L’un des moyens les plus efficaces de lutter contre le dérèglement climatique est de diminuer sa consommation de viande. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à devenir végétariens ou véganes, mais qu’en est-il des « boomers » ? S’il n’est pas judicieux d’opposer les tranches d’âge, il ne faut pas non plus éviter tout débat sur ce sujet qui est en train de prendre de l’ampleur et sur lequel les ONG devraient déterminer leur position.
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Le dérèglement climatique, c’est aujourd’hui
Le dérèglement climatique est une réalité à laquelle nous commençons durement à nous confronter mais les jeunes générations s’y confronteront de manière très brutale dans les décennies à venir. Et c’est dès aujourd’hui que les jeunes se mobilisent massivement pour préserver la planète. On a pu voir avec les marches pour le climat des milliers de jeunes défendre un idéal plus écologique. Pour rappel, ces marches sont « des grèves étudiantes pour le climat ou grèves scolaires pour le climat. C’est un mouvement international de jeunes quittant leur établissement scolaire, généralement le vendredi ou parfois le jeudi, pour participer à des manifestations en faveur de l’action contre le réchauffement climatique » (Parker, 2019). Ces mobilisations pour le climat mettent aussi en lumière une pluralité des engagements possibles. Quand on parle des jeunes et du climat, on a tendance à tout uniformiser mais les jeunes peuvent s’impliquer dans la lutte contre le réchauffement climatique de plusieurs manières différentes, avec des échelles et des impacts variés. Certains jeunes organisent des marches, d’autres occupent des ZAD, d’autres encore font du lobbying pour avoir plus d’écologie dans les programmes scolaires, etc.
Le passage à l’acte
« Les jeunes ne croient plus en l’efficacité du politique, explique Cécile Van de Velde, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales[1]Établissement de formation supérieure à Paris, France. A défaut de pouvoir agir sur la grande société, ils changent leur propre vie quotidienne à travers l’engagement de proximité et la consommation, qui devient un levier d’action politique (2017). » À l’échelle individuelle, n’importe qui peut déjà agir pour la cause climatique en diminuant son empreinte carbone. Ça passe par baisser son chauffage, favoriser les transports comme le train ou le co-voiturage, bannir l’avion, choisir une banque éthique, etc. Mais le changement, c’est aussi dans notre assiette ! De plus en plus de personne passent à un régime végétarien. Les motivations peuvent être diverses et variées. Certaines personnes deviennent végétariennes par souci de santé mais de manière générale, c’est un choix par conviction éthique qui dépasse le simple champ de l’alimentation. La plupart des personnes végétariennes s’accordent à dire que c’est en premier lieu un choix pour le bien-être animal et ensuite pour l’environnement (AVF, 2021). Lucie, 18 ans, nous explique « Quand j’ai commencé à être végétarienne c’était uniquement par considération pour les animaux. Mais maintenant que je me suis plus renseignée, que j’ai vu des documentaires j’ai pris conscience que manger végétarien c’était aussi pour l’écologie. ».
Avec l’omniprésence des réseaux sociaux, il n’est pas rare de voir des contenus montrant de la violence sur les animaux ou leurs conditions d’élevage. Souvent, ces images et/ou vidéos agissent comme des électrochocs et peuvent accélérer le « passage à l’acte ». C’est-à-dire, ne plus consommer d’animaux. C’est le cas, avec Charline, 23 ans « À l’époque j’adorais les animaux (c’est toujours le cas) et mon animal préféré était le cochon. Un jour j’étais avec ma sœur et à la télé, j’ai vu un documentaire dans lequel ils expliquaient que les animaux rentraient dans un bâtiment et en ressortaient sous forme de steak. Ça m’a déchiré le cœur de me dire que j’allais manger des petits cochons. Je n’ai plus jamais mangé de viande.».
Bien que la question éthique soit souvent au cœur du choix de l’alimentation végétarienne, ce choix est aussi plus général. Les jeunes parlent d’une conscience globalisée c’est-à-dire la prise en compte de l’impact de la viande sur leur santé, de l’impact de l’élevage sur l’environnement, etc. On peut le voir avec Charline : « Je pense qu’à l’heure actuelle toute personne qui devient végétarienne même si de prime abord c’est pour le bien-être animal, elle sait qu’elle a un impact positif sur la planète. Donc pour moi oui, c’est un acte militant de manger végétarien. » Chez les jeunes générations, la question végétarienne apparait comme un levier d’action à la portée militante, voire politique (Pouget, 2017). Ce choix est perçu comme un mode d’action pour la défense de l’environnement (Iribarnegaray, 2021).
Une opposition vieille de plus de 2000 ans
Le débat d’être végétarien ou pas apparait de plus en plus dans nos discussions. On voit fleurir sur les réseaux sociaux, à la télé, dans les magazines de plus en plus d’avis, de discussions, d’articles, etc. Stigmatisations, polarisations, généralisations, exagérations, ce débat ne laisse personne indifférent. Ce régime alimentaire, qui pourrait passer pour une mode, n’est, en fait, pas du tout récent. Un des premiers végétariens, le plus connu, est Pythagore. Déjà à cette époque, les végétariens connaissaient une vive opposition. Le christianisme a dénoncé le végétarisme comme une superstition incompatible avec la vraie foi. L’essor du christianisme a alimenté l’idée d’un monde anthropocentré jusqu’aux Lumières. À partir de cette époque, plusieurs philosophes et écrivains remettent en cause la façon dont on perçoit les animaux. Ils prônent à leur tour le végétarisme. C’est à cette période, qu’apparait l’éthique animale. Cette branche de la philosophie morale permet de faire renaitre les discours sur notre choix alimentaire avec des penseurs comme Voltaire ou Rousseau. Au final, la question du traitement des animaux est une question qui n’a jamais connu de réponse claire. Elle a varié au cours des siècles. Cela dit, il est évident qu’elle se pose de plus en plus au vu de l’urgence climatique.
Statistiquement, on en est où ?
Selon la FAO, l’élevage dans son ensemble est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde, soit plus que les émissions directes de tous les transports réunis. L’impact de l’élevage sur le climat est tel que ne pas consommer de produits animaux une journée par semaine réduit davantage nos GES qu’acheter local sept jours sur sept. L’empreinte carbone d’une alimentation végétarienne est de deux à trois fois moindre que celle d’une alimentation omnivore (Université d’Oxford, 2014). La production d’un kilo de viande émet 5 à 10 fois plus de gaz à effet de serre que celle d’un kilo de céréales (Bonaventure, 2018). Chaque année, c’est 100 milliards d’animaux terrestres et 1.000 milliards d’animaux marins qui sont abattus pour être mangés (Barreau, 2018). C’est pourquoi, de plus en plus de personnes se tournent vers un régime végétarien (ou végétalien).
D’après le sondage de l’ASBL EVA, le taux de personne optant pour une alimentation végétarienne au moins trois fois par semaine aurait doublé en 4 ans. On serait passé de 12% en 2016 à 24% en 2020 (Incari, Portuesi, 2020). Ce que l’on peut également observer c’est que 12% des 18-23 ans se disent végétariens, contre 2% des plus de 55 ans. S’il est clair que l’on voit de plus en plus de personnes se convertir à un régime sans viande, on remarque également qu’il s’agit plus particulièrement des jeunes. La journaliste Léa Iribarnegaray explique que s’il s’agit d’une tendance générationnelle, elle est aussi très marquée socialement. Selon plusieurs études reprises par “Le Monde”, les jeunes les plus aisés et habitant dans des grandes agglomérations passent davantage le cap que les autres.
Génération Z contre baby-boomers dans la lutte pour le climat
On entend de plus en plus parler du « choc des générations ». D’une part la génération Z tournée vers le climat et de l’autre la génération des boomers tournées vers la consommation. Les deux ayant, apparemment, des visions du monde très différentes. La génération Z reproche aux seniors l’état global de la société : le productivisme, la précarité, le dérèglement climatique, etc. De l’autre côté, la génération Z se voit reprocher son hypersensibilité qui lui a valu le surnom de SnowFlakes. Aux Etats-Unis, le terme « SnowFlakes » est entré dans le Collins English Dictionary, qui décrit la génération snowflake comme « les jeunes adultes des années 2010, qui sont perçus comme moins résilients et plus susceptibles que les générations précédentes ». Cette expression est d’ailleurs utilisée en politique pour tourner en ridicule les pro-européens et les anti-Trump et le fait qu’on ne peut « plus rien dire » (O.S, 2019). Mais est-ce si binaire ? Il y a bien des exemples de coopérations intergénérationnelles qui ont fait de grandes choses. Dire que l’ancienne génération n’a rien fait et/ou ne fait rien pour le climat alors que les jeunes sont sur le front est faux et dangereux car cela alimente un conflit contreproductif entre générations. C’est l’inaction politique qui profite le plus de ce conflit. Plus on cristallise la fracture générationnelle en mettant toute notre énergie à débattre de qui est responsable ou de ce qu’il aurait fallu faire, plus les décisions politiques majeures tardent à venir. Nous sommes plutôt face à une guerre de points de vue. Ceux-ci ne sont pas forcément liés à l’âge.
En ce qui concerne le rapport à la viande et au climat, même si on voit nettement plus de végétariens dans les jeunes générations, on ne peut pas nier qu’il existe des personnes des anciennes générations qui sont elles aussi végétariennes (pour le climat et/ou la cause animale). On voit par exemple des personnes comme Stevan Harnad, chercheur et professeur en sciences cognitives, né en 1945 être un fervent défenseur des droits des animaux. Ses présentations (conférences, cours, etc.) contiennent toutes un kill counter, où le nombre d’animaux tués sur la planète à des fins alimentaires défile sous nos yeux en temps réel.
Comment agir auprès des jeunes ?
L’ECMS porte depuis plusieurs années la question du climat. À l’heure actuelle, pratiquement tout le monde s’accorde sur l’état d’urgence de la situation planétaire. Là où le débat peut devenir plus houleux c’est lors de la mise en œuvre des solutions. C’est peut-être là que l’ECMS a un rôle essentiel à jouer. De plus en plus d’élèves portent des projets dans leur école comme un compost ou le tri des déchets. On voit aussi de plus en plus apparaitre des demandes pour un repas végétarien dans les écoles qui possèdent une cantine. Par exemple, l’école primaire Heilige Familie à Schaerbeek ne propose que des menus végétariens. L’éducation permanente peut être un levier pour soutenir le projet des jeunes de rendre leur école plus responsable afin d’aider à modifier le système scolaire depuis l’intérieur. Cela permettrait, d’une part de soutenir l’autonomie des jeunes et d’autre part, de réduire le fossé des générations en montrant l’exemple d’adultes de tous les âges qui agissent aussi pour le monde de demain. Pour cela, il serait intéressant de clarifier la position des ONG face à des questions de société comme le végétarisme. On en voit de plus en plus qui énoncent leur point de vue comme Greenpeace ou Sea Shepherd. Comme tout débat houleux, leur prise de position a créé des vagues de critiques. Par exemple, Sea Shepherd a connu une vague de harcèlement sur les réseaux sociaux après avoir publié un post disant que ce qu’on l’on peut faire de mieux pour aider à sauver les océans est d’arrêter de consommer tout produit maritime (poissons, coquillages, crustacés, etc.). Dans les années qui viennent, de plus en plus d’ONG ou d’ASBL seront amenées à donner un avis clair sur les questions climatiques et les moyens à mettre en place.
Montrer l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul
– Gandhi.
Bibliographie
Association végétarienne de France, (2021). Notre assiette change le monde. Lien : https://www.vegetarisme.fr/
Barreau, A., (2018). Faut-il encore manger des animaux ? La réponse d’Aurélien Barrau. Congrès 2018 de la Confédération Nationale – Défense de l’animal Lien : https://www.youtube.com/watch?v=jUD02WsWJQ4
Bonaventure, L., (2018). Réchauffement climatique : comment agir à son échelle. L’Info Durable. Lien : https://www.linfodurable.fr/
Belot, L., (2017) Cécile Van de Velde : « C’est la jeune génération qui détient aujourd’hui les clés de sortie de crise » Le Monde. Lien : https://www.lemonde.fr/
Incari, S., Portuesi, T., (2020). S’alimenter autrement : les jeunes Belges de plus en plus végétariens ou végans. RTBF. Lien : https://www.rtbf.be/info/societe
Iribarnegaray, L., (2021). Une tendance forte chez les jeunes » : le végétarisme, nouveau marqueur générationnel et social. Le Monde. Lien : https://www.lemonde.fr/
Scarborough, P., Appleby, PN, Mizdrak, A. et al. (2014). Émissions alimentaires de gaz à effet de serre des mangeurs de viande, des mangeurs de poisson, des végétariens et des végétaliens au Royaume-Uni. Changement climatique 125, 179-192. https://doi.org/10.1007/s10584-014-1169-1
Pouget, J., (2017). Végétarienne, bio, végane : l’alimentation, arme militante de la génération Y. Konbini Food. Lien : https://food.konbini.com/
L’Observatoire des Séniors. (2019) Ecologie : le choc des générations. L’Observatoire des séniors https://observatoire-des-seniors.com/
Parker.L., (2019) Dans le monde entier, la jeunesse fait grève pour le climat. National Geogrpahic. Lien : https://www.nationalgeographic.fr/
Entretiens :
Entretien avec Lucie Scutnaire
Entretien avec Charline Thierry
Notes