer le travail des adultes en classe pendant cette période de changements qui rendent les jeunes vulnérables. Un petit tour (non exhaustif) du côté des avancées scientifiques en psychologie semble intéressant pour comprendre comment l’apprentissage des adolescents s’organise. Nous nous intéresserons dans un premier temps aux émotions. Ensuite, nous aborderons le développement cognitif de l’adolescent, pour ensuite terminer par l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers.

Comment les émotions des adolescent·e·s vont interférer avec leurs apprentissages ?

Au fil des millénaires, le cerveau n’a eu cesse d’évoluer pour permettre à l’humain de s’adapter. L’humain est passé par trois stades de cerveaux différents. Tout d’abord le cerveau reptilien, celui qui s’active pour la survie et les besoins vitaux. Sa vitesse d’exécution très rapide sert pour les réactions primaires et instinctives, comme la fuite. Ensuite est apparu le cerveau limbique, qui régule les émotions. C’est un cerveau qui a une vitesse d’exécution moins rapide que le reptilien. Et le troisième cerveau est le cortex, qui fonctionne de manière plus lente que les deux autres, en charge d’organiser les connaissances et de traiter l’information. Ces stades sont le fruit de l’évolution, et l’humain possède aujourd’hui ces trois zones dans le cerveau. Un.e animateur/trice va donc devoir atteindre le cortex de ses élèves pour ancrer une réflexion et des apprentissages. Mais pour cela, il faut que les deux autres parties du cerveau soient « en paix » chez les élèves. Il faut donc d’abord soigner le cerveau reptilien : les besoins physiologiques doivent être remplis (faim, sommeil, …) mais également les besoins de sécurité (climat de sécurité, règles et contexte clairs, …). Ensuite, le cerveau limbique doit également être rassuré (climat de classe serein, coopération entre les élèves, …) pour enfin atteindre le cortex qui est au centre des apprentissages. En théorie cela peut sembler évident, mais dans la pratique d’ECMS il n’est pas toujours simple de mettre en place un contexte adéquat aux différents besoins des élèves afin de favoriser les apprentissages. Un élève harcelé sera dans son cerveau reptilien et donc peu disposé aux apprentissages. Des élèves amoureux seront dans leurs cerveaux limbiques et également moins aptes à se concentrer sur les apprentissages. Il sera dès lors plus difficile pour l’animateur/trice d’atteindre le cortex de ces élèves. En tant qu’invité extérieur de l’école, il/elle n’a aucune prise sur de nombreux éléments (sommeil, amours, tensions entre élèves, etc.), il faudra alors impérativement veiller à soigner ce qui peut l’être. Nous pouvons épingler différents points d’attention pour l’animateur/trice : proposer un cadre avec des règles claires (que va-t-on faire ensemble, quel est le mode de participation, que peut-on faire et ne pas faire, quel est l’objectif fixé ensemble, etc.), installer un climat de bienveillance (rappeler les règles de respect, veiller à la répartition équitable du temps de parole, valoriser ce que les élèves apportent au groupe, etc.) mais aussi favoriser la solidarité et la coopération entre élèves.

Intéressons-nous maintenant au schéma émotionnel classique. Lorsque dans nos animations, nous évoquons des situations potentiellement émotionnelles comme la migration, la pauvreté ou les inégalités, les élèves vont être face à un stimulus qui peut être (ou non) émotionnel. Chaque élève en fera une évaluation cognitive, c’est-à-dire analysera cette information en fonction de son histoire, son éducation, sa personnalité, ses événements de vie, etc. En fonction de cette évaluation, une réponse émotionnelle sera émise, elle sera physiologique (cœur qui bat, transpiration, nausée, …), expérientielle (ce que je ressens, comment je me sens) mais aussi comportementale (ce que je vais faire en réponse à ce stimulus). En tant qu’animateur/trice il ne faut pas négliger les émotions qu’entrainent nos animations, et ce schéma classique du processus émotionnel nous permet de mieux comprendre, lorsque l’on travaille la thématique des migrations par exemple, pourquoi certains élèves peuvent participer activement, ou pleurer, ou quitter la classe, ou sembler indifférents. Il faut jongler avec les différentes réactions (ou absence de réaction !) émotionnelles des élèves.

Quel est le développement cognitif de l’adolescent ?

La maturation du cerveau va permettre lors de l’adolescence d’atteindre la pensée complexe, qui va pouvoir continuer à se développer tout au long de la vie d’adulte. On considère qu’il existe deux modes de traitement de l’information, la pensée analytique et la pensée intuitive. La pensée analytique permet comme son nom l’indique d’analyser les informations et d’utiliser un raisonnement hypothético-déductif. C’est un processus plus lent, plus réfléchi que la pensée intuitive qui est plus rapide et plus impulsive et qui fait appel à notre intuition pour traiter l’information. Ces manières différentes de penser sont toutes les deux utilisées, en privilégiant parfois l’une plutôt que l’autre en fonction des contextes. Lors de l’adolescence, la capacité d’abstraction se développe, ainsi que la métacognition, c’est-à-dire la capacité à réfléchir à la manière dont on réfléchit. Mais en même temps, les adolescent.e.s restent très autocentré.e.s car tout change autour d’eux : leurs corps, leurs amis, leurs amours, etc. Ceci indique que même si cognitivement ils acquièrent des nouvelles possibilités, leur apparence et leur identité restent une grande source de préoccupation.

Le travail sur l’intelligence est vaste. Retenons celui de Howard Gardner, psychologue américain, qui a développé le modèle des intelligences multiples. Ce modèle permet une vision plus globale du potentiel humain mais aussi plus affinée du fonctionnement des individus que le simple calcul du QI. Malgré les critiques qui sont faites à l’égard de ce modèle (danger de coller des étiquettes aux enfants ou modèle davantage lié à l’intuition qu’aux preuves scientifiques), les 8 types d’intelligences proposés par Gardner sont un outil intéressant pour l’animation en ECMS. Si tout le monde possède les 8 types d’intelligences, certains seront plus présentes que d’autres chez les élèves. L’intelligence linguistique (capacité de comprendre un message et d’exprimer une idée) et l’intelligence logico-mathématique (capacité à calculer, compter, …) sont des intelligences dites scolaires, les deux formes les plus utilisées à l’école. Mais il existe d’autres formes d’intelligence moins utilisées dans les apprentissages, à savoir l’intelligence visuo-spatiale (capacité à percevoir et se représenter le monde), l’intelligence musicale (capacité à reconnaitre, interpréter et créer des rythmes), l’intelligence kinésthésique (capacité à utiliser son corps à s’exprimer physiquement), l’intelligence naturaliste (capacité à observer, reconnaitre et classer la nature, son environnement), l’intelligence interpersonnelle (capacité à agir et réagir avec les autres, aider, partager, collaborer) et l’intelligence intrapersonnelle (capacité à se connaitre, s’introspecter, à être intuitif).

L’école favorise surtout les deux premières, pourtant varier les méthodes pour apprendre autrement est primordial.  L’observation de la nature, le slam, les jeux de coopération ou les débats mouvants sont toutes sorte d’outils utilisés par le secteur de l’ECMS afin de développer le potentiel des élèves dans des chemins complémentaires à ceux valorisés par l’école. Veiller à proposer d’autres méthodes que celles de l’école pour atteindre nos objectifs éducatifs s’avère intéressant pour permettre aux élèves d’expérimenter d’autres manières d’apprendre.

Quelle est l’importance du lien entre l’animateur/trice et l’élève pour développer des apprentissages ?

Pour terminer sur la facilitation des apprentissages chez les adolescent.e.s, Carl Rogers, le célèbre psychologue américain qui a fondé l’approche « centrée sur la personne » nous apprend quelque chose d’important. D’après ses recherches, l’apprentissage ne dépend pas uniquement des qualités pédagogiques de l’animateur/trice, de son savoir, des dispositifs pédagogiques ou des supports utilisés, mais dépend surtout des attitudes positives dans la relation qui se noue entre les jeunes et l’adulte. Il est donc important de soigner sa relation aux élèves. D’après la conception pédagogique de Rogers, il faut trois ingrédients :

  • L’authenticité : elle suppose d’entrer dans la relation « sans masque » avec l’élève, être soi et être vrai. Ceci nécessite de l’honnêteté, mais aussi de l’ancrage, il faut se connaître et savoir pourquoi l’on est là.
  • La considération positive inconditionnelle: il faut pouvoir aimer le jeune pour ce qu’il est, sans condition, et le considérer fondamentalement digne de confiance. Seule cette considération positive inconditionnelle permettra au jeune de libérer son potentiel.
  • L’empathie: elle suppose la capacité à se décentrer et aborder une situation donnée du point de vue de l’autre, ici de l’élève. Cette empathie permet de rejoindre l’autre dans ce qu’il vit.

Cette approche humaniste de Rogers pointe une difficulté souvent présente dans le travail d’ECMS des ONG, celle de ne pas connaitre personnellement notre public en animation et donc celle de ne pas pouvoir tisser un réel lien avec lui. Le travail d’ECMS se fait souvent en « oneshot », on ne voit les élèves qu’une seule fois car le fil rouge est maintenu par le professeur qui encadre le projet dans l’école. L’animateur/trice d’ECMS est donc plutôt orienté sur le contenu de sa formation et non pas sur la relation à nouer avec les élèves. D’où l’intérêt de tisser un réel partenariat entre l’équipe de professeurs et l’équipe d’animateurs/trices d’ECMS afin de s’insérer dans un lien déjà solide avec les élèves.

Conclusions

Toutes ces considérations psychologiques mènent à croire que l’adolescent.e n’est ni un.e enfant, ni un.e mini-adulte. Il représente un public spécifique avec des caractéristiques propres dont il faudra tenir compte lors d’animations d’ECMS, qu’elles aient lieu en milieu scolaire ou non. Mais ces considérations montrent l’importance de travailler avec ce public : les jeunes sont en plein questionnement, ils réfléchissent et se posent beaucoup de questions, sur eux, leur identité et leur appartenance mais aussi sur le monde qui les entoure et le sens qu’ils veulent y donner. Que disent les parents ? que dit l’école ? que disent les copains ? Ils se nourrissent de différentes sources pour se forger un avis. L’ECMS, en abordant des questions globales et mondialisées, permet réellement aux adolescents de commencer à appréhender le monde, ses enjeux et ses défis. De manière engagée, critique mais aussi solidaire.

Bibliographie

Analyse basée sur le cours « Comprendre l’adolescent en situation scolaire, gérer la relation interpersonnelle et animer le groupe classe » de Véronique Leroy et Nathalie Roland donné dans le cadre de l’agrégation à l’UCL en 2020-2021.

Pour aller plus loin :

Dolto, F. & Dolto Tolitch, C. (1989). Paroles pour adolescents. Le complexe du homard. Editions Hatier.

Rogers, C. (1972). Liberté pour apprendre. Ed. Dunod

StassenBerger, K. (2012). Psychologie du développement. Bruxelles : De Boeck

Cannard, C. (2015). Le développement de l’adolescent. Louvain-la-Neuve : De Boeck

Skam, I. (2012). La régulation des émotions chez l’enfant : une perspective développementale. In M. Mikolajczaket M. Desseilles(Eds.), Traité de la régulation émotionnelle (pp. 443-457). Bruxelles : De Boeck

Campbell, L., Campbell, B. & Dickinson, D. (2006). Les intelligences multiples au cœur de l’enseignement et de l’apprentissage. Montréal: Chenelière Education

Keymeulen, R. (2013). Vaincre ses difficultés scolaires grâce aux intelligences multiples. Bruxelles: De Boeck.

Notes[+]