Cette analyse a pour objectif d’expliquer le processus historique de financiarisation de l’économie, c’est-à-dire le passage d’un investissement centré sur l’économie de production à un investissement massif dans l’économie financière [highslide](1;1;;;)Concernant la crise actuelle et les possibles actions à mener pour réguler la spéculation financière et plus largement favoriser une économie basée sur l’humain, nous vous invitons à lire l’analyse intitulée « De la crise du subprime à une économie au service des femmes et des hommes »[/highslide].
Introduction
Depuis juillet, nous entendons régulièrement parler de la crise des subprimes, qui au fil du temps s’est muée en crise globale d’un système économique basé sur la spéculation financière. Pour mieux comprendre ce qui se passe, il nous semble intéressant de prendre de la distance pour se poser deux questions primordiales : comment en est-on arrivé là ? Qui a tiré profit de cette évolution ? Il s’agit de comprendre pourquoi, durant les années 80′, des personnes comme M. Thatcher, R. Reagan, Jean Gol – néo-libéraux convaincus – imposèrent la « loi du marché » comme mode de (dé)régulation.
Pour ce faire, nous repartirons du modèle économique d’après guerre et montrerons comment les attaques envers celui-ci ont provoqué une rupture profitant à un modèle basé sur une économie financière où le leitmotiv est « le plus haut taux de profit en un minimum de temps ». Une fois cette rupture abordée, nous nous focaliserons sur le fonctionnement de la spéculation et de ses conséquences. Nous verrons qu’il est impossible de faire de l’argent sur de l’argent sans qu’il y ait des perdants, en particulier parmi ceux qui sont moins outillés pour réagir.
Le système économique d’après-guerre : le capitalisme industriel
A la sortie de la guerre, il s’agit de décider sur quelles bases économiques et sociales nous allons reconstruire un continent dévasté. A cette époque, les partis de gauche sont puissants au niveau européen. La crainte du communisme pousse les capitalistes à négocier, ce qui crée un rapport de force favorable aux travailleurs. Au niveau international, un ensemble de règles encadrent la finance et la met sous contrôle du politique. Ces mécanismes incitent en outre les capitalistes à investir dans les entreprises.
C’est la période de la croissance, du (presque) plein emploi. La question qui se pose alors est le partage de cette richesse entre ceux qui la produisent – les travailleurs – et ceux qui ont investi. De là naîtra un compromis, qui se traduit en Belgique par la négociation collective (et donc la reconnaissance des représentants des travailleurs : les syndicats). Il prend la forme du Pacte social qui se traduit par un engagement réciproque entre travailleurs et patronat. Les premiers s’engagent à travailler de manière productive et à ne pas revendiquer tout le pouvoir. Quant au patronat, il s’engage à répartir équitablement la richesse produite, notamment sous la forme de cotisation sociale. C’est le moment des congés payés, de la diminution du temps de travail, …
A cette époque, le gouvernement développe les services publics, les rend accessibles au plus grand nombre. L’Etat fait des investissements sur base d’emprunts qu’il est capable de rembourser. En bref, la machine économique tourne et tourne bien pour presque tout le monde.
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Etant donnée le cadre réglementaire sur la circulation des capitaux au niveau international et national, un investisseur ne faisant rien de sa richesse accumulée fait perdre de la valeur à celle-ci. De ce fait, l’investisseur a intérêt à réinvestir dans la production. Ce mécanisme est la source du développement industriel et économique. Ce qui permet de créer des entreprises et de l’emploi.
Source : FGTB-ABVV Bruxelles, CSC Bruxelles et Attac, Economie Belge de 1945 à 2005. L’histoire non écrite. Bruxelles, 2006
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L’offensive néo-libérale des années 80 : le capitalisme financier
Le choc pétrolier de 1973 provoque, entre autres, des faillites. Certains groupes d’intérêts profitent de cette crise économique pour remettre en cause l’ensemble du système d’après-guerre. En fait, il s’agit pour les investisseurs de rétablir un taux de profit élevé, alors qu’il ne cesse de diminuer depuis le milieu des années 60′. C’est ici que se trouve le cœur de l’offensive néo-libérale. Celle-ci attaque le compromis social d’après-guerre et l’ensemble de ses acteurs : Etats, syndicats, salariés [highslide](2;2;;;)Voir analyse « internationalisation des syndicats » de décembre 2007[/highslide]. Cela s’effectue par la dérégulation de l’ensemble du cadre international et national. Le système de régulation mis en place après-guerre, ainsi remis en cause, finit par éclater.
Dès lors, nous sommes face à un renversement du rapport entre politique et économique. Désormais, ce sont les investisseurs qui décident des lieux et des modes d’investissement. Les Etats doivent se soumettre aux désirs des investisseurs afin de les attirer. Ces derniers n’investissent plus uniquement de manière productive et sont de plus en plus actifs en bourse, souvent plus rentable pour eux.
Dans ce contexte de libéralisation commerciale et de déréglementation des marchés financiers à l’échelle mondiale, le nombre de firmes transnationales explose. Elles déploient dorénavant leurs activités sur toute la planète. Alors qu’elles étaient quelques centaines en 1970, en 2007 elles sont plus de 78.400 (et leurs 780.000 filiales!). Les détenteurs de capitaux ne sont plus les chefs d’entreprise capitalistes, mais bien l’ensemble des petits et grands actionnaires soucieux d’avoir un rendement élevé et rapide sur leur investissement.
En résumé, le début des années 80 annonce le changement de la nature même de notre système économique. Nous passons d’une économie de production à une économie de financiarisation. C’est ce phénomène qui est nommé financiarisation de l’économie.
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Etant donné la disparition du cadre de réglementation de circulation des capitaux au niveau international et national, les investisseurs peuvent librement faire sortir de l’argent de Belgique pour l’investir là où les contraintes sont moins importantes et où la rentabilité est la meilleure.
De ce fait, la richesse des capitalistes n’est plus une source de développement industriel et économique. Une part de plus en plus importante va être investie sur les marchés financiers. Et le chômage explose …
Source : FGTB-ABVV Bruxelles, CSC Bruxelles et Attac, Economie Belge de 1945 à 2005. L’histoire non écrite. Bruxelles, 2006
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Mondialisation financière
Si la mondialisation a été de pair avec les échanges commerciaux, les flux de marchandises, c’est la dimension financière de la mondialisation qui est aujourd’hui essentielle. Le capitalisme est aujourd’hui essentiellement un capitalisme actionnarial. Le marché s’est dématérialisé en un marché financier. La mondialisation aujourd’hui, c’est l’instantanéité des transferts de capitaux d’une place bancaire à une autre, dans une perspective de profit à court terme. Le marché de la finance ne dort jamais.
Voyons de plus près comment s’est mis en place ce changement. Les interconnexions très étroites entre les systèmes monétaires et les marchés financiers nationaux ont résulté des mesures de libéralisation adoptées d’abord par les U.S.A et le Royaume-Uni entre 1979 et 82 (autrement dit, l’offensive néo-libérale), puis par les autres principaux pays industriels. Le décloisonnement externe et interne des systèmes financiers nat
ionaux a permis l’émergence d’un espace financier mondial.
Quelques facteurs ont favorisé cette mondialisation financière.
- L’abandon du taux de changes fixes [highslide](3;3;;;)Le système monétaire mondial d’avant 1971 était basé sur l’« étalon de change or » mis en place par les accords de Bretton Woods en 1944. Il repose sur deux piliers principaux 1. un système de changes fixes entre monnaies 2. la reconnaissance du dollar comme monnaie de réserve internationale, qui reste convertible en or. La fonction de monnaie de réserve mondiale gênait fort peu les États-Unis et ne les incitait pas à mieux contrôler leurs déficits.[/highslide] en 1971 a entraîné la mise en place d’un taux de changes flottants. Ainsi, les opérateurs financiers jouent dorénavant un rôle essentiel dans la détermination des prix relatifs des monnaies.
- La libéralisation des mouvements de capitaux et la « titrisation » [highslide](4;4;;;)Il s’agit d’une technique financière sophistiquée, qui consiste à transférer des actifs ou des risques de crédit [comme c’est le cas pour les subprimes] sous une forme structurée à des investisseurs tiers. Pour en savoir plus, lire l’analyse « De la crise du subprime à une économie au service des femmes et des hommes ».[/highslide] des effets de la dette publique furent un des autres éléments importants.
- Le décloisonnement des marchés nationaux et la désintermédiation [highslide](5;5;;;)Pour en savoir plus : Chesnais, 1996; La mondialisation financière : genèse, coût et enjeux. Syros [Paris][/highslide].
Ces trois processus sont enchevêtrés l’un dans l’autre. Par cela, la mondialisation comporte un changement qualitatif dans le régime financier et dans son gouvernement. On assiste à l’effacement de la finance dominée par les banques commerciales au profit d’une finance de marché internationale, dans laquelle les institutions financières non bancaires (société d’assurance, de prêt hypothécaire, …) sont les plus importantes.
Le mouvement de libéralisation et de décloisonnement a également été marqué par la création de nombreuses nouvelles formes de placement de liquidités financières. Les principaux acteurs de cette finance mondialisée sont les institutions privées. En voici deux :
- Les grandes banques commerciales et les banques d’affaires. Ce sont elles qui organisent le marché des changes et qui en tirent les profits. Leur activité majeure dans la mondialisation financière revêt la forme de prêts internationaux qui sont générateurs de profits grâce aux intérêts élevés. Ce sont des prêts qui sont accordés aux gouvernements, aux banques nationales et à certaines entreprises.
- Les institutions financières dites « non-bancaires ». Ce sont les institutions qui n’ont pas de responsabilité de création de crédit. Celles-ci peuvent uniquement se spécialiser dans la fructification des liquidités. Ce sont les compagnies d’assurance, les caisses de retraites par capitalisation et les sociétés financières de placement collectif
La spéculation financière, comment ça fonctionne ?
Maintenant que nous avons compris le passage d’une économie productive à une économie financière, il nous faut comprendre comment fonctionne la spéculation financière. Le dictionnaire la définit comme
« une opération sur des biens meubles ou immeubles, en vue d’obtenir un gain d’argent de leur exploitation ou plus fréquemment de leur revente. » [highslide](6;6;;;)Le petit Larousse illustré, 1993, Paris, Larousse, p.956.[/highslide]
Les principes de base de la spéculation
Deux techniques principales existent en spéculation. Elles s’établissent sur un calcul de probabilité qui repose sur l’évolution future de l’offre et de la demande. En fait, le spéculateur va se baser sur la probabilité du prix d’un bien à une période donnée.
- Lorsque la probabilité est forte que le prix futur soit supérieur au prix courant, le spéculateur se portera acheteur.
- S’il est probable que le prix anticipé soit inférieur au prix courant, il faut vendre (afin de ne pas courir de risque de dévalorisation). C’est l’offre et la demande qui déterminent la valeur d’un bien.
Cette valeur d’échange n’est pas fixe. Un grand nombre de facteurs peuvent modifier l’équilibre du marché, par exemple des aléas climatiques, politiques (guerres, crises) ou psycho-sociologiques (rumeurs). Ce qui est fondamental dans l’esprit des spéculateurs, c’est que les écarts des prix par rapport à l’équilibre ne peuvent être que temporaires. Le spéculateur attend le retour du balancier écarté pour un temps de sa position d’équilibre. Il s’agit alors de prévoir avant les autres les points de retournement de la conjoncture et singulièrement du mouvement des prix.
Le système capitaliste a permis l’émergence de la spéculation à travers ses crises ou ses périodes prospères. Les perpétuels mouvements du capitalisme entraînent une remise en question constante de l’équilibre de marché. La spéculation peut se faire de différentes manières.
Trois sortes d’avoirs sont les objets de la spéculation
- Les actifs monétaires : ils sont liquides et les coûts de conservation sont minimes. Par contre, ils ne sont pas la source d’un flux de revenu. Il y a deux types de spéculation qui engendrent les actifs monétaires:
- Le premier consiste à substituer des actifs financiers ou des actifs réels aux actifs monétaires.
- Le deuxième s’effectue entre les différentes monnaies nationales dont la valeur sur le marché des changes est fluctuante. Il s’agit donc d’acquérir au plus bas la monnaie dont on prévoit l’appréciation et de se débarrasser de la monnaie dont on anticipe la dépréciation. Les crises monétaires internationales favorisent ce type de spéculation dans la mesure où les parités entre les monnaies sont sans cesse remises en cause.
- Les actifs financiers : ceux-ci désignent l’ensemble des valeurs mobilières (actions des sociétés, obligations). Ceux-ci sont cotés en bourse champ privilégié de la spéculation. Leur prix est donc déterminé par le jeu de l’offre et de la demande. Il est aléatoire.
- Les actifs réels : ceux-ci sont multiples. Ce sont les timbres-postes, les immeubles, les terrains, le pétrole etc… Tous ces biens peuvent devenir l’objet de spéculation. Leur liquidité est faible et les frais de conservation plus élevés.
Conséquences de la spéculation
Voici deux exemples pour illustrer les conséquences de la spéculation.
En 1992, certains spéculateurs ont dégagés des milliards en affirmant que la Livre Sterling était surévaluée. Les attaques à l’encontre de cette monnaie (la vente de celle-ci) prirent une telle ampleur que la livre tomba au niveau prévu par les spéculateurs. Il s’avéra par la suite qu’un seul spéculateur était à l’origine de ce fait. La spéculation qui continua à s’exercer à l’encontre de certaines autres monnaies faillit provoquer son effondrement en 1993.
En 2000, la crise asiatique a entraîné des attaques sur des monnaies comme la monnaie thaïlandaise. Le problème est que peu de personnes se préoccupent vraiment des conséquences sociales et humaines d’une telle stratégie. De telles crises provoquent la diminution du pouvoir d’achat des individus. Par exemple au Brésil, cette crise a provoqué une dévaluation de la monnaie qui a atteint 50% ; ayant pour effet que les personnes avaient la même somme d’argent mais ne pouvaient acheter que deux fois moins de biens. Malgré l’aide financière extérieure, la vie est devenue beaucoup plus rude. Dans un pays connaissant déjà d
es inégalités fortes, elles n’ont fait que s’accroître. De tels phénomènes provoquent la chute de la classe moyenne et donc une société plus duale.
Jusqu’à aujourd’hui, les pays occidentaux ont réussi à atténuer les conséquences de crises plus lointaines, même si la bourse n’a pas de frontières. Mais aujourd’hui, la crise du subprime touche l’ensemble de l’économie financière et de l’économie réelle de la planète.
Conclusion
Le mécanisme de financiarisation de l’économie consiste en une dérégulation au nom de la loi du marché, de la main invisible. Le problème est que la sphère financière s’est aujourd’hui totalement repliée sur sa propre logique. Une économie virtuelle, spéculative, déconnectée du système productif. La rentabilité financière des placements devient plus importante que la fonction productive. Nous constatons que la loi du marché au niveau de la bourse provoque un ensemble de problèmes sociaux et environnementaux. Le marché financier est d’une terrible opacité, échappant à tout contrôle démocratique.
De ce fait, ne faudrait-il pas plus d’intervention de l’Etat ? La mise en place de règles, de réglementation permettrait-elle de mieux gérer les flux financiers et de diminuer les impacts des crises ?
Nous avons l’impression, probablement pour certains d’entre nous, d’être loin de la question financière. Et pourtant nous en somme tellement proches. Comment ordonner, contrôler les flux financiers, comment créer une économie au service de l’être humain ? Pour aborder ces questions, l’analyse « De la crise du subprime à une économie au service des femmes et des hommes » nous proposera des bases de réflexion.
Corentin Hecquet
Animateur Politique
Oxfam-Magasins du monde
Bibliographie
- FGTB-ABVV Bruxelles, CSC Bruxelles et Attac, Economie Belge de 1945 à 2005. L’histoire non écrite.Bruxelles, 2006
- Chesnais, 1996; La mondialisation financière : genèse, coût et enjeux. Syros (Paris)
- Bliman M. et Carceller J., « Subprime » : explications d’une crise. Disponible sur http://www.lesechos.fr/info/finance/300194636.htm
- Mouton O., Le soir, «Il faut réformer le système, et ne pas uniquement jouer aux pompiers», 30 septembre 2008
- Petit Larousse illustré, 1993, Paris, Larousse, p.956.
- Intervention d’Etienne Lebeau lors de la formation Vin/Fromage du 28 mai 2008 à Bruxelles