Le commerce équitable est basé sur la volonté de partenariat durable pour le développement. Il est fondé sur des échanges plus justes, plus respectueux entre producteurs et consommateurs. Le commerce équitable est source essentielle de revenus pour des paysans, des artisans. Il est une chance pour des groupes de population que le système économique mondial marginalise, de faire valoir leur droit à un revenu décent et à une dignité. Le commerce équitable, une chance pour l’Afrique ? Oxfam-Magasins du monde y croit résolument et veut permettre à l’Afrique de saisir cette chance.
Cependant faire du commerce équitable avec l’Afrique, cela n’est pas toujours évident. Cela pose des défis aux opérateurs de commerce équitable. Qui plus est dans l’artisanat, un secteur complexe, mal-défini et en difficulté. Il n’est pas question d’abandonner l’Afrique parce qu’elle serait moins « fiable » commercialement. Mais il faut oser se reposer la question « nos partenariats sont-ils de vrais leviers de développement ? ». Qu’en est-il aujourd’hui des enjeux du commerce équitable avec l’Afrique ? Quel est son potentiel, mais également ses limites et ses difficultés ? Voici quelques éléments d’analyse.
Les acteurs du commerce équitable en afrique
Oxfam-Magasins du monde travaille actuellement avec 12 partenaires d’artisanat d’Afrique subsaharienne sur un total de 59 partenaires Made in dignity [highslide](1;1;;;)
A ceux-ci s’ajoute 1 partenaire de cosmétiques : Yuri-Enga (Ghana). Les partenaires alimentaires africains d’Oxfam-Wereldwinkels sont au nombre de 19, la plupart étant des coopératives de producteurs.[/highslide] . Vous trouverez une description de ces partenaires sur notre site.
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Les partenaires Made in dignity africains
Les partenaires du registre Made in dignity respectent les critères économiques, sociaux et environnementaux établis par Oxfam-Magasins du monde pour l’artisanat. Ce sont des organisations démocratiques et transparentes. Le type d’organisation varie : fédérations de producteurs, coopératives, petits groupes de femmes, ateliers d’insertion, sociétés de droit privé à but social.
L’aspect environnemental y est en général moins présent. Ce n’est pas un axe fort du travail des partenaires africains. Sur le volet « projet », les partenaires africains sont actifs essentiellement dans l’accès au marchépour des producteurs marginalisés et dans des projets sociaux (Sida, frein à l’exode rural, réinsertion de handicapés, etc.)
Qu’est-ce qui caractérise l’artisanat africain ?
L’artisanat africain se distingue sur certains aspects de ce qui est produit en Asie ou en Amérique latine.
- Symbole de culture et tradition africaine : produits plus «ethniques» que ceux d’Asie ou d’Amérique latine
- Produits simples, peu élaborés, réalisés à la main avec les ressources naturelles disponibles. Le capital humain y prime sur le capital technologique. Il s’agit souvent d’une filière courte: peu d’étapes de fabrication, notamment parce qu’il y a peu de possibilités de transformation sur place.
- Produits «uniques», véritable travail artisanal où on sent la main de l’artiste. Par conséquent, ce sont des produits qui peuvent comporter des «défauts», et qui ne sont pas adaptables pour des grandes quantités.
- Les matières premières utilisées : bois, céramique, récupération-recyclage (p.ex. cannettes), fer forgé
La place de l’Afrique dans le commerce équitable international
La marginalisation commerciale de l’Afrique est très forte. La part du continent dans le commerce international représentait 12 % il y a 20 ans, elle est passée à 8 % dans les années 90. Et actuellement, elle atteint à peine 2 %. Dans le marché spécifique du commerce équitable, on observe ces dernières années une tendance forte. (1) La part de l’artisanat dans le commerce équitable décroît au profit de l’alimentaire. (2) Le nombre global de partenaires avec lesquels travaillent les organisations importatrices européennes diminuefortement. (3) Parmi ceux-ci, la diminution du nombre de partenaires africains est la plus importante. Ainsi, on a observé entre 2000 et 2004 au sein d’EFTA (organisation européenne regroupant des importateurs de commerce équitable) une baisse de 54% des partenaires africains.
Les acteurs « historiques » du commerce équitable tendent à se désinvestir de l’artisanat et plus particulièrement de l’Afrique [highslide](2;2;;;)Par exemple FTO, importateur de commerce équitable hollandais, a arrêté tout partenariat commercial avec l’Afrique. Les nouveaux acteurs également n’investissent pas ou peu en Afrique. Citizen Dream, par exemple, ne fait que du commerce équitable et éthique avec l’Asie.[/highslide] , au profit de régions plus « sûres » commercialement, notamment l’Asie. Les partenaires africains sont souvent considérés comme plus « faibles » au détriment des partenaires « forts » que sont par exemple les asiatiques. Par ces mots, on entend essentiellement des questions de fiabilité commerciale et de marge réalisée sur les produits, et non un jugement de la qualité du projet ou de l’organisation. Nous verrons plus loin en quoi les produits africains ont peine à être concurrentiels par rapport aux produits asiatiques.
Le commerce équitable de l’artisanat, un levier de développement pour l’afrique ?
L’Afrique est un continent d’agriculteurs. L’agriculture occupe entre 70 et 80% de la population active. Une grande part des revenus d’exportation dépendent de quelques matières première, dont les prix internationaux sont bas et instables (coton, café, thé, sucre, cacao…). A cela s’ajoutent les difficultés rencontrées par l’agriculture paysanne familiale à la suite des politiques de libéralisation et d’ouverture forcée des marchés. Devant cette situation, la diversification des activités est un enjeu majeur. L’artisanat est-il une des voies à suivre ? Offre-t-il de réelles perspectives de développement ou se trouve-t-il dans une impasse? Quelle pertinence du commerce équitable de l’artisanat à l’exportation ?
Les objectifs de développement social du commerce équitable
« Le commerce équitable vise à soutenir des organisations démocratiques (participation, transparence, non-discrimination) afin de promouvoir le développement social de ses membres, renforcer leurs capacités et leur pouvoir au sein de leurs propres orga
nisations. L’organisation doit être un acteur de changement social et politique pour ses membres et pour la collectivité »
Potentialités |
Limites |
L’artisanat donne du « sens », de la dignité. Les artisans se sentent reconnus. Ils sortent de leur isolement, du lien collectif se crée. Ils participent au processus de décision de l’organisation. Valorisation d’un savoir-faire, d’une culture, d’une identité locale. Projets sociaux (santé, éducation…) Autonomisation des femmes, dont le rôle économique crucial ne va souvent pas de pair avec une meilleure considération dans le ménage et la communauté. Permet aux artisans de rester dans les campagnes, c’est donc un frein à l’exode rural dont les conséquences sont catastrophiques.
Travail avec des populations vulnérables(handicapés, femmes…) Formation et information à destination de petits producteurs/artisans. |
Risque de perte d’identité culturelle, de traditions pour répondre aux attentes de consommateurs européens (utilitaire, moins « ethnique ») Souvent, il n’y a pas de message politique clair des partenaires. Peu de sensibilisation, de mobilisation. Organisations manquant de capacités pour répondre aux tendances du marché au Nord. |
Les objectifs de développement économique du commerce équitable
« Le commerce équitable, en proposant de meilleures conditions commerciales, vise à créer des opportunités pour des producteurs marginalisés et désavantagés économiquement. Il offre un soutien au développement de la communauté. Il leur permet de passer d’un état de vulnérabilité à un état de sécurité et d’auto-suffisance économique dans le long terme »
Potentialités |
Limites |
Création de revenu
Travail dans la durée : garantie de commandes régulières qui donnent une sécurité « temporelle » Les bénéfices sont un apport de capitaux à investir dans des projets communautaires Renforcement de capacités des organisations (marketing, management, séminaires de développement de produits…) qui leur ouvre l’accès à de nouveaux marchés, notamment le marché conventionnel. Souplesse commerciale : délais de production plus longs, prise en compte de facteurs externes (climat, situation politique…) |
Une limite importante du commerce équitable de l’artisanat est qu’il maintient les artisans dans une activité au développement technologique faible(primauté du travail sur le capital et la technologie). Or l’Afrique ne peut rester cantonnée dans des activités manuelles à faible valeur ajoutée. Elle a besoin d’investissements technologiques. Absence de marché local (pouvoir d’achat insuffisant, tourisme restreint sauf exceptions comme Kenya ou Tanzanie). La production est donc tournée uniquement vers l’exportation Le commerce équitable reste marginal, c’est unmarché étroit, il y a peu de potentiel d’entrée de nouveaux producteurs Secteur informel : difficulté d’organisation, de détermination d’un revenu juste, de contrôle des pratiques … Le commerce équitable ne pousse pas toujours auprofessionnalisme (effet pervers du long terme, sentiment du « tout acquis », trop de souplesse)
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Les objectifs environnementaux du commerce équitable
« Le commerce équitable vise à une gestion durable des ressources naturelles et à une diminution de l’impact de la production sur l’environnement »
Potentialités |
Limites |
Gestion durable des ressources disponibles Vers la production de coton bio. La culture du coton, par l’utilisation intensive de pesticides, d’engrais et d’eau, nuit aux sols et à la santé des travailleurs. Valorisation de matières premières locales Réutilisation- récupération |
Commerce des produits en bois pose des questions. Souvent il y a un manque d’information sur la provenance des matières premières (bois, coton,…) Le transport. |
Perspectives pour le commerce équitable de l’artisanat en Afrique
Des défis…
L’artisanat africain n’est pas concurrentiel face aux produits asiatiques.
Actuellement l’artisanat africain peut difficilement concurrencer les produits bon marchés asiatiques. La concurrence des produits asiatiques industriels s’exerce sur le marché européen (on trouve plus souvent dans nos grandes surfaces du « made in India » que du « made in Burkina Faso »). Mais cette concurrence s’exerce aussi sur les marchés africains. Les sandales en plastique importées à bas prix de Chine s’écoulent plus que les sandales produites localement. Un autre phénomène préoccupant, ce sont les copies à bas prix d’artisanat qui inondent les marchés.
Mais pourquoi l’artisanat africain n’est-il pas concurrentiel ?
- Le prix. L’Afrique est plus chère que l’Asie. Les coûts de production sont élevés et la marge bénéficiaire inférieure à celle d’un produit asiatique. Citons deux aspects importants qui expliquent ces prix élevés.
- Le transport en Afrique est difficile et couteux. Ainsi, le coût du transport représente 8% du prix FOB [highslide](3;3;;;)« Free On Board ». Il s’agit du prix d’achat payé à l’organisation locale. Il comprend matières premières, prix payé au producteur, coût de l’emballage, frais administratifs et financiers de l’organisation, transport interne jusqu’au port ou aéroport, droits de douane locale.[/highslide] d’un produit asiatique, pour 26% de ce prix pour un produit africain!
- Le prix des matières premières est instable. P.ex. Alarces (Niger) doit faire face à la hausse du prix de l’argent nécessaire pour fabriquer ses bijoux. Cependant il faut tempérer cette observation sur le prix. Le fait d’avoir un véritable artisanat, fait main, unique, donne une valeur que n’a pas une copie asiatique industrielle.
- La qualité. Elle va en s’améliorant grâce à un meilleur contrôle (souvent réalisé au niveau de la
coopérative et pas directement par les différents groupes d’artisans). - La fiabilité et l’efficacité commerciale. Il arrive que l’on rencontre des problèmes de respect des délais de livraison, l’emballage, l’adéquation des commandes avec le modèle choisi.
- L’adéquation avec la demande du marché au Nord et la réactivité par rapport à cette demande en évolution constante. On peut souligner la faiblesse du développement de produits, même si elle s’améliore. On sort progressivement d’un artisanat trop typé, qui a peu d’avenir commercial.
- Les volumes. Par sa caractéristique même (travail manuel, faible apport technologique), l’artisanat africain ne peut être produit qu’en volumes limités, ce qui restreint les possibilités dans le marché conventionnel et rend le transport plus coûteux.
Des éléments externes sont un frein au développement du commerce équitable de l’artisanat
- Le contexte socio-politique (instabilité, corruption, mal-gouvernance…). L’Etat n’a pas toujours les capacités de jouer son rôle régulateur et protecteur (protection du travail, protection culturelle). Dans certains pays on observe une grande instabilité monétaire (ex. inflation au Zimbabwe).
- Les normes et règlementations imposées sur les produits en matière de sécurité, d’hygiène, d’origine, de composition, etc. constitue un frein pour le commerce Afrique-Europe de l’artisanat qui touche particulièrement les producteurs les plus marginalisés
- Au niveau mondial, sous la pression de l’artisanat bon marché asiatique, on observe une pression à la baisse sur les prix de l’artisanat, qui réduit l’effet positif de l’augmentation des volumes.
- Problème des brevets, du «copyright». Aucun brevet ou marque déposée ne protège l’origine culturelle du produit d’artisanat et le processus de fabrication. Les abus sont déjà nombreux [highslide](4;4;;;)« Des activistes kenyans luttent pour conserver des lignes culturelles qui ont été développées en Afrique orientale mais sont en train d’être brevetées par des compagnies dans des pays riches. Après avoir perdu la marque déposée du panier kiondo en faveur du Japon, le motif du tissu populaire kikoi est actuellement menacé d’être breveté par une firme britannique. […] Si cela devait être accordé, la firme jouira d’un monopole sur la commercialisation des produits kikoi » Voir l’article « Les Africains de l’Est pourraient être dépossédés du Kikoi »[/highslide] .
… des opportunités aussi !
- Le commerce équitable a un véritable impact de développement et répond à des attentes. Il contribue à la sauvegarde de l’agriculture familiale en crise, qui ne génère souvent pas assez de revenu.
- Il y a un potentiel de croissance du secteur de l’artisanat. Cependant la demande évolue vers un artisanat plus fonctionnel et utilitaire plutôt que décoratif.
- Miser sur l’investissement dans l’appui aux partenaires (développement organisationnel, développement de produits). Ce soutien des organisations du Nord a déjà montré son impact positif. Il répond à une réelle demande, que ne satisfait pas le commerce conventionnel.
- Le développement du tourisme (+12% en 2006 en Afrique subsaharienne) permet une diversification des débouchés. Une complémentarité est possible mais il faut éviter de dénaturer l’artisanat.
- Actuellement la coordination entre les différents acteurs du commerce équitable en Afrique reste faible. Cependant on voit le début de développement de réseaux, d’alliances entre organisations africaines et d’une forme de représentation internationale.
Un début de structuration des acteurs africains au sein de COFTA
L’artisanat reste un secteur informel, qui souffre de l’absence de représentation officielle (contrairement, p.ex., aux producteurs de café ou de coton). COFTA (Cooperation for Fair Trade in Africa ) est l’assemblée régionale africaine d’IFAT (Fédération internationale du commerce équitable). COFTA est un réseau d’organisations de commerce équitable africaines qui agissent avec des producteurs marginalisés. Dans son travail, COFTA souhaite donner priorité aux problèmes de l’artisanat, en offrant un soutien technique dans le développement de produits de qualité et l’accès aux marchés par la mise en réseau. C’est aussi un forum, un lieu de dialogue et de construction de coalitions, pour sensibiliser au commerce équitable au niveau local, régional et international, mais également pour faire entendre la voix des producteurs africains pour la mise en place de politiques prenant en compte leurs intérêts. Par exemple, dans le cas cité précédemment des brevets déposés, COFTA a décidé d’attaquer la compagnie britannique qui a demandé d’être enregistrée comme seul propriétaire de la marque déposée kikoi.
En conclusion
Si on veut que le commerce équitable de l’artisanat en Afrique ne soit pas dans une impasse, il faut éviter de le confiner dans une petite niche de produits exotiques destinés uniquement à l’exportation pour quelques importateurs de commerce équitable. Il faut une stratégie de diversification des produits et un accès à de nouveaux marchés : le marché conventionnel mais aussi un marché local et régional, encore embryonnaire. Il faut tenter de développer des filières plus élaborées avec transformation locale (p.ex. pour le coton), afin de créer de la valeur ajoutée et répondre au manque de technologie et d’infrastructures dont souffre le continent, qui manque cruellement d’investissements.
Il faut également s’attaquer au problème de crédibilité qu’on rencontre parfois dans la communication ou la planification avec certains partenaires africains. C’est un enjeu de formation, d’appui au management, au développement de produits. C’est aussi et surtout le résultat d’un travail de longue durée. Il est vital pour les producteurs africains de pouvoir sécuriser la demande sur une longue période.
Afin de protéger l’artisanat africain des copies asiatique et du pillage des compagnies, une idée fait son chemin : créer un AOC (appellation d’origine contrôlée), une sorte de label pour l’artisanat.
La stratégie d’Oxfam-Magasins du monde
Comme nous l’avons vu, le commerce équitable avec l’Afrique pose des défis. Mais Oxfam-Magasins du monde n’abandonne pas l’Afrique ! Nous voulons résolument promouvoir le secteur de l’artisanat et ses produits africains. Nous avons une responsabilité certaine vis-à-vis de nos partenaires du Sud qui n’ont pas tous la possibilité d’avoir un accès au marché ouvert par de nouveaux acteurs. Nous croyons au potentiel de développement qu’a le commerce équitable pour ces artisans et leurs familles. Nous voulons soutenir cette Afrique qui veut saisir l’opportunité que lui offre le commerce équitable, de conquérir des parts de marché avec des produits de qualité, qui répondent à une demande au Nord. Mais aussi de contribuer à notre stratégie de force de changement pour que les droits économiques, sociaux et culturels deviennent une réalité pour les femmes et les hommes.