7h00 du matin. Après une bonne douche (Natyr – Made in dignity), un p’tit café (Douwe Egberts labellisé Utz Kapeh) pour bien démarrer la journée. J’enfile mon pull (Celio) et mes chaussures (Veja). Au boulot, deuxième café (Oxfam-Fairtrade). A midi, petit lunch (chez Exki). Sur le retour, je passe dans une agence de voyage (Tamadi) pour réserver mes vacances. Un coup de fil (grâce à mon abonnement Phonethic) à mon banquier, pour me renseigner sur un fonds éthique (labellisé Ethibel). Direction le supermarché (Delhaize). Dans mon caddie équitable, des biscuits (Miel Maya), du chocolat (Galler labellisé Max Havelaar) et des bananes (Chiquita labellisées Rainforest Alliance). Un rapide passage dans un magasin de produits de beauté (Di) afin d’acheter un baume pour le corps (Jardin Bio-Ethic). Zut, j’ai oublié l’anniversaire d’Emilie… Des roses (Max Havelaar), ça devrait faire l’affaire ! Ou alors un foulard (Citizen Dream) ? Et si on allait simplement prendre un verre (« Tout l’or du monde » et sa gamme d’épicerie Ethiquable) ?
Pas facile pour le consommateur de s’y retrouver, dans cette soupe (équitable ?) !
Petit tour d’horizon du commerce équitable en 2007
Oxfam-Magasins du monde l’affirmait déjà en 2005 : nous ne pouvons plus vraiment parler du commerce équitable, mais plutôt des commerces équitables. Devant cette multiplication de lieux, de produits, de marques, de labels, ce constat reste plus que jamais pertinent. On assiste ces dernières années à une évolution rapide. Le commerce équitable semble entrer dans une nouvelle ère. La « 3e vague » [highslide](1;1;;;)Expression utilisée par le Centre Fair Trade. La 1e vague était celle des organisations pionnières, la 2e était celle de la labellisation et de l’entrée dans le circuit de la grande distribution.[/highslide] , celle qui voit débarquer de plus en plus de jeunes entrepreneurs et d’activités commerciales autour de ventes de produits équitables. L’âge de la maturité ou le début d’une perte d’identité pour le commerce équitable ?
La consommation équitable
La sensibilisation porte ses fruits. 85% des Belges connaissent le commerce équitable, ce qui est une forte augmentation (66% en 2005). Mais cet a priori positif ne se transforme pas encore suffisamment en acte d’achat. Les produits phares que sont la banane, le miel et le café équitables ne représentent respectivement que 7%, 5% et 2% des parts de marché dans leur secteur. Néanmoins la croissance est là. En Belgique, la vente au détail de produits équitables a augmenté de 15% entre 2005 et 2006. Le montant total de 33,9 millions d’euros est assuré pour moitié par les organisations de commerce équitable, et environ 30% par les supermarchés. La filière labellisée a vu son chiffre d’affaires mondial augmenter de 41% en 2006 [highslide](2;2;;;)Sources : Centre Fair Trade (www.befair.be), article du Vif l’Express « T’es pas tout seul, Max » [5/10/2007][/highslide] . Cependant, relativisons ces chiffres : le commerce équitable reste un mini-marché. Sa part dans les ventes en Belgique s’élève à… 0,01% !
La diversification des produits
L’époque où commerce équitable rimait avec bananes, café et jus est révolue. La diversification des produits est énorme : vins, cosmétiques, voyages, déco, jeans, instruments de musique, ballons de football, gel douche, bijoux… Plus de 5000 références équitables sont vendues en Belgique.
La multiplication des acteurs et points de vente
Le phénomène le plus marquant de ces dernières années est l’explosion du nombre d’acteurs et de lieux de vente. Auparavant, le commerce équitable était essentiellement porté par les organisations que sont Oxfam (Magasins du monde et Wereldwinkels), Max Havelaar ou Miel Maya. La vente s’effectuait essentiellement dans des lieux spécifiques. La labellisation de produits a permis à des entreprises de proposer des produits équitables à côté de leurs produits habituels. L’entrée de l’équitable dans la grande distribution a été un tournant majeur. 54% des achats équitables se réalisent aujourd’hui chez Delhaize, Carrefour, Colruyt et autres supermarchés.
De nombreux acteurs surfent actuellement sur cette vague. La concurrence devient rude ! C’est une bonne chose. La preuve que le travail inlassable des acteurs traditionnels a porté ses fruits. Mais encore faut-il que ces initiatives soient réellement porteuses des valeurs et objectifs du commerce équitable. Profitant de l’absence de régulation, n’importe quel entrepreneur peut aujourd’hui se revendiquer du commerce équitable !
A titre d’exemple, parmi les 18 projets déposés pour les « Be Fair Awards 2007 » (dans le cadre de la semaine du commerce équitable organisée par le Centre Fair Trade), se retrouvent des initiatives de type très divers.
- des marques
- alimentaires: Mondoh («des produits du terroir mélangés avec des produits équitables labellisés Max Havelaar»)
- textiles: Aleluja («ligne de vêtements qui met l’accent sur le côté écologique/biologique de ses créations»), Kachou («vêtements écologiques, par des ateliers de réinsertion belges et des ateliers éthiques à l’étranger»), NJ Appeal Bioethic («une triple plus-value éthique: utilisation de coton bio, respect de critères du commerce équitable et inscription dans une démarche de Responsabilité Sociale d’Entreprise»)
- bijoux: Fortaleza («des bijoux s’inscrivant dans le cadre d’une économie solidaire»)
- des points de vente
- Tout l’Or du Monde («Boutique-Café 100% équitable, présentant notamment la gamme française Ethiquable»)
- Ekizone («des produits solidaires, équitables et respectueux de l’environnement»)
- Natural Selection («des vêtements biologiques et équitables, des cosmétiques de la marque Themis, respectueuse de critères bio et équitables»)
- de la vente en ligne
- Ethicstore («une gamme d’articles entièrement issus du commerce équitable ou éthique. Une partie des bénéfices est reversée à des associations. Activités basées sur une charte de développement durable»),
- des organisationsd’importation
- Stani («vente de cafés importés directement d’Amérique Centrale»)
- Tiksy Import («Vêtements en laine d’alapaga écologique. Le projet permet aux femmes d’un bidonville d’augmenter leurs rentrées financières, bénéficier de formations techniques et améliorer leur compétitivité et leur qualité de vie»)
- Arteman: («artisanat basé sur des matériaux recyclés. L’organisation a pour but de promouvoir le travail artisanal colombien»)
- Lokhta («entreprise familiale qui met en partenariat la maman de l’initiateur du projet au Nepal ainsi que son père qui travaille sur ce projet en tant que comptable»)
- des espaces d’exposition et de vente
- Arte Munde («gestion d’une expo-vente dans l’esprit du commerce équitable»)
- D’ici, D’ailleurs («espace de rencontre et d’échange, ainsi qu’une boutique, mettant l’accent sur les initiatives éthiques et équitables»)
- des organismes de consultance et d’accompagnement
- Ekisol («des services de consultance auprès des certificateurs du commerce équitable et un accompagnement des coopératives de producteurs du Sud vers une autonomie complète»)
Sans juger de la qualité sociale, économique et environnementale de ces projets, on voit dans ces descriptions sommaires qu’entre l’équitable, l’éthique, le bio, l’écologique, le
solidaire, la responsabilité sociale des entreprises, le durable, on nage en plein flou !
Dans la jungle des marques, labels et codes de conduite
Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la dimension éthique ou durable des produits. Et ils veulent des garanties. Mais ils sont devant un flou, auquel n’échappe pas le commerce équitable. Comment s’assurer des critères sociaux, économiques et environnementaux dans la production de nos articles de consommation ? En l’absence de label contrôlé par les pouvoirs publics (l’exemple du bio), le consommateur se trouve face à
- des labels privés (Max Havelaar, Utz Kapeh, Rainforest Alliance)
- des codes de conduite communs développés pour les entreprises (Common Code for the Coffee Community)
- des codes de conduite développés par une entreprise elle-même sur sa filière de production (Iway d’Ikea, Fair & Free Trade d’Efico)
- des marques privées ou associatives contrôlées par un label (Oxfam-Fairtrade par Max Havelaar, Douwe Egberts par Utz Kapeh)
- des marques associatives ou privées avec une certification IFAT de l’organisation (Made in dignity, Citizen Dream)
- des marques privées sans label (Collibri, ainsi que les exemples cités plus haut…).
Tout ne peut pas être mis sur le même pied. Toutes ces initiatives ne proposent pas la même démarche, les mêmes exigences au bénéfice des producteurs du Sud, les mêmes objectifs de développement… Certaines initiatives sont même très minimalistes. Bien sûr, toutes ne se prétendent pas ouvertement équitables. Mais la confusion est bien là !
Comment analyser ces différentes démarches ? Quelles questions se poser pour juger de la valeur des engagements ? Quelques éléments d’analyse :
- Sur quoi portent ces engagements ? Concernent-ils la filière de production (commerce équitable, éthique ou durable) ? Ou est-ce un projet «charitable» (récolte de fonds pour financer des projets de développement) qui ne modifie pas les pratiquescommerciales (commerce de solidarité)?
- Quel type d’exigencessociales, économiques, environnementales? Le simple respect de normes de base (commerce éthique ou durable) ou une volonté de partenariat dans la durée reposant sur des engagements précis, dans un objectif de développement (commerce équitable)?
- Quelle est la force des critères? Peuvent-ils apporter un vrai progrès social? S’appliquent-ils à l’ensemble de la chaîne de production?
- Quelles garanties, quel contrôle de la mise en application de ces critères?
- Y a-t-il participation des parties prenantes (notamment les travailleurs)?
- Quelle transparence? Quelle information est disponible?
Devant ce flou, ISO (organisation privée composée des instituts nationaux de standardisation ou d’autres organismes de 120 pays) a récemment envisagé de développer une norme pour le commerce équitable, avant de décider de mettre le processus au frigo suite aux réactions négatives des organisations de commerce équitable, qui craignaient que ce type de norme ne corresponde pas à une vision de développement, qui va bien plus loin qu’un simple objectif de contrôle de critères rigides.
La réponse, comme nous le verrons plus loin, doit venir autant des acteurs traditionnels du commerce équitable (via leurs propres pratiques et via les réseaux internationaux) afin de donner une définition claire de leur démarche et leurs objectifs, que des pouvoirs publics qui doivent protéger cette vision forte.
Quelques enjeux actuels
Continuer à promouvoir une démarche forte
Avant de regarder à ce que font les autres, il est important que les acteurs comme Oxfam-Magasins du monde continuent de rester à la pointe en promouvant une démarche progressiste de référence, basée sur des critères forts et reposant sur un véritable partenariat pour le développement des acteurs du Sud. Les difficultés économiques rencontrées dans le secteur de l’artisanat doivent nous pousser à affirmer notre vision d’un commerce équitable qui ne doit pas laisser de côté les partenaires les plus fragiles (en terme de fiabilité commerciale, d’adaptation des produits aux tendances, de respect des délais…), notamment en Afrique. Mais la pérennité des organisations de commerce équitable passe aussi par une plus grande professionnalisation (logistique, marketing, distribution, développement de produits, diversification des gammes…).
Pour Oxfam-Magasins du monde, le commerce équitable doit continuer à sensibiliser aux dérives du commerce international. Il est un outil, un levier de changement, et non une finalité en soi ! Cette tension entre « faire du commerce » et « faire de la politique » revient fréquemment (entrée des produits Oxfam-Fairtrade dans la grande distribution ; labellisation par Max Havelaar Grande-Bretagne de café de la multinationale Nestlé, dont les pratiques ont souvent été dénoncées). Cette dimension politique n’est pas (ou peu) présente chez certains acteurs. Oxfam-Magasins du monde continuera à être une force de changement pour un développement durable, social et solidaire, en interpellant les pouvoirs politiques et en faisant pression sur les entreprises multinationales pour les contraindre à agir pour le bien commun.
Garder une démarche forte et crédible passe aussi par un renforcement et une meilleure synergie des réseaux internationaux que sont IFAT (fédération internationale des organisations de commerce équitable, dont fait partie Oxfam-Magasins du monde) et FLO (coupole internationale des organismes de labellisation, dont Max Havelaar) [highslide](3;3;;;)Your Pour plus d’explications sur ces réseaux et les tensions entre leurs approches, voir notre analyse « Les structures internationales du commerce équitable » [avril 2007]. Les analyses sont disponibles sur notre site www.omdm.be/analyses[/highslide] . Une vraie définition commune et opérationnelle du commerce équitable serait le premier pas. Celle-ci fait toujours défaut à l’heure actuelle.
Le commerce durable et éthique
Face à la montée en puissance d’initiatives diverses, il est important de repréciser les spécificités de la démarche du commerce équitable, et de souligner la différence avec d’autres initiatives, qu’elles soient éthiques, durables, solidaires ou de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Illustrons cet enjeu au travers des tentatives de la Fédération des Entreprises Belges (FEB) de contrer la reconnaissance légale du commerce équitable avec son propre concept.
Depuis toujours, le monde économique a assimilé les organisations de commerce équitable à des « radicaux idéologues », prompts à dénoncer les pratiques injustes du commerce conventionnel. La FEB voit le développement d’une loi sur le commerce équitable comme une énorme menace. Tant idéologique (cela équivaudrait à reconnaître le caractère inéquitable du commerce conventionnel) qu’économique (certains acteurs se verraient exclus d’un marché en pleine croissance). Leur contre-attaque prend la forme du commerce durable, un concept qu’ils souhaitent imposer. Notons que la FEB ne veut aucune régulation. Même le commerce durable serait un code sur base volontaire pour les entreprises et non une loi rendue obligatoire pour toute entreprise.
Si entendre le monde de l’entreprise parler de « durabilité » fait plaisir (c’est la première fois que la FEB se prononce aussi ouvertement en faveur d’une initiative de ce genre), la réponse est-elle satisfaisante ? Cette définition peu ambitieuse et se limitant au simple respect de conventions internationales (OIT) est typiquement une initiative de commerce éthique. Le commerce éthique se base sur le
principe du « no harm » (minimiser les effets néfastes sur l’environnement et les travailleurs) plutôt qu’un objectif de développement. Il n’y a aucune mention au prix minimum garanti, au préfinancement, à l’affectation par les producteurs des revenus tirés du commerce, à la priorité donnée aux petits producteurs marginalisés, etc. En bref, une politique sur base volontaire et peu ambitieuse de RSE qu’Oxfam-Magasins du monde analyse de manière critique [highslide](4;4;;;)Voir notre analyse « Commerce équitable et responsabilité sociale des entreprises » [novembre 2005] ainsi que les analyses et études liées à la campagne « Ikea, un modèle à démonter » [2006-2007][/highslide] . Loin d’être progressiste, elle n’aboutit souvent qu’à une stagnation du système et une privatisation de la norme sociale.
Le commerce équitable vise à un impact de développement, repose sur des critères clairs et contraignants et se distingue par une remise en question de certaines pratiques du système commercial international. C’est pourquoi les acteurs traditionnels du commerce équitable en Belgique ont à nouveau exprimé leur volonté d’une reconnaissance rapide du commerce équitable par les pouvoirs publics, que ne peut en aucun cas remplacer l’établissement d’un système tel que le commerce durable.
La reconnaissance légale du commerce équitable
Le processus a été initié il y a deux ans. A l’époque, divers éléments ont poussé les acteurs « historiques » du commerce équitable à demander que le concept de commerce équitable soit protégé par une loi [highslide](5;5;;;)
Citons le lancement d’un label « pseudo-équitable » par Efico finalement abandonné suite à la réaction musclée des organisations de commerce équitable, la perte de marchés publics (notamment au Parlement) au profit d’initiatives privées proposant un commerce équitable « au rabais » (comme le label Utz Kapeh) et la multiplication des acteurs et des concepts avec risque de confusion et d’un commerce équitable « light »[/highslide] .
Une définition légale permettrait une reconnaissance juridique du commerce équitable pour :
- éviter l’érosion du concept de commerce équitable basé sur des critères forts
- éviter la confusion pour les consommateurs en évitant les messages dissonants à propos du commerce équitable (risque de multiplication d’initiatives basées sur des standards variables)
- préciser la spécificité du commerce équitable par rapport à d’autres types de concepts
- disposer d’une référence claire dans le cadre de l’octroi des marchés publics [highslide](6;6;;;)Les marchés publics sont un enjeu économique majeur. Les administrations sont les plus grandes consommatrices de café.[/highslide]
- ouvrir le jeu du commerce équitable à tout type d’acteurs qui en respecte les principes dans le but de maximiser son impact pour les producteurs du Sud
- permettre aux pouvoirs publics de développer des instruments d’appui ou d’incitation au commerce équitable
Trois propositions de loi déposées en février-mars 2006, par Ecolo, CDH et PS/SP.A. Il n’a pas été possible d’aboutir à un texte commun. La perspective des élections de juin 2007 a mis ce dossier au frigo. La question est dans les mains des négociateurs de la future majorité gouvernementale. Pour qui, il faut l’admettre, c’est loin d’être une priorité [highslide](7;7;;;)
Le pré-accord gouvernemental de l’Orange-Bleue se limite actuellement à affirmer son « intérêt pour le commerce équitable et le commerce durable »[/highslide]…
Jérôme Chaplier
Département Actions/Education