En 2024, Oxfam-Magasins du monde a mené une étude[1], à l’aide d’un échantillon de ses bénévoles, avec comme objectif principal : faire un état des lieux des connaissances sur le genre et le féminisme au sein du public bénévole adulte de l’organisation. Les questions posées via questionnaires, puis approfondies en focus groupes, étaient réparties en trois parties :
- Étudier la connaissance et la compréhension des bénévoles adultes en ce qui concerne les principes féministes d’Oxfam International, les actions entreprises par OMdm et son mouvement de bénévoles pour l’égalité des genres et l’utilisation de quelques termes précis dans notre mouvement ;
- Les rapports femmes/hommes au sein des équipes de bénévoles adultes ;
- Les connaissances de nos bénévoles adultes sur nos partenaires de commerce équitable.
Cet état des lieux a permis d’affiner les grandes lignes de la campagne 2025-2026 « Les femmes au cœur du commerce équitable » ; de décortiquer et de discuter certains concepts ou positionnements organisationnels avec l’ensemble de notre mouvement ; mais également de prendre conscience du besoin de vulgariser la thématique, de développer des supports et des outils adéquats pour différents publics. Dans ce cadre, une animation a été proposée à toutes nos équipes de bénévoles : le jeu sérieux « Pas le Genre de la maison ? ». Dans le même sens, nous proposons cette analyse, qui se présente comme un lexique, pour prendre le temps de poser quelques concepts précis, mais souvent peu ou mal compris.
Le genre et le sexe : pas des gros mots
Il existe une confusion entre les termes « genre » et « sexe ». Souvent mélangés, ou porteurs de notions floues, éclaircissons les définitions.
Le sexe identifie le sexe biologique d’un individu, déterminé par son patrimoine génétique (chromosomes), son anatomie, son système reproducteur, ses taux d’hormones, etc.[2] On parle d’hommes ou de femmes pour une majorité de la population ; une minorité d’individus (environ 1,5 % de la population) nait sans pouvoir être « classé » dans l’une ou l’autre catégorie (et ce pour des variations qui peuvent être génétiques, hormonales, anatomiques, etc.), c’est ce qu’on appelle les personnes intersexes.
Le genre est un concept issu des sciences sociales, qui désigne la façon dont une société donnée identifie un individu, le « rôle attendu » de la société à son égard, et la façon dont l’individu s’identifie lui-même au sein de cette société. Cette identité fait référence aux caractéristiques socialement construites des femmes et des hommes au sein d’une société et d’une période historique ; cette identité peut donc varier, selon l’époque, le lieu etc. Dans la construction d’un genre, sont généralement compris : les normes, les tâches, fonctions et comportements (appris, intériorisés et attendus des unes et des autres), ainsi que les relations entre groupes de personnes identifiées comme femmes et groupes de personnes identifiées comme hommes. Par exemple : le fait de se maquiller. Dans les sociétés occidentales, se maquiller est un comportement typiquement associé au groupe « femmes ». Dans d’autres sociétés, se maquiller pour des cérémonies est un comportement autant associé aux femmes qu’aux hommes.
Au sein du genre, on peut retrouver d’autres concepts associés, comme identité de genre, expression de genre, transgenre…
L’identité de genre est le genre auquel nous pouvons nous identifier en tant qu’individu. Par exemple, l’identité cisgenre signifie que je me sens aligné∙e avec le sexe avec lequel je suis né∙e et le genre que la société m’assigne (ex : je me sens femme dans un corps de femme)[3]. L’identité non-binaire signifie que je me sens en-dehors du modèle de genre binaire « homme vs femme »[4]. Enfin, les personnes transgenres sont les personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au genre qui leur a été assigné à la naissance (généralement en fonction de leur sexe à la naissance).
Enfin, l’expression de genre regroupe les comportements, les attributs et la manière dont je vais me présenter au monde, la façon dont je me présente « publiquement ». Par exemple : via le style vestimentaire, le pronom que je choisis d’utiliser pour me qualifier, etc.
L’orientation sexuelle, elle, n’a rien à voir avec le genre. Elle est souvent confondue avec l’identité de genre, ou le genre, de manière générale. L’orientation sexuelle d’un individu est personnelle, et détermine l’attirance sexuelle et/ou romantique de l’individu vers un autre individu. Plusieurs orientations sexuelles existent, et ces orientations peuvent être fluides et changer au cours de la vie d’une personne. Parmi les orientations sexuelles existantes : l’hétérosexualité (les femmes attirées par les hommes et inversement), l’homosexualité (les femmes attirées par les femmes et les hommes par les hommes), la bisexualité (être attiré par les deux sexes), la pansexualité (le fait d’être attiré par la personne et par sa personnalité, son intelligence, indépendamment de son sexe), l’asexualité (le fait de ne ressentir aucune attirance sexuelle pour personne), etc.
Intersectionnalité : mais encore ?
L’intersectionnalité est un concept des sciences sociales introduit par la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980[5]. Il sert à décrire comment différentes formes de discrimination (comme le racisme et le sexisme) peuvent se croiser et se renforcer chez certaines personnes, en particulier les femmes noires. Kimberlé Crenshaw a montré que ces femmes étaient souvent ignorées à la fois par les mouvements féministes (centrés sur les femmes blanches) et antiracistes (centrés sur les hommes noirs), ce qui les laissait sans réelle représentation ni protection.
L’intersectionnalité est donc issu du Black feminism (mouvement féministe porté par les femmes noires) et a d’abord été utilisé dans les milieux militants et juridiques aux États-Unis, avant de prendre une dimension plus théorique. Ce concept permet de critiquer le fait que les lois et les mouvements sociaux ne prennent pas en compte les personnes qui subissent plusieurs discriminations en même temps. Par exemple, les tribunaux américains ne reconnaissaient pas que les femmes noires pouvaient être victimes à la fois de racisme et de sexisme, ce qui les empêchait d’obtenir justice.
Ce n’est qu’à partir des années 2000 que la notion d’intersectionnalité a commencé à être utilisée en France et Belgique, où les chercheurs∙euse∙s s’étaient jusque-là surtout concentré∙e∙s sur les inégalités liées au genre et à la classe sociale[6].
Le concept d’intersectionnalité est avant tout un outil d’analyse, une grille de lecture pour comprendre les inégalités et les discriminations. « Moins orienté vers la définition de ce que sont les personnes discriminées, le concept permet d’analyser comment elles sont discriminées et d’éveiller l’attention sur les non-dits et l’invisibilisation des personnes discriminées dans les discours et les théories sur les inégalités, qu’elles concernent le sexe et le genre, la situation économique et sociale, l’origine et l’ethnie ou encore la nationalité, l’âge, le handicap. »[7]
En ce qui concerne Oxfam-Magasins du monde, le concept d’intersectionnalité nous semble devoir prendre une dimension importante. En effet, le mouvement du commerce équitable pratiqué par Oxfam-Magasins du monde est un mouvement de femmes, porté par des femmes, d’un bout à l’autre de la chaine d’approvisionnement, tout particulièrement en ce qui concerne l’artisanat. Parmi nos bénévoles adultes, 90 % sont des femmes ; parmi nos salariées, 65 % sont des femmes ; dans nos organisations partenaires d’artisanat, 68 % sont dirigées par des femmes ; et parmi les artisan∙e∙s, on estime qu’environ 80 % sont des femmes. Et parmi toutes ces femmes, une très grande majorité de nos bénévoles (estimation : 80 %) sont âgées d’entre 65 et 85 ans, tandis que la totalité des femmes actives dans nos organisations partenaires d’artisanat sont des femmes racisées. En prenant conscience de ces possibles « intersections » de discrimination, nous pouvons mieux les comprendre et les combattre[8]. L’approche intersectionnelle permet de mieux comprendre les inégalités (et le fait que les oppressions ne s’additionnent pas, mais s’alimentent et se renforcent mutuellement), de proposer des solutions plus justes, et de renforcer la solidarité entre toutes les femmes, dans leur diversité.
Conclusion
Les notions de genre, de sexe et d’intersectionnalité sont essentielles pour comprendre les inégalités sociales contemporaines. Préciser des termes permet de préciser sa pensée ; changer les mots, c’est aussi changer le monde, transformer la société.
À l’heure où, en Belgique comme ailleurs, des mouvements conservateurs tentent de discréditer toute pensée critique, ou de dévoyer des concepts progressistes, il est essentiel que le secteur de l’éducation permanente et de la coopération au développement en Belgique utilisent des termes justes et analysent de manière critique des situations d’inégalités à travers des perspectives – telles que l’intersectionnalité – en phase avec les réalités contemporaines. Ceci peut permettre de repenser les luttes féministes de manière plus inclusive, de faire lien et mouvement toutes et tous ensemble.
Bibliographie
« Genres Pluriels – Identité de genre et expression de genre ? » Consulté le 26 mai 2025. https://www.genrespluriels.be/Identite-de-genre-et-expression-de-genre.
Grégoire, Pauline pour Oxfam-Magasins du Monde. « Comprendre les concepts de genre et de féminisme. Une étude auprès de notre public bénévole adulte ». 2024. https://oxfammagasinsdumonde.be/genre-et-feminisme-ce-que-revele-notre-etude-aupres-des-benevoles/
Jaunait, Alexandre, et Sébastien Chauvin. « Intersectionnalité ». In Dictionnaire. Genre et science politique, 286‑97. Presses de Sciences Po, 2013. https://doi.org/10.3917/scpo.achi.2013.01.0286.
« L’intersectionnalité: un outil critique pour déconstruire les inégalités | La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente ». Consulté le 26 mai 2025. https://ligue-enseignement.be/education-enseignement/articles/societe/lintersectionnalite-un-outil-critique-pour-deconstruire-les-inegalites.
Mahé, Marie. « L’intersectionnalité : être victime de discriminations multiples ». Oxfam France (blog), 28 février 2025. https://www.oxfamfrance.org/inegalites-femmes-hommes/intersectionnalite-quand-les-discriminations-sentrecroisent/.
Ressources supplémentaires
AUDIO : Faut-il faire disparaitre le genre ? – Podcast | Binge Audio
Ne serions-nous pas plus heureux·ses si le genre n’existait pas, et ne servait pas à nous répartir et à nous catégoriser ? Comment les normes de genre impactent-elles notre santé mentale ? En tant que minorité de genre, comment trouver la paix dans un monde binaire ? En tant que société, que faire pour que le genre cesse de peser sur notre santé mentale ? Pour en parler, Encore Heureux reçoit Morgan Noam, thérapeute, formateur sur les questions de diversité de genres et auteur de Ceci n’est pas un livre sur le genre (éd. Les insolent·e·s, 2024).
VIDEO : La non-binarité c’est une mode? – contre nature | contre nature- s1e4
« Ils font ça pour l’attention! » et si on vous disait que ce n’est pas un choix? Ni homme, ni femme, un peu des deux ou aucun, mais c’est quoi exactement la non-binarité? Pourquoi est-ce si peu compris par la société mais également au sein même de la commu LGBT+? Pour ce 4e épisode de Contre Nature, 4 personnes non-binaires sont venues répondre à toutes les questions que vous vous posez et nous expliquer comment ils/elles vivent leur non-binarité en déconstruisant tout ce que vous pensiez savoir sur le genre.
[1] Pauline Grégoire pour Oxfam-Magasins du Monde, « Comprendre les concepts de genre et de féminisme. Une étude auprès de notre public bénévole adulte », 2024, à lire ici : https://oxfammagasinsdumonde.be/genre-et-feminisme-ce-que-revele-notre-etude-aupres-des-benevoles/
[2] Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le mot sexe « se réfère aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes, comme les organes reproductifs, les chromosomes, les hormones, etc. »
Pour l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le mot sexe « se réfère aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes. Bien que ces caractéristiques biologiques ne s’excluent pas mutuellement, puisque certaines personnes possèdent les deux, elles tendent à différencier les êtres humains en tant qu’hommes et femmes. »
[3] « Genres Pluriels – Identité de genre et expression de genre ? », consulté le 26 mai 2025, https://www.genrespluriels.be/Identite-de-genre-et-expression-de-genre .
[4] Plus précisément : cela peut m’être indifférent ; ou je peux me sentir à la fois homme et femme ; ou encore je peux me sentir parfois homme et parfois femme ; etc. De nombreuses possibilités – et les termes correspondants – existent.
[5] Marie Mahé, « L’intersectionnalité : être victime de discriminations multiples », Oxfam France (blog), 28 février 2025, https://www.oxfamfrance.org/inegalites-femmes-hommes/intersectionnalite-quand-les-discriminations-sentrecroisent/.
[6] Alexandre Jaunait et Sébastien Chauvin, « Intersectionnalité », in Dictionnaire. Genre et science politique (Presses de Sciences Po, 2013), 286‑97, https://doi.org/10.3917/scpo.achi.2013.01.0286.
[7] « L’intersectionnalité: un outil critique pour déconstruire les inégalités | La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente », consulté le 26 mai 2025, https://ligue-enseignement.be/education-enseignement/articles/societe/lintersectionnalite-un-outil-critique-pour-deconstruire-les-inegalites.
[8] Pour rappel, en Belgique, Unia distingue 14 critères protégés, qui peuvent être invoqués pour parler de discrimination : https://www.unia.be/fr/discrimination-comprendre